31
janvier
2023
Imiter n’est pas créer : Attention au boomerang !
Author:
TAoMA
Bijoux de fantaisie : la concurrence fait rage. En quelques années, le marché des bijoux de fantaisie s’est fortement développé et il peut parfois être difficile de se distinguer de la concurrence, en particulier compte-tenu de l’encombrement créatif dans le secteur. Cet encombrement créatif a joué en faveur de la société Atiwell, dans le cadre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, le 2 novembre 20221.
La société Zag bijoux a assigné la société Atiwell le 26 avril 2019, pour des actes de concurrence déloyale et parasitaire liés à la commercialisation de bijoux en apparence identiques aux modèles de ses propres collections, mais de qualité médiocre et de moindre prix.
Le Tribunal de commerce de Bobigny a débouté la société Zag bijoux de ses demandes par jugement en date du 17 novembre 2020. En particulier, le Tribunal de commerce de Bobigny a considéré que les bijoux commercialisés par la société Zag Bijoux relevaient plus de la fantaisie commune que de produits originaux. Dans ce contexte, la société Atiwell pouvait s’en inspirer, sans contrevenir aux usages honnêtes et loyaux qui doivent présider à la vie des affaires.
Mécontente de cette décision, la société Zag Bijoux a porté l’affaire devant la Cour d’appel de Paris qui a confirmé le jugement.
En effet, et après une analyse minutieuse des modèles de bijoux de la société Zag bijoux, la Cour d’appel conclu qu’il existe des différences certaines entre les bijoux en cause et, par ailleurs, elle constate que de nombreux modèles de bijoux de la société Zag bijoux s’inscrivent dans la tendance du marché et, de surcroît, s’inspirent fortement de modèles protégés antérieurement au titre du droit des dessins et modèles, par d’autres concurrents.
La Cour en conclut que
• Il ne peut y avoir de risque de confusion entre les modèles de bijoux en cause, dès lors que la société Zag Bijoux s’est elle-même inspirée de modèles tombés dans le domaine public et/ou appartenant à la tendance actuelle du secteur. De même la Cour d’appel écarte également l’existence d’un effet de gamme sur cette base, puisque les éléments repris sont usuels et banals dans le secteur de la bijouterie ;
• La société Zag Bijoux ne justifie pas d’une valeur individualisée dont il résulterait des efforts créatifs, ainsi que des investissements. La concurrence déloyale et parasitaire est donc également rejetée par la Cour d’appel de Paris.
Cet arrêt, qui s’inscrit dans la jurisprudence actuelle, laisse entendre que les créations qui proviennent de l’imitation et/ou sont inspirées de la tendance du secteur ne peuvent pas être protégées par l’action en concurrence déloyale ou parasitaire. On doit préciser que ces créations ne seraient pas, a fortiori, protégées par le droit d’auteur.
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
(1) Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 2 novembre 2022, n°21/00039 ;
14
avril
2022
Tendances de mode et constance jurisprudentielle
La cour d’appel de Paris vient de donner une nouvelle illustration de l’appréciation délicate de la contrefaçon en matière de créations dans le domaine de la mode, où la reconnaissance de l’originalité des œuvres se heurte au recours au « fonds commun » de la mode et à l’inscription dans des tendances saisonnières.
L’arrêt du 15 février 2022
L’affaire est classique : deux créatrices de bijoux se disputent un marché pour leurs créations. La première considère que la seconde a imité ses créations et l’assigne devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale. Le tribunal rejette les demandes et la cour d’appel confirme le jugement.
Sans rentrer dans les détails de l’espèce, impliquant également deux autres parties, on retiendra que la cour a considéré que les bijoux créés par la demanderesse, ne se différenciant des traditionnels bracelets brésiliens portés par « les hippies et les surfeurs » (mais aussi par certains avocats, comme la cour semble l’ignorer) que par l’utilisation de couleurs et de matières plus nobles et féminines, ne font que « revisiter » un genre et ne peuvent donc pas bénéficier de la protection du droit d’auteur.
La cour ajoute que d’autres créateurs participent à la « même tendance ‘bohème chic’ » puisant « à un fonds commun de l’accessoire de mode », ce qui caractérise une démarche relevant d’une « inspiration mutuelle entre créateurs ».
Par conséquent, s’il existe des ressemblances flagrantes entre les bijoux, le fait qu’ils s’inscrivent dans un même fonds commun exclut leur caractère original. La même raison justifie également, aux yeux de la cour, le rejet des demandes en concurrence déloyale puisque l’inscription dans un fonds commun exclut que les ressemblances soient liées à une volonté fautive de créer un risque de confusion – a fortiori en l’absence de notoriété des bijoux de la demanderesse.
Une « tendance » jurisprudentielle confirmée
Les créations appartenant au domaine de la mode ont un statut à part en droit d’auteur. Leurs créateurs doivent donc résoudre la quadrature du cercle en se distinguant (par l’empreinte de leur personnalité) tout en participant à un courant saisonnier destiné à engendrer ou participer à un succès commercial.
Si l’appréciation du caractère protégeable des œuvres peut être différente dans chaque espèce, la solution rappelée dans cet arrêt n’est pas nouvelle.
Ainsi, le simple fait de s’inscrire dans une tendance de mode n’empêche pas nécessairement de voir reconnue l’originalité des bijoux, vêtements ou accessoires, comme l’a retenu un arrêt de cassation déjà ancien : « s’il est exact que la contrefaçon de modèles d’industries saisonnières de l’habillement et de la parure ne saurait résulter de la seule ressemblance, dans leur ligne générale, entre le modèle prétendument contrefait et celui argué de contrefaçon, lorsque l’un et l’autre se situent dans une même tendance de la mode, il en est autrement lorsque l’article contrefait comporte des éléments spécifiques de nouveauté et d’originalité reproduits par le modèle contrefaisant » (Cass. crim., 29 janvier 1991, n° 90-81903).
Mais inversement, l’absence d’élément spécifique d’originalité indépendant de la reprise d’éléments provenant d’un fonds commun de la mode peut priver l’œuvre de protection. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation en 2014, jugeant que la cour d’appel avait « souverainement estimé que l’ajout de semelles à picots qui s’inscrivait dans une tendance de la mode était insuffisant pour témoigner de l’empreinte de la personnalité de son auteur et que le modèle revendiqué n’était dès lors pas éligible à la protection conférée par le droit d’auteur » (Cass. civ. 1e, 20 mars 2014, n° 12-18518).
De récentes décisions de cours d’appel adoptent la même grille d’analyse et prennent en compte les éléments tendanciels de ce secteur commercial, souvent pour rejeter la protection par le droit d’auteur.
Par exemple, en matière de contrefaçon de droits d’auteur, une décision du 22 octobre 2019 (CA Paris, RG n° 17/20261) pour des blouson « bombers » et une décision du 16 novembre 2021 (CA Paris, RG n° 18/20990) pour des sacs à main. Et en matière de concurrence déloyale, une décision du 26 mars 2021 (CA Paris, RG n° 19/19593) pour des chaussures et une décision du 19 novembre 2020 (CA Versailles, RG n° 19/03448) pour des sacs à dos et cartables.
Les créateurs doivent donc être alertés sur la fragilité de leurs droits et sur la nécessité, pour les consolider, de se détacher autant que possible du « fonds commun », dès le processus de création : l’octroi de la protection par le droit d’auteur viendra alors récompenser la prise de risque économique qu’il y a à se démarquer d’une tendance saisonnière.
Décision commentée : Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 1, 15 février 2022, RG n° 19-12641 (communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr)
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la cour