Athlètes et sponsors : application du régime juridique du mannequinat

Durant plusieurs années, un litige a opposé la filiale française de l’équipementier sportif UHLSPORT à l’URSSAF.

Comme bon nombre de ses concurrents, UHLSPORT, spécialisé notamment dans la fabrication d’articles de football, a recours à des contrats de parrainage ou de « sponsoring » conclus avec des athlètes afin de promouvoir ses articles.

Aux termes de ces contrats, les athlètes sont rémunérés en contrepartie de l’utilisation des équipements d’UHLSPORT lors des rencontres sportives et du respect d’un certain nombre d’obligations.

A la suite d’un contrôle, l’URSSAF a souhaité réintégrer dans l’assiette des cotisations dues par UHLSPORT le montant des sommes versées aux athlètes sponsorisés, considérant que ces rémunérations correspondaient à des salaires.

Plus précisément, l’URSSAF a estimé que la promotion des produits d’UHLSPORT par l’intermédiaire des contrats de parrainage devait s’interpréter, pour les sportifs concernés, comme une activité de mannequin soumise à la présomption de salariat de l’article L. 7123-3 du code du travail.

En effet, l’article L. 7123-2 du code du travail adopte une définition large du mannequinat :

« Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n’est exercée qu’à titre occasionnel, toute personne qui est chargée :
1° Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ;
2° Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image. »

Sauf à démontrer l’absence de lien de subordination, l’athlète parrainé est présumé exercer une activité de mannequin.

UHLSPORT a contesté cette interprétation de l’URSSAF et a porté l’affaire devant le Tribunal de la sécurité sociale des Bouches du Rhône qui a statué en faveur de l’équipementier1.

Le 13 septembre 2019, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé la décision du Tribunal en reprochant à l’URSSAF de retenir la présomption de salariat sans démontrer l’existence d’un lien de subordination1.

Par un arrêt remarqué, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, considérant que la Cour d’appel avait inversé la charge de la preuve2.

Selon la Cour, la présomption de salariat faisait peser sur l’équipementier la charge de la preuve contraire et, pour ce faire, il appartenait à ce dernier de démontrer l’absence de lien de subordination.

Le 23 mai dernier, la Cour d’appel a, sur renvoi, abondé dans le sens de la Cour de cassation3.

En substance, elle a tout d’abord exposé que, contrairement aux arguments développés par UHLSPORT, rien n’interdisait aux athlètes concernés, déjà liés par des contrats de travail avec leurs clubs, d’exercer une autre activité salariée auprès de l’équipementier.
Par ailleurs, la Cour d’appel a jugé que compte-tenu des obligations pesant sur les athlètes sponsorisés et des sanctions prévues en cas de non-respect (rupture contractuelle, suppression du droit aux indemnités), UHLSPORT ne démontrait pas l’absence de lien de subordination.

En conséquence, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a validé l’interprétation de l’URSSAF en jugeant que les athlètes sponsorisés par UHLSPORT devaient être considérés comme des mannequins salariés de cette dernière, dont la rémunération est soumise à cotisation.

Cette décision n’est pas isolée et peut être rapprochée de l’arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2022, adoptant une solution équivalente à l’égard de l’équipementier sportif « Speedo »4.

A la lecture de ces décisions, il semble que la très grande majorité des partenariats établis entre athlètes et équipementiers, lorsque chacun est domicilié et exerce en France, devrait être interprétée comme une relation de salariat.

Le code du travail va même plus loin, puisqu’il dispose en son article L.7123-4 que la présomption de salariat « n’est pas non plus détruite par la preuve que le mannequin conserve une entière liberté d’action pour l’exécution de son travail de présentation ».

Dès lors, la démonstration par un équipementier de l’absence de tout lien de subordination avec l’athlète sponsorisé parait extrêmement délicate, voire impossible, dès lors que même la liberté totale de l’athlète ne semble pas suffisante.

A la lecture des dernières décisions, nous pourrions avancer l’hypothèse selon laquelle l’absence de lien de subordination pourrait être démontrée lorsqu’en plus d’être libre dans son travail de présentation, le mannequin n’est soumis à aucune autre contrainte, notamment relative à sa propre réputation et au respect de l’image de marque de l’annonceur, ni à aucune sanction en cas de mauvaise exécution de ses prestations.

Toutefois, une telle interprétation devra être confirmée ou infirmée par la jurisprudence.

Le statut de mannequin entraine l’application du droit du travail.

Au-delà de ses conséquences en matière de cotisations et contributions sociales, ce régime juridique entraine l’application du code du travail, incluant les dispositions spéciales relatives au mannequinat.

Parmi les contraintes découlant de ce régime, on peut notamment évoquer l’obligation de recourir à un contrat écrit contenant certaines mentions obligatoires, le risque de requalification de la relation de travail en CDI en cas d’irrégularités contractuelles (absence de contrat, recours à des CDD en dehors des circonstances prévues par la loi) et ses conséquences en cas de rupture sans cause réelle et sérieuse.

En outre, le régime du mannequinat prévoit ses propres spécificités, incluant le monopole des agences de mannequins, activité règlementée nécessitant une licence, pour le placement de ces derniers auprès des « utilisateurs » souhaitant promouvoir leurs produits ou leurs services.

En raison de ce monopole, les mannequins établis en France ne peuvent exercer leur activité que par l’intermédiaire d’agences titulaires de la licence ou directement auprès des utilisateurs, et toujours dans le cadre d’un contrat de travail. Aucun mannequin français ne peut, à l’heure actuelle, exercer son activité en tant que professionnel indépendant.

Ainsi, le parrainage entre un équipementier sportif et un athlète ne saurait être abordé comme un simple partenariat commercial souple et aisément résiliable, mais doit au contraire être envisagé comme une relation contractuelle engageante ayant vocation à s’établir sur le long terme.

Robin Antoniotti
Avocat à la Cour

(1) CA Aix-en-Provence, 13 septembre 2019, n° 18/14352
(2) Cass. 2e civ., 12 mai 2021, n° 19-24.610
(3) CA Aix-en-Provence, 23 mai 2023, n° 21/14908
(4) Cass. 2e civ., 23 juin 2022, n° 21-10.416