07
août
2024
Droit à l’image du salarié : le principe de l’autorisation et son encadrement dans le temps
Author:
TAoMA
Avec l’essor des réseaux sociaux, il est devenu courant pour les employeurs de capter et diffuser l’image de leurs salariés non plus seulement à des fins internes, mais également pour promouvoir leurs entreprises auprès du public.
Cet usage d’un des principaux attributs de la personnalité est notamment encadré par l’article 9 du Code civil, lequel s’applique également aux relations régies par le droit du travail.
L’autorisation d’usage de l’image d’un individu : un droit soumis à consentement même dans les relations de travail.
Le principe n’est pas nouveau : les salariés ont droit au respect de leur vie privée, y compris dans le cadre de leurs fonctions.
Cette règle a donné lieu à de nombreuses décisions relatives à la confidentialité des communications privées des salariés, mais également à la protection des attributs de leur personnalité et notamment de leur image.
Cette problématique revêt un intérêt bien plus stratégique de nos jours, avec l’essor des réseaux sociaux : l’image du salarié qui a longtemps été majoritairement circonscrit à des usages internes peut constituer désormais un actif servant la promotion des entreprises en mettant en avant le savoir-faire et la personnalité des individus qui y travaillent.
C’est donc très logiquement que les litiges afférents se sont multipliés ces dernières années, sans toutefois révolutionner significativement un principe établit de très longue date : l’usage de l’image d’un individu, même salarié, nécessite une autorisation claire et libre de ce dernier.
La Cour de cassation a récemment rappelé le principe selon lequel le droit à l’image ne succombe pas au lien de subordination existant entre l’employeur et ses salariés1.
Par ailleurs, s’il est constant que l’autorisation d’utilisation de l’image consentie par un employé à son employeur n’a pas nécessairement à être accompagnée d’une compensation financière, il a été jugé à plusieurs reprises que l’usage sans autorisation créé nécessairement un préjudice ne nécessitant ni démonstration ni chiffrage précis pour être retenu et indemnisé2.
Il n’est à ce titre pas nécessaire que le visage d’une salariée soit visible tant que celle-ci est reconnaissable3, mais il convient en revanche de démontrer que l’employeur a bien exploité l’image en question4.
Droit à l’image du salarié : l’autorisation suit le sort du contrat de travail lorsqu’elle n’est pas encadrée dans le temps.
En droit des contrats, les engagements perpétuels sont nuls et les obligations « sans limitation de durée » sont en principe considérés comme des engagement à durée indéterminée pouvant être résiliés à tout moment.
Pour autant, d’après un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 18 juin 2024, ce mécanisme bien connu ne semble pas devoir s’appliquer aux autorisations de droit à l’image consenties par des salariés à leur employeur5.
Cette solution n’est pas complètement nouvelle, et un employeur a notamment été condamné par la Cour d’appel de Chambéry pour avoir conservé, pendant près de 6 mois après son départ, l’image d’un salarié sur le site de l’entreprise sans justifier d’une autorisation en ce sens6. Ainsi, à défaut d’une autorisation spécifique, un employeur devrait supprimer l’image de ses employés au moment de leur départ de l’entreprise.
A l’inverse, en présence d’une autorisation expresse d’utilisation de l’image d’un ancien salarié pendant 10 ans après son départ, ce dernier ne peut exiger aucune indemnisation ni aucun retrait avant l’expiration de la durée d’autorisation7.
La spécificité du récent arrêt de la Cour d’appel de Nîmes réside dans le fait que la juridiction a jugé que l’autorisation consentie « sans limitation de durée » ne doit pas s’interpréter, dans le cadre d’une relation employeur-salarié, comme une autorisation à durée indéterminée résiliable à tout moment à l’initiative de l’une et/ou l’autre des parties, mais comme un accessoire au contrat de travail prenant fin au moment de la rupture du contrat principal.
Cette solution n’est pas sans conséquence : dès la rupture du contrat de travail, si l’employeur ne supprime pas immédiatement l’ensemble des images de l’ancien salarié diffusés par l’entreprise, cette poursuite de l’usage doit être considérée sans autorisation et entraine nécessairement l’octroi, pour l’ancien salarié, de dommages-intérêts.
Dans le cas jugé par la Cour d’appel de Nîmes, cette indemnisation s’est élevée à 1.500 euros, au motif notamment que l’ancien salarié avait créé sa propre activité concurrente et que la subsistance de photographies le représentant sur le site et les réseaux de son ancien employeur était générateur d’un risque de confusion dans l’esprit de leurs clients respectifs.
En conclusion, les employeurs doivent faire preuve de vigilance dans l’usage des photographies de leurs anciens employés, et il serait judicieux de prévoir dans le contrat de travail ou l’autorisation correspondante un délai raisonnable après la fin de la relation de travail pour permettre à l’employeur d’identifier et supprimer l’ensemble des images représentant son ancien employé.
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Robin ANTONIOTTI
Avocat
(1) Cour de cassation, Chambre sociale, 14 février 2024, 22-18.014, Inédit
(2) Cour de cassation, Chambre sociale, 26 janvier 2022, 20-21.636, Publié au bulletin
(3) Cour d’appel de Montpellier, 1re chambre sociale, 22 juin 2022, n° 18/00652
(4) Cour d’appel de Rennes, 8ème ch prud’homale, 18 juin 2021, n° 18/04981
(5) Cour d’appel de Nîmes, 5e chambre sociale ph, 18 juin 2024, n° 21/03685
(6) Cour d’appel de Chambéry, 3 mars 2009, n° 08/02089
(7) Cour de Cassation, Chambre sociale, du 18 décembre 1996, 93-44.825, Inédit
25
mars
2021
Un pacte d’actionnaires peut emporter cession de droits d’auteur
Author:
teamtaomanews
La question de la titularité du droit d’auteur sur les inventions de salariés est récurrente en droit français. Le principe est que l’existence d’un simple contrat de travail n’emporte aucune dérogation au profit de l’employeur à la jouissance des droits de propriété intellectuelle de l’auteur salarié. Ainsi, en l’absence de cession de droits, le salarié ne transmet à son employeur aucune autorisation d’exploitation sur ses œuvres. Mais les choses se compliquent lorsque le salarié est également actionnaire et qu’un pacte d’actionnaire envisageait le sort des œuvres à naître.
La cour d’appel a eu l’occasion de se pencher sur ce problème dans un arrêt du 26 février 2021 relatif à des créations de mode. Le conflit opposait d’une part une société CYMBELINE FOREVER, venant aux droits de la société CYMBELINE, spécialisée dans la commercialisation de robes de mariées, et d’autre part l’ancienne directrice de collection salariée de CYMBELINE, dont le contrat de travail avait trouvé son terme mais qui était toujours actionnaire.
L’ancienne directrice reprochait à la société qui avait repris le fonds de commerce d’avoir commercialisé cinq modèles de robes de mariées créés après la fin de son contrat de travail et dont elle n’avait cédé les droits à personne.
La cour a considéré que l’ancienne directrice de collection prouvait bien sa qualité d’auteur mais qu’elle avait cédé les droits d’exploitation à la société et ne pouvait invoquer une atteinte à ses droits patrimoniaux ; que toutefois l’absence de son nom avait porté atteinte à son droit moral.
Les juges commencent donc par reconnaitre la qualité d’auteur à l’ancienne directrice de collection et l’originalité de ses créations, ce qui justifie, en l’absence de la mention de son nom, une condamnation pour atteinte au droit moral. Ils considèrent ensuite que la titularité des droits patrimoniaux revient à la société CYMBELINE. Pour statuer ainsi, la cour constate que l’ancienne salariée avait signé, en compagnie des fondateurs, un pacte d’actionnaires prévoyant que la pleine propriété des droits de propriété intellectuelle appartenait à la société, mais également que chacun des signataires s’interdisait « à l’avenir de déposer ou de protéger de quelque façon que ce soit, à son nom, directement, indirectement ou par personne interposée, tous droits intellectuels (brevets, marques…) nécessaires ou utiles à l’activité de la Société ». Tout signataire s’engageait également « à déposer et protéger lesdits droits exclusivement au nom de la Société afin que cette dernière puisse en jouir et en disposer librement comme propriétaire ». Ce pacte ayant été conclu pour toute la durée pendant laquelle les signataires sont titulaires de titres et, en tout état de cause, pour une durée de douze années minimum, l’ancienne directrice n’était donc pas en mesure de revendiquer les droits sur ses créations puisqu’elle a « cédé à la société Cymbeline les droits patrimoniaux d’auteur » sur les robes litigieuses. L’ancienne salariée est déboutée de ses demandes à ce titre.
La Cour considère qu’un pacte d’actionnaires contenant un engagement de chacun des associés de ne pas revendiquer la protection de ses créations pour son propre compte vaut preuve de la cession des droits patrimoniaux.
Il s’agit là d’une solution intéressante et très discutable, selon laquelle l’interprétation de la volonté des parties semble devoir l’emporter sur les dispositions légales relatives à la nullité de la cession globale des œuvres futures (Code de la propriété intellectuelle, article L. 131-1) et à l’obligation de constatation par écrit et de façon précise des contrats de transmission des droits d’auteur (article L. 131-2, certes non applicable à la date des faits, et L. 131-3). En effet, si le droit français exige en principe que le contrat de cession énumère précisément les droits cédés et les modes d’exploitation couverts, les juges ont, en l’espèce, considéré que les stipulations relativement sommaires du pacte d’associés valaient transmission.
Une telle solution, qui pourrait donner matière à pourvoi en cassation, invite en tout cas les créateurs actionnaires à surveiller avec toujours plus de vigilance les droits dont ils sont propriétaires, afin d’être en mesure d’en conserver la maîtrise à travers le temps.
Référence et date : Cour d’appel de Paris, pôle 5 – ch. 2, 26 février 2021, n°19/15130
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
Retrouvez sous ce lien une autre actualité récente relative au droit de la mode et à la qualité d’auteur des salariés.
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
Mathilde GENESTE
Élève-avocate
23
mars
2021
Un employeur bien dans ses baskets de créateur
Author:
teamtaomanews
Selon une formule attribuée à Coco Chanel, « la mode se démode ; le style, jamais ». La mode se fait et se défait au gré des créations nouvelles. Les créateurs de ces réalisations ne se contentent pas de transformer des tissus en vêtements mais créent des objets qui ont un sens pour ceux qui les portent. Inspirée et créative, la mode n’est donc pas seulement une activité commerciale, mais une activité artistique à part entière, justifiant que les créateurs puissent être considérés comme des artistes.
Pour autant, la reconnaissance de la qualité d’auteur d’un styliste salarié n’est pas toujours évidente, notamment en cas de création collective. La Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de le rappeler dans un arrêt rendu le 5 mars 2021 opposant la société COMPTOIR DES COTONNIERS à l’un de ses salariés.
Le salarié en cause revendiquait la création, en septembre 2014, d’une paire de baskets vintage dénommée « Slash », de sa semelle léopard et de son sac d’emballage. Les juges de première instance l’ont déclaré irrecevable à agir au titre du droit d’auteur faute pour lui de justifier être à l’origine de la création.
En seconde instance, la Cour rappelle qu’il incombe à celui qui entend se prévaloir du droit d’auteur de rapporter la preuve d’une création déterminée à une date certaine et de caractériser l’originalité de la création – l’existence d’un contrat de travail n’étant pas exclusive de cette protection.
En l’occurrence, si le salarié prétend être, depuis son recrutement, le seul styliste de la société en charge des accessoires, les juges constatent que son contrat de travail le rattache à une équipe créative et à une directrice artistique.
La cour examine avec une grande précision les pièces, et notamment les attestations produites aux débats et en déduit que l’autonomie créatrice du salarié était restreinte et que, bien qu’il ait réalisé seul le croquis de la basket, il a agi « sous la subordination » de la directrice en charge de définir et de mettre en œuvre la ligne stylistique.
La Cour observe ensuite que la basket a été présentée dans la presse comme une création de la directrice de style, sans que le salarié ne s’y oppose et sans que celui-ci ne s’oppose non plus au dépôt par son employeur auprès de l’INPI d’une demande de protection au titre des dessins et modèles.
Toutes ces observations réunies, le salarié est déclaré irrecevable en son action en contrefaçon.
La Cour d’appel, sans pour autant énoncer une solution nouvelle, rappelle donc qu’un salarié qui prend part à un processus collectif de création sous la supervision d’une directrice artistique peut ne pas être en mesure de revendiquer la qualité d’auteur s’il ne justifie pas qu’il disposait de libertés de choix esthétiques et de création ne faisant pas l’objet de restrictions et d’encadrement en raison du contrôle d’un supérieur.
Les juges précisent ainsi les contours de la distinction essentielle qui existe entre le fait de participer à un processus créatif et celui de le maîtriser.
Cette question du cumul des qualités d’auteur et de salarié est source de nombreux contentieux depuis des décennies. La présente décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle qui restreint la possibilité pour des salariés d’obtenir la reconnaissance de leur qualité d’auteur et donc un complément de rémunération au titre de leurs droits patrimoniaux. Par exemple, dans l’arrêt Lavigne c. GIM (Cass. Soc. 19 oct. 2005, n°03-42.108) rendu en 2005 par la chambre sociale de la Cour de cassation, les juges avaient décidé d’appliquer la notion d’œuvre collective aux créations d’entreprise auxquels les salariés avaient participé et considéré que les droits issus de ces créations étaient nés directement sur la tête de l’entreprise – une qualification qui n’a toutefois pas été discutée dans l’arrêt commenté.
La jurisprudence invite donc à demeurer vigilant quant à la détermination au quotidien des droits des collaborateurs qui participent à des créations.
Référence et date : Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 2, 5 mars 2021, n° 19/17254
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
Retrouvez sous ce lien une autre actualité récente relative au droit de la mode et à la qualité d’auteur des salariés.
Alain HAZAN
Avocat à la Cour – Associé
Mathilde GENESTE
Élève-Avocate