AOP Morbier : La rainure noire c’est noir, il n’y a plus d’espoir

Dans un précédent article (« AOP : L’habit fait-il le fromage ? » – voir notre news du 16 octobre 2019), nous vous évoquions l’interrogation transmise à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) par la cour de cassation en matière d’Appellation d’Origine Protégée (AOP) afin de savoir si la reprise des caractéristiques physiques d’un produit protégé par une AOP peut constituer une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.

Ainsi, par un arrêt du 17 décembre 2020 la CJUE [1] a rendu une décision préjudicielle sur cette question.

 

 

Pour rappel, le syndicat interprofessionnel de défense de l’AOP Morbier a assigné un producteur fabriquant et commercialisant un fromage reprenant l’apparence visuelle du produit protégé par l’appellation d’origine protégée « Morbier », en particulier la raie noire séparant les deux parties du fromage (voir ci-dessus).

La question posée par la cour de cassation est de savoir si la reprise des caractéristiques physiques d’un produit protéger par une AOP peut constituer une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit ?[2]

Cette interrogation revient à déterminer si la présentation d’un produit protégé par une AOP, en particulier la reproduction de la forme ou de l’apparence le caractérisant, est susceptible de constituer une atteinte à cette appellation, nonobstant l’absence de reprise de la dénomination.

La Cour a répondu à cette question en deux temps. Tout d’abord en interprétant les dispositions des articles 13, §1, respectifs des règlements n°510/2006 [3] et 1151/202 qui doivent être analysés en ce sens qu’ils n’interdisent pas uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée.

En effet, leurs champs d’applications seraient plus vastes notamment par les termes « tout autre pratique » employés aux articles 13, §1, d). Ils devraient donc être interprétés dans le sens qu’ils interdisent la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d’amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par cette dénomination enregistrée.

Ainsi, il y a lieu d’apprécier si ladite reproduction peut induire le consommateur, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en erreur.

Ensuite, la Cour observe que certes la protection prévue par les règlements a initialement pour objet la dénomination enregistrée et non le produit couvert par celle-ci. Elle n’a donc pas pour objectif d’interdire l’utilisation des techniques de fabrication ou la reproduction d’une ou de plusieurs caractéristiques indiquées dans le cahier des charges d’un produit couvert par une telle dénomination.

Toutefois, les AOP sont protégées en tant qu’elles désignent un produit qui présente certaines qualités ou certaines caractéristiques. Ainsi, l’AOP et le produit couvert par celle-ci sont intimement liés.

L’expression « toute autre pratique » n’étant pas limitative, cela signifie que les textes précités pourraient inclure dans la protection la forme ou l’apparence du produit couvert par l’AOP. Et pour cela, il ne serait pas nécessaire que le nom du produit litigieux contienne l’AOP.

Il convient donc d’apprécier si un élément de l’apparence du produit couvert par la dénomination enregistrée constitue une caractéristique de référence et particulièrement distinctive pour que sa reproduction puisse amener le consommateur à croire que le produit contenant cette reproduction est couvert par cette dénomination enregistrée.

C’est ainsi que la CJUE, par cette décision préjudicielle vient consacrer l’appréciation de tous les facteurs pertinents d’une reproduction, et au-delà de la dénomination de l’AOP, l’apparence, comme en l’espèce avec la rainure noire caractéristique de l’AOP « Morbier », qui peut induire le consommateur en erreur.

A présent, il faut se demander si cette « frontière noire » sera franchis pour d’autres AOP.

 

Dorian Souquet
Juriste Stagiaire

Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique

 

[1] CJUE, 5ème chambre, 17 décembre 2020, C-490/19 – lire la décision

[2] « Les articles 13, paragraphe 1, respectifs des règlements n°510/2006 et 1151/2012, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils interdisent uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée ou doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils interdisent la présentation d’un produit protégé par une appellation d’origine, en particulier la reproduction de la forme ou de l’apparence le caractérisant, susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit, même si la dénomination enregistrée n’est pas utilisée ? »

[3] « 1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre toute :
a) utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée pour des produits non couverts par l’enregistrement (…)
b) usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée (…)
c) autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit (…)
d) autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit. »