Condamnation exemplaire pour un cas de parasitisme par la Cour d’appel dans le secteur de la parfumerie de luxe

Impossible d’échapper depuis 2009 à la communication publicitaire massive sur tous supports du parfum LA PETITE ROBE NOIRE, parfum créé par la société GUERLAIN en 2009 et de son iconique flacon « Coque d’or » créé par la maison BACCARAT en 1937.

Ayant constaté en 2015 la commercialisation par une société belge sur son site internet et sur d’autres sites de vente en ligne d’une collection de parfums à bas prix dénommée « LA PETITE FLEUR » et ses déclinaisons dont « LA PETITE FLEUR NOIRE », la société GUERLAIN, après avoir vainement tenté une approche amiable, a assigné la société belge devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement du parasitisme.

Le tribunal ayant suivi GUERLAIN sur toutes ses demandes, un appel est interjeté par la société belge. Peine perdue, le jugement est confirmé en tous ses points par la Cour d’appel de Paris qui retient sans ambigüité le parasitisme et confirme les lourdes condamnations prononcées en première instance.

La Cour retient les agissements de parasitisme en raison :
• De l’examen des parfums litigieux qui montre une inspiration à la fois du nom, de l’identité visuelle, de la forme en nœud papillon du flacon de la PETITE ROBE NOIRE de sorte que les éléments de ressemblance pris dans leur globalité traduisent la volonté de la société belge de se placer dans le sillage de GUERLAIN ;
• Du choix du nom de la gamme des parfums litigieux « LA PETITE FLEUR » construit de manière similaire au nom « LA PETITE ROBE NOIRE » ;
• De la reprise d’une silhouette féminine dessinée sans visage et portant une petite robe, choix effectué par GUERLAIN qui rompait avec les codes du secteur. Choix qui ne s’imposait pas en revanche pour la collection des parfums litigieux « LA PETITE FLEUR » qui aurait pu être associée à beaucoup d’autres visuels notamment floraux et donc autres qu’une silhouette féminine ;
• De la reprise de l’univers de Paris et de la Tour Eiffel ainsi que les couleurs rosés/violets présents dans toute la communication autour du parfum GUERLAIN ;
• De la reprise enfin du flacon « Coque d’Or » dans ses caractéristiques essentielles (même démarcation centrale, quatre pans inclinés vers le bas du flacon, chaque côté reprenant un pan plus haut que l’autre et un nœud papillon sur le dessus avec une légère courbe).

La Cour retient que ces similitudes ne sont pas fortuites et caractérisent le caractère intentionnel des captations.

Dès lors, la Cour retient que la société belge a réalisé des économies en profitant des lourds investissements engagés par GUERLAIN tant d’un point de vue créatif que commercial, ce qui a permis à la société belge de limiter ses propres frais de conception et de commercialisation et ainsi de proposer ses produits à des prix bien inférieurs à ceux de la société GUERLAIN ayant de surcroît un effet de dilution de l’image de GUERLAIN.

Concernant la réparation des agissements parasitaires, la Cour confirme les sévères sanctions prononcées par le tribunal en première instance :
• 594.000 euros au titre de la réparation du préjudice matériel correspondant à 1% des dépenses publicitaires engagées par GUERLAIN en France pour le seul parfum « LA PETITE ROBE NOIRE » ;
• 100.000 euros au titre du préjudice moral retenu au titre de la dilution de la notoriété de ses parfums et de l’atteinte à sa réputation et à son image de marque.

La Cour confirme également la publication judiciaire de la décision sur les deux sites de la société belge.

A retenir enfin dans cette affaire, la compétence territoriale du tribunal de commerce de Paris qui avait été contestée par la société belge en raison de sa nationalité.

La Cour d’appel de Paris rappelle en effet que le constat d’huissier du site internet de la société belge, dressé à la demande de la société GUERLAIN, faisait apparaître des produits accessibles en France et pouvant être commandés et livrés en France « de sorte que le fait dommageable et la matérialisation du dommage, à savoir la mise en vente de parfums litigieux, se produit notamment à Paris ».

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La décision du Tribunal de commerce de Paris, confirmée ici par la Cour d’appel de Paris, rappelle que l’absence de droits privatifs n’empêche pas pour autant les victimes d’obtenir une réparation de leur préjudice.

Toutefois il ne doit pas être négligé de rapporter la preuve des agissements parasitaires. Dans le cas où ceux-ci sont commis par une société étrangère, le constat d’achat internet devra attester sans ambigüité que l’achat et la livraison sont possibles depuis et vers la France afin que les actes puissent être poursuivis sur notre territoire. A ne pas néglier non plus, la preuve du préjudice tant matériel que moral, une attestation du directeur financier et de la responsable marketing de l’entreprise victime étant parfaitement recevable.

Voici donc une fois encore posée le principe selon lequel l’absence de droits de propriété intellectuelle ne confère pas pour autant une liberté d’inspiration sans limite.

Juliette Biegala
Juriste

Malaurie Pantalacci
Conseil en Propriété Industrielle associée