Taittinger : marque renommée, valeur économique… Quand les noms de famille concentrent toutes les convoitises

Après les conflits portant sur les noms des créateurs de mode (cf. news HMV « nouveau conflit entre un créateur de mode et la société titulaire de la marque reprenant son nom – la Cour de cassation se penche, entre autres, sur la validité de la cession consentie, dans terme, sur un nom patronymique »), c’est au tour du monde du champagne d’être secoué par une affaire liée au business juteux des « grands noms ».

Les membres de la famille champenoise Taittinger, regroupés au sein d’une société commercialisant du champagne sous une marque éponyme, ont cédé leurs parts sociales, s’engageant auprès de l’acquéreur (la société Taittinger CCVC) à ne pas faire usage de leur nom pour désigner des produits en concurrence avec l’activité cédée.
Un des membres de la famille s’est pourtant relancé dans la production de champagne sous la marque « Virginie T », au moyen notamment d’un site internet et plusieurs noms de domaine redirigeant vers celui-ci et contenant le nom « Taittinger ».

Invoquant l’utilisation commerciale du nom « Taittinger » pour la vente et la promotion du champagne « Virginie T », et la mise en œuvre d’une communication systématique axée sur ce nom de famille et sur l’image de la marque « Taittinger », la société Taittinger CCVC a assigné la titulaire de la marque « Virginie T » en violation de la convention de cession de ses titres, atteinte à sa marque renommée ainsi qu’en parasitisme et concurrence déloyale.

Alors que la cour d’appel avait condamné l’héritière Taittinger sur le fondement de la convention et avait débouté la requérante de ses autres demandes, la Cour de cassation prend le contrepied total de cette décision.

  • Sur la violation de la clause d’interdiction du nom Taittinger :

Madame Taittinger ayant mandaté son père, qui avait lui-même sous-mandaté deux personnes pour réaliser cette cession, la Cour de cassation décide que « le mandat de vente, qui autorisait, en termes généraux, le mandataire à souscrire à tout engagement ou garantie n’emportait pas le pouvoir, pour celui-ci, de consentir une interdiction ou une limitation de l’usage, par son mandant, de son nom de famille, constitutives d’actes de disposition ». L’arrêt de cour d’appel qui l’avait condamnée pour avoir enfreint la convention de cession est donc cassé.

  • Sur l’atteinte à la marque renommée « TAITTINGER »

La renommée de la marque « TAITTINGER » n’étant pas contestée, et la cour d’appel ayant relevé que « le consommateur normalement avisé était conduit à établir un lien entre les propos imputés à [Mme Taittinger]…, incriminés comme usages, et la marque invoquée », elle ne l’avait cependant pas condamnée, au motif qu’elle « ne [tirait] indûment aucun profit de la renommée de ladite marque, ni ne [portait] préjudice à sa valeur distinctive ou à sa renommée en rappelant son origine familiale, que son nom [suffisait] à identifier, son parcours professionnel ou son expérience passée, même agrémentés de photographies ».

La Cour de cassation censure cette interprétation et souligne que « l’existence éventuelle d’un juste motif à l’usage du signe n’entrait pas en compte dans l’appréciation du profit indûment tiré de la renommée de la marque, mais [devait] être appréciée séparément, une fois l’atteinte caractérisée ».

  • Sur le parasitisme

Concernant le parasitisme, la cour d’appel de Paris avait également rejeté la demande de la société Taittinger au motif qu’il n’était pas démontré en quoi l’adoption d’une dénomination sociale et d’un nom commercial en tant que tels traduirait à eux seuls les efforts et les investissements, notamment promotionnels, de la société.

Cependant, la Cour rappelle que les valeurs économiques pouvant être parasitées comportent certes les efforts, le savoir-faire ou les investissements consentis, mais également la notoriété acquise. Ainsi, la cour d’appel aurait dû prendre en considération le prestige et la notoriété acquis, et non contestés, de la dénomination sociale et du nom commercial de la société Taittinger CCVC.

 

Référence et date : Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juillet 2018, n°16-23694
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