Quelle place donner à la libération de la parole des femmes en matière de diffamation ?
Par deux arrêts récents et remarqués rendus le 11 mai 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a précisé les contours de l’exception de bonne foi en matière de diffamation dans le cadre des mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc.
Pour rappel, l’article 29, alinéa 1er, in limine, de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme : « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
Lorsqu’un propos est qualifié de diffamatoire, son auteur peut notamment être excusé s’il démontre sa bonne foi. Elle suppose la réunion de quatre critères cumulatifs, traditionnellement dégagés par la jurisprudence : 1° l’absence d’animosité personnelle envers la personne concernée par les propos, 2° la prudence et la mesure dans l’expression, 3° la légitimité du but poursuivi et 4° le sérieux de l’enquête lorsque l’auteur est journaliste, à défaut l’existence d’une base factuelle suffisante.
En l’espèce, la Cour de cassation était saisie de deux affaires aux enjeux juridiques similaires :
• Dans l’affaire #BalanceTonPorc1, l’ex-patron d’Equidia poursuivait en diffamation une journaliste ayant publié un tweet dénonçant les propos sexistes qu’il aurait tenus à son égard. Il s’agit du premier tweet ayant utilisé le hashtag #BalanceTonPorc, seulement quelques jours après les révélations dans la presse américaine de l’affaire Weinstein.
• Dans l’affaire #Metoo2, un ancien ministre de la République poursuivait en diffamation une jeune femme l’ayant accusé de l’avoir agressée sexuellement lors d’un opéra. Les propos litigieux avaient été publiés sur son blog personnel dans un billet intitulé « Moi aussi », puis repris dans un article de presse.
Les juges du fond ayant retenu le caractère diffamatoire des propos litigieux dans les deux affaires, la Cour de cassation devait seulement se prononcer sur l’existence de la bonne foi de leurs auteures, et plus particulièrement, sur la caractérisation d’une base factuelle suffisante.
Dans ces décisions, prises au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation rappelle la manière dont doit être mis en œuvre le contrôle de proportionnalité en matière de diffamation pour faire jouer l’excuse de bonne foi :
« En matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’est exprimé dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, de rechercher […] si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante ».
Dans les deux affaires, la Cour de cassation relève que la cour d’appel a retenu que les propos litigieux s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général :
• « consécutif à la libération de la parole des femmes » (dans l’affaire MeToo) ;
• « sur la dénonciation de comportements à connotation sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes et de nature à porter atteinte à leur dignité » (dans l’affaire #BalanceTonPorc).
Après avoir contrôlé l’appréciation des éléments de preuve produits devant les juges du fond, la Cour de cassation conclut dans les deux affaires à l’existence d’une base factuelle suffisante permettant de faire bénéficier les auteures des propos litigieux du bénéfice de la bonne foi.
Cette souplesse dans l’appréciation de la bonne foi démontre que la Haute Cour souhaite s’inscrire dans son temps, en accordant une place à la libération de la parole des femmes dans le débat public ; de quoi faire évoluer les moyens soulevés devant les magistrats de la chambre de la presse…
Alain Hazan
Avocat à la Cour
1 Civ. 1, 11 mai 2022, pourvoi n°21-16.497
1 Civ. 1, 11 mai 2022, pourvoi n°21-16.156