01
août
2023
Le pouvoir juridique des emojis : quand un 👍 conclut un contrat
Un cas récent et notable a mis en évidence une pratique contractuelle peu orthodoxe. La société canadienne SWT a prétendu avoir conclu un contrat d’achat à livraison différée avec la société agricole Achter Land & Cattle Ltd, dans lequel elle s’engageait à acheter 87 tonnes de lin métrique, la livraison étant prévue en novembre.
Néanmoins, Achter Land & Cattle Ltd n’a jamais livré ces 87 tonnes de lin ! En cause ? Le prétendu contrat résultait d’un document rédigé et signé par l’acheteur, ensuite transmis par SMS à Chris Achter, représentant de la société vendeuse. Ce dernier avait simplement répondu par un 👍. Malgré cette réaction positive, Achter, soutenant qu’aucun contrat n’avait été formellement conclu, n’a jamais honoré son engagement de vente.
Une approbation par 👍 validée par la Cour
La Cour du Banc du Roi pour la Saskatchewan a rendu un verdict le 8 juin 20231 : l’emoji 👍, utilisé en réponse au contrat, a été jugé suffisant pour une acceptation contractuelle valide ! Selon la Cour, ce processus qui comprenait l’envoi du contrat par SMS, suivi d’une approbation par emoji, respectait les normes contractuelles canadiennes.
Les justifications du jugement
Pour arriver à cette conclusion, le juge a considéré plusieurs éléments. Premièrement, compte tenu des relations commerciales existantes entre les parties, où l’acceptation de contrats a souvent été exprimée par des termes tels que « look good » ou « ok », un emoji « pouce en l’air » 👍 a été jugé admissible en tant qu’expression d’acceptation.
De plus, en vertu de la Loi de 2000 sur l’information et les documents électroniques, du Canada, le juge a considéré que le pouce levé pouvait être considéré comme un acte électronique exprimant l’acceptation d’une offre.
Ainsi, le contrat a été jugé signé grâce à l’utilisation de cet emoji. Achter Land & Cattle Ltd a contesté la formation du contrat, affirmant qu’il n’avait pas l’intention d’accepter l’offre lorsqu’il a envoyé le fameux émoji. Néanmoins, le juge, en prenant en compte le contexte global de l’affaire, a jugé autrement. En effet, il a considéré les relations commerciales préexistantes et stables entre les deux parties, ainsi que le fait que leurs termes contractuels n’ont jamais varié. Dans ce contexte, il a estimé que le consentement avait bien été donné, validant ainsi la formation du contrat.
Implications pour le droit français des contrats
Cette affaire ouvre une réflexion intéressante pour le droit français des contrats. Comme au Canada, le principe de base en France est le consensualisme, où un contrat est formé par le simple échange des volontés des parties.
Le Code civil français n’exige pas de formalisme spécifique pour la formation du contrat, sauf exceptions prévues par la loi. En principe, tant que l’offre et l’acceptation démontrent la volonté des parties de conclure, qu’elles soient expresses ou tacites, le contrat est considéré comme valablement formé.
La validité du contrat peut être remise en cause en cas de défaut de consentement, d’incapacité contractuelle ou si le contenu du contrat est illégal ou incertain2. Ainsi, peu importe la manière dont l’acceptation est communiquée à l’offreur, si le juge est convaincu que les parties ont donné leur consentement, le contrat doit être exécuté. Les emojis, bien que considérés comme des moyens d’expression informels, pourraient donc être pris en compte par les tribunaux français dans le cadre de litiges.
Juliette Danjean
Stagiaire juriste
Gaëlle Loinger-Benamran
Associée – Conseil en Propriété Industrielle
(1) South West Terminal Ltd. v Achter Land, 2023 SKKB 116 (CanLII)
(2) Article 1128 du code civil
17
juin
2019
17 juin 2019 – Le jour « J » pour le droit des marques au Canada
Le Canada a modifié en profondeur sa législation sur le droit des marques. Cette modification entre en vigueur le 17 juin 2019. Parmi les changements importants, nous noterons l’adhésion au Protocole de Madrid, à l’Arrangement de Nice et au Traité de Singapour. Ces traités entrent également en vigueur à l’égard du Canada le 17 juin 2019.
Les modifications prévues par la nouvelle législation canadienne et l’adhésion à ces conventions internationales ont pour but de moderniser et de simplifier le droit des marques canadien. Nous présentons une liste non exhaustive des changements :
Adoption de la classification de Nice
La classification de Nice prévue dans l’Arrangement de Nice divise en 45 classes les produits et services pouvant être désignés dans le cadre d’un dépôt de marque. Les marques canadiennes devront maintenant être déposées en accord avec la classification. L’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) se basera sur cette dernière dans l’examen des marques, y compris celles déposées avant le 17 juin 2019 mais non encore enregistrées.
Changement dans le mode de calcul des taxes
Cette modification est une conséquence à l’adoption de la classification de Nice dans la mesure où les taxes de dépôt et d’enregistrement vont désormais dépendre du nombre de classes désignées.
La division d’une demande de marque
Cette modification a aussi été permise par l’adoption de la classification de Nice. En effet, le déposant aura la possibilité de diviser une marque en plusieurs marques selon les classes désignées. Cette possibilité permettra par exemple d’accélérer le processus d’enregistrement d’une marque pour une ou plusieurs classes pendant que l’enregistrement de la ou des autres classes resterait bloqué par une procédure d’opposition et/ou une lettre officielle.
La nouvelle durée d’une vie d’une marque canadienne
Toutes les marques enregistrées après le 17 juin 2019 le seront pour une durée de 10 ans au lieu de 15 ans. Pour les marques enregistrées antérieurement au 17 juin 2019, c’est lors du renouvellement que la durée de 10 ans sera appliquée.
Nouveaux types de marque
De nouveaux types de marque sont désormais acceptés au dépôt telles que les marques de couleur, les marques sonores ou les marques olfactives.
L’OPIC se réserve le droit d’examiner le caractère distinctif de ces marques. Ainsi, seules les premières décisions de l’Office nous permettront de savoir dans quelle mesure ces nouveaux types de marque seront acceptés au Canada.
Suppression des bases de dépôt pour les marques canadiennes
Toutes les marques admises à l’enregistrement à partir du 17 juin 2019 le seront sous réserve de la seule condition du paiement de la taxe finale d’enregistrement. Il n’aura plus à indiquer de base de dépôt telle que « l’intention d’usage » de la demande de marque sur le marché canadien, nécessitant ensuite le dépôt de preuves de l’usage effectif.
La possibilité du choix entre un dépôt national et un dépôt international
Le déposant d’une marque aura le choix entre un dépôt national ou la désignation du Canada dans le cadre d’une marque internationale.
Élargissement des possibilités de revendication de priorité
Désormais, un déposant d’une marque canadienne peut revendiquer la priorité de n’importe quelle marque antérieure même si elle n’a pas été déposée dans le pays d’origine du déposant.