24
janvier
2023
Digital Market Act et Digital Service Act : à quoi correspondent ces Règlements européens visant à réguler internet ?
Author:
TAoMA
Définitivement votés par le parlement européen en juillet 2022, le Règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act ou DMA) et le Règlement sur les services numériques (Digital Services Act ou DSA) ont été publiés respectivement les 12 et 27 octobre 2022.
En apparence différents, ces deux règlements visent à assainir le marché numérique de manière durable, avec deux objectifs distincts, celui de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants de l’Internet et celui de lutter contre les contenus illicites en ligne.
Mais que vont-ils concrètement changer ? Quels sont les acteurs concernés ? Pour quelles activités ? Quelles sont les sanctions en cas de non-respect ?
I. Le règlement sur les marchés numériques
Le DMA affiche un objectif clair et limpide : lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants de l’Internet (notamment les GAFAM) et corriger les déséquilibres causés par leur domination.
Toutes les entreprises ne sont pas concernées par le DMA. Celui-ci ne cible que les « Gatekeepers », autrement dit, les contrôleurs d’accès à l’entrée d’Internet, les PME étant épargnées par cette qualification. Sont qualifiées de Gatekeepers les plateformes qui :
Ont un chiffre d’affaires ou une valorisation boursière très élevée (plus de 7,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel en Europe dans les 3 dernières années ou une valorisation en bourse d’au moins 75 milliards d’euros durant la dernière année)
Enregistrent un grand nombre d’utilisateurs dans l’UE (plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels actifs et plus de 10 000 professionnels par an pendant les trois dernières années)
Fournissent un ou plusieurs services de plateforme essentiels dans au moins trois pays européens
Le DMA concerne donc les services de plateformes jugés essentiels tels que les services de messagerie, les réseaux sociaux, les moteurs de recherches ou encore les marketplaces.
Pour ce faire, des outils de régulation ex-ante sont mis en place afin de créer une concurrence loyale entres les acteurs, de stimuler l’innovation, la croissance et la compétitivité sur le marché numérique et, enfin, de renforcer la liberté de choix des consommateurs européens.
Parmi ces outils figurent une vingtaine d’obligations (désinstallation facile d’applications préinstallées ; désabonnement à un service de plateforme essentiel aussi simple que l’abonnement, etc.) ou d’interdictions (réutilisation de données personnelles d’un utilisateur à des fins de publicité ciblée sans son consentement explicite ; fait d’imposer des logiciels importants comme un moteur de recherche par défaut à l’installation du système d’exploitation, etc.) que les responsables de traitement devront respecter sous peine d’amende. Toute personne qui s’estime lésée pourra, sur la base de ces obligations ou interdictions, demander, devant les juges nationaux, des dommages et intérêts.
De même, en cas de non-respect du DMA, la Commission Européenne pourra prononcer, à l’égard du Gatekeepers des amendes proportionnelles à son chiffre d’affaires (jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial ou 20% en cas de récidive). Des mesures correctives additionnelles sont prévues en cas de violation systématique (notamment, une cession de parties de l’activité du contrôleur d’accès).
II. Le règlement sur les services numériques
La volonté des législateurs européens, au travers de ce règlement, est de mettre en place un système selon lequel tout ce qui est illégal hors ligne l’est également en ligne.
Le DSA s’applique à toutes les plateformes en ligne qui offrent des biens, contenus ou services sur le marché européen. Cela signifie que même les sociétés étrangères opérant en Europe sont concernées. Parmi ces plateformes, sont notamment visés les fournisseurs d’accès à internet (FAI), les services de cloud, les marketplaces, les réseaux sociaux, les plateformes de partage de contenus, etc.
Dans cette perspective, le règlement fixe un ensemble de mesures, graduées selon les acteurs en ligne et leur rôle, qui viennent lutter contre les contenus illicites en ligne et incitent les plateformes à se responsabiliser.
Les mesures prévues par ce règlement peuvent être classées selon trois catégories, la lutte contre les contenus illicites, la transparence en ligne et, l’atténuation des risques et réponse aux crises.
D’abord, concernant la première catégorie, un système permettant aux internautes de signaler facilement les contenus illicites devra être mis en place. En ce sens, les plateformes devront coopérer avec des signaleurs de confiance dont les signalements seront traités en priorité. Une fois le contenu illicite signalé, les plateformes devront retirer ou bloquer rapidement le contenu.
Par ailleurs, les marketplaces devront mieux tracer les vendeurs proposant des produits et services ainsi que mieux informer les consommateurs.
Ensuite, concernant la transparence en ligne, les plateformes auront l’obligation d’avoir un système de traitement interne des réclamations. Elles devront également expliquer le fonctionnement des algorithmes qu’elles utilisent pour recommander des contenus publicitaires fondés sur le profil des utilisateurs et, pour les plus grandes plateformes, l’obligation de proposer un système de recommandation de contenus non-fondé sur le profilage.
Enfin, le troisième volet d’obligations concerne les très grandes plateformes et les très grands moteurs de recherche dont la liste sera fixée par la Commission européenne. Ils devront entre autres, analyser tous les ans les risques systémiques qu’ils génèrent et effectuer des audits indépendants de réductions des risques sous le contrôle de la Commission. Ils devront également fournir une analyse des risques que posent leurs interfaces lorsqu’une crise émerge (santé publique ou sécurité publique), la Commission pouvant même leur imposer durant un temps limité des mesures d’urgence.
Les sanctions notables semblent pouvoir pousser les entreprises à se plier au respect du règlement. Dans le cas contraire la Commission peut prononcer des amendes allant jusqu’à 6% du chiffre d’affaires annuel mondial des entreprises, voire, en cas de violations graves et répétées, leur interdire d’exercer leur activité sur le marché européen.
Alors que le DMA cible certains acteurs, le DSA à un spectre beaucoup plus large, s’adressant à tous les intermédiaires qui offrent leurs services sur le marché européen (FAI, places de marché, réseaux sociaux…etc). Des règles spécifiques s’appliqueront aux plateformes ayant une audience importante au sein de l’Union européenne (plateforme de plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois). Inversement, les plus petites plateformes seront quant à elles exemptées de certaines obligations (PME).
Pour ce qui est de leur entrée en vigueur respective, le Règlement DMA serait applicable dès mai 2023, le temps, pour la Commission, de prendre les actes nécessaires à la mise en œuvre des nouvelles règles. Concernant le Règlement DSA, il est entré en vigueur en novembre 2022 avec une applicabilité en février 2024, exception faite pour les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche pour qui le règlement serait applicable dès 2023 (4 mois après que la Commission européenne en aura établi la liste).
Les équipes de TAoMA sont à votre disposition pour toute question que vous pourriez avoir sur le sujet ou pour échanger avec vous de ces réformes importantes et impactantes aussi bien pour les sociétés concernées que pour les consommateurs.
Nathan Audinet
Stagiaire Pôle Avocats
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
29
avril
2021
Nouvelle loi sur les enfants influenceurs : la protection de l’intimité passe avant la viralité
Author:
teamtaomanews
Une loi promulguée le 19 octobre 2020 encadre l’exploitation commerciale de l’image des mineurs sur les réseaux sociaux. Le député qui en est à son origine, Bruno Studer, a répondu aux questions de TAoMA Partners.
TAoMA Partners : À quel besoin cette loi a-t-elle répondu ? Est-ce que des articulations avec d’autres lois telle que celle sur les enfants comédiens ont été prises en compte ?
Bruno STUDER : Effectivement, les enfants artistes, les enfants du spectacle et les mannequins sont protégés en France depuis plusieurs années par un régime très protecteur qui encadre leur durée maximum de travail, s’assure que des autorisations ont été accordées par la préfecture, que les enfants sont consentants, qu’ils sont bien instruits, pas forcément scolarisés mais en tout cas instruits. La loi s’assure aussi que leurs intérêts financiers sont protégés dans la mesure où 90% des sommes générées par leur activité est placée sur un compte en banque géré par la Caisse des Dépôts et Consignations – montant auquel ils ont accès une fois qu’ils sont émancipés, c’est-à-dire à l’âge de la majorité mais parfois avant s’il y a une décision dans ce sens.
Or je me suis aperçu, alerté par des associations et par des journalistes, que les enfants dits « influenceurs » ou « youtubeurs » ne bénéficiaient pas de cette protection. Cette loi vient donc combler ce qu’on appelle un vide juridique, en étendant le régime dit « des enfants du spectacle » aux enfants influenceurs.
Concrètement, en quoi et comment cette loi protège-t-elle les enfants ?
Il y a différentes dispositions dans la loi qui protègent ces enfants et font peser des responsabilités sur les parents qui sont en première ligne dans l’activité de leurs enfants. La loi fait aussi peser des responsabilités sur les entreprises qui font appel à ces enfants pour faire de la publicité, ce qu’on appelle du placement de produit. Et la loi crée aussi des responsabilités sur les plateformes, dans la mesure du possible car on est dans un régime juridique assez contraignant en la matière. Les plateformes profitent, en effet, de l’activité de ces enfants pour générer des revenus qu’elles partagent après avec les enfants et leurs parents.
Il y a deux grands cas : le premier où le juge pourra établir assez facilement qu’il existe une relation de travail parce que la personne qui filme donne des consignes à des enfants qui les exécutent. Beaucoup de ces vidéos sont scénarisées : les enfants ont répété, plusieurs prises ont visiblement été faites pour arriver à un bon résultat. Dans ces cas-là, qui représentent la très grande majorité des cas qu’on a pu observer sur les réseaux sociaux, on aura le même régime que pour les enfants du spectacle. C’est-à-dire que si aucune autorisation n’a été demandée par les parents, ils pourront être accusés et éventuellement condamnés pour travail dissimulé concernant un mineur, ce qui les expose à des peines très graves.
Dans le second cas, la preuve de l’existence de consignes n’est pas forcément facile à établir. Je prends un exemple : un enfant qui joue bien au foot et qui se fait filmer n’obéit pas à la consigne de la personne qui tient la caméra, il obéit à celle de son entraineur ; mais quoi qu’il arrive, on le filme, on monte la vidéo, et puis elle a du succès, elle est partagée, elle est vue, il y a des gens qui s’abonnent à la chaine de partage de vidéos en ligne sur la plateforme qui l’héberge. Ensuite, une entreprise demande à pouvoir recourir à cet enfant influenceur et dit souhaiter que, dans une prochaine vidéo, l’enfant porte des chaussures ou un t-shirt de telle ou telle marque. Dans ce cas-là, il n’y a pas de relation de travail, parce qu’il n’y a pas de consignes, et pour autant on n’est plus dans du loisir dès lors que des revenus sont générés et que des gens en tirent profit. Dans ce cas-là, au-delà d’un certain seuil (à fixer par décret), le dépôt d’une déclaration sera demandé aux parents pour faire progressivement s’installer une relation protectrice envers l’enfant et en relation avec ses intérêts, qu’ils soient financiers, scolaires ou de santé.
Au-delà de ces deux cas principaux, la loi protège aussi les enfants en renforçant le droit à l’oubli. L’enfant pourra demander, avant même d’atteindre la majorité, le retrait de vidéos où il figure. C’est une chose à laquelle je tenais beaucoup parce qu’il peut très bien y avoir des enfants, par exemple des collégiens, qui ne souhaitent pas que des vidéos où on les voit tout petits restent en ligne.
Les entreprises qui feront appel à ces enfants pour faire du placement de produits devront, hors cas de relation de travail, s’assurer que les parents ont bien fait cette déclaration auprès de la préfecture. Dans le cas contraire, elles pourraient être condamnées à des amendes. Il s’agit de les responsabiliser progressivement.
Enfin, les plateformes devront retirer les vidéos dans lesquelles apparaissent des enfants, si on les informe que les demandes d’autorisation n’ont pas été formulées dans le cadre d’une relation de travail.
Les plateformes n’ont donc pas d’obligation a priori ?
Non, parce que de toute façon on n’est pas en mesure de la leur imposer. On aurait pu l’imposer à quelques-unes mais pas aux plus petites d’entre elles ni aux entreprises de droit américain, par exemple, en raison du principe juridique de territorialité. Le contrôle a priori est celui des parents qui restent les premiers responsables, ainsi que celui des entreprises qui devront vérifier que les déclarations ont bien été faites. Pour les plateformes, il s’agit effectivement d’une responsabilité a posteriori.
Les seuils rendant obligatoire la déclaration à la préfecture seront-ils des seuils relatifs aux revenus générés ? Ou au nombre de vidéos ?
C’était toute la question car on peut très bien imaginer que des parents y verraient un filon et multiplieraient les vidéos sans forcément avoir de succès, tout en sollicitant beaucoup leur enfant. Il fallait donc trouver différentes catégories de seuils et ce sont ceux-là qui doivent être maintenant fixés par décret.
La difficulté par rapport au champ d’application de l’article 3 de la loi, c’est de savoir comment protéger quelqu’un qui n’entre pas dans le champ d’une relation de travail, alors que le principe, en France, c’est que les parents sont les détenteurs et les protecteurs de l’image de leur enfant et des droits afférents. Désormais, des responsabilités pèsent sur les parents même dans le cas où l’on n’est pas dans une relation de travail.
Faut-il nécessairement passer par l’intermédiaire d’une agence ? Parfois, la relation n’existe qu’entre les parents et les enfants, sans tiers.
C’est toute la difficulté. Même dans le cas de la relation de travail, en fait, la difficulté c’est qu’il n’y a pas de tiers. Dans le cas d’un enfant du spectacle ou d’un enfant mannequin, le parent est là comme intermédiaire, il joue le rôle du tiers entre l’enfant et le producteur, ou entre l’enfant et l’entreprise. Dans le cas des enfants influenceurs, c’est complètement remis à plat car le parent est à la fois producteur, scénariste et éditeur de la vidéo. Effectivement, les parents vont donc devoir faire les démarches et pouvoir bénéficier d’une relation directe avec une entreprise qui voudrait faire appel à leur enfant, mais tout en étant déclarés en tant qu’entreprise soit de mannequinat, soit de production. Mais on ne peut pas imposer un tiers entre le parent et l’enfant. C’est une vraie difficulté que l’on a clarifiée puisque, quoi qu’il arrive, le parent sera considéré comme étant l’employeur de l’enfant qui se trouve dans une relation de travail et le parent devra obéir à toutes les règles qui régissent les activités d’entreprises de mannequinat ou autre.
Est-ce que cela change quelque chose pour les annonceurs ?
Les annonceurs pourront toujours continuer à passer par des agences si les parents décident eux aussi passer par les agences, et si les parents sont eux-mêmes constitués en agence ils pourront s’adresser directement aux parents.
Dans le cas où l’on n’est pas dans une relation de travail, où il n’y a pas de contrat signé entre l’enfant et les parents, il faudra que les annonceurs aient quand même vérifié que les parents ont fait cette déclaration auprès de la préfecture. Dans le cas où l’on étend le régime des enfants du spectacle aux enfants « youtubeurs », l’annonceur devra faire les vérifications nécessaires sous peine d’être considéré comme étant complice de travail dissimulé de mineur.
Quel rôle est réservé aux plateformes ?
Dans la proposition de loi initiale, je faisais peser sur les plateformes l’obligation d’aller vérifier a priori que l’enfant était couvert, soit par le régime de l’autorisation, soit par celui de la déclaration. Je regrette que cela n’ait pas été conservé mais c’est le jeu de la proposition de loi : on propose, puis il y a un dialogue interne au Parlement et ensuite avec le gouvernement.
Dans les faits, on ne peut pas contraindre les plateformes parce que ce sont souvent des entreprises de droit étranger et qu’elles s’abritent derrière le cadre juridique existant. J’aurais pu imposer cela à Dailymotion mais pas à YouTube, alors que c’est essentiellement sur cette dernière que se produit le phénomène des enfants influenceurs. Les plateformes sont bien conscientes d’être protégées mais on évolue à leur égard, que ce soit pour les questions liées aux enfants influenceurs, sur la haine en ligne ou sur toute forme de responsabilité dans le cadre de la directive e-commerce de droit européen de 2000 qui fixe un statut très clair sur les plateformes qui sont de simples hébergeurs et pas des éditeurs.
En revanche, j’ai eu un dialogue très nourri avec ces plateformes en ce qui concerne les enfants influenceurs. La loi établit un devoir de coopération placé sous l’égide du CSA – dont on ne cesse de renforcer les pouvoirs de contrôle, ces dernières années. Le CSA produira chaque année un bilan de ce qu’auront fait, ou pas, les plateformes au sujet des enfants influenceurs. Les plateformes se verront imposer un devoir d’information envers leurs usagers, en particulier auprès des enfants et des parents en ce qui concerne les règles auxquelles ils doivent obéir.
Le régime de responsabilité des plateformes est donc relativement restreint mais on espère que cette collaboration, qui est la seule qu’on peut leur imposer, donnera des résultats. Au fond, il y a un enjeu de réputation : YouTube n’a certainement pas envie d’être taxé de complicité d’exploitation de mineurs. C’est là-dessus qu’on a essayé de jouer.
Existe-t-il des lois équivalentes dans d’autres pays ?
Nous sommes les premiers à encadrer la protection des enfants « youtubeurs » dans le cadre du droit du travail. C’est aussi cela qui fait qu’on est la France : on montre la voie, on montre l’exemple.
La proposition de loi avait été l’occasion de publications de presse partout dans le monde : il y a eu un véritable intérêt pour le sujet. Mais il faut bien avoir conscience du régime très protecteur du droit français par rapport aux enfants. Il faut rappeler que le travail d’enfants est interdit sauf dérogation, en France.
Y a-t-il une prochaine étape prévue pour renforcer les dispositions de cette loi ?
Nous verrons comment évolue le cadre juridique européen avec les deux directives DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Market Act) qui sont actuellement à l’étude et ce qu’elles pourront imposer ou pas aux plateformes.
La véritable question qui se pose aujourd’hui, au-delà des enfants influenceurs, c’est la question du droit à l’image de l’enfant. Encore une fois, l’image de l’enfant appartient aux parents qui sont censés en être les protecteurs mais on voit bien les tentations actuelles d’exposer l’intimité de l’enfant, ce qui revient presque à la violer – et j’utilise volontairement ce terme fort car lorsqu’on montre son enfant dans tous les moments de sa vie privée, on ne respecte plus son intimité. Il faut inventer un nouveau droit à l’image alors que l’image est maintenant partout, tout le temps. Je fais souvent référence à cette directive e-commerce qui a été adoptée à un moment où les smartphones n’existaient pas, où les plateformes de partage de vidéos et de photos n’existaient pas. Il y a un changement encore plus profond à mener autour du droit à l’image de l’enfant, un sujet qui est porté par des associations de protection de l’enfance, notamment celles qui œuvrent sur Internet qui sont alarmées par la surexposition des enfants.
J’ai toujours affirmé, pendant la discussion parlementaire, qu’à la tentation de la viralité il fallait privilégier l’impératif de l’intimité. Je pense que c’est maintenant que l’on doit être très attentifs. Mais le débat n’est pas que législatif, il est aussi sociétal. Ce n’est pas parce qu’il existe des lois qu’elles sont respectées, ce n’est pas parce que la loi sur les enfants influenceurs entre en vigueur au moment de cet entretien qu’elle sera respectée et qu’il n’y aura plus d’abus. Ce n’est pas parce qu’il y a des limitations de vitesse sur les routes que tout le monde respecte les limitations de vitesse. En revanche, la loi crée des outils pour les cas d’abus – et ils existent, ils ne sont pas forcément aussi nombreux et aussi fréquents que certains peuvent avoir envie de croire. On reporte vite sur Internet beaucoup de responsabilités dans les déviances de notre société alors qu’il y a des très bonnes choses qui se passent sur Internet. Il y a des enfants influenceurs dont l’activité est très saine et qui font profiter d’autres enfants de leur passion, de leur savoir-faire. Il faut juste vérifier qu’ils le font dans le respect de leur intérêt supérieur : c’est un impératif constitutionnel français, c’est aussi un impératif conventionnel, prévu par des textes internationaux.
Donc pour vous répondre, la première étape désormais, je pense, est de convaincre d’autres pays de suivre l’exemple de la France.
Les usages évoluent, notamment parce que de nouvelles plateformes apparaissent avec un fonctionnement spécifique. Les associations ont-elles un rôle de lanceur d’alerte ?
Ce sont les associations qui, les premières, ont essayé de faire condamner des parents pour exploitation, travail dissimulé ou autres motifs invoqués en justice à l’époque. Mais elles avaient été déboutées parce que l’on considérait que c’était une activité de loisir et pas du travail. Grâce à cette loi, ces associations auront accès plus facilement à des informations que les plateformes devront leur communiquer.
Leur activité se poursuivra également sur d’autres sujets : il y a, par exemple, une action en justice en cours sur l’accès à la pornographie par les mineurs. Six sites ont été signalés au CSA qui devrait bientôt les mettre en demeure de sécuriser le cheminement d’accès à leurs contenus. Ces associations ont aussi un rôle essentiel de sensibilisation ; elles ont parfois des partenariats avec des plateformes elles-mêmes, visitées par les enfants, pour faire passer des spots de sensibilisation. On compte beaucoup sur ces associations.
Y a-t-il dans la loi des dispositions protégeant les enfants qui sont de l’autre côté de l’écran ?
C’est vrai que cela fait partie des sujets qui sont encore devant nous. D’ailleurs, on parle plus souvent des enfants qui sont devant les écrans que de ceux qui sont derrière. Cette loi met surtout l’éclairage sur ceux qui sont derrière.
Il est nécessaire de mettre en place de nouvelles règles sur les enfants qui sont devant ces écrans, ce qui est plus difficile en ligne qu’ailleurs. Il y a des choses que vous pouvez voir sur les chaines de ces enfants influenceurs que vous ne pourrirez plus voir à la télévision en raison des règles applicables à l’audiovisuel et des chartes d’autorégulation qui sont très contraignantes. Mais la publicité sur Internet est beaucoup plus difficile à réguler, en tous les cas à l’échelle d’un pays. Un enfant montré en train de manger des bonbons ou des chips devant la télévision, en train de jouer devant son ordinateur et de manger de la junk food : c’est quelque chose que vous ne voyez plus à la télévision, au cinéma ou dans les publicités mais qui reste présent sur les chaînes de vidéos en ligne. La régulation à inventer ne pourra se faire qu’à l’échelle de plusieurs pays, de l’Union européenne dans un premier temps et peut être de l’OCDE ensuite. En effet, c’est très facile de faire héberger sa chaine ailleurs qu’en France.
Les entreprises l’ont bien compris avec l’enjeu réputationnel qui s’impose à elles. Au moment où la loi a été discutée à l’Assemblée nationale, la Fédération française des industries du Jouet et de la Puériculture a publié une charte relative, justement, aux enfants influenceurs. La loi a donc eu ses premiers effets avant sa promulgation.
Enfin, il faut appeler à la responsabilité collective. J’aime à dire que la loi ne peut pas tout ; il y a des dérives auxquelles on va devoir s’atteler dans les prochains temps, notamment en termes de messages publicitaires. Mais la France a besoin, pour cela, de partenariats européens et j’espère que les directives DSA et DMA iront dans le bon sens.
Interview réalisée à Strasbourg le 20 avril 2021 (jour de l’entrée en vigueur de la loi)
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03
juillet
2020
« Cookiegate » : après la décision du Conseil d’État, où en sommes-nous ?
Author:
teamtaomanews
Edit : La CNIL a, suite à cette décision, modifié ses lignes directrices, précisant que la licéité des « cookie walls » doit s’apprécier au cas par cas et qu’en tout état de cause, l’information fournie à l’utilisateur devra clairement lui indiquer les conséquences de ses choix et notamment l’impossibilité d’accéder au contenu ou au service en l’absence de consentement
Cookies – « Cookie walls » – « Cookiegate » : De quoi parle-t-on ?
Il s’agit des cookies que la plupart d’entre nous acceptons mécaniquement parce que le bandeau barre la vue du site Internet. Ils sont destinés à suivre la navigation de l’internaute et à lui faciliter la visite mais, surtout, ils permettent aux éditeurs de proposer des publicités ciblées.
Le dépôt de cookies est un traitement de données personnelles pour lequel les éditeurs de sites doivent recueillir un consentement de l’internaute, clair, informé, spécifique et… libre.
Les éditeurs, en particulier de sites gratuits, considèrent les cookies comme indispensables à leur modèle économique, alors que l’association La Quadrature du Net les dénonce comme étant de la « surveillance publicitaire ».
L’expression « cookie walls » désigne le fait, pour un site internet ou une application mobile, de refuser d’afficher son contenu quand l’internaute n’accepte pas le dépôt de cookies.
C’est cette pratique que la CNIL a condamnée dans ses lignes directrices de juillet 2019 (ici) en se fondant sur l’avis du CEPD (Comité européen de la Protection des Données). L’idée est que si la conséquence du refus de cookies par l’internaute est le refus d’accès au contenu du site, le consentement donné manque singulièrement de liberté.
Enfin, le « Cookiegate », c’est la fronde que les éditeurs de sites Internet et professionnels des médias, de la publicité et du commerce en ligne, opposent à l’interdiction des cookie walls, au point d’avoir saisi le Conseil d’État aux fins d’annulation des lignes directrices de la CNIL.
Que dit le Conseil d’État dans sa décision du 19 juin 2020 ?
Il confirme l’essentiel des lignes directrices de la CNIL sur les points relatifs aux cookies et autres traceurs de connexion, mais il invalide spécifiquement la disposition prohibant de façon générale et absolue la pratique des « cookie walls ».
Cookies et traceurs : confirmation de la position de la CNIL
Dans les lignes directrices adoptées le 4 juillet 2019 – relatives à l’article 82 de la Loi « Informatiques et Libertés » qui transpose en droit français la directive 2002/58/CE « vie privée et communications électroniques » (dite « ePrivacy ») – la CNIL est venue renforcer les exigences en matière de validité du consentement et a formulé des recommandations qui sont confirmées par le Conseil d’État.
1/ Renforcement de l’exigence du consentement : acte positif, spécifique et indépendant pour chaque finalité
La simple poursuite de la navigation sur un site Internet ne peut plus être regardée comme une expression valide du consentement au dépôt de cookies. Il est nécessaire de mettre en place une action positive de l’internaute pour qu’il exprime son consentement.
Le consentement de l’utilisateur doit être précédé d’une information spécifique pour chacune des finalités poursuivies par le traitement de données. Cette information claire, complète et préalable, doit inclure notamment, l’identité du ou des responsables de traitement, ainsi que de la liste des destinataires ou des catégories de destinataires de ces données.
En ce sens, une liste exhaustive et régulièrement mise à jour des entités ayant recours à des traceurs, doit être mise à disposition de l’utilisateur directement lors du recueil de son consentement.
Dans cette lignée, le Conseil d’État, par une seconde décision du 19 juin 2020, rejette le recours dirigé contre la sanction de 50 millions d’euros infligée à Google par la CNIL (Conseil d’État, 19 juin 2020, Sanction infligée à Google par la CNIL). Le Conseil estime que le géant n’a pas délivré une information suffisamment claire et transparente aux utilisateurs du système d’exploitation Android et ne les a pas mis à même de donner un consentement libre et éclairé au traitement de leurs données personnelles aux fins de personnalisation des annonces publicitaires. Il juge par ailleurs que la sanction de 50 millions d’euros n’est pas disproportionnée.
2/ Preuve et retrait du consentement, durée des cookies
Le responsable de traitement doit être en mesure, à tout moment, de fournir la preuve du recueil valable du consentement de l’utilisateur.
Les utilisateurs doivent pouvoir aussi facilement refuser ou retirer leur consentement que le donner.
Les cookies et autres traceurs ne doivent pas avoir une durée de vie excédant 13 mois et les informations collectées par l’intermédiaire de ces traceurs ne doivent pas être conservées pendant une durée supérieure à 25 mois.
Les utilisateurs doivent être informés de l’existence et de la finalité des cookies et autres traceurs non soumis au consentement préalable.
L’annulation de la disposition relative aux « cookie walls »
Les requérantes ont reproché à la CNIL de faire une lecture erronée du RGPD. Pour elles, le visionnage d’annonces publicitaires est la contrepartie de l’accès à un contenu gratuit, ce qui doit autoriser les sites Internet à refuser d’afficher tout contenu en l’absence de consentement de l’internaute au dépôt de traceurs.
Qu’a répondu le Conseil d’État ?
Il importe d’être précis. Le Conseil d’État a reproché à la CNIL d’avoir tiré de la seule exigence d’un consentement libre, posée par le RGPD, une règle selon laquelle « la validité du consentement est soumise à la condition que la personne concernée ne subisse pas d’inconvénient majeur en cas d’absence ou de retrait de son consentement, un tel inconvénient majeur pouvant consister dans l’impossibilité d’accéder à un site Internet, en raison de la pratique des « cookie walls » :
« En déduisant pareille interdiction générale et absolue, la CNIL a excédé ce qu’elle peut légalement faire, dans le cadre d’un instrument de droit souple, édicté sur le fondement du 2° du I de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 cité au point 3. Il s’ensuit que la délibération attaquée est, dans cette mesure, entachée d’illégalité. »
Le Conseil d’État condamne ainsi la CNIL à verser aux associations requérantes une somme globale de 3.000 euros.
Il est vrai qu’en théorie, les lignes directrices sont un instrument de droit souple, c’est-à-dire un acte ayant pour objectif d’influencer fortement les pratiques des opérateurs économiques, sans créer à leur charge ni droit ni obligation juridique.
S’il en résulte que la CNIL, dans des lignes directrices, ne peut interdire de manière générale et absolue la pratique des cookie walls, il n’est pas non plus dit que cette pratique est généralement autorisée. On peut, au contraire, envisager que les situations s’analyseront au cas par cas.
La CNIL a réagi par un communiqué (ici) précisant que « (…) le Conseil d’État a annulé la disposition des lignes directrices prohibant de façon générale et absolue la pratique des « cookie walls », en jugeant qu’une telle interdiction ne pouvait figurer dans un acte de droit souple. La CNIL prend acte de cette décision et ajustera en conséquence ses lignes directrices et sa future recommandation pour s’y conformer. »
Nous en saurons davantage à la rentrée car la CNIL envisage de faire connaître sa nouvelle recommandation en septembre 2020. Elle annonce aussi poursuivre le plan d’action cookies sur le ciblage publicitaire et maintient sa ligne de conduite tendant à « garantir aux internautes un plus haut degré de protection, le RGPD venant renforcer les exigences du consentement ».
Anne MESSAS
Avocate associée
Synthia TIENTCHEU TCHEUKO
Élève-avocate
Date et référence : Conseil d’État, 19 juin 2020, Lignes directrices de la Cnil relatives aux cookies et autres traceurs de connexion
Lire la décision sur le site du Conseil d’État
23
avril
2020
La lutte contre la contrefaçon aux temps du Coronavirus
Author:
teamtaomanews
ou : Comment défendre vos droits de propriété intellectuelle en période de confinement ?
Du fait de la crise sanitaire, les tribunaux sont fermés depuis mi-mars 2020, les actions judiciaires les plus courantes – y compris les actions en contrefaçon – ne peuvent pas être engagées et les actions en cours sont suspendues.
Ainsi, les outils judiciaires dont disposent les titulaires de droits de propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles, brevets, droits d’auteur, etc.) pour lutter contre la contrefaçon sont devenus indisponibles et risquent de l’être encore pendant un certain temps à l’issue du confinement car l’activité des tribunaux ne redémarrera que progressivement.
Parallèlement, nous assistons à une multiplication des arnaques COVID et des contrefaçons en ligne.
Titulaires de droits, ne restez pas inactifs.
Il est possible d’agir sans attendre le déconfinement et la reprise de l’activité judiciaire. Il existe un ensemble d’outils alternatifs permettant de faire respecter vos droits et de tenter d’obtenir rapidement la cessation des actes de contrefaçon.
TAoMA a identifié quatre étapes préalables, allant de l’utile à l’indispensable :
La surveillance en ligne, pour repérer les actes contrefaisants
La surveillance douanière, pour faire surveiller les allées et venues des produits contrefaisants
L’utilisation de la technologie blockchain, pour authentifier les produits et prouver la contrefaçon repérée
Le constat d’huissier sur Internet, pour prouver la contrefaçon repérée
Ainsi que cinq actions disponibles :
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Le signalement d’actes de contrefaçon à l’office européen de la propriété intellectuelle
Le signalement de contenu illicite sur les réseaux sociaux
La lettre de mise en demeure
La notification LCEN
LES ÉTAPES PRÉALABLES
La surveillance en ligne
Un titulaire de droits identifie souvent des actes de contrefaçon en surveillant lui-même l’activité de ses concurrents ou en jetant un œil aux principales plates-formes marchandes, voire en en découvrant de façon inopinée.
Il est toutefois indispensable d’adopter une stratégie systématique de surveillance active afin d’éviter de se retrouver prescrit ou forclos à agir en contrefaçon ou sur un autre fondement.
En ce qui concerne la contrefaçon en ligne, il existe des sociétés spécialisées, comme Safebrands et IP Twin, qui ont rendu certains de leurs services de surveillance provisoirement gratuits.
Ces sociétés proposent notamment les services suivants, pour le monde entier :
Surveillance des nouvelles occurrences de mots-clés dans les liens, pages de sites, metatags, etc.
Surveillance des réseaux sociaux
Surveillance des plates-formes de vente en ligne (Amazon, eBay, Rakuten…)
Surveillance des « adwords »
Surveillance de l’utilisation des logos
Ces sociétés remettent des rapports à intervalles plus ou moins fréquents, comprenant les données brutes collectées. L’analyse du caractère contrefaisant doit être réalisée par un avocat pour être fiable.
TAoMA Partners a également développé ses propres techniques de surveillance et d’identification et les utilise régulièrement au service de ses clients.
La surveillance douanière
La surveillance en ligne peut être utilement doublée par une surveillance « physique » par les douanes. Il est possible de mettre en place une surveillance douanière en en faisant la demande auprès des services des douanes au moyen d’un formulaire identifiant les droits des titulaires, incluant des photographies de produits authentiques et des conseils pour repérer les contrefaçons.
Cette surveillance est toujours disponible en ce moment, les douanes requérant que les demandes de surveillances soient pour l’instant envoyées exclusivement par e-mail.
Sans rentrer dans les détails, la saisie de marchandises contrefaisantes par les douanes donne lieu à une notification au titulaire des droits qui informe les douanes de son souhait, le cas échéant, de faire procéder à une destruction simplifiée des produits ou les informe que les produits ne sont pas contrefaisants.
L’utilisation de la technologie blockchain
Cette technologie réputée infalsifiable, utilisée par la cryptomonnaie Bitcoin, peut être adoptée par les titulaires de droits de propriété intellectuelle pour se protéger contre la contrefaçon.
Cette technologie intéresse tout particulièrement les acteurs du secteur du luxe mais pas exclusivement : elle pourrait s’appliquer aux produits culturels, technologiques ou autres.
Lors de l’achat d’un objet original, un QR code est émis et permet de produire un certificat d’authenticité numérique inscrit dans la blockchain. Il est ainsi possible à tout moment de vérifier si et de prouver que l’objet est authentique. Il peut également contenir l’historique des réparations autorisées et des reventes à d’autres propriétaires de l’objet et de son certificat. Les titulaires des marques peuvent également suivre, de façon anonymisée quant à leurs propriétaires, la vie de l’objet.
La blockchain peut également être utilisée, à la place des enveloppes Soleau, pour prouver une date de création et protéger un actif de propriété intellectuelle non enregistré, comme une œuvre d’art ou une œuvre littéraire, y compris aux différentes étapes de sa création, ce qui intéressera en particulier les producteurs audiovisuels. La date certaine enregistrée par l’inscription dans la blockchain peut en outre être réalisée par huissier, ce qui peut à terme renforcer le caractère probant vis-à-vis de juges pas nécessairement sensibilisés au fonctionnement de la blockchain.
Parmi les autres utilisations possibles, la victime d’actes de contrefaçon peut inscrire dans la blockchain des captures d’écran des actes contrefaisants et le code source des pages concernées. Néanmoins, pour les juges français, à ce stade, le constat d’huissier sur Internet semble le mode de preuve à privilégier.
Le constat d’huissier sur Internet
En matière de contrefaçon, la preuve est libre, ce qui veut dire que les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent, par exemple, tenter de prouver la contrefaçon en produisant des captures d’écran du site contrefaisant.
Rappelons en outre que les tribunaux accordent de plus en plus de valeur aux pages archivées sur le site web.archive.org et que la date figurant sur ces pages archivées est considérée comme plus probante qu’une datation résultant d’un archivage personnel. Voir notre TAoMA news du 8 novembre 2019.
Mais ce type de document est bien sûr moins probant que des preuves établies par constat d’huissier.
Les huissiers de justice peuvent réaliser, depuis leur domicile ou leur étude, des constats sur Internet, en donnant ainsi une date certaine à la présence en ligne d’actes contrefaisants et en adoptant des techniques permettant d’écarter les doutes qui affectent l’enregistrement « artisanal » de pages web qu’effectuerait un titulaire de droit de propriété intellectuelle.
Le rôle de TAoMA est de travailler de concert avec l’huissier, afin que le constat réalisé réunisse l’ensemble des informations nécessaires pour apporter la preuve de la contrefaçon de manière efficace et exploitable.
Ces constats pourront, bien sûr, être utilisés dans un contentieux judiciaire futur ; mais ils sont également utiles pour mettre en œuvre certaines des actions disponibles en-dehors de toute procédure judiciaire.
LES ACTIONS DISPONIBLES
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Les titulaires de marques constatent souvent qu’un tiers a inclus une de leurs marques au sein même d’un nom de domaine, de façon identique ou similaire (par exemple « channel-parfums.com »). Ce type d’atteinte aux droits de marque, appelé « cybersquatting », se multiplie en ce moment.
Plutôt que de requérir d’un juge qu’il ordonner le blocage du site, le titulaire peut choisir de demander la récupération du nom de domaine. Des demandes de récupération peuvent être adressées notamment :
Auprès de l’office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) pour les domaines en .com, .net et .org :
C’est la procédure « UDRP » (Uniform Domain-name Dispute-Resolution Policy)
Et auprès de l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) :
C’est la procédure « Syreli »
En cas de succès, le nom de domaine litigieux pourra être supprimé ou transféré au requérant.
Le centre d’arbitrage de l’OMPI a annoncé être en état de traiter les demandes de récupération, même si l’on peut anticiper des délais accrus, la procédure habituelle prenant trois mois. L’Afnic a également informé qu’elle poursuivait son activité avec un délai de procédure inchangé de deux mois.
L’avantage majeur de ces procédures est que leur coût est très limité et qu’elles se déroulent en ligne. En cette période de confinement, les deux organismes ont en plus décidé d’autoriser l’envoi de notifications par les parties par voie électronique alors que la voie postale est exigée, en temps normal.
Dans certains cas, en fonction des faits, une alternative à ces procédures de récupération peut être trouvée dans la notification LCEN (voir plus bas).
Le signalement à l’EUIPO
L’Office de l’Union européenne pour la Propriété intellectuelle (EUIPO) a mis en place un outil destiné en particulier à signaler la contrefaçon touchant les objets essentiels de lutte contre le coronavirus (masques, médicaments, matériel médical…). Certains de ces produits médicaux reproduisent sans autorisation des marques appartenant à des titulaires n’ayant parfois rien à voir avec le secteur de la santé. Ainsi, un contrefacteur a utilisé une marque de Disney (« Frozen II ») et violé son droit d’auteur en proposant à la vente des masques de protection pour enfants « Reine des Neiges » qui ne respectent évidemment pas les normes de sécurité et mettent en danger les populations, en plus de nuire aux titulaires de droits.
L’outil lancé par l’EUIPO s’appelle IP Enforcement Portal (Portail de mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle). Les titulaires de droits peuvent y échanger des informations sur l’étendue de leurs droits et sur les distributeurs autorisés, téléverser des photographies de produits authentiques et signaler les produits contrefaisants. La plateforme est gratuite et rend possible la mise en relation les titulaires de droits avec les autorités de poursuite dans chacun des pays de l’Union, ce qui permet, par exemple, à un titulaire français de signaler une contrefaçon à un magistrat bulgare ou suédois lorsque la contrefaçon en ligne ne s’adresse qu’aux internautes de ces pays.
Dans ce type de situation comportant un péril sanitaire, il n’est pas douteux que les autorités publiques mettent sans tarder en œuvre des mesures de protection des populations et donc, indirectement, de protection des droits des titulaires.
Mais même en-dehors de ces cas, il reste possible d’agir sans attendre. Deux mesures rapides et efficaces sont disponibles pour les titulaires de droit : la lettre de mise en demeure et la notification LCEN. Ces mesures visent à obtenir rapidement le retrait des pages contenant l’offre à la vente de produits ou de services contrefaisants. Un tel retrait n’empêche aucunement de réclamer des dommages-intérêts par la suite, une fois l’activité judiciaire rétablie.
Le signalement sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux, mais aussi les grandes plates-formes de vente en ligne (Facebook, Amazon, Instagram, Twitter, LinkedIn, YouTube, etc.) prévoient en général leurs propres procédures de signalement de contenus litigieux (contrefaisants, diffamant, ou illégaux d’une manière générale).
Une infraction particulière aux réseaux sociaux est celle du « username squatting » ou des « faux comptes », soit l’utilisation d’une marque comme pseudo, par un tiers (par exemple, l’existence d’une page Facebook au nom d’une marque mais détenue par un fan ou par une personne moins bien intentionnée).
Pour résoudre ce problème, ou tout autre difficulté liée à la présence d’un contenu illicite, le titulaire est invité à fournir des informations dans des formulaires en ligne et de joindre des pièces justificatives qui dépendent à chaque fois du type d’atteinte repérée.
Par exemple, il est possible de signaler une atteinte à un droit de propriété intellectuelle sur YouTube sur cette page, une atteinte à un droit d’auteur sur LinkedIn sur celle-ci ou encore une usurpation d’identité sur Facebook à cette adresse. LinkedIn et Facebook permettent également, ainsi que d’autres réseaux, d’accéder à un formulaire de signalement via des boutons de commandes accompagnant chaque post.
L’avantage considérable de ces procédures internes est qu’elles sont rapides, gratuites et qu’elles peuvent permettre d’obtenir facilement des retraits de contenus au niveau mondial. Mais l’inconvénient est que l’appréciation de la légitimité de la notification est laissée entièrement à l’appréciation des réseaux sociaux, voire de robots aux raisonnements automatisés et parfois peu pertinents, comme par exemple Content ID, un robot qui repère les vidéos contrefaisants sur YouTube et dont le fonctionnement est décrié.
En cas d’échec, il reste toutefois possible d’utiliser les étapes de la lettre de mise en demeure et de la notification LCEN.
La lettre de mise en demeure
Il est d’usage, lorsqu’un titulaire de droits constate qu’un tiers fait usage de sa marque sans autorisation, plagie ses droits d’auteur ou imite le modèle d’un produit qu’il commercialise, d’envoyer avant toute procédure contentieuse une lettre d’avocat ayant pour objet de le mettre en demeure de cesser les actes contrefaisants, de retirer les produits de la vente, de modifier sa marque, etc. Au-delà de la rédaction de la lettre, le regard de l’avocat est essentiel, notamment pour deux raisons : pour évaluer la réalité de la contrefaçon et pour vérifier si la prescription n’est pas acquise (ce qui n’empêcherait pas d’envoyer la lettre mais diminuerait la position de force du titulaire de droits).
La lettre de mise en demeure peut tout à fait être envoyée en période de confinement. Tout d’abord, elle peut toujours être envoyée en recommandé avec accusé de réception dans la mesure où les services postaux fonctionnent toujours. De plus, La Poste propose un service d’envoi de lettres recommandées en ligne qui permet d’éviter à l’expéditeur de se déplacer au bureau de poste pour l’affranchir et l’envoyer. En pratique, l’expéditeur paye en ligne après avoir saisi les informations d’expédition et téléversé le courrier au format PDF. L’inconvénient est donc que le courrier n’est pas remis sous pli fermé à La Poste, mais cette dernière et ses employés sont tenus au secret des correspondances électroniques prévu par la loi. Le recours à un tel service n’est exclu ou fortement déconseillé que si le contenu de la lettre est particulièrement confidentiel ou bien si le courrier lui-même est confidentiel par application de la loi (comme un courrier couvert par le secret médical ou par le secret des avocats – ce qui n’est pas le cas pour une lettre envoyée par un avocat à la partie adverse).
Ensuite, en pratique, la lettre recommandée est doublée d’un envoi en lettre simple et par e-mail quand l’adresse e-mail est connue. Cela permet de s’assurer que le destinataire puisse prendre connaissance rapidement du document sans avoir à aller le retirer à La Poste.
Enfin, cette lettre, qui suffit parfois à obtenir le retrait des contrefaçons ou à voir satisfaites les autres demandes formulées, peut, en cas d’échec, être réutilisée dans le cadre d’une notification LCEN. Cette notification est aussi utile quand l’on ne dispose d’aucune information pour contacter le contrefacteur.
La notification LCEN
La notification LCEN tire son nom de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004. Cette loi prévoit les formes dans lesquelles une personne qui estime que ses droits sont enfreints sur un site Internet peut obtenir la suppression du contenu illicite par l’hébergeur et non seulement par l’auteur du contenu.
Ce contenu peut être de diverses natures plus ou moins graves : divulgation de données personnelles, pédopornographie, apologie de crime contre l’humanité, propos injurieux ou diffamants, photographies volées (revenge porn), contrefaçon (texte, photographie, musique, film, marque, dessins et modèles, etc.). Il doit être manifestement illicite : la contrefaçon doit être flagrante et indiscutable. Ce caractère manifestement illicite est apprécié par l’avocat et l’envoi d’une notification LCEN alors que le caractère illicite est discutable ou improbable peut engager la responsabilité de l’auteur de la notification.
En pratique, le titulaire ou son avocat doit envoyer un premier courrier au contrefacteur (la lettre de mise en demeure peut ainsi être réutilisée, mais un simple e-mail suffit).
Cette notification est un courrier envoyé dans les mêmes conditions qu’une lettre de mise en demeure classique : c’est un courrier en recommandé avec accusé de réception doublé par une lettre simple et, quand c’est possible, par un e-mail.
Si l’étape de la lettre de mise en demeure a échoué, parce qu’il a été impossible de contacter directement l’auteur de la contrefaçon en l’absence d’informations ou parce que l’auteur de la contrefaçon n’a pas donné suite au courrier, il convient alors d’envoyer la notification LCEN à l’hébergeur du site, quand il s’agit d’une personne distincte de celle du contrefacteur. Son contact est censé figurer dans les mentions légales.
En l’absence, fautive, de ces mentions, certains sites permettent de rechercher qui est l’hébergeur d’un site Internet.
Voici quelques exemples pour y voir plus clair :
Le contenu d’une notification LCEN est encadré par la loi. Il conviendra, entre autres, d’y mentionner ou d’y adjoindre les éléments suivants :
Une copie de la pièce d’identité du titulaire des droits (un extrait K-Bis dans le cas d’une personne morale)
Un extrait K-Bis de l’hébergeur
La preuve que l’auteur de la notification (ou le client de l’avocat auteur de la notification) est bien titulaire des droits : par exemple, le certificat d’enregistrement de la marque ou une version numérique du livre dont est tiré un passage reproduit sans autorisation
Le fondement juridique qui permet au titulaire des droits de demander le retrait des pages web contrefaisantes : il s’agira des textes du code de la propriété intellectuelle et/ou de règlements européens conférant des droits aux auteurs et aux déposants de titres de propriété industrielle, ainsi que de l’article 6 de la LCEN
L’identification de la matérialité de la contrefaçon incluant l’adresse URL : le constat d’huissier sur Internet est la preuve la plus recommandée
La copie du courrier envoyé au contrefacteur ou la justification de l’impossibilité de le contacter
Etc.
=> Pourquoi une notification LCEN est-elle souvent efficace ?
Parce que l’absence de réaction rapide de la part de l’hébergeur engage sa responsabilité (y compris pénale, la contrefaçon étant un délit) et que les hébergeurs peuvent donc être assignés en justice ou faire l’objet de plaintes pénales même sans que le titulaire de droits n’ait à se préoccuper du contrefacteur lui-même. La totalité des condamnations pourrait donc être supportée par l’hébergeur.
Cet effet dissuasif est recherché par la loi en raison même du fait qu’il est facile, sur Internet, de dissimuler son identité et d’échapper aux poursuites. La LCEN a donc pour mission essentielle d’éviter qu’Internet soit une zone de non-droit, et ce même en période de confinement.
=> Quid quand le site est situé à l’étranger ?
Tout d’abord, un site « situé » à l’étranger, par exemple un site en .br ou en .cn, peut être soumis à la loi française et donc à la LCEN lorsqu’il s’adresse au public français. Cela peut être le cas, par exemple, s’il offre la livraison vers la France, s’il propose une version française de son interface ou encore si ses prix sont libellés en euros.
Dans ce cas, l’obtention de la suppression des produits ou des offres de services contrefaisants sera bien sûr plus difficile à obtenir mais n’est pas impossible. Ainsi, la notification LCEN adressée à l’hébergeur étranger peut préciser que le juge français pourrait ordonner la coupure de l’accès au site depuis la France, par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès (FAI). Mais bien sûr, cette solution ne peut passer que par une décision de justice définitive et on doit se contenter de souhaiter que cette menace sera dissuasive, au stade de la notification LCEN.
De plus, si une marque est reprise dans un nom de domaine situé à l’étranger, la procédure de récupération UDRP est tout indiquée.
Enfin, une solution de pis-aller consister à effectuer un signalement aux moteurs de recherche référençant la page web contrefaisante. La loi américaine (le « DMCA ») oblige Google à supprimer de ses résultats de recherche des pages violant les règles de protection du copyright. Il est donc possible d’agir même lorsque la loi française n’est pas applicable.
Anne MESSAS
Avocate à la cour, Associée
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour