11
juillet
2022
Wonder woman c/ wonder mum : première défaite pour la super-héroïne de la ligue des justiciers
Author:
TAoMA
Dans une décision du 2 mars dernier, la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni a confirmé l’absence de risque de confusion entre la marque WONDER WOMAN, appartenant à la société américaine DC Comics et la demande de marque WONDER MUM déposée par la société Unilever.
Quel est le contexte ?
En 2019, Unilever a déposé une demande de marque WONDER MUM pour des produits cosmétiques. La même année, DC Comics a déposé une opposition à l’encontre de cette demande de marque sur la base de sa marque antérieure WONDER WOMAN. Dans le cadre de cette opposition, plusieurs motifs ont été invoqués, y inclus la réputation acquise par la marque antérieure WONDER WOMAN sur le territoire britannique.
En juin 2021, l’Office des marques local (UKIPO) a rejeté l’ensemble des motifs d’opposition présentés par DC Comics. La société américaine a donc interjeté appel de cette décision devant la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni dans le but d’obtenir le refus de la marque WONDER MUM à l’enregistrement.
Pour quelles raisons la Haute Cour a-t-elle rejeté l’appel formé par DC Comics ?
Dans un premier temps, la Haute Cour a estimé que le faible degré de similitudes conceptuelles entre les marques n’est pas suffisant pour caractériser un risque de confusion dans l’esprit du consommateur. Par ailleurs, cette juridiction a également considéré que les preuves fournies par DC Comics sont insuffisantes pour établir la réputation de la marque WONDER WOMAN auprès du public britannique. En effet, l’ensemble des preuves fournies par DC Comics portaient essentiellement sur de simples déclarations, sans aucune donnée chiffrée permettant précisément d’identifier les recettes liées à la marque WONDER WOMAN au Royaume-Uni. Enfin, la dernière difficulté résidait dans le fait qu’il n’y ait aucune preuve claire permettant de démontrer que les consommateurs britanniques perçoivent WONDER WOMAN comme une marque, et non comme le titre d’une œuvre ou le nom d’une super-héroïne mondialement connue.
Cet épisode de la saga WONDER WOMAN souligne une nouvelle fois l’importance de la spécificité des preuves d’usage. Cette décision rappelle par ailleurs la complexité de la protection des marques portant sur des personnages fictifs. Ces marques doivent être utilisées aux fins d’identifier l’origine commerciale des produits et services couverts. Se fonder simplement sur la popularité de cette super-héroïne en tant qu’œuvre artistique sans preuves concrètes n’apparait pas suffisant.
En conclusion, la bataille continue pour les super-héros !
Juliette Parisot
Stagiaire – Pôle CPI
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
11
juillet
2022
Un blouson noir dans la tourmente : un designer attaque lego devant le tribunal de district du connecticut après la reproduction d’un blouson en cuir noir conçu par ses soins
Author:
TAoMA
Dans le cadre d’une collaboration, Netflix a récemment octroyé une licence au groupe Lego pour la création d’un set inspiré de la série de téléréalité Queer Eye, diffusée sur la plateforme de streaming.
Lego s’est toutefois vu attaquer en contrefaçon de droit d’auteur par le designer James Concannon en décembre dernier après la reproduction d’une de ses vestes sur l’une des figurines de ce set. La veste en question avait été offerte par le designer à Antoni Porowski, membre du casting de Queer Eye, et avait été portée par ce dernier lors du tournage de la série.
Revendication d’une violation du droit d’auteur portant sur le blouson
Selon le designer, aucune licence n’a été concédée à Netflix pour l’utilisation de sa veste dans son émission. Effet boule de neige, aucune autorisation n’a dès lors pu être donnée à Lego de reproduire son œuvre au sein du set en question et ainsi l’exploiter commercialement, qui plus est à titre gratuit. Concannon entend ainsi obtenir réparation pour la violation de son droit d’auteur.
Contrefaçon or not contrefaçon ? Concannon pourrait toutefois se prendre une veste, ses chances de succès étant plus qu’incertaines. En effet, quand bien même l’originalité de la veste serait démontrée, il appartiendra ensuite au designer de prouver que la version Lego de son œuvre est suffisamment similaire à la veste originale.
Existence d’une licence implicite ?
Par ailleurs, Lego affirme qu’en offrant la veste à Porowski, en sachant pertinemment qu’il la porterait sur le tournage, le designer aurait concédé une licence implicite à Netflix d’utiliser son œuvre dans son émission.
Qui de la brique ou du blouson aura le dernier mot, affaire à suivre…
Juliette Parisot
Stagiaire – Pôle CPI
Blandine Lemoine
Conseil en Propriété Industrielle
19
mai
2022
Quelle indépendance pour le tiers acheteur d’un procès-verbal de constat d’achat ?
Author:
TAoMA
Par un arrêt rendu le 6 avril 2022 [1], la cour d’appel de Paris a retenu la validité d’un procès-verbal de constat d’achat consigné par un huissier de justice alors même que l’achat avait été effectué par le stagiaire d’un cabinet d’avocats mandaté par la société ayant requis ledit constat.
Cette décision s’inscrit en rupture avec la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation qui, au nom du principe d’indépendance du tiers acheteur fondé sur le droit à un procès équitable, avait jugé dans une décision du 25 janvier 2017 rendue par la première chambre civile [2] qu’un avocat stagiaire du cabinet conseil de la société qui requiert le constat d’achat n’était pas un tiers acheteur indépendant. Malgré les critiques de la doctrine, cette interprétation a d’ailleurs été reprise par la cour d’appel de Douai dans un arrêt du 16 décembre 2021 [3], commenté dans une précédente news.
Dans son arrêt du 6 avril 2022, la cour d’appel de Paris fait prévaloir le droit à la preuve de la matérialité des actes contrefaisants sur le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, au terme d’un contrôle de proportionnalité motivé et détaillé.
En l’espèce, la société Rimowa avait fait établir par procès-verbal consigné par un huissier de justice un constat d’achat d’une valise qu’elle jugeait contrefaisante. Elle a ensuite assigné la société commercialisant cette valise en contrefaçon de droits d’auteur et concurrence déloyale et parasitaire.
En première instance, le débat s’est noué autour de la validité de ce constat d’achat dans la mesure où l’achat avait été réalisé par un stagiaire du cabinet d’avocats mandaté par la société Rimowa. La société défenderesse demandait le prononcé de la nullité de ce constat d’achat en arguant que ses conditions de réalisation portaient atteinte à son droit à un procès équitable pour défaut d’indépendance du tiers acheteur. Par un jugement rendu le 7 mars 2019, le tribunal judiciaire de Paris a fait droit à cette demande en déclarant nul le procès-verbal de constat d’achat et en déboutant la société Rimowa de l’intégralité de ses demandes.
Sur appel de la société Rimowa, la cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement et déclaré valable le procès-verbal de constat d’achat.
Pour ce faire, elle invoque successivement trois fondements.
D’une part, la cour d’appel de Paris invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui retient que l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme ne fait pas obstacle à la production d’une preuve déloyale dès lors que le procès présente dans l’ensemble un caractère équitable [4]. Une telle garantie peut notamment résulter de la possibilité pour les parties de contester ladite preuve devant un tribunal [5].
D’autre part, la cour d’appel de Paris mentionne la directive (CE) n°2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de la propriété intellectuelle [6].
Enfin, la cour d’appel se réfère au principe de proportionnalité qui exige du juge qu’il s’assure du juste équilibre entre « le principe de loyauté des preuves » et le « droit de propriété des titulaires de droits de propriété intellectuelle qui doit leur permettre de réunir des preuves, dans des conditions qui ne soient pas inutilement complexes ou coûteuses » [7]. Il ne s’agit là, ni plus, ni moins, de concilier le principe de loyauté dans l’administration de la preuve avec le droit à la preuve à l’aune du droit au procès équitable.
La cour d’appel de Paris détaille ensuite les motifs l’ayant conduite à retenir la validité du constat d’achat. Elle retient d’abord que « la société défenderesse n’a démontré aucun stratagème qui aurait été mis en place par la société Rimowa et/ou par l’huissier instrumentaire et/ou par M.P, le tiers acheteur » [8]. Elle note d’ailleurs que l’identité et la qualité du tiers acheteur, stagiaire au sein du cabinet d’avocats agissant en qualité de conseil de la société Rimowa, étaient clairement mentionnées sur le procès-verbal.
Elle ajoute que la circonstance que le tiers acheteur soit stagiaire auprès du cabinet d’avocats mandaté par la société Rimowa n’a pas affecté le caractère objectif des constatations mentionnées au procès-verbal et n’a pas porté, en soi, atteinte au droit à un procès équitable de la société défenderesse dans la mesure où celle-ci avait la possibilité de contester ledit procès-verbal.
La cour d’appel de Paris en déduit qu’annuler le procès-verbal de constat pour défaut d’indépendance du tiers acheteur « reviendrait à priver inutilement la société Rimowa de la possibilité d’obtenir simplement des éléments susceptibles de constituer la preuve de la matérialité des agissements qu’elle invoque, alors que […] la preuve de la contrefaçon en droit français est libre et peut être rapportée par tout moyen, notamment par la réalisation d’un procès-verbal de constat d’achat » [9].
Par cet arrêt, la cour d’appel introduit d’avantage de souplesse dans l’établissement de la preuve d’agissement contrefaisants et partant, adopte une position raisonnablement plus réaliste que celle de la Cour de cassation [10].
Dans l’attente d’une nouvelle décision de la Cour de cassation en la matière, la prudence reste néanmoins de mise lors du choix du tiers-acheteur lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat d’achat.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Cour d’appel de Paris, pôle 5, ch. 1, 6 avril 2022, RG 20/17307, Rimowa GmbH c/ Intersod (lire la décision ici)
[2] Civ. 1re, 25 janvier 2017, n° 15-25.210, publié au Bulletin
[3] Cour d’appel de Douai, ch. 2, sec. 1, 16 décembre 2021, Cartospé-Packaging c/ Cartonnage Vaillant & Astra Inks
[4] CEDH, 12 juillet 1988, n° 10862/84, Schenck c/ Suisse
[5] CEDH, 18 mars 1997, no 21497/93, Mantovanelli c/ France
[6] Directive (CE) n°2004/48 du 29 avril 2004, considérant 20 « étant donné que la preuve est un élément capital pour l’établissement de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle, il convient de veiller à ce que des moyens de présenter, d’obtenir et de conserver les éléments de preuve existent effectivement » et article 3 « 1. Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés. 2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif »
[7] Cour d’appel de Paris, op. cit., p.8.
[8] Ibid
[9] Ibid., p. 9
[10] En référence à la formule de Philippe Téry dans son commentaire de la décision Civ 1re, 25 janvier 2017 « Apparence : 1 – vérité : 0 – observations sur la loyauté dans la recherche des preuves » in RTD civ., 2017, p. 719 : « Lorsque dans une situation donnée, la vérité peut raisonnablement être approchée, il faut lui donner la préférence sur les apparences appréciées de manière abstraite ».
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