Exhibition des seins d’une Femen : une victoire en demi-teinte pour la liberté d’expression

Les faits en cause remontent à déjà plusieurs années : à l’été 2014, Iana Zhdanova, une Femen se rend dans la salle « des chefs d’État » du musée Grévin. Le haut de son corps est nu et porte une inscription « Kill Putin ». L’activiste fait tomber la statue de cire du président russe Vladimir Poutine, et y plante à plusieurs reprises un pieu métallique peint de rouge, tout en déclarant « fuck dictator, fuck Vladimir Poutine ». La jeune femme est interpellée, mais se justifie en présentant son geste comme une protestation politique.

Après une condamnation en correctionnelle puis une première relaxe par la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation avait cassé l’arrêt de relaxe en remarquant que le délit d’exhibition sexuelle était caractérisé par l’exhibition volontaire de la poitrine de la prévenue dans un lieu ouvert au public. Mais la cour d’appel de renvoi (celle de Paris, autrement composée) a résisté aux juges du quai de l’Horloge et confirmé la relaxe.

La cour d’appel de renvoi avait en effet rappelé que le mouvement des Femen se revendique d’un « féminisme radical », que l’acte incriminé était donc motivé par l’expression d’une opinion politique et que, par ailleurs, cet acte était dépourvu d’intention sexuelle ce qui empêchait de retenir la qualification prévue par l’article 222-32 du code pénal.

L’enjeu du pourvoi était donc relatif à la balance entre la protection de l’ordre public contre le délit d’exhibition sexuelle et la liberté d’expression invoquée par la prévenue.

La Chambre criminelle a considéré que le défaut de connotation sexuelle dans le comportement intentionnel de la prévenue ne permettait pas d’écarter le délit d’exhibition sexuelle, là où le juge du fond a systématiquement soutenu l’inverse (1). Malgré cela, elle a finalement choisi de faire prévaloir la liberté d’expression, quand bien même le délit d’exhibition sexuelle serait caractérisé (2).

 

  • L’indifférence du défaut de connotation sexuelle

La Cour d’appel de Paris, à deux reprises dans cette affaire, a neutralisé le délit d’exhibition sexuelle. Elle s’est en effet concentrée sur l’élément intentionnel de l’infraction, caractérisant son absence, pour écarter l’infraction pénale. La cour de renvoi souligne même que l’action de l’activiste « ne vise pas à offenser la pudeur d’autrui ».

La Chambre criminelle insiste sur le fait que la simple exhibition des seins nus d’une femme, qu’elle investit donc d’un caractère sexuel, suffit à mettre en œuvre l’article 222-32 du code pénal. Elle semble donc faire de ce délit une infraction formelle, indépendante de l’intention de son auteur. L’acte délictueux est objectivé : il a en soi une nature d’exhibition sexuelle même si la prévenue l’exclut. On peut regretter le rejet de l’argumentation des juges du fond sur l’évolution des mœurs et la place du corps de la femme dans l’espace public.

Mais la Cour de cassation a tout de même rendu une décision d’opportunité en accueillant un autre fondement permettant de confirmer la relaxe : la liberté d’expression.

 

  • La prévalence de la liberté d’expression

La Cour de cassation a finalement reconnu que « le comportement de la prévenue s’inscrit dans une démarche de protestation politique ».

Dès lors, il s’agissait de déterminer si faire tomber la prévenue sous le coup de la loi pénale ne constituait pas une ingérence disproportionnée dans sa liberté d’expression.

La Haute juridiction a, en fin de compte, retenu que le comportement de cette Femen ne saurait être incriminé en ce qu’une telle incrimination « constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression » protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de cassation a donc finalement reconnu la démarche politique de la prévenue et rejeté le pourvoi du procureur général.

Cette décision importante et amplement relayée ne manquera pas de faire jurisprudence, notamment dans les nombreuses procédures pénales intentées contre les autres membres du mouvement Femen.

Lire la décision le site de la Cour de cassation

 

Eugénie Lebelle
Elève-avocate

Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la Cour