Le dernier Gang Bang à Paris

Plus question de Gang Bang à Paris pour l’INPI !

En effet, l’INPI a décidé le 10 novembre 2020 que la marque française déposée le 16 septembre 2011 sous le nom « GANG BANG A PARIS » était contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

Cette décision a pour particularité d’être l’une des toutes premières rendues par l’INPI en matière de nullité de marques depuis l’entrée en vigueur, le 1er avril 2020, de l’ordonnance du 13 novembre 2019.

L’affaire débute le 25 mai 2020, lorsqu’une société dépose une demande d’annulation de la marque « GANG BANG A PARIS ». La marque en question avait été enregistrée en 2012 pour des produits et services des classes 25, 35 et 41. Autrement dit, pour des produits vestimentaires, des services de publicité, de formation ou encore de divertissement. Rien à voir donc avec le registre pornographique.

La demande devant l’INPI s’articule autour de deux motifs :

  • Le fait que le signe soit contraire à l’ordre public ou que son usage soit légalement interdit
  • La nature trompeuse du signe vis-à-vis du public en raison de la présence des termes « A PARIS »

Il faut évacuer sur le champ la question du caractère trompeur de la marque, car il ne fait aucun doute que les produits et services proposés n’ont pas vocation à se prétendre d’origine parisienne. L’INPI ne s’y est pas trompé, et déclare que l’expression « A PARIS » au sein de la marque contestée « GANG BANG A PARIS » ne peut être appréhendé par le public « que comme une référence au lieu de réalisation de ce gang bang et non comme une indication quant à la provenance géographique des produits et services couverts par la marque ».

S’agissant en revanche de l’atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs, l’INPI développe son raisonnement en définissant tout d’abord la notion d’ordre public et de bonnes mœurs. Celle-ci s’entend des « valeurs et normes sociales auxquelles la société adhère et qui visent à réguler les comportements susceptibles de contrevenir à l’ensemble des règles imposées tant par la législation que par la morale sociale ». Est comprise dans cette notion le respect des lois pénales réprimant les comportements discriminants, ainsi que les atteintes et offenses portées aux personnes, à leur dignité, honneur et considération.

Or, c’est bien là le cœur du problème ! Car le terme « GANG BANG » désigne une pratique sexuelle utilisée dans le milieu de la pornographie. Le terme nous vient des États Unis, et désignait au départ l’assassinat ou le passage à tabac d’un homme seul par les membres d’un gang adverse. L’image d’agresseurs en surnombre face à une victime isolée a été conservée lors du basculement du terme dans le lexique pornographique. S’il ne s’agit que d’une mise en scène sexuelle entre adultes consentants dans la sphère du X, le terme de « GANG BANG » désigne aussi un viol collectif.

L’INPI voit dans ce terme « une image violente et dégradante », mais cela ne suffit pas à annuler une marque sur le fondement de l’ordre public et des bonnes mœurs, encore faut-il cerner le public pertinent. A savoir, non seulement le public directement visé par les produits et services de la marque, mais également le public indirect, celui qui sera confronté au signe de manière incidente dans sa vie quotidienne, par exemple lors de campagnes publicitaires ou à l’occasion de la présentation de la marque dans des lieux de vente. Le public pertinent est par ailleurs constitué de personnes raisonnables, ayant un seuil moyen de sensibilité : ni jamais choqué, ni choqué pour un rien.

C’est là où le bât blesse, car le public pertinent de « GANG BANG A PARIS » est très large. Il est notamment constitué de mineurs susceptibles de chercher à comprendre le sens du nom de la marque qu’ils auront, par exemple, pu observer sur des vêtements. L’accès du jeune public à la marque est en outre contraire aux dispositions de l’article 227-24 du code pénal consacré à la mise en péril des mineurs.

L’INPI juge ainsi la marque contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs et en prononce la nullité, signant par là même le dernier Gang Bang à Paris.

Un point peut cependant prêter à interrogation. Étant donné que ces nouvelles demandes en nullité sur un motif absolu sont susceptibles d’être formées par toute personne, à tout moment…

Quid d’anciennes marques vestimentaires aux noms provocateurs ?

A l’instar de « la vie la pute », ou encore d’« à poil les salopes ! », marques de vêtements déposées respectivement en 2015 et 2011.

On peut se demander si les nouvelles compétences de l’INPI n’ont pas vocation, pour des marques déposées antérieurement à l’ordonnance de 2019, à créer une insécurité juridique dépendante de l’activisme des demandeurs.

 

Anne-Cécile Pasquet
Auditrice de justice

Baptiste Kuentzmann
Juriste