05
septembre
2024
Tempête sous le K-WAY
Author:
TAoMA
Par une décision du 4 juillet 2024, la Division d’Opposition de l’Office de l’Union européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) a accueilli favorablement l’opposition formée par K-Way S.p.A. contre la demande de marque de l’Union européenne figurative n°18 808 453, déposée par la société Ikara Pro-Sandiego SL pour des produits de la classe 25 (ie : vêtements de sport, tenues d’arts martiaux, et uniformes).
K-Way fonde son opposition sur sa marque figurative européenne no 11 396 521, renommée notamment dans le domaine des vêtements de sport et de loisirs en France, en Italie et au Benelux. K-Way s’appuie sur les articles 8(1)(b) et 8(5) du RMUE pour justifier de son opposition afin d’empêcher Ikara de profiter indûment de la réputation et de l’image solidement établie de la marque K-Way en Europe.
LES ARGUMENTS DE K-WAY
K-Way a basé son opposition sur le fait que la marque d’Ikara, bien que différente sur le plan verbal, présentait des similitudes notables dans ses éléments figuratifs, susceptibles de créer un lien dans l’esprit du public entre les deux marques.
K-Way a démontré que sa marque jouit d’une réputation solide, acquise par des décennies d’utilisation intensive, des investissements significatifs dans le marketing, et des collaborations de co-branding avec d’autres marques de renom.
Enfin, elle a soutenu que l’association visuelle entre les deux marques pourrait permettre à Ikara de tirer avantage de la réputation et du caractère distinctif de K-Way, créant ainsi un cas de parasitisme commercial.
LA DECISION DE L’EUIPO
La Division d’Opposition a d’abord reconnu la réputation de la marque K-Way, en particulier dans le domaine des vêtements de sport et de loisirs. Elle a également souligné que la protection accordée par l’article 8(5) du RMUE s’applique même en l’absence de confusion, si le public est susceptible de faire un lien entre les marques, lien qui pourrait porter atteinte à l’image ou à la réputation de la marque antérieure.
Après avoir examiné les éléments de preuve, l’EUIPO a conclu que, bien que les marques diffèrent sur le plan verbal, les similitudes figuratives étaient suffisamment significatives pour que le public puisse associer les deux marques. Cette association, selon la Division d’Opposition, risquait de conférer à Ikara un avantage commercial injuste en exploitant la notoriété de K-Way, sans cause légitime.
En conséquence, l’EUIPO a rejeté la demande de marque d’Ikara pour les produits contestés.
Cette décision réaffirme l’importance de la protection des marques de renom contre toute forme de parasitisme commercial et souligne que même une similitude faible, mais perceptible, entre deux marques peut suffire à établir un risque de préjudice ou d’avantage indu.
En protégeant sa marque, K-Way a réussi à garder sa réputation à l’abri des intempéries.
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Mélissa CASSANET
Conseil en Propriété Industrielle Associée
Elsa OLCER
Juriste Stagiaire
(1) EUIPO, Division d’Opposition, 4 juillet 2024, n° B 3 193 750
29
août
2023
Anonymisation et liberté de la presse : Le droit à l’oubli numérique devant la Grande Chambre de la CEDH
Author:
TAoMA
En 1994, le quotidien belge Le Soir a publié un article relatant plusieurs accidents de voitures mortels survenus récemment, dont l’un causé par une personne sous l’emprise de l’alcool. Son nom complet figurait dans l’article. En 2008, cet article a été archivé numériquement sur le site internet du quotidien.
Condamné à une peine de prison avec sursis suite à cet accident puis ayant bénéficié d’une décision de réhabilitation, l’auteur de l’accident a demandé le retrait de l’article accessible en ligne au journal, car ses (potentiels) patients pouvaient y accéder en cherchant son nom sur les moteurs de recherche. Le quotidien a refusé cette suppression.
Face à ce refus, le demandeur a assigné l’éditeur du journal en justice au motif que cette information librement accessible présentait un risque pour la constitution et la conservation de sa patientèle. Le journal a été condamné civilement par les juridictions belges à anonymiser, au nom du droit à l’oubli et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, l’article archivé.
Droit à l’oubli contre liberté d’expression et liberté de la presse
Contestant sa condamnation, l’éditeur du journal a alors saisi la Cour européenne des droits de l’Homme, en invoquant l’article 10 de la Convention qui protège la liberté d’expression et la liberté de la presse. Le requérant estimait que cette condamnation constituait “une ingérence qui n’était pas nécessaire dans une société démocratique”.
La Cour s’est prononcée le 04 juillet 20231 et constate que s’il y a bien une ingérence dans l’exercice des droits invoqués et protégés par l’article 10, les juridictions nationales ont procédé à une mise en balance des intérêts en présence. Ce faisant cette ingérence a été réduite au minimum en se résumant à une anonymisation de l’article “et peut passer pour nécessaire dans une société démocratique et proportionnée”.
La condamnation à anonymiser l’article ancien, dénué d’actualité, d’élément historique ou scientifique, et ne concernant pas une personne ayant une certaine notoriété, est ainsi la mesure la plus appropriée selon la Grande Chambre de la Cour. Elle vient préciser que cette notoriété doit s’apprécier au regard des circonstances de l’espèce en se plaçant à la date de la demande de droit à l’oubli. En l’espèce, le demandeur n’était aucunement connu, sa profession (médecin) était sans conséquence sur une possible notoriété, et l’affaire le concernant n’avait eu aucune résonance à l’époque des faits. Il s’était également écoulé plus de 20 ans entre la parution de l’article et la demande de retrait.
Le numérique a apporté la permanence de l’information accessible sur Internet
Au regard du temps écoulé, laisser l’article en accès libre avec le nom complet de l’auteur de l’accident contribuait à “créer un casier judiciaire virtuel”. Il y avait donc un risque de préjudice pour l’auteur de l’accident. Il suffisait de saisir son nom sur le moteur de recherche du site internet du journal pour que l’article apparaisse en première page (bien qu’en sixième position), en plus d’être référencé en tant que premier résultat sur Google. Par ailleurs, l’article archivé pouvait être consulté gratuitement.
Les acteurs de la presse doivent donc trouver un équilibre entre la création d’archives numériques, qui jouent un rôle dans la pérennisation de l’information, et le droit à l’oubli numérique qui, n’étant pas un droit autonome, se rattache à l’article 8 de la Convention et plus particulièrement au droit au respect de la réputation, et qui “ne peut concerner que certaines situations ou informations” selon la Cour. Ce peut être le cas des données sensibles (données de santé, orientation sexuelle…), pénales (tel qu’un casier judiciaire) ou relevant de la vie privée, si leur conservation n’apparait plus pertinente au regard du temps écoulé. Et ce en « l’absence d’actualité ou d’intérêt historique ou scientifique » de l’article de presse, ainsi qu’en l’absence de notoriété de la personne concernée.
Cette mise en balance des intérêts doit en outre inclure la question de l’accessibilité des archives, selon qu’elles soient mises en accès libre et gratuit ou restreintes sous la forme d’une consultation par abonnement. Et cela même si la consultation d’archives implique en principe une démarche positive de l’utilisateur souhaitant en prendre connaissance.
La Cour européenne des droits de l’Homme opère donc la mise en balance entre le droit à l’oubli numérique, qui relève du droit au respect de la vie privée et est à ce titre protégé par l’article 8 de la CEDH, et la préservation de l’intégrité des archives numériques de presse en vertu de la protection de la liberté d’expression.
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Malaurie Pantalacci
Conseil en Propriété Industrielle associée
(1) https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-225546