13
novembre
2019
Couverture des romans de Fred Vargas, une sombre histoire de droits d’auteur…
Author:
teamtaomanews
Depuis le départ, en 2014, de l’auteure Fred Vargas de la maison d’édition Viviane Hamy, au sein de laquelle ses romans étaient publiés dans la collection « Chemins Nocturnes », pour rejoindre Flammarion, une bataille judiciaire est née entre les deux maisons d’éditions.
En effet, selon l’ancienne éditrice de la romancière à succès, la maquette de la couverture du premier ouvrage publié chez son concurrent reprenait les codes de sa collection « Chemins Nocturnes » à savoir :
=> un encadrement de couleur blanche à bordure fine sur fond noir mat ;
=> le nom de l’auteur, en lettres blanches capitales, centré et placé sur entête de la couverture, surmonté d’une ligne blanche à bordure fine ;
=> un titre en lettre blanches capitales, centré, compris dans l’encadrement de couleur blanche à bordure fine, placé au-dessus d’une illustration ;
=> une illustration en noir et blanc, dans un style vaporeux et/ou lugubre centrée, comprise dans l’encadrement de couleur blanche à bordure fine, illustrant de manière originale le sujet du roman ;
=> un format semi-poche.
Or, elle estimait que ces caractéristiques étaient le résultat d’un parti pris esthétique ayant pour objectif de susciter un sentiment de confinement, d’incertitude, de perte de repère ou de réalité, permettant à la maquette d’accéder à une protection au titre du droit d’auteur.
Leur reprise était alors, aux dires des éditions Viviane Hamy, constitutive de contrefaçon, voire de concurrence déloyale et parasitisme.
Nous vous laissons apprécier les caractéristiques de chaque couverture, avant de vous dévoiler l’issue du litige…
Couverture d’un ouvrage de Fred Vargas paru aux éditions Viviane Hamy
Couverture du premier ouvrage de Fred Vargas paru aux éditions Flammarion
Exemple de couverture des éditions Gli Adelphi
Un jugement du tribunal de grande instance de Paris l’a déboutée de toutes ses prétentions. Elle a donc interjeté appel, mais la cour a fait sienne les conclusions des juges de première instance, en estimant que :
=> La maquette de couvertures des ouvrages de la collection « Chemins Nocturnes » n’étaient pas protégeables au titre du droit d’auteur.
En effet, elle remarque, d’une part, que tous les éléments opposés sont banals pour des illustrations de romans policiers, et n’expriment donc aucune originalité et, en tout état de cause, la demanderesse ne s’est pas attardée sur certaines caractéristiques notables de l’œuvre revendiquée (tels que la présence du titre de la collection et du logo en forme de chat stylisé) qui ne sont pas reproduites dans la maquette d’ouvrage des éditions Flammarion.
=> La concurrence déloyale et le parasitisme ne sont pas constitués, au motif qu’il n’existe aucun risque de confusion entre les deux maquettes de couverture (la seconde étant par ailleurs ouvertement inspirée de celle d’une autres maison d’édition, Gli Adelphi, qui avait cédé ses droits à Flammarion), du fait des différences évidentes entre ces dernières (notamment proportion de la couverture protégée par l’image, nombre de sous divisions du rectangle central, présence du logo et du nom de la collection, etc.). En outre, l’appelante n’est pas parvenue à apporter la preuve de ses investissements.
Le fait que des commentateurs aient pu noter une « certaine continuité » entre les ouvrages ne serait alors dû qu’au qu’à la grande notoriété de l’auteure.
Malgré cette victoire, il est notable que les couvertures des ouvrages suivants de Fred Vargas publiés chez Flammarion ont quelque peu évolué :
Enfin, on remarquera que la décision peut être rapprochée de litiges concernant la protection de maquettes de couverture de magazines, cas dans lesquels les juges estiment en général que pour être protégée, la couverture doit présenter « une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur »[1] ou être « constituée d’une maquette spécifique et constante, répondant à une charte graphique et typographique, constitue, dans la mesure où se trouve caractérisée l’originalité qui la qui la distingue de celle de ses concurrents, une œuvre de l’esprit susceptible de bénéficier de la protection instituée (au titre du droit d’auteur) »[2].
Willems Guiriaboye
Stagiaire
Anita Delaage
Avocate
Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 1, 24 septembre 2019, n°17/19205
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact@taoma-partners.fr
[1] CA Paris, 21 sept. 2012, n°10/11630
[2] CA Paris, 21 févr. 2007, n°06/07885
06
novembre
2019
Revente de jeux vidéo dématérialisés sur Steam : une question loin d’être épuisée
Author:
teamtaomanews
Steam est la plus grande plateforme de distribution en ligne de contenus numériques, et notamment de jeux vidéo. Le 17 septembre 2019, le TGI de Paris a notamment considéré que la société américaine Valve, propriétaire de cette plateforme, n’avait pas respecté la loi en interdisant à ses utilisateurs de pouvoir revendre leurs jeux téléchargés, comme ils peuvent le faire au format physique.
L’association de consommateurs UFC-Que Choisir incriminait notamment la clause 1.C de l’accord de souscription Steam, selon laquelle aucun des utilisateurs de Steam « n’est autorisé à vendre ou facturer le droit d’utiliser des Souscriptions », c’est-à-dire du contenu hébergé sur la plateforme.
La décision du TGI de Paris est motivée par le principe de l’épuisement du droit de distribution consacré en droit de l’Union par la directive 2001/29/CE (sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information) et la directive 2009/24/CE (sur la protection juridique des programmes d’ordinateur), et en droit national par les articles L. 122-3-1 et L. 122-6, 3° du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
Selon Valve, la règle de l’épuisement n’a pas vocation à s’appliquer aux œuvres dématérialisées mais aux seuls objets tangibles supports de l’œuvre mis en circulation par le titulaire de droit ou avec son accord, faisant valoir que l’article 4(2) de la directive 2001/29/CE renvoie au seul support physique de l’œuvre.
Cependant, pour le Tribunal, il ressort des textes précités et de la jurisprudence de la CJUE (arrêt du 3 juillet 2012, C-128/11, UsedSoft GmbH c/ Oracle International Corp.) qu’il importe peu que l’œuvre soit ou non incorporée dans un support matériel, qu’elle ait été transférée par une vente ou une autre modalité que la vente : l’épuisement du droit de distribution s’applique quel que soit le mode de distribution du jeu vidéo, comme celle consistant en la mise sur le marché par téléchargement.
En conséquence, le titulaire du droit en cause ne peut plus s’opposer à la revente de cette copie ou exemplaire même si l’achat initial est réalisé par voie de téléchargement. Et l’éditeur du logiciel ou ses ayants-droit ne peuvent plus s’opposer à la revente de cette copie ou exemplaire même si l’achat initial est réalisé par voie de téléchargement, nonobstant l’existence de dispositions contractuelles interdisant une cession ultérieure.
D’où il suit que le principe de l’épuisement, invoqué par l’UFC-Que Choisir à l’appui de sa demande au regard desdits textes, s’applique à la fourniture de contenus numériques dématérialisés telle que la fourniture de jeux vidéo en ligne, lesquels sont accessibles à distance via Internet et téléchargés sur l’ordinateur de celui qui l’utilise.
Sur son site, l’UFC-Que Choisir a déclaré qu’elle comptait faire respecter cette décision et l’élargir à d’autres plateformes. De son côté, Valve a annoncé faire appel de ce jugement. Avec un marché français des jeux dématérialisés estimé à plus d’1,8 milliard d’euros en 2018, l’enjeu est de taille : Round 2… Fight !
Alexis Valot
Juriste
Anne Messas
Avocate à la cour, associée
Lien vers la décision
28
juin
2019
Parodie : Le Point fait rire la Cour de cassation
Author:
teamtaomanews
Le 19 juin 2014, le journal Le Point publiait un numéro dont la Une représentait, sous l’intitulé « Corporatiste intouchables, tueurs de réforme, lepéno-cégétistes… Les naufrageurs – la France coule, ce n’est pas leur problème », un buste de Marianne à demi submergé.
Il est cependant apparu que le journal n’avait pas recherché l’autorisation de l’auteur de la sculpture apparaissant dans ce photomontage, Alain Gourdon, dit Aslan, avant de procéder à la publication. Le sculpteur étant décédé, son épouse (investie de l’ensemble de ses droits) a assigné le Point en contrefaçon. Après le rejet de sa demande par les juges du fond, c’est la Cour de Cassation qui, par un arrêt du 22 mai 2019, a définitivement mis fin aux prétentions de la demanderesse.
Dans sa décision, la Cour marque son accord avec la qualification de parodie donnée à la Une de l’hebdomadaire par la cour d’appel. En effet, l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle indique que « lorsqu’une œuvre est divulguée, l’auteur ne peut interdire […] 4° la parodie, le pastiche ou la caricature, compte tenu des lois du genre », ces dernières n’étant pas définies légalement.
La Cour de Justice de l’Union Européenne[1] avait déjà apporté un éclairage sur les caractéristiques que devaient présenter une œuvre pour pouvoir être considérée comme une parodie, à savoir :
Évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci ;
Constituer une manifestation d’humour ou une raillerie.
En revanche, elle avait souligné que la notion de « parodie » n’était pas soumise à des conditions selon lesquelles elle devrait présenter un caractère original propre, pouvoir raisonnablement être attribuée à une personne autre que l’auteur de l’œuvre originale, porter sur l’œuvre originale ou mentionner la source de l’œuvre parodiée.
S’agissant d’une notion autonome du droit de l’Union, c’est à la lumière de cette interprétation que la Cour de cassation s’est prononcée, validant la décision de la cour d’appel, qui avait relevé :
L’absence de tout risque de confusion avec l’œuvre originale, du fait des éléments propres ajoutés par le photomontage ;
L’existence d’une « métaphore humoristique du naufrage prétendu de la République » qui résultait dudit montage, peu important le caractère sérieux de l’article qu’il illustrait,
Sans chercher à savoir, en revanche, si la parodie portait sur l’œuvre elle-même, ce critère ayant été écarté par la CJUE.
Date et référence : Cour de cassation, 1ère chambre civile, 22 mai 2019, n°18-12718
Lire la décision complète sur Legifrance
[1] CJUE, 3 septembre 2014, Deckym, C-201/13
19
mars
2019
Le vrai du faux de l’article 13
Author:
teamtaomanews
Mise à Jour du 27 mars 2019 suite à l’adoption de la Directive par le Parlement européen le 26 mars 2019
La directive « droit d’auteur », proposée par la Commission le 14 septembre 2016, vient d’être votée dans une version modifiée et définitive par le Parlement européen le 26 mars 2019. Nous faisons le point sur ce que dit « l’article 13 », devenu article 17, et sur les peurs qu’il a suscitées.
Comme toute directive, le texte qui vient d’être adopté par le Parlement européen devra être transposé dans le droit national des 28 (ou 27 ?) États Membres et ne sera pas applicable tel quel (contrairement aux règlements, comme le RGPD qui n’a pas eu besoin de transposition). La directive ne fait que fixer des buts à atteindre et laisse aux États Membres les moyens de parvenir à ces buts (par exemple, en imposant l’utilisation de logiciels de filtrage automatique, ou non).
Cette directive, tout au long du processus de négociations qui a duré deux ans et demi, a suscité de multiples inquiétudes et nous avons souhaité faire le point sur ce qu’elle implique, en examinant chacune des craintes et interrogations qui se sont répandues sur la toile, en particulier au sujet du fameux « article 13 » qui est devenu, dans la version finale, l’article 17 mais qui est passé à la postérité sous son numéro 13.
C’est quoi, l’article 13 ?
L’article 13, devenu 17, de la directive prévoit :
La fin du statut protecteur de l’hébergeur de contenu étendu par la jurisprudence européenne des FAI aux plateformes : plus de safe harbor, qui permettait aux hébergeurs de ne pas voir leur responsabilité engagée en cas de prompt retrait du contenu litigieux, mais une responsabilité a priori;
Une rémunération des auteurs encadrée par des contrats de licence facultatifs pour les ayants droit (point 1 de l’article) ;
Quand les ayants droit ne souhaitent pas conclure d’accord global, une obligation de coopération pour les plateformes, qui seraient ainsi obligées de supprimer le contenu litigieux (point 4) ;
Lorsqu’aucune autorisation n’a été accordée par les ayants droit, les hébergeurs sont tenus responsables de la communication du contenu litigieux sauf s’ils démontrent qu’ils ont : tout fait pour obtenir l’autorisation, ont déployé tous les efforts pour assurer l’indisponibilité de l’œuvre spécifique et qu’ils ont agi avec diligence pour supprimer ou interdire l’accès à l’œuvre après avoir reçu notification par les titulaires des droits. Il sera fait application du principe de proportionnalité afin de déterminer si les hébergeurs ont respecté leur obligation de coopération notamment au regard de l’audience, de la taille du service, du type d’œuvres téléchargées par les utilisateurs, des moyens efficaces et de leur coût pour l’hébergeur.
La possibilité pour les utilisateurs dont le contenu a été retiré de contester ce retrait au moyen d’une procédure de recours interne (point 8)
Une obligation de filtrage préalable à laquelle n’échappent que les plateformes âgées de moins de trois ans, réalisant moins de 10 millions d’euros de chiffre d’affaire annuel. Lorsque ces plateformes attirent plus de 5 millions d’utilisateurs, elles devront également démontrer qu’elles ont réalisé les efforts substantiels pour empêcher le téléchargement des œuvres pour lesquelles les auteurs avaient communiqué les éléments pertinents (point 4aa).
Ça va encore compliquer la vie des PME, comme le RGPD ?
Le Parlement européen a allégé la charge prévue initialement par la Commission pour les PME qui n’auront pas à mettre en œuvre de mesure de blocage automatique même en présence d’accords de licence négociés avec les ayants droit (point 7). En revanche, les plus petites plateformes seront obligées d’accepter de signer des accords de licence.
Est-ce que je prendrai des risques en faisant apparaître des marques dans mes vidéos ?
Non, rien ne change en matière de marques. La directive ne concerne que le droit d’auteur. Elle ne change rien au fait qu’il est déjà possible, sans engager sa responsabilité, de faire apparaître, volontairement ou non, un objet portant une marque protégée, dans le contenu mis en ligne. C’est par exemple le cas de cette célèbre marque de vêtements dans une vidéo de Norman Thavaud. L’utilisation qui est faite de la marque n’est pas « dans la vie des affaires » : elle ne constitue donc pas une contrefaçon.
Et les œuvres protégées par le droit d’auteur ? Va-t-il être désormais interdit de les montrer, même dans un coin de l’image ou pendant une fraction de seconde ?
Contrairement au projet rédigé par la Commission, la version modifiée puis votée par le Parlement précise que les exceptions au droit d’auteur empêcheront l’application de l’article 13. Par conséquent, il sera toujours possible, comme c’est le cas aujourd’hui, de :
Reproduire le bref extrait d’une œuvre à titre illustratif d’un propos plus général (citer une phrase d’un roman, montrer l’extrait d’une pièce de théâtre, utiliser quelques secondes d’une chanson…), comme c’est le cas pour cet extrait du film Le Cinquième Élément dans la même vidéo de Norman Thavaud ;
Faire figurer une œuvre protégée au sein d’un ensemble plus vaste, par exemple la Pyramide du Louvre de Ieoh Ming Pei (œuvre architecturale encore protégée) dans une vidéo tournée dans Paris ou un personnage de Walt Disney sur un poster figurant en arrière-plan de la vidéo d’un youtubeur dès lors que ces œuvres ne sont pas l’objet principal du contenu mis en ligne (exception « de panorama » ou « d’inclusion fortuite ») ;
Détourner une œuvre pour s’en moquer, la parodier, ou produire un contenu humoristique (exception de parodie), comme cette vidéo des Guignols de l’info parodiant une chanson de Stromae ;
Et bien sûr, il reste possible d’utiliser librement des œuvres appartenant au domaine public, c’est-à-dire dont l’auteur ou le dernier coauteur survivant est mort depuis au moins 70 années écoulées avant le 1er janvier de l’année en cours (hors cas particuliers).
J’ai entendu dire que l’article 13, c’est le retour de la censure…
Dès lors que les exceptions au droit d’auteur sont préservées, la directive n’aura aucunement pour effet de « censurer » les uploadeurs. En revanche, les mesures de surveillance des œuvres protégées seront peut-être plus efficaces et donneront lieu à davantage de retraits de contenu : mais ces retraits seront justifiés par des infractions au droit d’auteur.
Le droit d’auteur est certes une limite à la liberté d’expression puisqu’il est, par exemple, interdit de mettre en ligne un film n’appartenant pas au domaine public sans l’autorisation des ayants droit. Mais il ne s’agit pas à proprement parler de « censure » car cette limite à la liberté d’expression est inscrite dans la loi et dans les droits fondamentaux et constitutionnels (par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, notamment). Le terme de « censure » impliquant l’idée d’une intervention arbitraire, il est ici incorrect – sauf si les craintes suscitées par « Content ID » se révélaient justifiées, voir dernière question ci-dessous.
Est-ce vrai que les memes seront interdits ?
Les memes sont ces détournements parodiques qui incluent potentiellement des œuvres protégées, comme par exemple ce détournement du personnage OSS117 en référence à une phrase prononcée par l’actuel président de la République :
Une telle image utilise donc un extrait d’une œuvre protégée (OSS117 : Le Caire, nid d’espions) et le détourne par l’ajout d’un texte qui n’en provient pas mais qui suggère un rapprochement. A première vue, cette image enfreint donc le droit moral des ayants droit (absence de mention de l’auteur de l’image, modification non autorisée de l’œuvre) ainsi que leurs droit patrimoniaux (absence d’autorisation de la reproduction de l’œuvre, absence de rémunération).
Pourtant, ce meme n’est pas une contrefaçon car les exceptions au droit d’auteur empêchent les ayants droit du film d’en demander la suppression : l’image est utilisée à des fins parodiques, Emmanuel Macron étant comparé à Hubert Bonisseur de la Bath.
Les memes ne sont donc pas mis en danger par la directive, en droit.
Mais si les exceptions restent en vigueur, qu’est-ce qui va changer ?
Si les exceptions au droit d’auteur ne sont pas supprimées par la directive, cela implique tout d’abord que les plateformes n’auront pas la tâche démesurée de retirer tous les contenus utilisant des œuvres grâce à ces exceptions !
Ce qui va surtout changer, c’est le mode de rémunération des ayants droit qui seraient payés, via les accords de licence ou les accords au cas par cas, à la fois par YouTube et par l’uploadeur alors que, jusqu’à présent, seul ce dernier rémunère les auteurs des œuvres qu’il utilise dans sa contribution, sur les revenus dégagés par la publicité et que lui reverse YouTube. C’est une des raisons pour lesquelles les plateformes s’opposent à l’article 13.
Ensuite, il est vrai que les changements ne seront peut-être pas très visibles pour les uploadeurs ou les utilisateurs. Ainsi, les grandes plateformes ont déjà mis en place, depuis des années, notamment en France, des systèmes leur permettant de filtrer le contenu protégé, ne serait-ce qu’en surveillant par mots-clés le contenu mis en ligne, mais aussi en recourant à des robots ; elles suppriment également du contenu qui leur a été signalé comme contrefaisant par les ayants droit en-dehors de tout accord de licence ; elles ont enfin déjà instauré des procédures de contestation par les uploadeurs des mesures de retrait opérées contre leur contenu.
Par exemple, YouTube (propriété de Google) propose une procédure en ligne de notification d’atteinte aux droits d’auteur, mais aussi une procédure de contestation de la demande de retrait.
De même, YouTube a déjà prévu un formulaire de contestation contre le blocage automatique d’une vidéo par le logiciel « Content ID » et même une possibilité de faire appel contre la confirmation du retrait suite à la contestation (même lien). YouTube a donc anticipé sur l’application de l’article 13.
Enfin, certains utilisateurs avertis contournent les mesures de blocage automatique en empêchant la reconnaissance automatique des données contenues dans les vidéos qu’ils mettent en ligne : la bataille technologique ne concerne certes pas le gros des troupes des utilisateurs mais elle a une nette avance, comme toujours, sur l’évolution juridique.
Comment ce robot de blocage automatique, « Content ID », fonctionne-t-il ?
C’est un robot capable de repérer qu’un YouTubeur essaie de mettre en ligne un film dont les ayants droit ont expressément demandé la protection, ou bien un extrait de ce film. Ainsi, si un utilisateur de YouTube essaie de mettre en ligne sur sa chaîne le dernier film commercialisé par Warner ou par Universal et que ces sociétés ont demandé à bénéficier des services de Content ID, la mise en ligne est automatiquement bloquée. Il aura le même problème s’il a inclus un extrait de ce film dans sa propre vidéo.
Le problème suscité par ce blocage automatique est sa coexistence avec l’exception de courte citation et avec l’exception de parodie. En effet, les ayants droit ont la possibilité d’encadrer par défaut la durée autorisée des extraits. C’est pour cela, justement, que les procédures de contestation ont été prévues. Mais comme ces procédures sont très favorables aux ayants droit, l’uploadeur n’a plus que la seule option de saisir les tribunaux judiciaires pour faire condamner l’atteinte à sa liberté d’expression.
Il bien sûr impossible pour ce robot de répertorier la totalité des œuvres audiovisuelles protégées (films, émissions, clips, etc.) et musicales. Dès lors, le blocage automatique ne pourra concerner qu’une petite partie des œuvres protégées.
La crainte majeure pour les plateformes est que le blocage automatique soit imposé dans le cadre des accords de licence comme une obligation de résultat et non comme une obligation de moyens : dans le premier cas, elles seraient responsables si leurs robots ne détectent pas l’utilisation non autorisée d’une œuvre protégée ; dans le second, elles pourraient se dédouaner si elles démontrent avoir tout fait pour assurer le blocage automatique avec les outils technologiques et les moyens humains qui sont les leurs.
Gaëlle Loinger-Benamran
Associée
Conseil en Propriété Industrielle
et
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la Cour
22
novembre
2018
Pas de droit d’auteur pour la saveur d’un produit alimentaire
Author:
teamtaomanews
Les Juridictions nationales se penchent régulièrement sur la définition des œuvres susceptibles d’être protégées par le droit de la propriété intellectuelle. Après l’odeur d’un parfum, à qui les juges néerlandais semblent accorder une protection par le droit d’auteur, alors que la jurisprudence française y est plutôt opposée, il est ici question du goût d’un produit alimentaire.
La CJUE vient de rendre une décision très claire sur l’absence d’appropriation par le droit d’auteur des saveurs gustatives.
La société néerlandaise Levola s’était fait céder les « droits de propriété intellectuelle » sur un fromage à tartiner à la crème fraîche et aux fines herbes (le « Heksenkaas »).
Ayant découvert qu’un concurrent (la société Smilde) fabriquait pour une chaine de supermarchés un fromage (le « Witte Wievenkaas ») qu’elle jugeait similaire au sien, Levola l’a assignée pour atteinte à ses droits d’auteur sur la « saveur » du Heksenkaas.
Au cours de la procédure judiciaire, la cour d’appel d’Arnhem-Leuvarde a saisi la CJUE d’une question préjudicielle portant, en substance, sur la possibilité pour le goût d’un produit alimentaire de bénéficier de la protection par le droit de la propriété intellectuelle.
La Cour rappelle que les droits exclusifs dont jouissent les auteurs aux termes de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur portent sur des « œuvres » et que ces droits souffrent d’exceptions et de limitations, également prévues par ledit texte.
Elle précise ensuite que, pour qu’un objet puisse revêtir la qualification d’œuvre, il importe que soient réunies deux conditions cumulatives :
1. L’objet concerné doit être original, en ce sens qu’il constitue une création intellectuelle propre à son auteur => ce point n’est pas en débat en l’espèce ;
2. La qualification d’œuvre est réservée aux éléments qui sont l’expression d’une telle création intellectuelle.
En s’appuyant sur divers textes internationaux auxquels l’Union européenne est tenue de se conformer, la juridiction indique que « les œuvres littéraires et artistiques comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression » et que « ce sont les expressions et non les idées, les procédures, les méthodes de fonctionnement ou les concepts mathématiques, en tant que tels, qui peuvent faire l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur ».
Elle en conclut que la notion d’œuvre « implique nécessairement une expression de l’objet de la protection au titre du droit d’auteur qui le rende identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, quand bien même cette expression ne serait pas nécessairement permanente ».
En effet, la Cour rappelle qu’il est essentiel que les autorités chargées de veiller au respect des droits d’auteur, mais également les particuliers (notamment les concurrents de titulaires de droits) soient en mesure de connaître avec clarté et précision les objets ainsi protégés et que tout élément de subjectivité soit écarté dans le processus d’identification de l’objet protégé. Ainsi, ce dernier doit pouvoir faire l’objet d’une expression précise et objective. Cette exigence répond notamment aux questions qui était posée par la juridiction de renvoi, qui se demandait comment faire valoir ses droits devant les juridictions (faudrait-il que le juge déguste un produit pour vérifier s’il peut être protégé ? Que les choix créatifs de l’« auteur » soient décrits ? Comment la similitude avec un autre produit pourrait être établie ? etc.).
Or, la Cour souligne que « la possibilité d’une identification précise et objective fait défaut en ce qui concerne la saveur d’un produit alimentaire [puisqu’elle] repose essentiellement sur des sensations et des expériences gustatives qui sont subjectives et variables [qui] dépendent, notamment, de facteurs liés à la personne qui goûte le produit concerné […] ainsi que de l’environnement ou du contexte dans lequel ce produit est goûté.
En outre, une identification précise et objective de la saveur d’un produit alimentaire, qui permette de la distinguer de la saveur d’autres produits de même nature, n’est pas possible par des moyens techniques en l’état actuel du développement scientifique ».
En conséquence, la CJUE décide que la saveur d’un produit alimentaire ne peut pas être qualifiée d’œuvre et que le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une législation nationale soit interprétée de manière à lui accorder une protection par le droit d’auteur.
Si l’issue de cette affaire n’est pas particulièrement surprenante, l’exigence d’une formalisation étant souvent rappelée, tout du moins par les juridictions françaises, elle permet de rappeler la difficile protection des saveurs, qui peinent également à remplir les critères de validité des marques (cf. CA Paris, 4ème chambre, section B, 03 octobre 2003 : « la marque constituée par le goût suivant : ‘’arôme artificiel de fraise’’ ne remplit en aucun cas les critères de précision et d’objectivité requis [et ne peut pas être enregistrée] »).
Référence et date : Cour de Justice de l’Union Européenne, 13 novembre 2018, dans l’affaire n° C‑310/17
Lire l’arrêt sur Curia
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