21
janvier
2022
Droits voisins du droit d’auteur : un cocktail explosif entre M6 et Molotov
Author:
teamtaomanews
Le 2 décembre dernier, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision portant notamment sur les droits voisins du droit d’auteur des sociétés de METROPOLE TELEVISION (Groupe M6) en tant qu’entreprise de communication audiovisuelle. Les débats ont fait rage entre les parties, dignes d’une téléréalité !
Cette affaire oppose le Groupe M6, dont on ne présente plus les chaines (M6, W9, 6Ter, TEVA, PARIS PREMIERE, etc.), à la société MOLOTOV, beaucoup moins connue, qui offre un service de distribution de chaines de télévision par internet.
Précédemment dans M6 vs. MOLOTOV
En juin 2015, MOLOTOV a conclu avec M6 un accord de distribution expérimental des programmes des chaînes du groupe. Cet accord, après prorogation, est arrivé à expiration fin mars 2018 sans que les parties ne trouvent de terrain d’entente pour la suite. Malgré l’arrivée du terme du contrat, MOLOTOV a continué à mettre à disposition les programmes des chaînes du Groupe M6 sur sa plateforme en ligne.
Bien entendu, M6 se devait de réagir et a zappé sur la chaîne judiciaire en saisissant les juges. Évidemment, M6 reproche à Molotov : (i) la contrefaçon de ses droits voisins en tant qu’entreprise de communication audiovisuelle par la reproduction et la mise à disposition sans autorisation des programmes des chaînes du Groupe M6, (ii) la contrefaçon de plusieurs marques dont elle est titulaire permettant d’identifier les chaînes M6, W9 et 6Ter, et (iii) des actes de parasitisme.
Face à une approche plutôt classique de la part du Groupe M6 pour défense de ses droits, MOLOTOV a organisé le grand zapping du droit des média pour sa défense !
Prologue
Tout d’abord, MOLOTOV tente de faire entrer dans le jeu l’Autorité de la concurrence, en vain, et de faire déclarer l’action du Groupe M6 comme mal fondée et présentant un caractère abusif. En effet, selon l’engagement dit « E13 » d’une décision de l’Autorité de la concurrence du 12 août 2019, « chaque Mère proposera à tout distributeur qui en ferait la demande, la distribution de ses Chaînes de la TNT en clair et de leurs Services et Fonctionnalités Associés, à des conditions techniques, commerciales et financières, transparentes, objectives et non discriminatoires ». En d’autres termes, M6, comme TF1 ou encore France Télévision, devraient accorder à n’importe quel distributeur la possibilité de diffuser leurs chaînes selon des conditions « raisonnables ». Selon MOLOTOV, M6 aurait commis une faute précontractuelle dans le cadre des négociations entre les parties en imposant es conditions déraisonnables. M6 aurait ainsi tenté de faire obstacle à l’activité de son concurrent car le groupe, associé à TF1 et France Télévision, prévoyait la création de la plateforme concurrente SALTO.
Le tribunal rejette bien vite cet argument pour une question de programmation : l’action du Groupe M6 contre MOLOTOV a été engagée dès avril 2018 alors que SALTO n’a reçu l’aval de l’Autorité de la concurrence pour son lancement qu’en août 2019.
Épisode 1 : Contrefaçon des droits voisins
Indéniablement, MOLOTOV a continué la diffusion des chaînes du groupe après 1er avril 2018, soit une fois l’expiration de l’accord entre les parties. Dès lors, le tribunal reconnait la matérialité de la contrefaçon des droits voisins d’une entreprise de communication audiovisuelle par la reproduction et la mise à disposition des programmes des chaines du Groupe M6.
MOLOTOV n’a pas même pas cherché à contester les faits mais a tenté de légitimer ces actes de contrefaçon sur de nombreux fondements dont voici un best-of :
M6 tenterait de faire obstacle à la diffusion de ses chaînes en clair à 100% de la population métropolitaine
Les chaînes du groupe M6 sont des chaînes dites « en clair » qui, selon la loi du 30 septembre 1986 sur la communication audiovisuelle, doivent être distribuées à 100% de la population du territoire métropolitain. Selon MOLOTOV, M6 serait contrevenu à cette loi en imposant des conditions abusives dans les négociations ne lui permettant ainsi pas de distribuer les chaînes du groupe. L’impossibilité pour MOLOTOV de distribuer les chaînes et donc de les distribuer via sa plateforme sur internet rend impossible leur distribution à 100% de la population.
A nouveau, cet argument est bien vite écarté par le tribunal qui rappelle notamment que le groupe M6 se charge lui-même de la distribution de ses chaînes gratuitement auprès de 100% de la population.
M6 tenterait d’imposer un prix minimum de revente pour la diffusion de ses chaînes
MOLOTOV invoque la violation de l’article 442-6 du Code de commerce qui interdit d’imposer un prix minimum pour la revente d’un produit ou service. Les conditions générales de distribution des chaines du Groupe M6 contiennent une clause dite de « paywall » obligeant à ce que le distributeur ne diffuse les chaînes du groupe que dans le cadre d’offres payantes. Pour MOLOTOV, ces conditions générales de distribution reviennent pour M6 à imposer un prix minimal que doit payer l’utilisateur de MOLOTOV pour avoir accès au chaînes du Groupe M6.
Le tribunal rejette l’argument au motif que cette obligation ne fait qu’imposer le principe d’un abonnement, mais pas le prix de cet abonnement qui reste à la libre discrétion de MOLOTOV.
M6 imposerait des conditions de distribution discriminatoires
MOLOTOV revient à nouveau sur ce fameux engagement dit « E13 » pour se dédouaner. Si M6 impose une clause de « paywall », interdisant à MOLOTOV d’offrir gratuitement à ses utilisateurs les chaînes gratuites de le TNT du Groupe M6, alors M6 ne propose pas des conditions transparentes, objectives et surtout non discriminatoires.
Manque d’audiences pour ce programme argumentaire de MOLOTOV, les juges n’y sont pas sensibles et rappellent notamment que cette clause de « paywall » n’est pas discriminatoire puisqu’elle est aussi imposée aux autres distributeurs tel qu’Orange ou Free.
Malgré ses différentes tentatives de dédouanement, les dés sont jetés et les juges disqualifient MOLOTOV de la partie. Contrefaçon des droits voisins il y a, point final.
Épisode 2 : Contrefaçon de marques
Conséquence, si la diffusion non autorisée des programmes du Groupe M6 constitue une contrefaçon des droits voisins, alors elle constitue également une contrefaçon des marques du Goupe. MOLOTOV tente de faire valoir qu’elle utilise les marques comme référence nécessaire pour permettre l’identification des chaines. Cependant, le tribunal retient que la reproduction des marques pour désigner la diffusion contrefaisante des programmes est elle aussi contrefaisante.
Épisode 3 : Parasitisme
Sur les demandes en parasitisme du Groupe M6, le tribunal y fait rapidement droit puisque M6 a démontré l’importance de ces investissements pour construire sa grille de programme et promouvoir ses chaînes. MOLOTOV tire profit de manière déloyale et sans bourse déliée des investissements du Groupe M6 pour attirer les utilisateurs sur sa plateforme.
Épisode 4 : Épilogue
Finalement, le tribunal condamne MOLOTOV à indemniser le Groupe M6 à hauteur de 7 millions d’euros pour le préjudice lié à la contrefaçon de droits voisins, 15 000 euros pour le préjudicie liée à la contrefaçon de marque et 100 000 euros à titre de dommages intérêts pour le préjudice résultant des actes des parasitisme. La société Molotov est aussi condamnée à payer 15 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Malgré ces différents épisodes de la bataille juridique, les parties ont décidé de ne pas diffuser en direct la finale puisque, quelques jours après cette décision, c’est à huit clos qu’un accord a été trouvé entre M6 et MOLOTOV pour la diffusion payante des chaînes du Groupe sur la plateforme.
TAoMA n’a pas encore donné son aval pour une saison 2 de cette série d’anthologie mais les scénaristes sont prêts pour une nouvelle saison centrée sur un conflit TF1 vs. MOLOTOV ou MOLOTOV vs. SALTO. To be continued…
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Salomé Hafiani Lamotte
Stagiaire – Pôle Avocats
Tribunal judiciaire de Paris, 3e chambre, 1e section, 2 décembre 2021, RG n°18/04595,Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
12
novembre
2021
Marque de champagne : l’abus procédural peut nuire à la santé
Author:
teamtaomanews
Le Tribunal judiciaire de Paris a récemment rendu une décision en matière de contrefaçon et, subsidiairement, de concurrence déloyale et de parasitisme, qui sonne comme un avertissement contre l’instrumentalisation de la justice à des fins d’éviction de concurrents. La décision est devenue définitive.
Cette affaire opposait deux sociétés productrices de vins de Champagne situées dans le même village : la société CHAMPAGNE ANDRE CLOUET, demanderesse, qui commercialise du champagne sous cette même appellation et la société CALX qui en commercialise sous le nom « LUCIEN COLLARD ».
Titulaire de deux marques semi-figuratives, une française de 2013 et une européenne de 2016, la demanderesse reprochait à CALX de commercialiser des vins de Champagne avec des étiquettes qui « présentent une physionomie extrêmement proche de ses marques ». Il faut préciser que les étiquettes litigieuses reproduisent la marque verbale française « LUCIEN COLLARD », du nom de son titulaire, le président de CALX :
Marque européenne de la demanderesse et exemple d’étiquette de la défenderesse
Dans une dispute qu’on devine être une querelle de clocher entre producteurs voisins, la société demanderesse a donc tenté d’agir sur le terrain de la contrefaçon en reprochant à la défenderesse, à l’occasion de son entrée sur un marché scandinave où elle était établie de longue date, l’utilisation non autorisée de sa marque antérieure.
On notera tout d’abord une intéressante requalification par le tribunal d’une fin de non-recevoir en demande reconventionnelle en nullité, dont elle déboute la défenderesse : celle-ci avait tenté de faire déclarer la demanderesse irrecevable à agir sur le fondement de sa marque européenne de 2016, postérieure au droit d’auteur invoqué sur l’étiquette de la défenderesse. Les éléments verbaux des signes en présence étant totalement différents, la demande reconventionnelle est rejetée.
Sur la demande principale en contrefaçon, le tribunal procède à une analyse du risque de confusion et en exclut la possibilité, de façon peu surprenante au vu des données de fait. Il considère que, si les produits désignés sont « pour une très large part identiques », l’élément dominant de la marque antérieur est son élément verbal et qu’il est très différent de celui utilisé par la défenderesse (« André Clouet » vs « Lucien Collard »).
Le caractère onéreux du produit concerné confère au public pertinent « un niveau d’attention un peu plus élevé que pour d’autres boissons alcoolisées ». Cette attention élevée a pour effet de neutraliser les éléments figuratifs différents dans les deux étiquettes, objets de la demande de contrefaçon qui est donc rejetée.
Les demandes relatives à la concurrence déloyale et au parasitisme subissent le même sort.
Le Tribunal reprend une analyse similaire pour comparer les étiquettes en présence et ajoute que les ornements utilisés relèvent d’un « procédé connu, qui a été couramment utilisé par de nombreux exploitants de Champagne » et qui est donc banal.
Le tribunal n’a pas reconnu non plus le parasitisme car la défenderesse a apporté la preuve qu’elle a effectué des investissements pour la conception et le packaging de ses bouteilles à travers une société spécialisée dans l’habillage des vins.
Le caractère radicalement infondé des demandes formulées, ajouté à certains éléments de contexte, a amené le Tribunal à entrer en voie de condamnation pour procédure abusive.
En effet, les parties coexistaient déjà sur le marché depuis quatre ans et la demanderesse n’a allégué un risque de confusion qu’après avoir constaté que sa concurrente avait remporté un appel d’offres sur le marché scandinave, notamment norvégien, où elle était elle-même présente. De plus, la proximité géographique des parties, situées dans une même commune de moins de 1.000 habitants, et leur appartenance à un même secteur d’activité permettent de conclure que la demanderesse avait nécessairement connaissance des étiquettes utilisées par la défenderesse bien avant l’invocation d’une confusion par lettre de mise en demeure en juin 2019.
Le tribunal conclut alors que l’action en contrefaçon et en concurrence déloyale et parasitisme intentée par la demanderesse « n’a été motivée que par sa volonté délibérée d’entraver la société CALX dans le développement de son activité », reconnaissant ainsi le caractère abusif de la procédure et condamnant la demanderesse à 5.000 euros de dommages-intérêts et 15.000 euros d’article 700.
La décision illustre le risque que peuvent prendre les justiciables à tenter d’évincer un concurrent en instrumentalisant des outils légaux et l’institution judiciaire.
Référence et date : Tribunal judiciaire de Paris, 3e chambre, 1e section, 29 juillet 2021, RG n° 19/13569
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
Salomé Hafiani Lamotte
Stagiaire – Pôle Avocats
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la cour
05
juillet
2021
Tintin et le temple de l’exception de parodie
Author:
teamtaomanews
L’artiste Xavier Marabout a réalisé des œuvres d’art mêlant l’univers du peintre Edward Hopper et celui de l’auteur de bande dessinée Hergé à travers la représentation du personnage de Tintin, placé dans des situations saugrenues. L’artiste a fait le choix de représenter le célèbre reporter accompagné de femmes dans des environnements austères, évoquant la mélancolie habituelle des œuvres de Hopper.
La société Moulinsart, titulaire exclusive des droits patrimoniaux de Hergé (à l’exception de l’édition des albums de bande dessinée) a constaté la vente et la commercialisation des œuvres, sur le site internet de Xavier Marabout, adaptant sans autorisation les personnages des Aventures de Tintin.
Cette dernière considérant ces actes comme contrefaisants a assigné Xavier Marabout en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale et parasitaire devant le Tribunal Judiciaire de Rennes (1).
La question principale abordée dans cette décision est de savoir si Xavier Marabout peut légitimement se prévaloir de l’exception de parodie. Et subsidiairement, s’il y a lieu de considérer que les actes en question sont parasitaires ou déloyaux.
Concernant la question de l’exception de parodie le Tribunal Judiciaire a rappelé le principe selon lequel lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire « 3° sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source ; 4° la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
Xavier Marabout invoque cette exception au monopole du droit d’auteur de la société Moulinsart, sans pour autant contester avoir reproduit et adapté sans autorisation des éléments issus des Aventures de Tintin.
Dans un premier temps, le tribunal s’est livré à une analyse précise de chaque critère de l’exception de parodie :
La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée, ce qui est le cas en l’espèce puisque les personnages de l’œuvre d’origine sont aisément identifiables.
L’œuvre parodique doit se distinguer de l’œuvre originale. En l’espèce, le choix du support – un tableau versus une bande dessinée – permet bien de distinguer l’œuvre parodique de l’œuvre originale.
L’intention humoristique doit être présente et reconnue par le public, l’austérité des œuvres de Hopper est ici plus animée et vient transcender l’impossibilité pour Tintin d’afficher ses sentiments dans des situations burlesques où des femmes aux allures de « bimbos » sont représentées. En outre, le nom des œuvres permet également de démontrer l’approche parodique de l’auteur avec un effet humoristique tel que « Moulinsart au soleil» ou « Lune de miel » faisant écho directement aux œuvres originales de Hergé.
Une absence de risque de confusion : La parodie exige une distanciation comique et un travestissement qui ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux œuvres de l’auteur. Les Aventures de Tintin ont connu une diffusion mondiale considérable par le nombre d’exemplaires vendus, que le public identifie aisément. Les travestissements opérés sont effectués sous forme de tableau permettant de distinguer la représentation classique sous vignette de bande dessinée habituelle de Hergé. Enfin, les inspirations de l’univers de Hopper étant indéniables par les environnements reproduits mais aussi par les titres des œuvres ne peuvent venir caractériser un risque de confusion quelconque.
Dans ces conditions, le Tribunal judiciaire en conclut que les œuvres de Xavier Marabout traduisent une forme d’hommage et accueille l’exception de parodie.
Le tribunal s’est ensuite concentré sur le fait de savoir si la démarche de Xavier Marabout ne s’inscrivait pas dans une démarche purement commerciale et mercantile, s’appropriant ainsi la valeur économique de l’œuvre de Hergé, portant de ce fait atteinte aux droits patrimoniaux de la société Moulinsart.
Faisant une appréciation très concrète des enjeux financiers en comparant les revenus générés par l’œuvre de Hergé et ceux découlant de l’exploitation des tableaux de Xavier Marabout les juges considèrent que les faits allégués de contrefaçon n’engendrent qu’une perte financière minime voire totalement hypothétique pour la société Moulinsart, qui ne peut dès lors s’opposer à la liberté de création.
En conséquence, le Tribunal judiciaire déboute la société Moulinsart de ses demandes au titre du droit d’auteurs en excluant toute faute constitutive de contrefaçon.
Pour ce qui est des demandes en concurrence déloyale ; le tribunal a noté que l’exception de parodie ne peut venir caractériser un comportement fautif parasitaire et que les activités commerciales d’exploitation des produits dérivés de l’œuvre de Tintin par la société Moulinsart ne s’adressent pas à la même clientèle que les œuvres réalisées par Xavier Marabout, et ne peuvent de ce fait constituer une concurrence déloyale.
Ainsi, cette décision parait cohérente et mesurée, notamment au regard des œuvres en question où l’empreinte de l’auteur par l’originalité de ses choix et références permettent de faire prévaloir la liberté d’expression des artistes.
Dorian Souquet
Juriste stagiaire
Anne Laporte
Avocate à la Cour
(1) Tribunal judiciaire de Rennes, 2e chambre civile, 10 Mai 2021, 17/04478 – Société Moulinsart c/ Xavier Marabout
18
janvier
2021
Taittinger : la fin d’une saga pétillante
Author:
teamtaomanews
Ce début d’année, certes peu festif, nous amène à revenir sur une affaire qui nous rappelle une nouvelle fois les enjeux essentiels attachés aux marques patronymiques des maisons de luxe, que ce soit dans le monde de la mode (affaires Ines de la Fressange ou Christian Lacroix) ou, comme c’est le cas en l’espèce, du champagne.
Pour rappel, Virginie Taittinger, actionnaire de la société TAITTINGER, produisant et commercialisant du champagne sous une marque éponyme, avait donné mandat à son père de la représenter dans la vente de ses parts sociales dans le cadre d’une cession de contrôle de l’entreprise.
Cet acte de cession prévoyait notamment que les membres de la famille Taittinger ne pourraient plus faire usage de leur nom pour désigner des champagnes.
Or, Madame Taittinger a repris une activité de production de champagne sous la marque « VIRGINIE T » et par le biais notamment de plusieurs noms de domaines contenant le terme « taittinger ». Dans sa communication, elle mentionnait également de manière régulière le champagne Taittinger et son expérience au sein de l’entreprise familiale.
La société ayant acquis l’entreprise et la marque TAITTINGER l’a alors assignée en violation de la convention de cession, atteinte à la marque renommée Taittinger et parasitisme.
Après plusieurs épisodes, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans une décision que nous avions commentée.
C’est donc sans surprise que, statuant à nouveau, en formation de renvoi, la même cour d’appel de Paris a repris le raisonnement de la Cour de cassation et définitivement validé les modalités de commercialisation du champagne VIRGINIE T.
Sur la violation de la clause d’interdiction du nom Taittinger
La cour d’appel rappelle qu’un mandat conclu en termes généraux, comme celui donné par Madame Taittinger à son père (qui ne mentionnait que la possibilité, en plus de la vente des titres, de souscrire « à tout engagement ou garantie, et, plus généralement faire le nécessaire selon ce qu’il jugera utile ou approprié »), ne peut porter que sur des actes d’administration, tout acte de propriété, tel qu’une restriction d’usage d’un nom patronymique, nécessitant un mandat exprès.
Après avoir souligné que les enjeux juridiques et financiers de l’opération imposaient à l’acheteur une vérification de l’étendue des pouvoirs des vendeurs et que la disposition litigieuse était tellement défavorable à Madame Taittinger (dont l’expérience professionnelle est étroitement liée à la société Taittinger) qu’il était exclu qu’elle ait accepté, prévu ou même envisagé que son père consentirait à la stipulation d’une telle clause, la cour décide qu’elle ne peut lui être opposée.
Sur l’atteinte à la marque renommée « TAITTINGER »
Il est reproché à Madame Taittinger de faire la communication de son nouveau produit par le biais de nombreuses références à son nom, donc à celui des champagnes TAITTINGER.
La Cour de cassation avait censuré le raisonnement de la cour d’appel, lui reprochant de réaliser un amalgame entre l’analyse de l’atteinte à la marque et l’existence de justes motifs.
Les juges y remédient donc dans ce nouvel arrêt, sans pour autant que l’issue diffère.
Ils retiennent, en substance, qu’elle a bien retiré un avantage de l’association entre son champagne et le champagne Taittinger.
Pour autant, cette dernière, au regard de ses compétences professionnelles, exclusivement développées au sein de l’entreprise familiale, ne peut se voir reprocher d’avoir assuré sa reconversion dans le domaine du champagne. Or, pour ce faire, il est légitime qu’elle fasse état de son nom, de son origine familiale et de son parcours professionnel, la conduisant à évoquer le champagne TAITTINGER. De plus, ils notent qu’elle utilise toujours son nom, dans la promotion de sa nouvelle activité, en l’associant à son prénom.
La demande de ce chef est donc rejetée, ces circonstances constituant un juste motif.
Sur le parasitisme
Une nouvelle fois, la Cour de cassation avait retoqué le premier arrêt d’appel qui ne tenait pas compte, dans son analyse de la valeur économique prétendument parasitée, du prestige et de la notoriété attachés au nom Taittinger.
Dans sa nouvelle décision, la cour d’appel n’a pour autant pas de difficultés à rejeter la demande. En effet, elle indique à nouveau que les mentions par Madame Taittinger du nom commercial de la société adverse étaient justifiées « par la légitime évocation par l’intimée de ses origines familiales et de ses activités passées durant plus de vingt ans au service du champagne TAITTINGER et ne revêtent donc aucun caractère fautif, nonobstant le prestige et la notoriété incontestés acquis par ce nom commercial et cette dénomination sociale ».
Madame Taittinger est désormais libre d’utiliser son nom dans sa communication commerciale.
Fiora FELICIAGGI
Stagiaire Pôle Avocat
Anita DELAAGE
Avocate
Référence et date : Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 1, 3 mars 2020, n° 18/28501
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
22
octobre
2018
Taittinger : marque renommée, valeur économique… Quand les noms de famille concentrent toutes les convoitises
Author:
teamtaomanews
Après les conflits portant sur les noms des créateurs de mode (cf. news HMV « nouveau conflit entre un créateur de mode et la société titulaire de la marque reprenant son nom – la Cour de cassation se penche, entre autres, sur la validité de la cession consentie, dans terme, sur un nom patronymique »), c’est au tour du monde du champagne d’être secoué par une affaire liée au business juteux des « grands noms ».
Les membres de la famille champenoise Taittinger, regroupés au sein d’une société commercialisant du champagne sous une marque éponyme, ont cédé leurs parts sociales, s’engageant auprès de l’acquéreur (la société Taittinger CCVC) à ne pas faire usage de leur nom pour désigner des produits en concurrence avec l’activité cédée.
Un des membres de la famille s’est pourtant relancé dans la production de champagne sous la marque « Virginie T », au moyen notamment d’un site internet et plusieurs noms de domaine redirigeant vers celui-ci et contenant le nom « Taittinger ».
Invoquant l’utilisation commerciale du nom « Taittinger » pour la vente et la promotion du champagne « Virginie T », et la mise en œuvre d’une communication systématique axée sur ce nom de famille et sur l’image de la marque « Taittinger », la société Taittinger CCVC a assigné la titulaire de la marque « Virginie T » en violation de la convention de cession de ses titres, atteinte à sa marque renommée ainsi qu’en parasitisme et concurrence déloyale.
Alors que la cour d’appel avait condamné l’héritière Taittinger sur le fondement de la convention et avait débouté la requérante de ses autres demandes, la Cour de cassation prend le contrepied total de cette décision.
Sur la violation de la clause d’interdiction du nom Taittinger :
Madame Taittinger ayant mandaté son père, qui avait lui-même sous-mandaté deux personnes pour réaliser cette cession, la Cour de cassation décide que « le mandat de vente, qui autorisait, en termes généraux, le mandataire à souscrire à tout engagement ou garantie n’emportait pas le pouvoir, pour celui-ci, de consentir une interdiction ou une limitation de l’usage, par son mandant, de son nom de famille, constitutives d’actes de disposition ». L’arrêt de cour d’appel qui l’avait condamnée pour avoir enfreint la convention de cession est donc cassé.
Sur l’atteinte à la marque renommée « TAITTINGER »
La renommée de la marque « TAITTINGER » n’étant pas contestée, et la cour d’appel ayant relevé que « le consommateur normalement avisé était conduit à établir un lien entre les propos imputés à [Mme Taittinger]…, incriminés comme usages, et la marque invoquée », elle ne l’avait cependant pas condamnée, au motif qu’elle « ne [tirait] indûment aucun profit de la renommée de ladite marque, ni ne [portait] préjudice à sa valeur distinctive ou à sa renommée en rappelant son origine familiale, que son nom [suffisait] à identifier, son parcours professionnel ou son expérience passée, même agrémentés de photographies ».
La Cour de cassation censure cette interprétation et souligne que « l’existence éventuelle d’un juste motif à l’usage du signe n’entrait pas en compte dans l’appréciation du profit indûment tiré de la renommée de la marque, mais [devait] être appréciée séparément, une fois l’atteinte caractérisée ».
Sur le parasitisme
Concernant le parasitisme, la cour d’appel de Paris avait également rejeté la demande de la société Taittinger au motif qu’il n’était pas démontré en quoi l’adoption d’une dénomination sociale et d’un nom commercial en tant que tels traduirait à eux seuls les efforts et les investissements, notamment promotionnels, de la société.
Cependant, la Cour rappelle que les valeurs économiques pouvant être parasitées comportent certes les efforts, le savoir-faire ou les investissements consentis, mais également la notoriété acquise. Ainsi, la cour d’appel aurait dû prendre en considération le prestige et la notoriété acquis, et non contestés, de la dénomination sociale et du nom commercial de la société Taittinger CCVC.
Référence et date : Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juillet 2018, n°16-23694
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