27
janvier
2021
Opérations promotionnelles et boissons alcoolisées, une navigation en eaux troubles…
Author:
teamtaomanews
Il y a bientôt dix ans, la Cour de cassation faisait sensation en décidant, dans une célèbre décision « Ricard », que le partage, par des abonnés Facebook, de messages générés par une application pouvait constituer de la publicité en faveur de boissons alcooliques.
Plus récemment, la cour d’appel de Paris est venue apporter des précisions sur ce qui doit être considéré comme entrant dans la définition de ces publicités, par ailleurs strictement encadrées par le Code de la santé publique.
Une société exploitant des casinos a confié à une agence de publicité le soin de réaliser son programme de fidélité et des actions de création de trafic et d’animation de ses établissements de jeu. Pour ce faire, une campagne promotionnelle a été lancée, comportant :
Une loterie commerciale intitulée « Champagne à vie » dont le lot principal était une bouteille par mois à vie de champagne de la marque Pommery,
Une opération promotionnelle concomitante intitulée « 2 coupes de champagne + 10 euros de jetons pour 10 euros seulement ».
La publicité de ces opérations était effectuée sur :
Le site champagneavie.com, créé pour l’occasion,
Les pages Facebook des casinos concernés,
Le journal Directmatin, notamment disponible en ligne (édité par la société Bolloré Digital Média).
L’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) a assigné l’ensemble des parties prenantes (les sociétés du groupe Pommery fournissant le champagne, la société exploitant les casinos, l’agence de communication ayant conçu la campagne et la société Bolloré Digital Média l’ayant relayée), faisant valoir que ces publications constituaient de la publicité illicite en faveur de la boisson alcoolique Champagne Pommery ainsi qu’un parrainage illicite de jeu.
Après de nombreux débats en première instance sur le partage de responsabilité des parties ainsi que sur la valeur du constat d’huissier, l’ANPAA a porté l’affaire devant la cour d’appel de Paris, auprès de laquelle elle conteste :
1- La licéité du visuel faisant la promotion de l’opération, qui contiendrait des mentions qui ne sont pas expressément autorisées le Code de la santé publique, à savoir :
La présence de jetons de casino,
Les mentions « 10 euros de jetons et pour 10 euros seulement » et « champagne à vie » et le nom du casino,
L’illustration de verres en train de trinquer.
Elle critique en outre ce qu’elle qualifie d’invitation à la pratique du jeu sous l’emprise de l’alcool, de nature à susciter une perte de contrôle, prétendant notamment que la jurisprudence sanctionnerait l’association d’éléments liés aux jeu de hasard aux boissons alcooliques et dénonce le fait que les deux coupes de champagne seraient en réalité offertes.
2- La licéité du jeu concours « Champagne à vie » qui constituerait a minima une publicité indirecte pour de l’alcool ne respectant pas les dispositions relatives à ce type de communication et dont le lot lui-même contribuerait à banaliser une consommation déraisonnée et excessive de l’alcool.
3- La présence sur le site Internet champagneavie.com du visuel contesté accompagné du slogan« tout pétille encore plus dans les casinos D. »
4- La présence sur les pages Facebook des casinos concernés de publications constituant des publicités illicites pour des boissons alcooliques en raison de l’utilisation de la marque Pommery et de l’évocation de la boisson vendue sous cette marque, à savoir du champagne.
La cour commence son raisonnement en rappelant les règles strictes issues du Code de la santé publique encadrant la publicité, directe ou indirecte, pour les boissons alcooliques, à savoir, en substance :
Les supports autorisés (presse écrite hors jeunesse, offre d’objets strictement réservés à la consommation d’alcool marqués au nom des fabricants, services de communication en ligne hors jeunesse et associations sportives, etc.) ;
L’interdiction des opérations de parrainage ;
Les mentions autorisées (degré volumique d’alcool, origine, dénomination, modalités de vente et de consommation du produit, référence aux terroirs, etc.) ;
L’obligation d’accompagner la publicité d’un message sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
Appliquant ces règles :
1- Elle estime que le visuel litigieux constitue une publicité illicite.
En effet, la campagne promotionnelle a pour finalité de promouvoir les établissements de jeux concernés et de créer un courant de clientèle par le biais d’offres attractives inhérentes à la démarche publicitaire. Bien qu’elle ne soit donc pas assimilable à une offre de consommation d’alcool gratuite, elle s’apparente bien à de la publicité incitant à la consommation d’une boisson alcoolique, ce que les défenderesses ne pouvaient pas nier puisqu’elles avaient intégré l’avertissement sanitaire imposé par le Code de la santé publique.
Ainsi, ses composants doivent être analysés à la lumière des dispositions dudit Code :
La présentation flatteuse du produit par la mise en valeur de sa couleur et de sa pétillance (sic), la référence à son mode de consommation par l’inclinaison des coupes qui miment le geste de trinquerrenvoient aux caractéristiques objectives du produit et un mode de consommation coutumier et ne peuvent donc pas être critiquées ;
Par contre, la présence des jetons de jeu excède les prévisions du Code qui limitent la communication au produit et son environnement.
2- En revanche, concernant l’opération elle-même, la cour souligne que seule la communication autour de l’opération est soumise au régime légal des publicités en faveur des boissons alcooliques, le jeu lui-même étant soumis aux dispositions du Code de la consommation, qui n’interdit nullement l’offre de champagne en tant que lot.
3- Concernant la présence des visuels litigieux sur le site disponible à l’adresse champagneavie.com, la cour relève qu’il s’ouvre sur un visuel quasi-identique à celui déjà reconnu illicite, caractère accentué par le fait que le slogan « tout pétille encore plus dans les casinos D. » prête à l’établissement une des qualités du vin vendu – son pétillement. Ainsi, ces images sont également illicites.
4- Enfin, à propos des publications sur les pages Facebook des casinos concernés, la cour raisonne en plusieurs temps :
L’annonce de l’opération « champagne à vie » (« Préparez-vous à pétiller. Rendez-vous dans votre casino D pour tenter de remporter du champagne offert chaque mois à vie. Pour en savoir plus et trouver votre casino, cliquez ici : […] Votre bouteille de champagne offerte chaque mois à vie », le tout sans la moindre référence à une marque de commerce d’une boisson alcoolisée) ne constitue qu’une invitation à participer à la loterie, ce qui est licite.
De même, l’annonce d’une « offre découverte » comportant la mention « – 20% sur la 2e place pour le même spectacle + 5 euros de jetons + 2 coupes de champagne », le tout encadré à gauche du dessin de jeton et à droite de deux verres de champagne (qui trinquent), sans la moindre mention de marque de commerce de boissons alcooliques a pour finalité d’inciter les internautes à acquérir une place de spectacle et ne constitue nullement une publicité pour le vin de champagne. Elle n’avait donc pas à être accompagnée d’une mention sanitaire.
Enfin, s’agissant de l’annonce des gagnants de la loterie, une distinction est faite entre :
Le texte de l’annonce « félicitation aux heureux gagnants de notre grand jeu concours Champagne à vie, merci à toutes et à tous pour votre participation. A très bientôt, dimanche, ne ratez pas le tirage au sort de notre jeu champagne à vie. Gagnez en exclusivité ce Jéroboam Silver Pop produit en édition limitée, plus que 3 jours pour tenter de remporter du champagne offert à vie. Rendez-vous dimanche dans votre Casino D pour découvrir si vous avez gagné […] » => dès lors que la loterie ne constitue pas en elle-même un support interdit, l’emploi de ces termes n’était pas interdit.
Les photographies représentant des bouteilles de champagne de marque Pommery sur un présentoir à étage / quatre gagnants posant à côté d’une bouteille et d’un carton, lesquels portent ladite marque / et un jéroboam de champagne Pop de marque Pommery entouré de deux bouteilles de ce même produit d’une contenance moindre => chacune de ces images, sur lesquelles figure le conditionnement de boissons alcooliques, constitue une publicité pour celle-ci et devait, dès lors, comporter un message sanitaire.
Que retenir ? S’il n’est pas exclu que cette décision fasse l’objet d’un pourvoi en cassation, elle permet d’illustrer l’extrême granularité dont font preuve les juridictions dans l’appréciation de l’illicéité des opérations promotionnelles impliquant de l’alcool, faisant notamment une distinction entre l’objet de la campagne (qui peut être une boisson alcoolisée) et le support de cette campagne (qui doit répondre aux exigences strictes du Code de la santé).
Une grande prudence doit donc être de mise !
Anita Delaage
Avocate
Référence et date : Cour d’appel de Paris, Pôle 2 – chambre 2, 3 décembre 2020, n° 18/15699
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
25
juin
2020
Affaire Grimbergen : la Cour de cassation n’est pas sensible à « l’imagination des concepteurs » en matière de publicité pour les boissons alcooliques…
Author:
teamtaomanews
Ce 20 mai, la Cour de cassation s’est une nouvelle fois prononcée sur l’épineuse question de la publicité pour les boissons alcooliques.
La société Kronenbourg a diffusé, pour la promotion de ses bières Grimbergen, les films « La légende du Phoenix », « Les territoires d’une légende », mais également un « Jeu des territoires » et diverses publicités comportant le slogan « L’intensité est une légende ».
L’Association de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA), reconnue d’utilité publique, a assigné Kronenbourg afin que soit déclarée illicite, au regard de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique, la diffusion des éléments précités, que soit ordonné leur retrait du site français grimbergen.fr, et de se voir allouer des dommages-intérêts. Pour rappel, aux termes de l’article susvisé, « la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l’indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.
Cette publicité peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine [ou aux indications géographiques]. Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».
La question se posait de savoir si le caractère objectif ne concernait que la couleur et les caractéristiques olfactives et gustatives du produit, les autres éléments étant laissés à l’imagination des concepteurs, ou si, au contraire, ce principe d’objectivité devait infuser l’entièreté de la publicité.
Condamnée en première instance, la société Kronenbourg avait relevé appel du jugement, la cour d’appel de Paris lui donnant raison en indiquant que les mentions des publicités de boissons alcooliques devaient être purement objectives uniquement lorsqu’elles étaient relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit et en précisant que la communication sur les origines et la composition du produit pouvait être hyperbolique.
L’ANPAA s’est pourvue en cassation contre cette décision, soutenant que toutes les indications figurant sur les publicités pour boissons alcooliques doivent être informatives et objectives pour être licites, et la Cour de cassation a suivi son raisonnement en interprétant sévèrement l’article L. 3323-4 du Code de la santé publique. Elle a retenu que « la publicité pour les boissons alcooliques […] demeure limitée aux seules indications et références spécifiées [par ledit article], et présente un caractère objectif et informatif […], lequel ne concerne donc pas seulement les références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».
La Haute juridiction a donc étendu le critère d’objectivité et d’information à toutes les indications et références susceptibles d’apparaître sur une publicité pour boissons alcooliques. Ce faisant, elle marque un tournant suite à un arrêt de 2015 qui laissait au contraire envisager un certain assouplissement dans l’interprétation des dispositions issues de la « loi Evin »[1].
Références et date : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 mai 2020, n°19-12.278
Lire la décision sur Légifrance
Quelles implications concrètes pour les publicitaires/annonceurs ? Rappel des grands principes pour qu’une publicité pour des boissons alcooliques soit licite :
Supports autorisés :
Presse écrite hors publications jeunesse ;
Radio, dans des tranches horaires prédéfinies ;
Affichage dans les lieux de vente spécialisés ;
Circulaires commerciales ;
Véhicules de livraison ;
Fêtes traditionnelles consacrées à des boissons alcooliques locales et à l’intérieur de celles-ci ;
Présentations de dégustations traditionnelles (musées, stages d’œnologie, etc.) ;
Objets réservés à la consommation de boissons alcooliques ;
Services de communication en ligne, hors ceux destinés à la jeunesse et ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives et ligues professionnelles.
Mention obligatoire : Message à caractère sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé
Mentions autorisées, à condition d’être objectives et non imaginaires ou hyperboliques => il faut présenter le produit sans donner une image valorisante de l’alcool :
Degré volumique d’alcool ;
Origine ;
Dénomination ;
Composition du produit ;
Nom et adresse du fabricant ;
Agents et dépositaires ;
Mode d’élaboration ;
Modalités de vente ;
Mode de consommation ;
Références aux terroirs de production ;
Références aux distinction obtenues ;
Références aux appellations d’origines ou aux indications géographiques ;
Références à la couleur du produit ;
Référence aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ;
Conditionnement, s’il est conforme aux principes ci-dessus.
Eugénie LEBELLE
Élève-avocate
Anita DELAAGE
Avocate
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030841220&fastReqId=536820049&fastPos=1