24
novembre
2022
Coup de projecteur sur l’originalité des photographies de plateau
Author:
TAoMA
Pour démontrer l’originalité d’une photographie, le critère des choix libres et arbitraires ne suffit pas. Encore faut-il que ces choix révèlent l’empreinte de la personnalité de l’auteur de la photographie.
Dans un arrêt du 25 octobre 2022, la Cour d’appel de Versailles est venue préciser la nature des critères à remplir pour démontrer l’originalité de la photographie de plateau.
Les photographies de plateau sont les photographies prises lors du tournage ou en dehors de celui-ci, destinées à assurer la promotion de l’œuvre cinématographique. Le rôle du photographe est alors de refléter fidèlement l’atmosphère du film.
Dans cette affaire, la société Diosphere Limited reproduisait, sur sa banque d’images en ligne, sept photographies représentant Jean-Paul Belmondo et le réalisateur Jean-Luc Godard sur le tournage du film « Pierrot le fou ».
Après avoir découvert cette reproduction, l’épouse et ayant-droit du photographe décédé, auteur des photographies litigieuses, assignait la société Diosphere Limited aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice résultant de la violation de ses droits patrimoniaux et moraux d’auteur.
Par décision du 11 février 2021, le Tribunal judiciaire de Nanterre jugeait ses demandes irrecevables et, mécontente de ce verdict, l’épouse interjetait appel devant la Cour d’appel de Versailles, qui confirma la décision de première instance pour défaut d’originalité.
En effet, la Cour fait fi des descriptions détaillées par l’appelante des choix esthétiques et arbitraires de son défunt mari, et rappelle que :
« Le critère des choix, pour libres et arbitraires qu’ils soient, ne suffit pas à octroyer la protection du droit d’auteur. Ces choix doivent en outre révéler l’empreinte de la personnalité de l’auteur. »
Elle se fonde notamment sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ayant défini les critères à prendre en compte afin de démontrer l’originalité des photographies réalistes : une photographie de portrait est susceptible d’être protégée dès lors qu’elle constitue une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par des choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie1.
Reprenant les critères posés par la juridiction européenne, la Cour d’appel de Versailles en déduit que :
« si, certes le photographe a fait quelques choix de mise en scène, d’éclairage, de pose, de cadrage ou encore d’angles de prise de vue distincts de ceux du réalisateur du film, il ne dégage pas des photographies une impression visuelle différente de celle produite par les scènes filmées de sorte que l’impression d’ensemble reflète, voire accentue, les choix préexistants du réalisateur et non l’empreinte de la personnalité propre du photographe, qui n’est au demeurant nullement explicitée dans les éléments mis en avant par l’appelante. »
C’est également l’occasion pour la Cour de rappeler que l’originalité d’une œuvre de l’esprit constitue une condition de fond de sa protection au titre du droit d’auteur et non une condition de recevabilité.
Cet arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel pointilleux en matière de démonstration de l’originalité des photographies de plateau. Si ce genre photographique a pu jadis bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur2, cette tendance semble aujourd’hui en déclin.
Delphine Monfront
Juriste
(1) CJUE, 1er déc. 2010, C145/10 Eva Maria P. C/ Standard Verlags GmbH ;
(2) Par exemple : CA Paris, 15 novembre 2013, n°13/06792.
14
avril
2022
Tendances de mode et constance jurisprudentielle
La cour d’appel de Paris vient de donner une nouvelle illustration de l’appréciation délicate de la contrefaçon en matière de créations dans le domaine de la mode, où la reconnaissance de l’originalité des œuvres se heurte au recours au « fonds commun » de la mode et à l’inscription dans des tendances saisonnières.
L’arrêt du 15 février 2022
L’affaire est classique : deux créatrices de bijoux se disputent un marché pour leurs créations. La première considère que la seconde a imité ses créations et l’assigne devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale. Le tribunal rejette les demandes et la cour d’appel confirme le jugement.
Sans rentrer dans les détails de l’espèce, impliquant également deux autres parties, on retiendra que la cour a considéré que les bijoux créés par la demanderesse, ne se différenciant des traditionnels bracelets brésiliens portés par « les hippies et les surfeurs » (mais aussi par certains avocats, comme la cour semble l’ignorer) que par l’utilisation de couleurs et de matières plus nobles et féminines, ne font que « revisiter » un genre et ne peuvent donc pas bénéficier de la protection du droit d’auteur.
La cour ajoute que d’autres créateurs participent à la « même tendance ‘bohème chic’ » puisant « à un fonds commun de l’accessoire de mode », ce qui caractérise une démarche relevant d’une « inspiration mutuelle entre créateurs ».
Par conséquent, s’il existe des ressemblances flagrantes entre les bijoux, le fait qu’ils s’inscrivent dans un même fonds commun exclut leur caractère original. La même raison justifie également, aux yeux de la cour, le rejet des demandes en concurrence déloyale puisque l’inscription dans un fonds commun exclut que les ressemblances soient liées à une volonté fautive de créer un risque de confusion – a fortiori en l’absence de notoriété des bijoux de la demanderesse.
Une « tendance » jurisprudentielle confirmée
Les créations appartenant au domaine de la mode ont un statut à part en droit d’auteur. Leurs créateurs doivent donc résoudre la quadrature du cercle en se distinguant (par l’empreinte de leur personnalité) tout en participant à un courant saisonnier destiné à engendrer ou participer à un succès commercial.
Si l’appréciation du caractère protégeable des œuvres peut être différente dans chaque espèce, la solution rappelée dans cet arrêt n’est pas nouvelle.
Ainsi, le simple fait de s’inscrire dans une tendance de mode n’empêche pas nécessairement de voir reconnue l’originalité des bijoux, vêtements ou accessoires, comme l’a retenu un arrêt de cassation déjà ancien : « s’il est exact que la contrefaçon de modèles d’industries saisonnières de l’habillement et de la parure ne saurait résulter de la seule ressemblance, dans leur ligne générale, entre le modèle prétendument contrefait et celui argué de contrefaçon, lorsque l’un et l’autre se situent dans une même tendance de la mode, il en est autrement lorsque l’article contrefait comporte des éléments spécifiques de nouveauté et d’originalité reproduits par le modèle contrefaisant » (Cass. crim., 29 janvier 1991, n° 90-81903).
Mais inversement, l’absence d’élément spécifique d’originalité indépendant de la reprise d’éléments provenant d’un fonds commun de la mode peut priver l’œuvre de protection. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation en 2014, jugeant que la cour d’appel avait « souverainement estimé que l’ajout de semelles à picots qui s’inscrivait dans une tendance de la mode était insuffisant pour témoigner de l’empreinte de la personnalité de son auteur et que le modèle revendiqué n’était dès lors pas éligible à la protection conférée par le droit d’auteur » (Cass. civ. 1e, 20 mars 2014, n° 12-18518).
De récentes décisions de cours d’appel adoptent la même grille d’analyse et prennent en compte les éléments tendanciels de ce secteur commercial, souvent pour rejeter la protection par le droit d’auteur.
Par exemple, en matière de contrefaçon de droits d’auteur, une décision du 22 octobre 2019 (CA Paris, RG n° 17/20261) pour des blouson « bombers » et une décision du 16 novembre 2021 (CA Paris, RG n° 18/20990) pour des sacs à main. Et en matière de concurrence déloyale, une décision du 26 mars 2021 (CA Paris, RG n° 19/19593) pour des chaussures et une décision du 19 novembre 2020 (CA Versailles, RG n° 19/03448) pour des sacs à dos et cartables.
Les créateurs doivent donc être alertés sur la fragilité de leurs droits et sur la nécessité, pour les consolider, de se détacher autant que possible du « fonds commun », dès le processus de création : l’octroi de la protection par le droit d’auteur viendra alors récompenser la prise de risque économique qu’il y a à se démarquer d’une tendance saisonnière.
Décision commentée : Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 1, 15 février 2022, RG n° 19-12641 (communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr)
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la cour