26
septembre
2023
Ballade pour Adeline » ou la « Ballade de la vengeance » : quand une musique romantique est détournée
Author:
TAoMA
C’est une victoire pour le cartel mexicain « Narcos » : l’usage d’une musique douce pour mourir est bien autorisée ! (sous conditions)
Un compositeur français avait accordé l’exploitation de sa composition « Ballade pour Adeline » à une société française. Cette dernière a conclu un contrat de sous-édition avec une société américaine, qui a elle-même cédé ses droits, et notamment celui du droit d’adaptation au sein d’une œuvre cinématographique, aux sociétés de production américaines Narcos Mexico.
La série mondialement connue a alors utilisé le morceau afin d’illustrer une scène violente de l’épisode 10 de la saison 2.
Mécontent de voir son œuvre empreinte de douceur et de romantisme, associée à une scène de violence, le compositeur a assigné en justice les sociétés américaines pour atteinte au droit au respect de son œuvre et au droit de paternité sur le fondement de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Dans une décision du 9 juin 2023, le Tribunal judiciaire de Paris rejette la demande fondée sur l’atteinte au respect de l’esprit sur son œuvre, mais confirme l’atteinte au respect de son nom.
L’atteinte au droit au respect de l’œuvre rejetée
La scène litigieuse représentait un meurtre de vengeance perpétré au moyen d’une batte de baseball, où l’on pouvait distinguer une vue du corps ensanglanté de la victime, le tout sur un fond musical de la « Ballade pour Adeline »
Le tribunal indique que l’usage de l’œuvre musicale pour illustrer « la représentation de la violence n’est en soi illicite que si l’esprit de l’œuvre y est incompatible, ce qui ne se présume pas ».
D’ailleurs, le compositeur ne démontre pas que l’usage du morceau est strictement limité au thème de « la tendresse », de « l’amour » ou de « la pureté » puisqu’au contraire, celui-ci a admis d’autres usages antérieurs de sa musique notamment pour illustrer une scène de suicide d’une mère dont son enfant serait témoin.
Le tribunal ajoute que la violence de la scène ne valorise ni n’encourage le crime, la violence ou la drogue mais incite le spectateur à réfléchir sur les conséquences de ce meurtre fait par vengeance.
La musique est utilisée comme un « accompagnement détaché de la scène », elle débute comme une musique d’ambiance devenant de plus en plus forte à l’approche de la scène qui, elle bascule dans l’horreur. Le décalage atténue « l’impact de la scène sur la perception de l’œuvre et l’association qui en résulte entre celle-ci et le sujet ».
En outre, le tribunal rejette la demande fondée sur l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre estimant que le compositeur avait consenti par le contrat d’édition à la reproduction partielle de son œuvre, cette autorisation ne constituait pas une cession de droit moral.
L’atteinte au droit de la paternité retenue
Dans un second temps, le tribunal retient en revanche l’atteinte à la paternité de l’œuvre de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, dans la mesure où le générique de l’épisode de la série ne mentionne ni l’œuvre jouée, ni son auteur, les sociétés américaines se contentant d’alléguer un simple usage dans la série.
Autre point à signaler dans cette décision : afin de déterminer le montant du préjudice, il fallait s’accorder sur le périmètre géographique de l’atteinte, ce qui a posé une difficulté.
En effet, le compositeur alléguait la compétence du juge français pour connaitre des atteintes résultant de la diffusion de l’épisode sur le territoire national et à l’étranger.
Il soutenait que le droit moral est un droit de la personnalité, permettant la réparation de l’ensemble du préjudice subi dans le monde entier, au lieu du domicile du compositeur.
Le tribunal a cependant refusé d’admettre cette position : il retient que l’atteinte au droit moral n’est pas attachée à un droit de la personnalité. Le lieu du dommage est alors celui où il se manifeste concrètement, ce qui limite l’appréciation du préjudice aux actes réalisés sur le territoire national.
Pour les juges, l’absence de « crédit » pour l’usage de son œuvre n’a causé qu’un préjudice moral « caractérisé par le simple désagrément de découvrir qu’une de ses prérogatives n’a pas été respectée par un tiers ».
Au regard de la très grande diffusion de l’œuvre en France mais aussi de la faible gravité du manquement, le préjudice est estimé à 1.000 euros.
Il faut donc retenir que l’usage d’une œuvre musicale pour illustrer une scène violente ne caractérise pas, en soi, une violation du droit moral. Seul un examen préalable de l’esprit de l’œuvre est nécessaire pour la déterminer.
Alain Hazan
Avocat Associé
Emeline Jet
Juriste
22
août
2023
La « Marianne asiatique » : Politique et street art ne font pas campagne commune
Author:
TAoMA
Combo, un street artist, est l’auteur de « La Marianne Asiatique », que l’on peut admirer sur un mur du Boulevard du Temple à Paris !
Cette œuvre de street art apparaît brièvement dans trois films de campagne de La France Insoumise, sans que l’auteur en ait donné l’autorisation. Il a fait assigner La France Insoumise et Jean Luc Mélenchon pour atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux.
Le 21 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Paris1 a reconnu que « La Marianne Asiatique » était une œuvre de l’esprit, protégée par le droit d’auteur. Néanmoins le juge a rejeté les demandes de l’auteur, tenant à la condamnation de La France Insoumise et de Jean Luc Mélenchon, considérant que la reproduction de l’œuvre relevait des exceptions de courte citation et de panorama. L’auteur a alors interjeté appel.
La Cour d’appel de Paris2 a infirmé la décision de première instance, considérant que les conditions des exceptions précitées n’étaient pas remplies !
Les œuvres de street art peuvent être protégées par le droit d’auteur
La Cour d’appel ne revient pas sur la question de la qualité d’œuvre de l’esprit de « La Marianne asiatique ». En effet, elle explique que « la cour fait sienne, par motifs adoptés, l’analyse des premiers juges qui ont reconnus à la fois que M. [V] démontrait être l’auteur de la fresque en litige et que cette fresque était, par son originalité, éligible à la protection par le droit d’auteur ».
Pas d’exception de courte citation et de panorama pour les films de campagne
En revanche, la Cour rejette le jugement de première instance en ce qu’il concerne l’application des exceptions de courte citation et de panoramas.
Concernant l’exception de courte citation, l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :
(…)
3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :
a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées».
Toutefois, dans ce cas, bien que la citation soit courte, la Cour relève que ni le nom de l’auteur (pourtant facilement identifiable, selon le raisonnement développé par les juges du fond), ni la source de la fresque, n’ont été indiquées.
S’agissant de l’exception de panorama, le 11° de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
« Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial » sont autorisées.
Cependant, la cour considère que la fresque en question ne peut être considérée comme une œuvre architecturale ou sculpturale, et étant soumise à des aléas extérieurs, « (dégradations volontaires, effacement par le propriétaire du support, altérations du fait des intempéries…) », elle n’est pas non plus « placée en permanence sur la voie publique ». Les conditions n’étaient donc pas remplies.
Ainsi, ces exceptions ne pouvaient s’appliquer !
L’atteinte au droit moral de l’auteur retenue
En ce qui concerne le droit moral de l’auteur, la Cour a également reconnu une atteinte à la paternité et à l’intégrité de l’œuvre, rejetant l’argument de Monsieur Jean Luc Mélenchon selon lequel, l’œuvre de street art est soumise, en raison de sa « nature évolutive et éphémère », à de nombreuse atteinte à son intégrité.
D’une part, la Cour relève une absence de la mention du nom de l’auteur dans le film de campagne concluant à une atteinte à la paternité de l’auteur.
D’autre part, l’ajout non autorisé du signe LFI, l’intégration de l’œuvre non autorisée dans un support audiovisuel accompagné d’un message sonore et d’un titrage, ainsi que l’utilisation, sans le consentement de l’auteur « au soutien de l’action et des intérêts d’un parti et d’une personnalité politiques, (…) de nature à faire croire que l’auteur apportait à son appui ou son concours à la France insoumise », suffisent à démontrer une atteinte à l’intégrité de l’œuvre.
Ainsi, si le code de la propriété intellectuelle établit la possibilité d’accorder la protection du droit d’auteur à toute œuvre, sans égard à sa forme d’expression, son genre, son mérite ou sa destination, cet arrêt établit sans ambiguïté que les œuvres issues de l’art urbain, peuvent légitimement revendiquer la qualité d’œuvre de l’esprit, et surtout bénéficier d’une protection par le droit d’auteur en cas d’atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux. À condition, bien sûr, de répondre au critère d’originalité !
Juliette Danjean
Juriste stagiaire
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] TJ Paris, 21 janvier 2021, n° 20/08482
[2] CA Paris, pôle 5 ch. 1, 5 juill. 2023, n° 21/11317