29
novembre
2022
Bataille des NFT : 1-0 pour la Juventus !
Il n’est plus nécessaire de présenter la Juventus de Turin, même pour les profanes en matière de foot !
Si la Juve, pour les intimes, se bat au quotidien sur les terrains de foot, elle n’est pas en reste quand il s’agit de défendre ses droits devant les tribunaux, et avec un certain succès.
Dans le cadre de l’une des premières décisions en Union européenne dans le domaine, la Juve l’a emporté haut la main contre des cartes numériques à jouer authentifiées par NFT.
Petit résumé de la compétition
En 2021, la société Blockeras s.r.l a obtenu l’accord de différents joueurs actifs ou à la retraite pour lancer le projet Coin Of Champion consistant en la réalisation de cartes à jouer à leur effigie et authentifiées par NFT.
L’une des cartes représentait l’ancien avant-centre Bobo VIERI portant son ancien maillot de la Juve.
En 2022, Blockeras lance la commercialisation de ses cartes entrainant l’attaque de la Juventus.
En effet, cette dernière est titulaire de nombreuses marques dont les marques verbales JUVE, JUVENTUS et une marque figurative représentant son célèbre maillot à rayures noires et banches portant 2 étoiles.
La Juve découvrant la production (mintage), la publicité et la mise en vente des cartes authentifiées par NFT contenant ses marques sans son autorisation, elle saisit la cour de première instance de Rome dans le contexte d’une « injonction préliminaire ». Elle considère que ces cartes constituent des actes de contrefaçon de ses marques et de concurrence déloyale.
Pour sa défense, Blockeras fait notamment valoir que les marques invoquées n’étaient pas enregistrées pour les produits virtuels téléchargeables !
Tableau des scores
La cour de première instance de Rome relève que les marques concernent l’équipe de foot italienne la plus performante qui a remporté le plus de compétitions.
Par ailleurs, la Juve a une activité de merchandising généralisée dans différents secteurs (vêtements, jeux, etc.) aussi bien sur le web que dans des magasins physiques dans différentes villes d’Italie.
Ainsi, l’usage de l’image de Bobo VIERI, portant son maillot de la Juve, entraine un usage des marques sans autorisation de la Juventus. Il s’agit d’un usage à des fins purement commerciales et l’autorisation de Bobo VIERI d’exploiter son image portant son maillot devait également faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès du célèbre club de foot puisque la réputation de ses marques contribue à la valeur de la carte numérique authentifiée par NFT.
Quant à l’argument de Blockeras selon lequel les marques ne sont pas protégées en classe 9 pour des produits virtuels, la cour l’écarte d’un revers du pied. En effet, elle note que les marques désignent différents produits, notamment en classe 9, qui sont liés aux « publications électroniques téléchargeables ».
De plus, elle précise que la Juve est active dans le monde des crypto jeux, des crypto monnaies et des NFT notamment via des accords avec la société française Sorare.
Elle en conclut donc que la création et la commercialisation des cartes numériques par Blockeras portent atteinte aux marques de la Juve.
Commentaire (non sportif)
En juin dernier, l’Office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO) a publié ses « guidelines » relatives aux NFT dans lesquelles il estime que ces derniers relèvent de la classe 9 « parce qu’ils sont traités comme du contenu ou des images numériques ». Il en ressort donc une présomption que les marques pour des produits physiques doivent également être déposées pour les produits virtuels si leurs titulaires souhaitent être protégés pour ces derniers.
Cette décision de la cour de première instance de Rome semble également aller dans ce sens puisqu’elle reconnait la similarité entre les cartes virtuelles authentifiées par NFT avec les « publications électroniques téléchargeables » auxquelles des produits désignés par les marques de la Juventus sont liés. Il est vrai que la cour retient également l’activité marquée de la Juve dans le domaine des crypto jeux et crypto monnaies pour renforcer le risque de confusion dans l’esprit du public.
Néanmoins, si les marques de la Juve n’avaient pas désigné des produits liés aux publications électroniques téléchargeables, nous pouvons nous demander si la cour aurait eu le même raisonnement malgré l’activité du club de foot dans ces nouvelles technologies.
Face aux incertitudes actuelles liées aux NFT, il est donc fortement recommandé d’étendre la protection de ses marques aux produits virtuels, au moins par précaution.
N’hésitez pas à nous contacter pour en discuter et mettre en place une stratégie de marque adaptée à vos besoins !
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
21
janvier
2022
L’AC Milan perd son match (et sa marque) devant le TUE
Author:
teamtaomanews
Les Allemands ont remporté un match judiciaire en droit des marques contre les Italiens (3-0) dans une affaire opposant l’Associazione Calcio Milan SpA (AC Milan), célèbre club de football, à la société de droit allemand InterES Handels- und Dienstleistungs Gesellschaft mbH & Co. KG.
La première mi-temps a débuté le 6 avril 2017 avec une opposition formée devant l’Office européen des marques (EUIPO) par cette société allemande, sur la base de sa marque verbale allemande MILAN, enregistrée notamment en classe 16, à l’encontre d’une demande de marque du club de football Italien.
Ce dernier, par une demande de marque internationale désignant l’Union européenne n°1329545, souhaitait protéger sa marque semi-figurative (ACM 1899 AC MILAN) dans les vingt-sept États de l’Union pour des produits en classe 16 de la Classification de Nice, à savoir : « Papier ; carton ; couvertures de livres ; colle pour la papeterie ou le ménage ; articles de papeterie ; papier à copier [articles de papeterie] ; papier à lettres ; [articles de papeterie] ; marqueurs ; agrafes de bureau ; fournitures pour le dessin ; fournitures pour l’écriture ; fournitures scolaires ; gommes à effacer ; encres ; correcteurs liquides ; gabarits [articles de papeterie] ; crayons ; crayons fusains ; crayons d’ardoise ; mines de crayon ; stylos [articles de bureau] ; plumes d’acier ; porte-crayons ; porte-mines ; porte-plume ; billes pour stylos à bille ; instruments d’écriture ; instruments de dessin ; carnets ; tampons encreurs ; taille-crayons ; tire-lignes ».
La société allemande obtient une première fois gain de cause par une décision rendue le 30 novembre 2018, dans laquelle l’EUIPO a reconnu l’opposition justifiée dans son intégralité.
Mécontent de cette décision, le club de football italien, dans le cadre d’une seconde mi-temps, a formé un recours. Mais la deuxième chambre de recours de l’EUIPO le rejette et confirme la décision de la division d’opposition dans son intégralité.
Le Milan AC tente alors une dernière attaque devant le Tribunal de l’Union européenne (TUE) en contestant l’appréciation des preuves d’usage de la marque antérieure réalisée par la chambre de recours, y compris celle de l’altération du caractère distinctif de la marque antérieure telle qu’enregistrée.
Il ajoute que la chambre de recours n’a pas pris en compte la renommée de la demande de marque contestée aux fins de l’appréciation du risque de confusion, notamment en ce qui concerne les similitudes conceptuelles entre les signes.
Le TUE, par une décision en date du 10 novembre 2021, marque un coup d’arrêt au match et confirme la victoire de la société allemande. En effet, il juge que l’usage sérieux de la marque antérieure, ainsi que le risque de confusion entre les marques en cause, a été dûment démontré et justifié.
Sur l’usage sérieux de la marque antérieure invoquée
D’une part, le TUE confirme que les preuves d’usage produites par la société allemande sont suffisantes pour établir l’usage sérieux de la marque antérieure en Allemagne.
Les pièces fournies par la société allemande (factures, catalogues…), prises dans leur ensemble, permettent de démontrer qu’elle s’est efforcée de maintenir ou acquérir une position commerciale sur le marché en cause, étant précisé, par ailleurs, que le TUE confirme la jurisprudence constante selon laquelle des pièces datées en dehors de la période pertinente peuvent être prises en compte pour apporter la preuve d’une exploitation commerciale réelle et sérieuse de la marque.
D’autre part, le TUE suit le raisonnement de la chambre de recours de l’EUIPO selon lequel l’usage qui est fait de la marque antérieure sur le marché n’altère pas le caractère distinctif de la marque telle qu’enregistrée, à savoir sous une forme verbale.
En effet, l’ajout d’un élément figuratif représentant la tête d’un oiseau, bien que non négligeable, demeure secondaire dans l’impression d’ensemble dès lors que, pour une partie du public pertinent, il vient renforcer la signification du mot « MILAN » et, en tout état de cause, il est constant que les éléments figuratifs ont une importance moindre du point de vue du consommateur.
Sur l’appréciation du risque de confusion
Tout en contestant les ressemblances visuelles et phonétiques entre les marques, l’AC Milan a tenté une attaque assez intéressante sur le terrain de l’appréciation conceptuelle.
En effet, l’AC Milan faisait notamment valoir que le public pertinent associera la marque demandée au célèbre club de football italien, entraînant ainsi des différences conceptuelles entre les signes susceptibles de neutraliser les ressemblances visuelles et phonétiques.
Une telle approche n’est pas nouvelle dans le domaine footballistique puisque, dans le cadre de l’Affaire MESSI, opposant les marques MESSI et MASSI, l’argument avait été retenu par le TUE, dans une décision confirmée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) [1].
Néanmoins, dans le cas présent, le TUE semble poser une limite à cette jurisprudence, confirmée par la suite dans le cadre d’une affaire impliquant la marque patronymique de la célèbre chanteuse MILEY CYRUS [2]. Le TUE répond que « seule la renommée de la marque antérieure, et non celle de la marque demandée, doit être prise en compte pour apprécier si la similitude des produits désignés par deux marques est suffisante pour donner lieu à un risque de confusion ».
Si l’argument semble favorable aux noms patronymiques célèbres, tel ne semble donc pas le cas pour certains organismes, comme ce célèbre club de football.
Le match juridique Italie-Allemagne finit ainsi par trois buts au bénéfice des Allemands et la demande de marque semi-figurative ACM 1899 AC MILAN n° 1329545 est donc rejetée à l’enregistrement pour les produits qu’elle désigne en classe 16.
Leila Zorkot
Stagiaire juriste
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] CJUE, 17 septembre 2020, Affaires jointes C-449/18 P et C-474/18 P
[2] TUE, 16 juin 2021, Affaire T-368/20
Lire la décision sur le site Curia