12
janvier
2021
La preuve par constat d’huissier, oui ! Mais quand le faire réaliser ?
Author:
teamtaomanews
Si l’utilité des constats d’huissier n’est plus à démontrer en raison de leur force probante reconnue par les tribunaux, la Cour d’appel de Dijon vient de souligner l’importance de la date choisie pour les établir.
En effet, dans un arrêt du 10 décembre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour d’appel de Dijon a jugé que des constats d’huissier formellement valides mais établis à des moments non pertinents n’avaient pas de force probante.
En l’espèce, un client, fournisseur en gros d’ingrédients et de matériels pour les pâtissiers et les chocolatiers, avait commandé la réalisation d’un site Internet à son prestataire. Les relations entre les parties s’étaient détériorées et le client avait saisi le Tribunal de commerce de Dijon pour demander réparation d’un manquement aux obligations contractuelles du prestataire, du fait de la livraison d’un site Internet non finalisé et présentant des dysfonctionnements.
Au soutien de sa demande, il avait fourni aux juges cinq constats d’huissiers.
Tout d’abord, la Cour d’appel rejette la demande du défendeur d’écarter des débats un des constats qui contenait des appréciations subjectives de la part de l’huissier. Selon la Cour, de telles considérations n’avaient pas pour conséquence de jeter le doute sur les constatations opérées. Si la Cour considère donc les constats comme formellement recevables, elle estime néanmoins qu’ils sont privés de force probante.
Les quatre premiers avaient été établis avant que le prestataire n’informe le client que les correctifs nécessaires avaient été apportés et que le site pouvait être mis en ligne ; ils ne rendaient donc compte que de versions intermédiaires du site Internet.
Le cinquième avait été réalisé quatorze mois après l’annonce par le défendeur que le site était prêt pour la mise en ligne et alors qu’une société tierce était intervenue entretemps, à la demande du client. Cela empêche, selon la Cour, d’établir un lien direct entre les dysfonctionnements constatés et l’intervention du défendeur, prestataire initial.
La Cour d’appel confirme ainsi la décision des juges de première instance qui avaient refusé de reconnaître la valeur légale de ces constats d’huissiers.
La tendance est donc à une grande sévérité des juges en matière de constats d’huissier, comme en avait précédemment témoigné une décision très contestée de la Cour de cassation rendue le 25 janvier 2017 (pourvoi n° 15-25.210) et dans laquelle les juges avaient refusé de reconnaître la force probante d’un procès-verbal de constat d’huissier, après avoir considéré que le tiers acheteur devait être indépendant du requérant, et que tel n’était pas le cas du stagiaire avocat.
Les juges de la Cour d’appel de Dijon estiment ainsi que ces constats à contre-temps sont dénués de force probante et reconnaissent que le caractère fonctionnel de la prestation, contesté par le demandeur, doit être apprécié uniquement au regard de la version finale du site Internet délivrée par le prestataire.
Cette position permet d’assurer la sécurité juridique des maîtres d’œuvre, leurs prestations ne pouvant être contestées par les clients qu’une fois exécutées et non au stade de versions en cours de développement.
Cette affaire témoigne une nouvelle fois de la nécessité de faire preuve de vigilance dans l’établissement des preuves : un constat d’huissier ? Oui ! Mais ni trop tôt, ni trop tard…
Lire la décision sur Legalis
Mathilde GENESTE
Élève-avocate
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
23
avril
2020
La lutte contre la contrefaçon aux temps du Coronavirus
Author:
teamtaomanews
ou : Comment défendre vos droits de propriété intellectuelle en période de confinement ?
Du fait de la crise sanitaire, les tribunaux sont fermés depuis mi-mars 2020, les actions judiciaires les plus courantes – y compris les actions en contrefaçon – ne peuvent pas être engagées et les actions en cours sont suspendues.
Ainsi, les outils judiciaires dont disposent les titulaires de droits de propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles, brevets, droits d’auteur, etc.) pour lutter contre la contrefaçon sont devenus indisponibles et risquent de l’être encore pendant un certain temps à l’issue du confinement car l’activité des tribunaux ne redémarrera que progressivement.
Parallèlement, nous assistons à une multiplication des arnaques COVID et des contrefaçons en ligne.
Titulaires de droits, ne restez pas inactifs.
Il est possible d’agir sans attendre le déconfinement et la reprise de l’activité judiciaire. Il existe un ensemble d’outils alternatifs permettant de faire respecter vos droits et de tenter d’obtenir rapidement la cessation des actes de contrefaçon.
TAoMA a identifié quatre étapes préalables, allant de l’utile à l’indispensable :
La surveillance en ligne, pour repérer les actes contrefaisants
La surveillance douanière, pour faire surveiller les allées et venues des produits contrefaisants
L’utilisation de la technologie blockchain, pour authentifier les produits et prouver la contrefaçon repérée
Le constat d’huissier sur Internet, pour prouver la contrefaçon repérée
Ainsi que cinq actions disponibles :
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Le signalement d’actes de contrefaçon à l’office européen de la propriété intellectuelle
Le signalement de contenu illicite sur les réseaux sociaux
La lettre de mise en demeure
La notification LCEN
LES ÉTAPES PRÉALABLES
La surveillance en ligne
Un titulaire de droits identifie souvent des actes de contrefaçon en surveillant lui-même l’activité de ses concurrents ou en jetant un œil aux principales plates-formes marchandes, voire en en découvrant de façon inopinée.
Il est toutefois indispensable d’adopter une stratégie systématique de surveillance active afin d’éviter de se retrouver prescrit ou forclos à agir en contrefaçon ou sur un autre fondement.
En ce qui concerne la contrefaçon en ligne, il existe des sociétés spécialisées, comme Safebrands et IP Twin, qui ont rendu certains de leurs services de surveillance provisoirement gratuits.
Ces sociétés proposent notamment les services suivants, pour le monde entier :
Surveillance des nouvelles occurrences de mots-clés dans les liens, pages de sites, metatags, etc.
Surveillance des réseaux sociaux
Surveillance des plates-formes de vente en ligne (Amazon, eBay, Rakuten…)
Surveillance des « adwords »
Surveillance de l’utilisation des logos
Ces sociétés remettent des rapports à intervalles plus ou moins fréquents, comprenant les données brutes collectées. L’analyse du caractère contrefaisant doit être réalisée par un avocat pour être fiable.
TAoMA Partners a également développé ses propres techniques de surveillance et d’identification et les utilise régulièrement au service de ses clients.
La surveillance douanière
La surveillance en ligne peut être utilement doublée par une surveillance « physique » par les douanes. Il est possible de mettre en place une surveillance douanière en en faisant la demande auprès des services des douanes au moyen d’un formulaire identifiant les droits des titulaires, incluant des photographies de produits authentiques et des conseils pour repérer les contrefaçons.
Cette surveillance est toujours disponible en ce moment, les douanes requérant que les demandes de surveillances soient pour l’instant envoyées exclusivement par e-mail.
Sans rentrer dans les détails, la saisie de marchandises contrefaisantes par les douanes donne lieu à une notification au titulaire des droits qui informe les douanes de son souhait, le cas échéant, de faire procéder à une destruction simplifiée des produits ou les informe que les produits ne sont pas contrefaisants.
L’utilisation de la technologie blockchain
Cette technologie réputée infalsifiable, utilisée par la cryptomonnaie Bitcoin, peut être adoptée par les titulaires de droits de propriété intellectuelle pour se protéger contre la contrefaçon.
Cette technologie intéresse tout particulièrement les acteurs du secteur du luxe mais pas exclusivement : elle pourrait s’appliquer aux produits culturels, technologiques ou autres.
Lors de l’achat d’un objet original, un QR code est émis et permet de produire un certificat d’authenticité numérique inscrit dans la blockchain. Il est ainsi possible à tout moment de vérifier si et de prouver que l’objet est authentique. Il peut également contenir l’historique des réparations autorisées et des reventes à d’autres propriétaires de l’objet et de son certificat. Les titulaires des marques peuvent également suivre, de façon anonymisée quant à leurs propriétaires, la vie de l’objet.
La blockchain peut également être utilisée, à la place des enveloppes Soleau, pour prouver une date de création et protéger un actif de propriété intellectuelle non enregistré, comme une œuvre d’art ou une œuvre littéraire, y compris aux différentes étapes de sa création, ce qui intéressera en particulier les producteurs audiovisuels. La date certaine enregistrée par l’inscription dans la blockchain peut en outre être réalisée par huissier, ce qui peut à terme renforcer le caractère probant vis-à-vis de juges pas nécessairement sensibilisés au fonctionnement de la blockchain.
Parmi les autres utilisations possibles, la victime d’actes de contrefaçon peut inscrire dans la blockchain des captures d’écran des actes contrefaisants et le code source des pages concernées. Néanmoins, pour les juges français, à ce stade, le constat d’huissier sur Internet semble le mode de preuve à privilégier.
Le constat d’huissier sur Internet
En matière de contrefaçon, la preuve est libre, ce qui veut dire que les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent, par exemple, tenter de prouver la contrefaçon en produisant des captures d’écran du site contrefaisant.
Rappelons en outre que les tribunaux accordent de plus en plus de valeur aux pages archivées sur le site web.archive.org et que la date figurant sur ces pages archivées est considérée comme plus probante qu’une datation résultant d’un archivage personnel. Voir notre TAoMA news du 8 novembre 2019.
Mais ce type de document est bien sûr moins probant que des preuves établies par constat d’huissier.
Les huissiers de justice peuvent réaliser, depuis leur domicile ou leur étude, des constats sur Internet, en donnant ainsi une date certaine à la présence en ligne d’actes contrefaisants et en adoptant des techniques permettant d’écarter les doutes qui affectent l’enregistrement « artisanal » de pages web qu’effectuerait un titulaire de droit de propriété intellectuelle.
Le rôle de TAoMA est de travailler de concert avec l’huissier, afin que le constat réalisé réunisse l’ensemble des informations nécessaires pour apporter la preuve de la contrefaçon de manière efficace et exploitable.
Ces constats pourront, bien sûr, être utilisés dans un contentieux judiciaire futur ; mais ils sont également utiles pour mettre en œuvre certaines des actions disponibles en-dehors de toute procédure judiciaire.
LES ACTIONS DISPONIBLES
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Les titulaires de marques constatent souvent qu’un tiers a inclus une de leurs marques au sein même d’un nom de domaine, de façon identique ou similaire (par exemple « channel-parfums.com »). Ce type d’atteinte aux droits de marque, appelé « cybersquatting », se multiplie en ce moment.
Plutôt que de requérir d’un juge qu’il ordonner le blocage du site, le titulaire peut choisir de demander la récupération du nom de domaine. Des demandes de récupération peuvent être adressées notamment :
Auprès de l’office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) pour les domaines en .com, .net et .org :
C’est la procédure « UDRP » (Uniform Domain-name Dispute-Resolution Policy)
Et auprès de l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) :
C’est la procédure « Syreli »
En cas de succès, le nom de domaine litigieux pourra être supprimé ou transféré au requérant.
Le centre d’arbitrage de l’OMPI a annoncé être en état de traiter les demandes de récupération, même si l’on peut anticiper des délais accrus, la procédure habituelle prenant trois mois. L’Afnic a également informé qu’elle poursuivait son activité avec un délai de procédure inchangé de deux mois.
L’avantage majeur de ces procédures est que leur coût est très limité et qu’elles se déroulent en ligne. En cette période de confinement, les deux organismes ont en plus décidé d’autoriser l’envoi de notifications par les parties par voie électronique alors que la voie postale est exigée, en temps normal.
Dans certains cas, en fonction des faits, une alternative à ces procédures de récupération peut être trouvée dans la notification LCEN (voir plus bas).
Le signalement à l’EUIPO
L’Office de l’Union européenne pour la Propriété intellectuelle (EUIPO) a mis en place un outil destiné en particulier à signaler la contrefaçon touchant les objets essentiels de lutte contre le coronavirus (masques, médicaments, matériel médical…). Certains de ces produits médicaux reproduisent sans autorisation des marques appartenant à des titulaires n’ayant parfois rien à voir avec le secteur de la santé. Ainsi, un contrefacteur a utilisé une marque de Disney (« Frozen II ») et violé son droit d’auteur en proposant à la vente des masques de protection pour enfants « Reine des Neiges » qui ne respectent évidemment pas les normes de sécurité et mettent en danger les populations, en plus de nuire aux titulaires de droits.
L’outil lancé par l’EUIPO s’appelle IP Enforcement Portal (Portail de mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle). Les titulaires de droits peuvent y échanger des informations sur l’étendue de leurs droits et sur les distributeurs autorisés, téléverser des photographies de produits authentiques et signaler les produits contrefaisants. La plateforme est gratuite et rend possible la mise en relation les titulaires de droits avec les autorités de poursuite dans chacun des pays de l’Union, ce qui permet, par exemple, à un titulaire français de signaler une contrefaçon à un magistrat bulgare ou suédois lorsque la contrefaçon en ligne ne s’adresse qu’aux internautes de ces pays.
Dans ce type de situation comportant un péril sanitaire, il n’est pas douteux que les autorités publiques mettent sans tarder en œuvre des mesures de protection des populations et donc, indirectement, de protection des droits des titulaires.
Mais même en-dehors de ces cas, il reste possible d’agir sans attendre. Deux mesures rapides et efficaces sont disponibles pour les titulaires de droit : la lettre de mise en demeure et la notification LCEN. Ces mesures visent à obtenir rapidement le retrait des pages contenant l’offre à la vente de produits ou de services contrefaisants. Un tel retrait n’empêche aucunement de réclamer des dommages-intérêts par la suite, une fois l’activité judiciaire rétablie.
Le signalement sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux, mais aussi les grandes plates-formes de vente en ligne (Facebook, Amazon, Instagram, Twitter, LinkedIn, YouTube, etc.) prévoient en général leurs propres procédures de signalement de contenus litigieux (contrefaisants, diffamant, ou illégaux d’une manière générale).
Une infraction particulière aux réseaux sociaux est celle du « username squatting » ou des « faux comptes », soit l’utilisation d’une marque comme pseudo, par un tiers (par exemple, l’existence d’une page Facebook au nom d’une marque mais détenue par un fan ou par une personne moins bien intentionnée).
Pour résoudre ce problème, ou tout autre difficulté liée à la présence d’un contenu illicite, le titulaire est invité à fournir des informations dans des formulaires en ligne et de joindre des pièces justificatives qui dépendent à chaque fois du type d’atteinte repérée.
Par exemple, il est possible de signaler une atteinte à un droit de propriété intellectuelle sur YouTube sur cette page, une atteinte à un droit d’auteur sur LinkedIn sur celle-ci ou encore une usurpation d’identité sur Facebook à cette adresse. LinkedIn et Facebook permettent également, ainsi que d’autres réseaux, d’accéder à un formulaire de signalement via des boutons de commandes accompagnant chaque post.
L’avantage considérable de ces procédures internes est qu’elles sont rapides, gratuites et qu’elles peuvent permettre d’obtenir facilement des retraits de contenus au niveau mondial. Mais l’inconvénient est que l’appréciation de la légitimité de la notification est laissée entièrement à l’appréciation des réseaux sociaux, voire de robots aux raisonnements automatisés et parfois peu pertinents, comme par exemple Content ID, un robot qui repère les vidéos contrefaisants sur YouTube et dont le fonctionnement est décrié.
En cas d’échec, il reste toutefois possible d’utiliser les étapes de la lettre de mise en demeure et de la notification LCEN.
La lettre de mise en demeure
Il est d’usage, lorsqu’un titulaire de droits constate qu’un tiers fait usage de sa marque sans autorisation, plagie ses droits d’auteur ou imite le modèle d’un produit qu’il commercialise, d’envoyer avant toute procédure contentieuse une lettre d’avocat ayant pour objet de le mettre en demeure de cesser les actes contrefaisants, de retirer les produits de la vente, de modifier sa marque, etc. Au-delà de la rédaction de la lettre, le regard de l’avocat est essentiel, notamment pour deux raisons : pour évaluer la réalité de la contrefaçon et pour vérifier si la prescription n’est pas acquise (ce qui n’empêcherait pas d’envoyer la lettre mais diminuerait la position de force du titulaire de droits).
La lettre de mise en demeure peut tout à fait être envoyée en période de confinement. Tout d’abord, elle peut toujours être envoyée en recommandé avec accusé de réception dans la mesure où les services postaux fonctionnent toujours. De plus, La Poste propose un service d’envoi de lettres recommandées en ligne qui permet d’éviter à l’expéditeur de se déplacer au bureau de poste pour l’affranchir et l’envoyer. En pratique, l’expéditeur paye en ligne après avoir saisi les informations d’expédition et téléversé le courrier au format PDF. L’inconvénient est donc que le courrier n’est pas remis sous pli fermé à La Poste, mais cette dernière et ses employés sont tenus au secret des correspondances électroniques prévu par la loi. Le recours à un tel service n’est exclu ou fortement déconseillé que si le contenu de la lettre est particulièrement confidentiel ou bien si le courrier lui-même est confidentiel par application de la loi (comme un courrier couvert par le secret médical ou par le secret des avocats – ce qui n’est pas le cas pour une lettre envoyée par un avocat à la partie adverse).
Ensuite, en pratique, la lettre recommandée est doublée d’un envoi en lettre simple et par e-mail quand l’adresse e-mail est connue. Cela permet de s’assurer que le destinataire puisse prendre connaissance rapidement du document sans avoir à aller le retirer à La Poste.
Enfin, cette lettre, qui suffit parfois à obtenir le retrait des contrefaçons ou à voir satisfaites les autres demandes formulées, peut, en cas d’échec, être réutilisée dans le cadre d’une notification LCEN. Cette notification est aussi utile quand l’on ne dispose d’aucune information pour contacter le contrefacteur.
La notification LCEN
La notification LCEN tire son nom de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004. Cette loi prévoit les formes dans lesquelles une personne qui estime que ses droits sont enfreints sur un site Internet peut obtenir la suppression du contenu illicite par l’hébergeur et non seulement par l’auteur du contenu.
Ce contenu peut être de diverses natures plus ou moins graves : divulgation de données personnelles, pédopornographie, apologie de crime contre l’humanité, propos injurieux ou diffamants, photographies volées (revenge porn), contrefaçon (texte, photographie, musique, film, marque, dessins et modèles, etc.). Il doit être manifestement illicite : la contrefaçon doit être flagrante et indiscutable. Ce caractère manifestement illicite est apprécié par l’avocat et l’envoi d’une notification LCEN alors que le caractère illicite est discutable ou improbable peut engager la responsabilité de l’auteur de la notification.
En pratique, le titulaire ou son avocat doit envoyer un premier courrier au contrefacteur (la lettre de mise en demeure peut ainsi être réutilisée, mais un simple e-mail suffit).
Cette notification est un courrier envoyé dans les mêmes conditions qu’une lettre de mise en demeure classique : c’est un courrier en recommandé avec accusé de réception doublé par une lettre simple et, quand c’est possible, par un e-mail.
Si l’étape de la lettre de mise en demeure a échoué, parce qu’il a été impossible de contacter directement l’auteur de la contrefaçon en l’absence d’informations ou parce que l’auteur de la contrefaçon n’a pas donné suite au courrier, il convient alors d’envoyer la notification LCEN à l’hébergeur du site, quand il s’agit d’une personne distincte de celle du contrefacteur. Son contact est censé figurer dans les mentions légales.
En l’absence, fautive, de ces mentions, certains sites permettent de rechercher qui est l’hébergeur d’un site Internet.
Voici quelques exemples pour y voir plus clair :
Le contenu d’une notification LCEN est encadré par la loi. Il conviendra, entre autres, d’y mentionner ou d’y adjoindre les éléments suivants :
Une copie de la pièce d’identité du titulaire des droits (un extrait K-Bis dans le cas d’une personne morale)
Un extrait K-Bis de l’hébergeur
La preuve que l’auteur de la notification (ou le client de l’avocat auteur de la notification) est bien titulaire des droits : par exemple, le certificat d’enregistrement de la marque ou une version numérique du livre dont est tiré un passage reproduit sans autorisation
Le fondement juridique qui permet au titulaire des droits de demander le retrait des pages web contrefaisantes : il s’agira des textes du code de la propriété intellectuelle et/ou de règlements européens conférant des droits aux auteurs et aux déposants de titres de propriété industrielle, ainsi que de l’article 6 de la LCEN
L’identification de la matérialité de la contrefaçon incluant l’adresse URL : le constat d’huissier sur Internet est la preuve la plus recommandée
La copie du courrier envoyé au contrefacteur ou la justification de l’impossibilité de le contacter
Etc.
=> Pourquoi une notification LCEN est-elle souvent efficace ?
Parce que l’absence de réaction rapide de la part de l’hébergeur engage sa responsabilité (y compris pénale, la contrefaçon étant un délit) et que les hébergeurs peuvent donc être assignés en justice ou faire l’objet de plaintes pénales même sans que le titulaire de droits n’ait à se préoccuper du contrefacteur lui-même. La totalité des condamnations pourrait donc être supportée par l’hébergeur.
Cet effet dissuasif est recherché par la loi en raison même du fait qu’il est facile, sur Internet, de dissimuler son identité et d’échapper aux poursuites. La LCEN a donc pour mission essentielle d’éviter qu’Internet soit une zone de non-droit, et ce même en période de confinement.
=> Quid quand le site est situé à l’étranger ?
Tout d’abord, un site « situé » à l’étranger, par exemple un site en .br ou en .cn, peut être soumis à la loi française et donc à la LCEN lorsqu’il s’adresse au public français. Cela peut être le cas, par exemple, s’il offre la livraison vers la France, s’il propose une version française de son interface ou encore si ses prix sont libellés en euros.
Dans ce cas, l’obtention de la suppression des produits ou des offres de services contrefaisants sera bien sûr plus difficile à obtenir mais n’est pas impossible. Ainsi, la notification LCEN adressée à l’hébergeur étranger peut préciser que le juge français pourrait ordonner la coupure de l’accès au site depuis la France, par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès (FAI). Mais bien sûr, cette solution ne peut passer que par une décision de justice définitive et on doit se contenter de souhaiter que cette menace sera dissuasive, au stade de la notification LCEN.
De plus, si une marque est reprise dans un nom de domaine situé à l’étranger, la procédure de récupération UDRP est tout indiquée.
Enfin, une solution de pis-aller consister à effectuer un signalement aux moteurs de recherche référençant la page web contrefaisante. La loi américaine (le « DMCA ») oblige Google à supprimer de ses résultats de recherche des pages violant les règles de protection du copyright. Il est donc possible d’agir même lorsque la loi française n’est pas applicable.
Anne MESSAS
Avocate à la cour, Associée
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour