18
février
2021
Gleeden : la Cour de cassation et la cour d’appel matchent
Author:
teamtaomanews
L’affaire n’était pas passée inaperçue… Nous vous en avions parlé (cf. TAoMA news du 9 juillet 2019), et la Cour de Cassation vient de le confirmer : Gleeden, application de rencontres extra-conjugales, peut librement faire l’apologie de ses services (voire de l’infidélité…).
Pour rappel, l’affaire opposait la Confédération Nationale des Associations de Familles Catholiques à la société américaine Blackdivine, éditrice du site de rencontre Gleeden.com.
Blackdivine avait fait réaliser une importante campagne publicitaire comportant des affiches sur lesquelles figuraient une pomme croquée accompagnée de slogans vantant notamment l’« amanturière », « la femme mariée s’accordant le droit de vivre sa vie avec passion » ou se terminant par le message « Gleeden, la rencontre extra-conjugale pensée par des femmes».
L’association religieuse, estimant cette opération marketing illicite, a fait assigner la société américaine afin notamment que soit ordonnée la cessation de toute référence à l’infidélité ou au caractère extra-conjugal de son activité dans le cadre des campagnes publicitaires.
Elle se fondait notamment sur l’article 212 du Code civil (faisant de la fidélité un des devoirs des époux), sur les dispositions du Code consolidé de la Chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale – ou Code ICC – sanctionnant les publicités illicites et antisociales ainsi que sur les dispositions de l’article 10 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, qui prévoit bien des cas dans lesquels la liberté d’expression peut être restreinte.
Sans grande surprise, la Cour de Cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel qui avait débouté l’association de ses demandes.
Après avoir noté que les principes éthiques d’autodiscipline professionnelle édictés par le Code ICC n’ont pas de valeur juridique contraignante et éludé la question de la caractérisation du devoir de fidélité entre les époux (ordre public de protection ou de direction), elle retient que « l’absence de sanction civile de l’adultère en dehors de la sphère des relations entre époux, partant, l’absence d’interdiction légale de la promotion à des fins commerciales des rencontres extra-conjugales, et, en tout état de cause, le caractère disproportionné de l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression que constituerait l’interdiction de la campagne publicitaire litigieuse », justifient que la cour d’appel n’ait pas fait interdire la campagne litigieuse.
Ainsi, Gleeden peut faire la promotion de son service de rencontres spécialisé, à côté des sites et applications permettant les rencontres uniquement entre personnes « belles », entre personnes de même confession, entre personnes « intelligentes », ou encore entre « goths ».
Référence et date : Cour de cassation – Première chambre civile, 16 décembre 2020, n° 19-19.387
Lire la décision sur le site de la Cour de cassation
Mathilde GENESTE
Stagiaire Élève-Avocate
Anita DELAAGE
Avocate à la Cour
09
juillet
2019
L’adultère, fidèle à la déontologie publicitaire
Author:
teamtaomanews
« En amour l’infidélité est un grand crime, mais le public et la nature l’excusent », écrivait Chicaneau de Neuville dans son Dictionnaire philosophique (à ne pas confondre avec celui de Voltaire!) ; en est-il de même pour la déontologie publicitaire ?
Ainsi se présente la question posée récemment à la Cour d’Appel de Paris dans une affaire opposant la Confédération Nationale des Associations de Familles Catholiques à la société américaine Blackdivine, gérante du site de rencontre Gleeden.com, et à laquelle elle a répondu dans un arrêt délivré le 17 mai 2019.
Ce site de rencontre, qui compte un million d’adhérents en France, a en effet choisi de se démarquer de ses concurrents en axant sa communication sur la discrétion de ses services, et en vantant les mérites des relations extraconjugales (voir les exemples d’affiches ci-dessous).
Une approche radicale qui ne fut pas du goût de certaines associations qui, regroupées en confédération, ont donc assigné la société Blackdivine en 2015 afin de faire juger nuls les contrats qu’elle passe avec ses utilisateurs, au motif de cause illicite, et de l’astreindre à retirer ses publicités faisant référence à l’infidélité. Le tribunal de grande instance ayant rejeté leurs demandes, les demandeurs ont interjeté appel.
Il est notamment demandé à la Cour d’ « ordonner à BlackDivine de cesser de faire référence, de quelque manière que ce soit, directe ou indirecte, à l’infidélité ou au caractère extra-conjugal de son activité dans le cadre de ses publicités », au motif qu’un tel comportement est constitutif, au visa de l’article 212 du Code Civil, de la faute civile d’adultère. L’appelante rappelle également à cet effet la tendance jurisprudentielle récente, qui veut que la fréquentation régulière d’un site de rencontres par un des époux suffise à caractériser une telle faute [1].
Elle argue en outre de l’illicéité de ces publicités pour justifier leur interdiction, rappelant les dispositions du code ICC sur la publicité et les communications commerciales, selon lesquelles ces dernières ne doivent pas encourager les comportements violents, illicites ou antisociaux. Elle voit également dans ces publications une violation du décret du 27 mars 1992, qui interdit aux publicités télevisées de choquer les convictions religieuses des spectateurs.
La Cour d’Appel, dans son arrêt du 17 mai dernier, réfute en bloc ces demandes. D’abord, elle juge que l’interprétation de l’article 212 du code Civil ne permet pas de déduire de la faute d’adultère une obligation de fidélité relevant d’un ordre public de direction ; cette faute ne peut être soulevée que par l’un des époux lors d’une procédure de divorce, et souffre des exceptions : « consentement mutuel des époux, excusée par l’infidélité de l’autre époux etc… ». Elle confirme donc le jugement du tribunal, selon lequel la CNAFC ne saurait se prévaloir d’une telle faute pour exiger la suppression des publicités.
Concernant le prétendu caractère illicite des publicités en elles-mêmes, le juge se rend aux arguments du site, et rappelle que non seulement l’association ne démontre pas l’existence d’une incitation à un quelconque comportement illicite, mais que cette campagne publicitaire a déjà fait l’objet d’un examen par le jury de déontologie publicitaire, qui n’y a décelé aucun contenu choquant ou indécent, notamment grâce à l’usage des « évocations, des jeux de mots ou des phrases à double sens ». Le moyen basé sur la protection des convictions religieuses dans les publicités télévisuelles est également rejeté, au nom de la liberté d’expression à laquelle le spot concerné ne porte pas atteinte.
Par cet arrêt, la Cour d’Appel confirme sa volonté de ne pas censurer une campagne publicitaire au simple motif qu’elle serait provoquante et pourrait choquer une certaine population. La protection de la liberté d’expression demeure donc un pilier de la jurisprudence française, comme il l’était déjà en 2006 quand la Cour de Cassation refusait de censurer une parodie de la Cène de Léonard de Vinci remplaçant les apôtres et le Christ par des femmes [2].
Anita Delaage
Avocat à la Cour
Et
Corentin Pousset-Bougère
Stagiaire Avocat
Réf. Décision complète : Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 11, 17 Mai 2019 – n° 17/04642
[1] Notamment, Cour d’appel de Lyon 2ème chambre 7 février 2011, N° de RG : 09/06238 ; Cour d’appel de Paris, 19 décembre 2007, N° de RG : 07/03365
[2] Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 novembre 2006, 05-15.822 05-16.001, Publié au bulletin