23
avril
2024
Si l’artiste fait de l’art, la marque parasite
Le tribunal judiciaire de Paris, dans son jugement du 27 mars 20241 a condamné la maison Givenchy au paiement de la somme de 30 000 Euros à l’artiste ZEVS pour avoir commis des actes de concurrence déloyale et parasitisme.
Quelques éléments de contexte
Monsieur Schwarz, connu sous le pseudonyme de ZEVS (se prononce Zeus), est un artiste français urbain de renom dans le milieu du Street Art. Il doit sa notoriété en partie grâce à la réalisation d’une grande série d’œuvres créées à partir de la technique du dripping (ou coulure).
Il détourne ainsi de leur fonction d’origine des symboles de la société de consommation, et notamment des logos de grandes marques, pour donner l’impression qu’ils se liquéfient complètement. Pour ZEVS, les logos sont la pierre angulaire de l’identité des grandes marques donc s’ils se liquéfient, elles disparaissent, en quelque sorte.
En l’espèce, l’œuvre qui est au cœur de l’affaire qui nous occupe appartient justement à cette série de tableaux. En 2010, il réalise « Liquidated Google », ci-après reproduit :
Or, il découvre le 27 août 2020 que la société Givenchy proposait à la vente sur son site internet un t-shirt qui reprendrait, selon lui, les caractéristiques originales de l’œuvre précitée.
ZEVS assigne Givenchy en contrefaçon de ses droits d’auteur et subsidiairement, en concurrence déloyale et parasitisme.
Les juges reconnaissent l’originalité de l’œuvre Liquidated Google
ZEVS précise bien dans ses écritures qu’il ne revendique aucun droit d’auteur sur la technique de la coulure ou du dripping largement rependue dans l’art contemporain, mais bien sur le traitement visuel qu’il en a réalisé dans son œuvre « Liquidated Google ».
Les juges accueillent ce raisonnement en ce qu’ils reconnaissent que l’originalité du tableau réside bien dans la concrétisation du message de ZEVS au sein de l’œuvre matérielle. Il créé l’illusion que le signe est en train de fondre, de saigner, « comme pour le vider de son sens ou de son pouvoir ». Les choix esthétiques opérés par l’artiste pour concrétiser cette illusion traduisent l’empreinte de sa personnalité.
Précisons que l’appropriation du logo de la marque Google n’est pas discutée par le tribunal. Le travail de ZEVS se place directement dans le courant artistique de l’appropriation, consistant à reprendre des œuvres préexistantes, ou des signes distinctifs, pour se les approprier au sein d’une œuvre nouvelle. Il existe cependant une limite entre la liberté artistique qui découle directement de la liberté d’expression, et la contrefaçon. Jeff Koons en a justement fait les frais pour ses œuvres « Fait d’hiver »2 et « Naked »3 jugées contrefaisantes par les tribunaux français. En effet, pour les juges du fond, ces œuvres étaient en réalité des œuvres composites pour la réalisation desquelles, l’accord de l’auteur des premières œuvres était nécessaire.
Alors, Liquidated Google, œuvre composite ou œuvre à part entière dont la reprise d’un signe distinctif ne relève que de la liberté artistique ?
L’on regrette que ce ne soit pas le sujet en l’espèce, mais remarquons cependant le raisonnement des juges concernant la contrefaçon et le parasitisme allégués par ZEVS.
Givenchy n’a pas contrefait l’œuvre de ZEVS mais l’a parasitée
S’agissant du t-shirt commercialisé par Givenchy, les juges réfutent toute contrefaçon de l’œuvre Liquidated Google. En effet, le terme utilisé sur le t-shirt est « GIVENCHY » et non « GOOGLE », les coulures sont des broderies et non de la peinture, et elles sont différentes. Cela est suffisant pour les juges qui considèrent que les caractéristiques originales invoquées par l’artiste ne sont pas reprises (à savoir des coulures irrégulières de longueur différentes, qui dégoulinent de la partie supérieure de chaque lettre).
En revanche, le tribunal retient que les t-shirts commercialisés par GIVENCHY s’inspirent indéniablement des œuvres de l’artiste et notamment de « Liquidated Google ». Les juges considèrent qu’ils sont donc « de nature à créer, pour le consommateur de produits de marque de luxe, une confusion avec celles-ci et ce d’autant plus que les marques de luxe s’associent régulièrement pour leurs créations à divers artistes ».
Il en résulte que Givenchy s’est placée dans le sillage de ZEVS et a tiré indûment profit de sa notoriété. Le tribunal conclut également à des actes de concurrence déloyale puisque le succès d’une telle action n’est pas subordonné à l’existence d’un rapport de concurrence entre les partiesi. Les juges considèrent en effet que « par l’association de sa marque en capitales de couleurs vives sur fond noir, avec des broderies de même couleur que chaque lettre destinées à créer un effet de coulures de peinture, la société Givenchy s’est directement inspirée des créations de M.4 et de sa démarche artistique consistant à donner l’illusion d’une liquéfaction du logo d’une marque de luxe, même si le détail des caractéristiques originales de l’œuvre « Liquidated Google » n’est pas exactement reproduit. »
GIVENCHY est donc condamnée à verser à l’artiste 30.000 Euros de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme. Alors que ZEVS s’approprie des signes distinctifs en toute légalité, les marques qui s’inspireraient de son travail risquent quant à elles, de se rendre coupables de parasitisme…
Il est indéniable que la concurrence déloyale et le parasitisme sont des fondements juridiques qui peuvent être souvent efficaces pour protéger ses créations lorsque la contrefaçon n’est pas retenue.
L’équipe de TAoMA est à vos côtés pour vous accompagner et vous conseiller au mieux dans la protection de vos créations mais également dans leur défense. N’hésitez pas à nous contacter.
Juliette Descamps
Stagiaire élève-avocat
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle Associé
(1) Tribunal Judiciaire de Paris, 3e chambre 3e section, 27 mars 2024, n° 21/04132
(2) Tribunal de grande instance de Paris, 8 novembre 2018, n° 15/02536
(3) CA Paris, pôle 5 – ch. 1, 17 déc. 2019, n° 17/09695
(4) Cour de cassation, 3 mai 2016 n°14-24.905