Nouveau conflit entre un créateur de mode et la société titulaire de la marque reprenant son nom : la Cour de cassation se penche, entre autres, sur la validité de la cession consentie, sans terme, sur un nom patronymique

Cette affaire n’est pas la première à illustrer le véritable business engendré par les noms de designers de mode (on se souvient notamment de la « saga Ines de la Fressange », à l’issue de laquelle l’ancienne mannequin avait perdu ses droits sur sa marque éponyme).

Dans un long arrêt, la Cour de cassation vient à nouveau de statuer sur cette problématique, ce qui lui donne l’occasion de traiter de sujets classiques en droit des marques, mais également de se pencher sur cette pratique spécifique au milieu de la mode, qui consiste à céder son nom à une société chargée d’en assurer l’exploitation.

En 2011, Christian Lacroix signe pour une maison de décoration une collection de meubles et luminaires, commercialisée sous la dénomination « Designed by Mr Christian Lacroix ». La société CHRISTIAN LACROIX (avec laquelle le couturier ne collabore plus depuis 2009, mais avec laquelle il avait signé en 1987 un contrat l’autorisant à utiliser son nom), titulaire d’une marque française et d’une marque européenne éponymes pour désigner notamment des tissus et revêtements pour la maison, adresse à la maison de décoration une mise en demeure de cesser toute communication sous cette expression.

Face au refus de cette dernière, elle entreprend de déposer une nouvelle marque européenne « Christian Lacroix » pour désigner plus spécifiquement des lampes (classe 11), des meubles (classe 20), et des bougies (classe 4) et l’assigne en contrefaçon de ses marques et atteinte à leur renommée. La maison de décoration et Monsieur Lacroix soulèvent en défense la nullité des marques européennes, la plus ancienne du fait de la nullité de l’accord portant sur l’utilisation du nom de Monsieur Christian Lacroix et la plus récente pour dépôt frauduleux, ainsi que l’absence de contrefaçon de la marque française pour dissemblance entre les produits vendus sous cette dernière et ceux commercialisés dans la collection « Designed by Mr Christian Lacroix », arguments accueillis favorablement par la Cour d’appel de Paris. La société CHRISTIAN LACROIX se pourvoit alors en cassation.

Sur le dépôt frauduleux

Concernant le dépôt frauduleux de la marque européenne de 2011, la société CHRISTIAN LACROIX estime que les facteurs pertinents au cas d’espèce sont censés démontrer sa bonne foi : elle considère notamment que ce dépôt avait pour objet de protéger un de ses licenciés, à qui elle avait concédé en 2009 le droit d’utiliser le signe « Christian Lacroix » pour des produits d’ameublement. Mais la Cour ne suit pas ce raisonnement et juge que la production de ce contrat de licence, qui ne concerne d’ailleurs que des papiers muraux, coussins et couvertures, ne suffit pas à démontrer sa bonne foi, ni à expliquer sa carence depuis 2009 à obtenir un titre protégeant les produits réalisés par son licencié. C’est pourquoi elle estime que le dépôt en classe 20 de la marque a bien été effectué, non pas pour distinguer les produits en identifiant leur origine, mais pour permettre à la société de l’opposer dans le cadre de l’action en contrefaçon introduite contre la maison de décoration. En revanche, la Cour décide que la cour d’appel n’a pas précisé en quoi le dépôt a été fait de mauvaise foi concernant les classes 4 et 11.

Sur la contrefaçon

Concernant l’absence de contrefaçon de la marque française déposée en 1987, la Cour valide, sans grande surprise, l’interprétation de la cour d’appel qui avait analysé les produits protégés (tissus et tissus pour la maison) comme étant différents des lampes et meubles vendus par la maison de couture. Quant à la renommée de ladite marque, la Cour relève qu’elle doit s’apprécier à la date d’exploitation du signe litigieux, à savoir 2011, soit 2 ans après la cessation des activités de haute couture de la société CHRISTIAN LACROIX, qui n’avait pas conservé aux yeux du public une renommée lui permettant de bénéficier de la protection élargie de telles marques.

Sur la nullité

Enfin, la première marque européenne (déposée en 2008 par la société) avait été annulée au motif que le contrat de 1987, en ce qu’il ne comportait aucun terme et se heurtait en conséquence à la prohibition des engagements perpétuels, était nul, ce qui rendait Monsieur Lacroix légitime à faire grief à la société CHRISTIAN LACROIX d’avoir déposé la marque litigieuse sans son consentement. Néanmoins, la Cour de cassation estime qu’il ne s’agissait pas d’un engagement perpétuel, mais d’un engagement à exécution successive, qui n’était donc pas nul, mais simplement résiliable unilatéralement.

En conséquence, la cour d’appel de Paris, qui devra à nouveau statuer sur le litige au fond, devra cette fois-ci prendre en compte la marque européenne déposée en 2008 par la société CHRISTIAN LACROIX (pour protéger des produits en cuir, vêtements et divers revêtements pour la maison –tapis, papiers peints, etc.) et, à moins qu’elle ne justifie en quoi ce dépôt aurait également été frauduleux, la marque déposée en 2011 (pour protéger des bougies et des lampes). Cela permettra lui permettra-t-elle de conclure à la contrefaçon par le couturier et son partenaire commercial ? Affaire à suivre…

 

Référence et date : Cour de cassation, chambre commerciale, 8 février 2017, n°14-28.232 (société CHRISTIAN LACROIX c. SICIS)
Lire l’arrêt sur Legifrance