31
mars
2020
Liberté d’expression : une décision indigeste pour les producteurs de foie gras
Author:
teamtaomanews
L214, association de protection animale habituée des tribunaux, vient d’obtenir gain de cause en appel contre une ordonnance de référé qui l’avait condamnée à supprimer sous astreinte une vidéo dénonçant les conditions de fabrication du foie gras.
L’association avait diffusé fin décembre sur les réseaux sociaux une vidéo intitulée « ça vous donne envie ? » parodiant un film publicitaire faisant la promotion du foie gras. Cette vidéo reprenait 6 secondes d’un film promotionnel de 15 secondes originellement diffusé à la télévision par le Comité national interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (CIFOG). Ce spot aurait coûté, selon le CIFOG, 1.192.779 euros et aurait été financé pour moitié par un organisme du ministère de la culture, FranceAgriMer. La vidéo diffusée par l’association L214 présentait, à la suite des premières secondes du film publicitaire originel, des images de gavage de canards et de broyage de canetons, remplaçant le slogan « le foie gras, exceptionnel à chaque fois » par « le foie gras exceptionnellement cruel à chaque fois », et dénonçait le financement « par nos impôts » de cette publicité.
Le CIFOG a assigné l’association L214 en référé pour obtenir, notamment, l’interdiction sous astreinte de la diffusion du film « ça vous donne envie ? ». Par une ordonnance du 6 février 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a retenu l’existence d’un trouble manifestement illicite caractérisé par l’atteinte portée aux droits d’auteur attachés au film, a interdit la diffusion de la vidéo en cause sous astreinte de 200 euros par jour d’infraction constatée et a condamné l’association aux dépens et à payer la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. L’association L214 a interjeté appel de cette ordonnance.
Le CIFOG soutenait dans cette affaire que l’association L214 avait porté atteinte à ses droits sur le film en le reproduisant sans avoir participé aux investissements engagés pour sa réalisation et sa diffusion, abusant ainsi de sa liberté d’expression. L’association L214 faisait valoir pour sa part l’exercice de sa liberté d’expression et opposait au CIFOG l’exception tirée de l’article L. 122-5, 4° du Code de la propriété intellectuelle interdisant à l’auteur d’une œuvre divulguée de s’opposer à sa parodie, pastiche ou caricature.
Il s’agissait, entre autres, pour la Cour statuant en référé de déterminer si l’association avait simplement usé de sa liberté d’expression, de sorte qu’il ne pouvait lui être reproché aucune atteinte manifestement illicite aux droits du CIFOG.
Dans une de ses dernières décisions rendues avant sa fermeture pour cause de confinement, la Cour d’appel de Paris a infirmé le 13 mars 2020 l’ordonnance de référé, considérant qu’aucun trouble manifestement illicite ou dommage imminent n’était suffisamment caractérisé pour justifier de porter atteinte à la liberté d’expression telle que garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH). La Cour d’appel de Paris a d’abord relevé qu’il existait entre les premières secondes du film diffusé et sa parodie une césure claire, et que la seule atteinte à des intérêts financiers ne pouvait à elle seule justifier une restriction à la liberté d’expression.
La Cour a ensuite opéré un contrôle de proportionnalité entre la liberté d’expression et le droit d’auteur, relevant que si le droit d’auteur constitue bien une limitation à la liberté d’expression prévue par la loi, justifiée par la poursuite d’un intérêt légitime et nécessaire dans une société démocratique au sens de la CESDH, celui-ci cède devant l’exception de parodie. La Cour relevait par ailleurs à cet égard que la démonstration de l’existence et de la titularité du droit d’auteur faisait en l’espèce défaut et que l’argument n’avait pas été soulevé par l’assignation. La Cour a donc rejeté les arguments de l’intimée sur le fondement du droit d’auteur.
En définitive, aucun « besoin social impérieux » ne justifiait en l’espèce selon la Cour de « porter atteinte à la liberté d’expression de l’association L214 dont l’activité porte sur le bien-être animal ». La Cour déboute donc le CIFOG et le condamne à 3.000 euros d’article 700.
Il convient néanmoins de rester prudent quant à la portée de cette décision intervenue en référé et qui ne tranche que la question de l’existence ou non d’un trouble manifestement illicite que l’urgence commanderait de faire cesser, mais ne préjuge pas d’une éventuelle condamnation au fond.
Référence et date : Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 2, 13 mars 2020, n° 19/04127
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