23
janvier
2020
Le casse-tête juridique de la protection de la célèbre marque tridimensionnelle « RUBIK’S CUBE » enfin résolu !
Author:
teamtaomanews
La résolution du célèbre casse-tête géométrique à trois dimensions est devenue source de nombreux records dans le monde, dont le temps le plus rapide jamais réalisé est de 3,47 secondes.
L’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), ainsi que les juges de l’Union Européenne, auront mis quant à eux 13 ans pour trouver une solution à ce puzzle peu conventionnel, mais dans un contexte légèrement différent.
I- HISTORIQUE DE L’AFFAIRE « RUBIK’S CUBE »
En 2006, la société allemande Simba Toy a présenté une demande de nullité de la marque tridimensionnelle de l’Union Européenne « Rubik’s Cube » ci-dessous, enregistrée le 6 avril 1999 pour les produits suivants de la classe 28 : « Puzzle en trois dimensions » de la classe 28.
Au soutien de son action, elle invoquait la violation de l’Article 7, paragraphe 1, sous a) à c) et e), du Règlement n°40/94 (devenu Article 7, paragraphe 1, sous a) à c) et e), du Règlement 2017/1001) en vertu duquel ne peut être accepté à l’enregistrement les signes constitués exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique [1].
Aussi bien la Division d’Annulation que la Chambre de Recours de l’EUIPO et le Tribunal de l’Union Européenne (TUE), par décision du 25 novembre 2014 [2], ont rejeté la demande de nullité au motif que la représentation graphique de la marque contestée ne suggérait aucune fonction de rotation. En effet, d’après le TUE, la capacité de rotation du cube ne résulte ni des lignes noires verticales et horizontales, ni de la structure en grille figurant sur chacune des faces de ce cube, mais d’un mécanisme interne qui n’est pas visible sur la marque telle que représentée.
La société allemande exerça alors un recours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), laquelle a rejeté le raisonnement du Tribunal et annulé la décision par arrêt du 10 novembre 2016 [3].
La Cour a considéré que pour examiner la fonctionnalité des caractéristiques essentielles du signe en cause, il convenait de prendre en considération la représentation graphique du signe, comme l’ont justement rappelé l’EUIPO et le TUE, mais également des éléments supplémentaires relatifs à la fonction du produit concret en cause.
La première chambre de recours de l’EUIPO, statuant sur renvoi, a, sans grande surprise, suivi le raisonnement de la CJUE et annulé la marque tridimensionnelle pour les produits de la classe 28 (jeux, jouets…) [4].
Celle-ci a jugé que les caractéristiques essentielles de la marque contestée, à savoir les lignes noires verticales et horizontales, la forme cubique du produit et les différences de couleur sur les six faces du cube, présentaient une fonction technique, bien que celle-ci ne soit pas visible sur le signe tel que représenté.
Il ressort effectivement des éléments de l’espèce qu’un « observateur raisonnablement avisé » sera à même d’identifier la fonction rotative du signe contestée dans la mesure où ce signe représente un puzzle en trois dimensions mondialement connu sous le nom de « Rubik’s Cube » et dont la finalité est de reconstituer un puzzle en faisant pivoter selon un axe, verticalement et horizontalement, des rangées de cubes plus petits de différentes couleurs jusqu’à ce que les neuf carrés de chaque face du cube soient de la même couleur.
Cette analyse est corroborée par une image fournie par la société allemande Simba Toy qui représentait un « Rubik’s Cube » en état d’utilisation, dont les lignes noires verticales et horizontales créent une séparation physique entre les cubes et permettent à un joueur de changer la position de ces cubes par rapport à d’autres.
En ce qui concerne la forme globale du produit, ainsi que les différentes couleurs, la Chambre de Recours a considéré qu’elles participaient également à l’obtention d’un résultat technique.
En conclusion, la marque tridimensionnelle de l’Union Européenne « Rubik’s Cube » a été considérée comme contraire à l’Article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du Règlement n°40/94 et déclarée nulle.
C’était sans compter sur la ténacité de la société Rubik’s Brand Ltd, titulaire de la marque en cause, qui a formé un recours contre cette décision.
II- DÉNOUEMENT DE L’AFFAIRE « RUBIK’S CUBE »
Le TUE a donc, pour la seconde fois, tenté de résoudre le casse-tête « Rubik’s Cube », sauf que, cette fois, la solution paraissait plus évidente.
En effet, par décision du 24 octobre dernier, le TUE a également suivi le raisonnement de la CJUE et confirmé l’annulation de la marque contestée, tout en réformant la décision de la Chambre des Recours sur quelques points techniques.
D’une part, la société Rubik’s Brand Ltd contestait l’une des caractéristiques essentielles de la marque contestée, à savoir la différence de couleurs sur les six faces du cube.
Le Tribunal admet que cet élément ne peut constituer une caractéristique de la marque contestée dès lors qu’en l’absence de description de cette dernière et de revendication de couleurs dans la demande d’enregistrement, il ne saurait être déduit, sur la seule base de la représentation graphique du signe, que chacune des faces du cube comporte une couleur.
Toutefois, il estime que cette erreur d’appréciation de la part de la Chambre de Recours n’a aucune incidence sur la solution finale, à savoir la nullité de la marque contestée.
D’autre part, le Tribunal considère que les lignes noires sont nécessaires à l’obtention du résultat technique dès lors qu’elles représentent une séparation physique entre les cubes individuels, permettant au joueur de faire pivoter chaque rangée de petits cubes indépendamment les unes des autres afin de les regrouper dans la bonne combinaison de couleur. Sans cette séparation physique, « le cube ne serait rien d’autre qu’un bloc solide, ne comportant aucun élément individuel pouvant être déplacé de manière indépendante ».
En ce qui concerne la forme cubique du produit, le Tribunal estime que l’existence de formes géométriques alternatives n’est pas per se concluant, et ce conformément à la jurisprudence antérieure.
Aussi, la forme du produit « Rubik’s Cube » est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique et ne peut, en conséquence, constituer une marque valable en vertu du droit de l’Union Européenne.
Si cette décision semble confirmer la position de la jurisprudence de l’Union Européenne en matière de marque tridimensionnelle, notamment afin d’éviter un contournement du droit des brevets qui permet la protection d’une solution technique, elle a le mérite d’apporter un certain nombre de clarifications eu-égard à l’appréciation de la fonction technique des caractéristiques essentielles de la marque contestée.
En effet, outre la représentation graphique de la marque contestée, il convient également de prendre en compte la forme concrète de la marque et, partant, tout élément utile à l’appréciation, tels que des enquêtes et des expertises, ou encore des données relatives à des droits de propriété intellectuelle conférés antérieurement.
Toutefois, il convient de noter que dans le cadre de la présente affaire, le déposant n’avait fourni aucune description de sa marque lors du dépôt. Aussi, nous pouvons nous demander si une telle appréciation aurait vocation à s’appliquer de manière identique dans l’hypothèse où le titulaire d’une marque tridimensionnelle aurait fourni une description de sa marque.
En outre, le raisonnement du TUE peut apparaitre quelque peu contradictoire sur certains points. D’une part, il prend en compte des éléments extérieurs à la représentation graphique de la marque pour conclure que les lignes verticales et horizontales sont une caractéristique essentielle du signe permettant l’obtention d’un résultat technique. Mais d’autre part, il se contente d’une simple analyse visuelle de la représentation de la marque pour conclure que les couleurs des six faces du cube n’en constituent pas une.
Après plus de dix ans de procédure, la saga « Rubik’s Cube » touche à sa fin. Si le titulaire de la marque contestée perd le bénéfice de la protection de la forme iconique créée par Ernő Rubik (uniquement pour les produits de la classe 28), elle peut toutefois compter sur la protection de son nom, connu à travers le monde.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle Juridique CPI
Lien vers la décision commentée
[1] Article 7 paragraphe 1 sous a) à c) et e), du Règlement 2017/1001 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : a) les signes qui ne sont pas conformes à l’article 4 ; c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci ; e) les signes constitués exclusivement : i) par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ; ii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ; iii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, qui donne une valeur substantielle au produit »
[2] Arrêt du Tribunal de l’Union Européenne du 25 novembre 2014 – T-450/09, Simba Toys / OHMI (lien)
[3] Arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 10 novembre 2016 – C-30/15, Simba Toys / EUIPO (lien)
[4] Décision de la première Chambre de Recours de l’EUIPO du 6 mars 2017 – R 452/2017-1, Simba Toys / Rubik’s Brand Limited
04
novembre
2019
Marques et mauvaise foi : quand le Tribunal file un mauvais coton…
Author:
teamtaomanews
Une requérante titulaire de marques antérieures semi-figuratives KOTON, ayant effet sur le territoire de l’Union européenne, a formé opposition auprès de l’EUIPO contre l’enregistrement d’une demande de marque STYLO & KOTON déposée en classes 25, 35 et 39. Comme pour les marques antérieures, le terme KOTON comportait une fleur de coton dont les deux voyelles étaient stylisées.
Cette opposition n’a abouti qu’en classes 25 et 35 de sorte que la marque STYLO & KOTON a été enregistrée pour les services de la classe 39.
La requérante a alors déposé une demande en nullité de la même marque, non seulement pour les services de la classe 39, mais également pour des produits et des services des classes 25 et 35, sur le fondement du dépôt de mauvaise foi, au visa de l’article 52(1)(b) du Règlement n°207/2009, applicable en raison de la date de dépôt.
La division d’annulation puis la chambre de recours de l’EUIPO ayant rejeté la demande en nullité, la requérante saisit le Tribunal de l’Union européenne (« TUE »), lequel refuse également de considérer que le dépôt a été fait de mauvaise foi.
Le règlement (UE) n°2017/1001 du 14 juin 2017 (« RMUE »), qui a remplacé le règlement (CE) n°207/2009 du 26 février 2009, ne propose pas de définition de la mauvaise foi, se bornant à affecter de nullité le dépôt opéré par un demandeur « de mauvaise foi » (RMUE, art. 59(1)(b)).
La Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») s’est essayée à la définir, en particulier dans l’arrêt du 11 juin 2009 Chocoladefabriken Lindt & Spüngli (CJCE, 11 juin 2009, C-529/07, pt. 53) précisant que la mauvaise foi du déposant doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et existant au moment du dépôt et notamment :
le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit ou service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ;
l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ;
le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé.
La Cour vient ici préciser qu’il ne ressort pas de l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, que l’existence de la mauvaise foi peut uniquement être constatée dans l’hypothèse, qui était celle sur laquelle la Cour était alors interrogée, où il y a utilisation sur le marché intérieur d’un signe identique ou similaire pour des produits identiques ou similaires prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, lequel n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres à prendre en considération (pts. 51-55).
En suivant cette approche, le TUE s’est abstenu de prendre en considération, dans son appréciation globale, l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes telles qu’elles se présentaient lors du dépôt de la demande, alors que ce moment était déterminant. Il aurait ainsi fallu tenir compte du fait que l’intervenant avait demandé l’enregistrement d’un signe comportant le mot stylisé « KOTON » en tant que marque de l’Union européenne non seulement pour les services de la classe 39, mais également pour des produits et des services des classes 25 et 35 qui correspondaient à ceux pour lesquels la requérante avait fait enregistrer des marques comportant ce mot stylisé (pts. 59-60).
Par ailleurs, le TUE n’a abordé qu’à titre surabondant le fait qu’il y avait eu des relations commerciales entre l’intervenant et la requérante et que celles-ci avaient été rompues par la requérante ; il s’est, en outre, abstenu d’examiner si la demande d’une marque contenant le mot stylisé « KOTON » pour des produits et des services des classes 25, 35 et 39 présentait une logique commerciale au regard des activités de l’intervenant (pt. 62).
La Cour ayant décidé d’annuler l’arrêt du TUE et la décision de la chambre de recours, il appartient à l’instance compétente de l’EUIPO de prendre une nouvelle décision en se fondant sur une appréciation globale qui tienne compte de la demande d’enregistrement de la marque contestée telle que déposée pour des produits et des services relevant non seulement de la classe 39, mais également des classes 25 et 35.
Alexis Valot
Juriste
Anne Messas
Avocate à la cour, associée
Lien vers la décision
18
juillet
2019
« FACK JU GÖHTE »: Mieux vaut une insulte qu’un désordre ?
Author:
teamtaomanews
Le signe « FACK JU GÖHTE », qui est également le titre d’une comédie allemande à succès, peut-il être enregistré à titre de marque de l’Union Européenne ?
En 2015, la société Constantin Film Produktion GmbH a déposé auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), une demande d’enregistrement de la marque verbale « FACK JU GÖHTE », correspondant au titre d’un film, pour divers produits et services de la vie quotidienne. Cette demande de marque a été rejetée au motif que le signe « FACK JU GÖHTE » était contraire à l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 [1], soit contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. L’EUIPO considérait que les termes « FACK JU » étaient prononcés de la même manière que l’expression anglaise « FUCK YOU » et que le signe constituait donc une marque de mauvais goût, offensante et vulgaire par laquelle l’écrivain Johann Wolgang von Goethe était insulté à titre posthume.
En 2017, Constantin Film Produktion GmbH a introduit devant le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) un recours en annulation de la décision de l’EUIPO. Par un arrêt en date du 24 janvier 2018, le TUE rejeta ce recours.
Constantin Film Produktion GmbH saisit alors la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’un pourvoi dirigé contre cette décision en alléguant d’erreurs dans l’interprétation et l’application du Règlement (CE) n°207/2009 sur la marque communautaire, qui exclut de l’enregistrement les marques « contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs », ainsi que d’une violation des principes de l’égalité de traitement, de sécurité juridique et de bonne administration.
Le 2 juillet dernier, l’Avocat général Bobek a présenté ses conclusions et recommande à la CJUE d’annuler l’arrêt du Tribunal, ainsi que la décision de l’EUIPO.
En effet, l’Avocat général observe dans un premier temps que contrairement à l’affirmation du TUE selon laquelle « il est constant qu’il existe, dans le domaine de l’art, de la culture et de la littérature, un souci constant de préserver la liberté d’expression qui n’existe pas dans le domaine des marques », la liberté d’expression a vocation à s’appliquer en droit des marques, même si sa protection n’est pas l’objectif principal poursuivi par le droit des marques.
Il souligne également que les notions « d’ordre public » et « bonnes mœurs » présentent des différences conceptuelles certaines, dont il faut tenir compte dans l’application de l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009. La notion « d’ordre public » correspondrait à une vision normative de valeurs et d’objectifs, définie par les autorités publiques compétentes, à travers des sources officielles du droit et des documents de politique, tandis que les « bonnes mœurs » feraient référence à des valeurs et croyances auxquelles une société adhère à un moment donné, définies et appliquées par le consensus social prévalant dans une société à une moment donné. Ainsi, la principale différence entre ces deux notions réside dans la façon dont elles sont établies et déterminées. Alors que « l’ordre public » peut être déterminé de manière objective, par référence aux lois, aux politiques publiques et aux déclarations officielles, les principes moraux doivent être appréciés au regard d’un contexte social précis, ce qui suppose de prendre en considération la perception de la société à un moment précis.
Par conséquent, le motif absolu de refus d’enregistrement tiré des « bonnes mœurs » doit être apprécié au regard de la perception du public pertinent, en tenant compte des éléments de fait propres à l’espèce.
Or, selon l’Avocat général, l’EUIPO, ainsi que le TUE, n’auraient pas tenu compte de ces principes dans l’appréciation du signe « FACK JU GÖHTE », ignorant le contexte plus large dans lequel la marque avait été déposée, à savoir le succès du film lors de sa sortie, l’absence de controverse à propos de son titre, le fait que son visionnage ait été autorisé à un public jeune et que l’Institut Goethe s’en sert à des fins pédagogiques.
Enfin, l’Avocat général a souligné que l’EUIPO s’était écarté de sa jurisprudence sans explication cohérente. En effet, dans le cadre de l’affaire « Die Wanderhure » (i.e. : La Catin), qui était également le titre d’une œuvre littéraire allemande et de son adaptation cinématographique, la chambre de recours de l’EUIPO avait considéré que le succès du film démontrait que le public n’avait pas été choqué ni par l’œuvre littéraire, ni par le titre. Ainsi, compte tenu des similitudes entre les contextes, l’EUIPO aurait dû fournir une explication plausible à l’adoption de solutions différentes dans ces deux affaires.
La CJUE qui commence à présent à délibérer dans cette affaire, n’est toutefois pas liée par les conclusions de l’Avocat général. Elle pourrait se ranger du côté de Constantin Film Produktion GmbH, et donc de l’Avocat général Bobek, et suivre les traces de son homologue américain, la Cour Suprême des États-Unis qui, pour rappel, a récemment reconnu la validité de la marque « FUCT », sur le fondement de la liberté d’expression (lire notre TAoMA News).
Lire les conclusions de l’Avocat général Bobek sur le site CURIA.
[1] l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) f) les marques qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (…) »
14
décembre
2018
Le Tribunal de l’Union européenne dit OUI à TMview !
Justifier des marques antérieures dans une procédure d’opposition en demande devant l’EUIPO n’est pas toujours simple lorsque les copies des certificats d’enregistrement ne sont pas entre nos mains. La tentation d’avoir recours à des extraits de bases de données en ligne est forte de par la simplicité d’usage de ces outils. La plus aisée n’est autre que TMview qui est un outil offert par l’EUIPO.
Cependant, la question de la recevabilité des extraits TMview se pose régulièrement. Le TUE nous a enfin apporté une réponse claire, le 6 décembre 2018, dans une décision où il a notamment eu à se prononcer sur la recevabilité des extraits issus de TMview.
Rappel du contexte
La société VANS Inc. a procédé au dépôt, le 17 novembre 2011, d’une marque figurative de l’Union européenne pour son célèbre logo . Le 21 février 2012, la société Deichmann SE a formé opposition à l’encontre de cette demande de marque sur la base de parties européennes de plusieurs de ses marques internationales.
Pour justifier de ses marques antérieures, l’opposant a fourni des extraits de la base de données TMview. Le 21 octobre 2015, la division d’opposition de l’EUIPO a rejeté l’opposition au motif qu’il n’existait pas de risque de confusion entre les signes et que l’opposant n’avait pas justifié de l’existence de l’une de ses marques. L’opposant a logiquement formé un recours contre cette décision mais la chambre de recours de l’EUIPO l’a rejeté, sans même étudier le risque de confusion, au motif que la société Deichmann SE n’avait pas justifié de ses droits antérieurs selon les dispositions de la règle 19, paragraphe 2, du Règlement No. 2868/95 (devenue article 7, paragraphe 2, du règlement 2018/625) « au moyen de documents officiels qui proviennent de l’autorité compétente ayant procédé à l’enregistrement de la marque ».
Vous connaissez la suite ! Recours devant le TUE nous amenant à la décision du 6 décembre 2018.
Recevabilité des extraits de TMview
La société Deichmann SE soutient que les extraits de la base de données TMview sont conformes au Règlement car « les données […] proviennent des offices de marques participants, notamment l’OMPI, et que les extraits de cette base contiennent toutes les informations pertinentes pour démontrer la preuve de la protection d’un enregistrement international antérieur désignant l’Union européenne ».
Il est rappelé par le TUE que « la règle 19, paragraphe 2, sous a), ii), du Règlement No. 2868/95 exclut la possibilité de produire des extraits d’une base de données donnant accès à des documents n’émanant pas de l’administration auprès de laquelle la demande de marque a été déposée ». Cela signifie que pour la partie européenne d’une marque internationale, un extrait provenant de « eSearch plus » n’est pas recevable car la base est gérée par l’EUIPO qui n’est pas l’administration auprès de laquelle la marque a été déposée (voir en ce sens l’arrêt Aldi Einkauf/OHMI – Alifoods (Alifoods), T‑240/13 du 26 novembre 2014).
A l’inverse, si la base de données TMview est un outil géré par l’EUIPO, les offices nationaux y participent, dont notamment l’OMPI, en donnant accès aux données des marques qui sont déposées auprès d’eux. Les informations sont donc fournies par les offices qui en sont responsables et qui les mettent à jour quotidiennement. L’extrait « TMview correspond à l’état du registre de l’autorité compétente au moment de la consultation de cette base par l’utilisateur ».
En conséquence, un extrait de TMview est un document équivalent à un certificat d’enregistrement et est recevable dans une procédure d’opposition devant l’EUIPO ! Il convient cependant que l’opposant fournisse un extrait qui contienne l’ensemble des informations utiles permettant d’assurer l’existence, la validité et l’étendue géographique de la marque antérieure.
Les Directives d’examen de l’EUIPO ne prévalent pas sur le Règlement
Dans le cadre des discussions, la société Deichmann SE s’est appuyée sur les directives d’examen de l’EUIPO qui disposent que « l’EUIPO accepte notamment, s’agissant des enregistrements internationaux, les extraits de la banque de données TMview, pour autant qu’ils contiennent les informations utiles ». Elle estimait donc être dans son bon droit en fournissant des extraits de TMview et que la chambre de recours ne pouvait pas aller à l’encontre de ces directives en rejetant son recours.
Le TUE rappelle que les décisions de la chambre de recours « relèvent de l’exercice d’une compétence liée et non pas d’un pouvoir discrétionnaire si bien que la légalité des décisions de ces mêmes chambres de recours doit être appréciée uniquement sur la base [du Règlement] ».
Les directives d’examen de l’EUIPO ne sont pas des actes juridiques contraignants pour interpréter le droit de l’Union Européenne (ce qui avait déjà été jugé dans l’arrêt Leno Merken du 19 décembre 2012 C-149/11).
Le TUE juge ainsi que les directives d’examen ne priment pas sur le Règlement mais, au contraire, que ce sont elles qui doivent être interprétées au regard du Règlement. Ces directives ne peuvent être invoquées pour justifier que la chambre de recours a violé le Règlement.
La reconnaissance « officielle » par le TUE de la recevabilité des extraits issus de TMview est une bonne nouvelle car elle permet de conforter la pratique de l’EUIPO et de rassurer les opposants. Le doute d’un rejet de la justification de ses droits antérieurs par le biais de TMview n’est plus qu’un souvenir !
Lire la décision T-848/16 du 6 décembre 2018 ici
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