12
octobre
2020
Pas de marque pour Banksy!
Author:
teamtaomanews
« FLOWER THROWER » (Le lanceur de fleur) du célèbre artiste anonyme Banksy est sans doute l’une de ses œuvres les plus connues. Cette œuvre, qui avait été protégée à titre de marque auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) vient d’être déclarée nulle sur le fondement de la mauvaise foi.
En effet, en 2014, la société Pest Control Office Limited, venant aux droits de l’artiste Banksy afin de masquer sa véritable identité, avait procédé au dépôt de la marque figurative du célèbre graffiti « FLOWER THROWER » pour divers produits et services, dont notamment les vêtements, les activités culturelles… :
(Marque de l’Union Européenne No. 12575155)
En 2019, la société britannique Full Color Black Limited, qui est spécialisée dans la fabrication de cartes de vœux et qui souhaitait utiliser l’œuvre pour ses produits, a introduit auprès de l’EUIPO une action en nullité contre cette marque sur le fondement de la mauvaise foi.
Pour rappel, le Règlement sur la marque de l’Union Européenne prévoit que la nullité d’une marque de l’Union européenne peut être déclarée, notamment, « lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque » [1]. Selon la jurisprudence de l’Union Européenne, la mauvaise foi s’applique lorsqu’il « ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union Européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine » [2].
Or, en l’espèce, la société britannique Full Color Black Limited considérait que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été déposée de mauvaise foi dans la mesure où Banksy n’avait aucunement l’intention de l’utiliser en tant qu’indication d’origine des produits et services visés, mais pour contourner son incapacité à se prévaloir d’un autre droit de propriété intellectuelle, le droit d’auteur notamment, en raison de son anonymat.
En réponse, Banksy arguait notamment que le signe litigieux avait fait l’objet d’un commencement d’exploitation pour les produits en cause en 2019, via l’ouverture d’une boutique en ligne, bien que selon ses propres mots, rapportés dans un certain nombre de publications, une telle exploitation avait été réalisée dans le seul but de contourner l’obligation d’usage à laquelle était soumise sa marque de l’Union européenne.
Par décision du 14 septembre 2020, la Division de l’Annulation de l’EUIPO a reconnu que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été effectué de mauvaise foi et l’a, en conséquence, déclarée nulle.
Pour arriver à cette conclusion, l’EUIPO s’est notamment fondée sur deux éléments :
Banksy n’a, lors du dépôt, eu aucunement l’intention d’utiliser la marque en cause pour les produits et services visés. Les seuls usages identifiés ont été réalisés qu’une fois la procédure d’annulation initiée et ce, dans le but de contourner les exigences du droit des marques ;
Banksy, du fait de son anonymat, mais également d’autres circonstances indépendantes au droit des marques, ne peut valablement prétendre à la protection par le droit d’auteur. Le dépôt de la marque en cause a été réalisé avec pour seul objectif de s’approprier des droits sur un signe pour lequel Banksy ne pouvait se prévaloir des droits d’auteur.
Cette décision, tout en reprécisant la notion de « mauvaise foi » en matière de marque, vient donc rappeler qu’il est impératif d’avoir l’intention de faire usage de sa marque pour les produits et services visés et ce, conformément à la fonction d’indication d’origine.
Or, tel n’était pas le cas concernant la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » et, fort probablement, pour les autres marques déposées par la société liées à Banksy reproduisant ses autres œuvres, dont la plus célèbre n’est autre que « GIRL WITH BALLON » (Petite fille au ballon). Cette décision pourrait donc avoir de très lourdes conséquences sur les droits de Banksy sur ses œuvres.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Article 59(1)(b) du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne « 1. La nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée, sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque »
[2] Cour de Justice de l’Union Européenne, affaire C-104/18 P, STYLO & KOTON (fig.), §46
14
avril
2020
Une nouvelle chance pour la marque de l’Union européenne « FACK JU GÖHTE »
Author:
teamtaomanews
Le signe verbal « FACK JU GÖHTE » peut être enregistré à titre de marque de l’Union Européenne selon l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 27 février 2020. Par cet arrêt, la CJUE annule ainsi la décision de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), confirmée par le Tribunal, selon laquelle cette demande de marque était contraire à l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 [1], soit contraire aux bonnes mœurs.
Comme évoqué dans le cadre de notre précédente news concernant les conclusions de l’Avocat général Bobek (lire notre TAoMA News du 18 juillet 2019), la société Constantin Film Produktion GmbH a déposé en 2015 une demande d’enregistrement de la marque verbale « FACK JU GÖHTE » auprès de l’EUIPO. Si ce signe est destiné à désigner divers produits et services de la vie quotidienne, il s’agit également du titre d’une comédie allemande ayant eu un succès retentissant dans les pays germanophones et connu plusieurs suites.
L’EUIPO, approuvé par le TUE, refusa l’enregistrement de ce signe verbal au motif que les premiers termes « FACK JU » étaient phonétiquement identiques à l’insulte anglaise « FUCK YOU » et que le signe pris dans son ensemble constituait donc une expression de mauvais goût, offensante et vulgaire par laquelle l’écrivain Johann Wolfgang Goethe était insulté à titre posthume [2] et ce, nonobstant les arguments du déposant quant au contexte entourant la sortie du film portant le même nom.
Constantin Film Porduktion GmbH saisit alors la CJUE d’un pourvoi dirigé contre cette dernière décision en alléguant, notamment, des erreurs dans l’interprétation et l’application de l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009, qui exclut de l’enregistrement les marques « contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ».
Suivant le raisonnement de l’Avocat Général Bobek, la Cour annule par son arrêt du 27 février 2020 la décision du Tribunal et de l’EUIPO.
Selon la Cour, l’EUIPO et le TUE ont méconnu les standards que commande l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 et au regard desquels il est nécessaire de mettre en œuvre une analyse de l’ensemble des éléments propres à l’espèce afin de déterminer précisément la manière dont le public pertinent percevrait le signe en cause.
En effet, l’EUIPO, ainsi que le TUE, se sont fondés uniquement sur une appréciation abstraite de cette marque et de l’expression anglaise à laquelle la première partie de celle-ci est assimilée. Or, la Cour considère qu’ils auraient dû examiner avec plus d’attention le contexte social et les éléments factuels invoqués par le déposant et expliquer de manière plus concluante les raisons pour lesquelles ces éléments avaient été écartés de son analyse.
Parmi ces éléments factuels figuraient des indices plus que probants et notamment le grand succès cinématographique de la comédie portant le même nom et la circonstance que ce titre n’ait pas suscité de controverses auprès du public germanophone. De plus, le jeune public avait été autorisé à visualiser ce film lors de sa sortie et en était la cible première. Enfin l’Institut Goethe, qui est une référence dans la promotion de la langue allemande au niveau national et mondial, s’en est servi à des fins pédagogiques.
En outre, la Cour souligne le fait que la perception de l’expression anglaise « FUCK YOU » par le public germanophone n’est pas nécessairement la même que sa perception par le public anglophone. S’il est vrai que cette expression est notoirement connue auprès du public non-anglophone, son contenu sémantique peut être légèrement différent, voir amoindri dans une langue étrangère. Cela est d’autant plus vrai que dans le cas présent, la première partie de la demande de marque en cause ne consiste non pas en cette expression anglaise en tant que telle, mais dans sa retranscription phonétique en langue allemande, accompagnée de l’élément « Göhte ».
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la Cour estime que l’EUIPO, ainsi que le Tribunal, se sont livrés à une interprétation et application erronées de l’Article 7, paragraphe 1, sous f), du Règlement n°207/2009, et annule, en conséquence, les décisions correspondantes.
Enfin, comme nous l’avions indiqué dans notre précédente TAoMA News, Constantin Film Produktion GmbH invoquait également la liberté d’expression en tant qu’élément à prendre en considération dans l’appréciation de l’Article 7, paragraphe 1, sous f), du Règlement n°207/2009. Si la Cour se montre moins affirmative que son homologue américain (la Cour Suprême des États-Unis a récemment jugé la loi américaine relative aux marques immorales, trompeuses ou scandaleuses comme contraire à la liberté d’expression garantie par la Constitution américaine, voir notre TAoMA News du 4 juillet 2019), elle concède, pour la première fois à notre connaissance, que la liberté d’expression doit être prise en compte lors de l’application de cette disposition du droit des marques afin de garantir le respect des libertés et des droits fondamentaux, conformément notamment à l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [3].
Le devenir de la demande de marque « FACK JU GÖHTE » est désormais entre les mains de l’EUIPO qui devra, pour la seconde fois, procéder à son examen. Forte d’enseignements, la décision de la Cour devrait sans doute influencer cette dernière et entraîner son enregistrement à titre de marque.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
Lire la décision complète sur le site CURIA.
[1] Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) f) les marques qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (…) » texte applicable au cas d’espèce aujourd’hui remplacé par le Règlement n° 2017/1001 ;
[2] Tribunal de l’Union Européenne du 24 janvier 2018, Constantin Film Produktion/EUIPO (Fack Ju Göthe), T-69/17 ; Décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) du 1er décembre 2016 (Fack Ju Göhte), R 2205/2015-5.
[3] Article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne: « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. »
23
janvier
2020
Le casse-tête juridique de la protection de la célèbre marque tridimensionnelle « RUBIK’S CUBE » enfin résolu !
Author:
teamtaomanews
La résolution du célèbre casse-tête géométrique à trois dimensions est devenue source de nombreux records dans le monde, dont le temps le plus rapide jamais réalisé est de 3,47 secondes.
L’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), ainsi que les juges de l’Union Européenne, auront mis quant à eux 13 ans pour trouver une solution à ce puzzle peu conventionnel, mais dans un contexte légèrement différent.
I- HISTORIQUE DE L’AFFAIRE « RUBIK’S CUBE »
En 2006, la société allemande Simba Toy a présenté une demande de nullité de la marque tridimensionnelle de l’Union Européenne « Rubik’s Cube » ci-dessous, enregistrée le 6 avril 1999 pour les produits suivants de la classe 28 : « Puzzle en trois dimensions » de la classe 28.
Au soutien de son action, elle invoquait la violation de l’Article 7, paragraphe 1, sous a) à c) et e), du Règlement n°40/94 (devenu Article 7, paragraphe 1, sous a) à c) et e), du Règlement 2017/1001) en vertu duquel ne peut être accepté à l’enregistrement les signes constitués exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique [1].
Aussi bien la Division d’Annulation que la Chambre de Recours de l’EUIPO et le Tribunal de l’Union Européenne (TUE), par décision du 25 novembre 2014 [2], ont rejeté la demande de nullité au motif que la représentation graphique de la marque contestée ne suggérait aucune fonction de rotation. En effet, d’après le TUE, la capacité de rotation du cube ne résulte ni des lignes noires verticales et horizontales, ni de la structure en grille figurant sur chacune des faces de ce cube, mais d’un mécanisme interne qui n’est pas visible sur la marque telle que représentée.
La société allemande exerça alors un recours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), laquelle a rejeté le raisonnement du Tribunal et annulé la décision par arrêt du 10 novembre 2016 [3].
La Cour a considéré que pour examiner la fonctionnalité des caractéristiques essentielles du signe en cause, il convenait de prendre en considération la représentation graphique du signe, comme l’ont justement rappelé l’EUIPO et le TUE, mais également des éléments supplémentaires relatifs à la fonction du produit concret en cause.
La première chambre de recours de l’EUIPO, statuant sur renvoi, a, sans grande surprise, suivi le raisonnement de la CJUE et annulé la marque tridimensionnelle pour les produits de la classe 28 (jeux, jouets…) [4].
Celle-ci a jugé que les caractéristiques essentielles de la marque contestée, à savoir les lignes noires verticales et horizontales, la forme cubique du produit et les différences de couleur sur les six faces du cube, présentaient une fonction technique, bien que celle-ci ne soit pas visible sur le signe tel que représenté.
Il ressort effectivement des éléments de l’espèce qu’un « observateur raisonnablement avisé » sera à même d’identifier la fonction rotative du signe contestée dans la mesure où ce signe représente un puzzle en trois dimensions mondialement connu sous le nom de « Rubik’s Cube » et dont la finalité est de reconstituer un puzzle en faisant pivoter selon un axe, verticalement et horizontalement, des rangées de cubes plus petits de différentes couleurs jusqu’à ce que les neuf carrés de chaque face du cube soient de la même couleur.
Cette analyse est corroborée par une image fournie par la société allemande Simba Toy qui représentait un « Rubik’s Cube » en état d’utilisation, dont les lignes noires verticales et horizontales créent une séparation physique entre les cubes et permettent à un joueur de changer la position de ces cubes par rapport à d’autres.
En ce qui concerne la forme globale du produit, ainsi que les différentes couleurs, la Chambre de Recours a considéré qu’elles participaient également à l’obtention d’un résultat technique.
En conclusion, la marque tridimensionnelle de l’Union Européenne « Rubik’s Cube » a été considérée comme contraire à l’Article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du Règlement n°40/94 et déclarée nulle.
C’était sans compter sur la ténacité de la société Rubik’s Brand Ltd, titulaire de la marque en cause, qui a formé un recours contre cette décision.
II- DÉNOUEMENT DE L’AFFAIRE « RUBIK’S CUBE »
Le TUE a donc, pour la seconde fois, tenté de résoudre le casse-tête « Rubik’s Cube », sauf que, cette fois, la solution paraissait plus évidente.
En effet, par décision du 24 octobre dernier, le TUE a également suivi le raisonnement de la CJUE et confirmé l’annulation de la marque contestée, tout en réformant la décision de la Chambre des Recours sur quelques points techniques.
D’une part, la société Rubik’s Brand Ltd contestait l’une des caractéristiques essentielles de la marque contestée, à savoir la différence de couleurs sur les six faces du cube.
Le Tribunal admet que cet élément ne peut constituer une caractéristique de la marque contestée dès lors qu’en l’absence de description de cette dernière et de revendication de couleurs dans la demande d’enregistrement, il ne saurait être déduit, sur la seule base de la représentation graphique du signe, que chacune des faces du cube comporte une couleur.
Toutefois, il estime que cette erreur d’appréciation de la part de la Chambre de Recours n’a aucune incidence sur la solution finale, à savoir la nullité de la marque contestée.
D’autre part, le Tribunal considère que les lignes noires sont nécessaires à l’obtention du résultat technique dès lors qu’elles représentent une séparation physique entre les cubes individuels, permettant au joueur de faire pivoter chaque rangée de petits cubes indépendamment les unes des autres afin de les regrouper dans la bonne combinaison de couleur. Sans cette séparation physique, « le cube ne serait rien d’autre qu’un bloc solide, ne comportant aucun élément individuel pouvant être déplacé de manière indépendante ».
En ce qui concerne la forme cubique du produit, le Tribunal estime que l’existence de formes géométriques alternatives n’est pas per se concluant, et ce conformément à la jurisprudence antérieure.
Aussi, la forme du produit « Rubik’s Cube » est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique et ne peut, en conséquence, constituer une marque valable en vertu du droit de l’Union Européenne.
Si cette décision semble confirmer la position de la jurisprudence de l’Union Européenne en matière de marque tridimensionnelle, notamment afin d’éviter un contournement du droit des brevets qui permet la protection d’une solution technique, elle a le mérite d’apporter un certain nombre de clarifications eu-égard à l’appréciation de la fonction technique des caractéristiques essentielles de la marque contestée.
En effet, outre la représentation graphique de la marque contestée, il convient également de prendre en compte la forme concrète de la marque et, partant, tout élément utile à l’appréciation, tels que des enquêtes et des expertises, ou encore des données relatives à des droits de propriété intellectuelle conférés antérieurement.
Toutefois, il convient de noter que dans le cadre de la présente affaire, le déposant n’avait fourni aucune description de sa marque lors du dépôt. Aussi, nous pouvons nous demander si une telle appréciation aurait vocation à s’appliquer de manière identique dans l’hypothèse où le titulaire d’une marque tridimensionnelle aurait fourni une description de sa marque.
En outre, le raisonnement du TUE peut apparaitre quelque peu contradictoire sur certains points. D’une part, il prend en compte des éléments extérieurs à la représentation graphique de la marque pour conclure que les lignes verticales et horizontales sont une caractéristique essentielle du signe permettant l’obtention d’un résultat technique. Mais d’autre part, il se contente d’une simple analyse visuelle de la représentation de la marque pour conclure que les couleurs des six faces du cube n’en constituent pas une.
Après plus de dix ans de procédure, la saga « Rubik’s Cube » touche à sa fin. Si le titulaire de la marque contestée perd le bénéfice de la protection de la forme iconique créée par Ernő Rubik (uniquement pour les produits de la classe 28), elle peut toutefois compter sur la protection de son nom, connu à travers le monde.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle Juridique CPI
Lien vers la décision commentée
[1] Article 7 paragraphe 1 sous a) à c) et e), du Règlement 2017/1001 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : a) les signes qui ne sont pas conformes à l’article 4 ; c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci ; e) les signes constitués exclusivement : i) par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ; ii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ; iii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, qui donne une valeur substantielle au produit »
[2] Arrêt du Tribunal de l’Union Européenne du 25 novembre 2014 – T-450/09, Simba Toys / OHMI (lien)
[3] Arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 10 novembre 2016 – C-30/15, Simba Toys / EUIPO (lien)
[4] Décision de la première Chambre de Recours de l’EUIPO du 6 mars 2017 – R 452/2017-1, Simba Toys / Rubik’s Brand Limited
11
septembre
2019
« LED ZEPPELIN », le célèbre groupe britannique fait son entrée au panthéon des marques
Le célèbre groupe de rock Britannique chantait pour la première fois en 1971 son fameux titre « Stairway to Heaven ». Ce n’est pas sans une certaine ironie de l’histoire que le Groupe, plus de quarante ans après, atteint ce fameux paradis, mais dans un contexte légèrement différent.
En 2016, la marque « ZEPPELIN GUITARS » fut déposée auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) pour désigner les produits suivants :
Classe 9: « Appareils des technologies de l’information ; Micros pour instruments de musique électriques (pick-up) ; Mixeurs audio avec amplificateur intégré ; Pédales wah-wah pour guitares ; Pièces et accessoires de tous les produits précités, compris dans cette classe » ;
Classe 15: « Instruments de musique ; Accessoires pour instruments de musique ; Pièces et accessoires de tous les produits précités, compris dans cette classe ».
La société Superhype Tapes Limited, Label discographique du groupe Britannique, forma alors opposition à l’encontre de cette demande de marque sur la base de ses marques de l’Union Européenne « LED ZEPPELIN », ainsi que la marque non déposée du même nom, dont la protection est revendiquée au Royaume-Uni et en Ireland.
L’opposant invoquait notamment l’article 8(5) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne (UE) 2017/1001 [1], soit la renommée de ses marques antérieures.
Pour rappel, la marque renommée, telle que prévue par le Règlement, s’entend d’une marque dont le champ de protection s’étend au-delà du principe de spécialité, selon lequel une marque n’est protégée que pour des produits et services identiques ou similaires.
Bien que souvent invoqué par les titulaires de marques, ce fondement n’est que très rarement reconnu par l’EUIPO au regard des conditions rigoureuses qui sont imposées. En effet, il est nécessaire que les signes en cause soient identiques ou similaires, que la marque antérieure jouisse d’une renommée sur le territoire concerné pour les produits et services pour lesquels l’opposition a été formée et qu’il existe un risque de préjudice.
En l’espèce, la Division d’Opposition de l’EUIPO a considéré que les marques antérieures « LED ZEPPELIN » bénéficiaient d’une renommée sur le territoire de l’Union Européenne. Pour ce faire, elle se fonde sur divers éléments, dont l’un n’a pas manqué de marquer les esprits, à savoir un hommage qu’avait rendu l’ancien Président américain Barack Obama au groupe en 2012 et selon lequel Led Zeppelin « still rock! ».
En outre, la décision confirme que les signes en cause présentent des ressemblances visuelles, phonétiques et intellectuelles importantes et que les produits visés sont similaires et fortement liés.
Il ressort de ces éléments que la marque contestée « ZEPPELIN GUITARS » sera nécessairement associée aux marques antérieures « LED ZEPPELIN », c’est-à-dire que le public pertinent, lorsqu’il sera confronté à la marque contestée « ZEPPLIN GUITARS », établira un lien entre les signes en cause.
En effet, l’EUIPO juge qu’en raison de l’utilisation du signe « ZEPPELIN GUITARS », les produits contestés attireront beaucoup plus l’attention du public concerné que si ces mêmes produits étaient commercialisés sous une marque (inconnue) différente.
La demande de marque opposée est donc susceptible de tirer indûment profit de la renommée des marques antérieures et partant, créer un préjudice au détriment du groupe de rock britannique.
Par conséquent, l’opposition est reconnue comme fondée et la demande de marque « ZEPPELIN GUITARS » est rejetée dans son intégralité.
Près de quarante ans après sa séparation, le Groupe Led Zeppelin reste l’un des plus grands groupes de rock au monde et cette décision rendue en matière de droit des marques ne fait que le confirmer !
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Article 8(5) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne (UE) 2017/1001 : « Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure enregistrée au sens du paragraphe 2, la marque demandée est refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque cette marque antérieure est une marque de l’Union Européenne qui jouit d’une renommée dans l’Union ou une marque nationale qui jouit d’une renommée dans l’État concerné, et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice ».
18
juillet
2019
« FACK JU GÖHTE »: Mieux vaut une insulte qu’un désordre ?
Author:
teamtaomanews
Le signe « FACK JU GÖHTE », qui est également le titre d’une comédie allemande à succès, peut-il être enregistré à titre de marque de l’Union Européenne ?
En 2015, la société Constantin Film Produktion GmbH a déposé auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), une demande d’enregistrement de la marque verbale « FACK JU GÖHTE », correspondant au titre d’un film, pour divers produits et services de la vie quotidienne. Cette demande de marque a été rejetée au motif que le signe « FACK JU GÖHTE » était contraire à l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 [1], soit contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. L’EUIPO considérait que les termes « FACK JU » étaient prononcés de la même manière que l’expression anglaise « FUCK YOU » et que le signe constituait donc une marque de mauvais goût, offensante et vulgaire par laquelle l’écrivain Johann Wolgang von Goethe était insulté à titre posthume.
En 2017, Constantin Film Produktion GmbH a introduit devant le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) un recours en annulation de la décision de l’EUIPO. Par un arrêt en date du 24 janvier 2018, le TUE rejeta ce recours.
Constantin Film Produktion GmbH saisit alors la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’un pourvoi dirigé contre cette décision en alléguant d’erreurs dans l’interprétation et l’application du Règlement (CE) n°207/2009 sur la marque communautaire, qui exclut de l’enregistrement les marques « contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs », ainsi que d’une violation des principes de l’égalité de traitement, de sécurité juridique et de bonne administration.
Le 2 juillet dernier, l’Avocat général Bobek a présenté ses conclusions et recommande à la CJUE d’annuler l’arrêt du Tribunal, ainsi que la décision de l’EUIPO.
En effet, l’Avocat général observe dans un premier temps que contrairement à l’affirmation du TUE selon laquelle « il est constant qu’il existe, dans le domaine de l’art, de la culture et de la littérature, un souci constant de préserver la liberté d’expression qui n’existe pas dans le domaine des marques », la liberté d’expression a vocation à s’appliquer en droit des marques, même si sa protection n’est pas l’objectif principal poursuivi par le droit des marques.
Il souligne également que les notions « d’ordre public » et « bonnes mœurs » présentent des différences conceptuelles certaines, dont il faut tenir compte dans l’application de l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009. La notion « d’ordre public » correspondrait à une vision normative de valeurs et d’objectifs, définie par les autorités publiques compétentes, à travers des sources officielles du droit et des documents de politique, tandis que les « bonnes mœurs » feraient référence à des valeurs et croyances auxquelles une société adhère à un moment donné, définies et appliquées par le consensus social prévalant dans une société à une moment donné. Ainsi, la principale différence entre ces deux notions réside dans la façon dont elles sont établies et déterminées. Alors que « l’ordre public » peut être déterminé de manière objective, par référence aux lois, aux politiques publiques et aux déclarations officielles, les principes moraux doivent être appréciés au regard d’un contexte social précis, ce qui suppose de prendre en considération la perception de la société à un moment précis.
Par conséquent, le motif absolu de refus d’enregistrement tiré des « bonnes mœurs » doit être apprécié au regard de la perception du public pertinent, en tenant compte des éléments de fait propres à l’espèce.
Or, selon l’Avocat général, l’EUIPO, ainsi que le TUE, n’auraient pas tenu compte de ces principes dans l’appréciation du signe « FACK JU GÖHTE », ignorant le contexte plus large dans lequel la marque avait été déposée, à savoir le succès du film lors de sa sortie, l’absence de controverse à propos de son titre, le fait que son visionnage ait été autorisé à un public jeune et que l’Institut Goethe s’en sert à des fins pédagogiques.
Enfin, l’Avocat général a souligné que l’EUIPO s’était écarté de sa jurisprudence sans explication cohérente. En effet, dans le cadre de l’affaire « Die Wanderhure » (i.e. : La Catin), qui était également le titre d’une œuvre littéraire allemande et de son adaptation cinématographique, la chambre de recours de l’EUIPO avait considéré que le succès du film démontrait que le public n’avait pas été choqué ni par l’œuvre littéraire, ni par le titre. Ainsi, compte tenu des similitudes entre les contextes, l’EUIPO aurait dû fournir une explication plausible à l’adoption de solutions différentes dans ces deux affaires.
La CJUE qui commence à présent à délibérer dans cette affaire, n’est toutefois pas liée par les conclusions de l’Avocat général. Elle pourrait se ranger du côté de Constantin Film Produktion GmbH, et donc de l’Avocat général Bobek, et suivre les traces de son homologue américain, la Cour Suprême des États-Unis qui, pour rappel, a récemment reconnu la validité de la marque « FUCT », sur le fondement de la liberté d’expression (lire notre TAoMA News).
Lire les conclusions de l’Avocat général Bobek sur le site CURIA.
[1] l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) f) les marques qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (…) »
19
mars
2019
Le vrai du faux de l’article 13
Author:
teamtaomanews
Mise à Jour du 27 mars 2019 suite à l’adoption de la Directive par le Parlement européen le 26 mars 2019
La directive « droit d’auteur », proposée par la Commission le 14 septembre 2016, vient d’être votée dans une version modifiée et définitive par le Parlement européen le 26 mars 2019. Nous faisons le point sur ce que dit « l’article 13 », devenu article 17, et sur les peurs qu’il a suscitées.
Comme toute directive, le texte qui vient d’être adopté par le Parlement européen devra être transposé dans le droit national des 28 (ou 27 ?) États Membres et ne sera pas applicable tel quel (contrairement aux règlements, comme le RGPD qui n’a pas eu besoin de transposition). La directive ne fait que fixer des buts à atteindre et laisse aux États Membres les moyens de parvenir à ces buts (par exemple, en imposant l’utilisation de logiciels de filtrage automatique, ou non).
Cette directive, tout au long du processus de négociations qui a duré deux ans et demi, a suscité de multiples inquiétudes et nous avons souhaité faire le point sur ce qu’elle implique, en examinant chacune des craintes et interrogations qui se sont répandues sur la toile, en particulier au sujet du fameux « article 13 » qui est devenu, dans la version finale, l’article 17 mais qui est passé à la postérité sous son numéro 13.
C’est quoi, l’article 13 ?
L’article 13, devenu 17, de la directive prévoit :
La fin du statut protecteur de l’hébergeur de contenu étendu par la jurisprudence européenne des FAI aux plateformes : plus de safe harbor, qui permettait aux hébergeurs de ne pas voir leur responsabilité engagée en cas de prompt retrait du contenu litigieux, mais une responsabilité a priori;
Une rémunération des auteurs encadrée par des contrats de licence facultatifs pour les ayants droit (point 1 de l’article) ;
Quand les ayants droit ne souhaitent pas conclure d’accord global, une obligation de coopération pour les plateformes, qui seraient ainsi obligées de supprimer le contenu litigieux (point 4) ;
Lorsqu’aucune autorisation n’a été accordée par les ayants droit, les hébergeurs sont tenus responsables de la communication du contenu litigieux sauf s’ils démontrent qu’ils ont : tout fait pour obtenir l’autorisation, ont déployé tous les efforts pour assurer l’indisponibilité de l’œuvre spécifique et qu’ils ont agi avec diligence pour supprimer ou interdire l’accès à l’œuvre après avoir reçu notification par les titulaires des droits. Il sera fait application du principe de proportionnalité afin de déterminer si les hébergeurs ont respecté leur obligation de coopération notamment au regard de l’audience, de la taille du service, du type d’œuvres téléchargées par les utilisateurs, des moyens efficaces et de leur coût pour l’hébergeur.
La possibilité pour les utilisateurs dont le contenu a été retiré de contester ce retrait au moyen d’une procédure de recours interne (point 8)
Une obligation de filtrage préalable à laquelle n’échappent que les plateformes âgées de moins de trois ans, réalisant moins de 10 millions d’euros de chiffre d’affaire annuel. Lorsque ces plateformes attirent plus de 5 millions d’utilisateurs, elles devront également démontrer qu’elles ont réalisé les efforts substantiels pour empêcher le téléchargement des œuvres pour lesquelles les auteurs avaient communiqué les éléments pertinents (point 4aa).
Ça va encore compliquer la vie des PME, comme le RGPD ?
Le Parlement européen a allégé la charge prévue initialement par la Commission pour les PME qui n’auront pas à mettre en œuvre de mesure de blocage automatique même en présence d’accords de licence négociés avec les ayants droit (point 7). En revanche, les plus petites plateformes seront obligées d’accepter de signer des accords de licence.
Est-ce que je prendrai des risques en faisant apparaître des marques dans mes vidéos ?
Non, rien ne change en matière de marques. La directive ne concerne que le droit d’auteur. Elle ne change rien au fait qu’il est déjà possible, sans engager sa responsabilité, de faire apparaître, volontairement ou non, un objet portant une marque protégée, dans le contenu mis en ligne. C’est par exemple le cas de cette célèbre marque de vêtements dans une vidéo de Norman Thavaud. L’utilisation qui est faite de la marque n’est pas « dans la vie des affaires » : elle ne constitue donc pas une contrefaçon.
Et les œuvres protégées par le droit d’auteur ? Va-t-il être désormais interdit de les montrer, même dans un coin de l’image ou pendant une fraction de seconde ?
Contrairement au projet rédigé par la Commission, la version modifiée puis votée par le Parlement précise que les exceptions au droit d’auteur empêcheront l’application de l’article 13. Par conséquent, il sera toujours possible, comme c’est le cas aujourd’hui, de :
Reproduire le bref extrait d’une œuvre à titre illustratif d’un propos plus général (citer une phrase d’un roman, montrer l’extrait d’une pièce de théâtre, utiliser quelques secondes d’une chanson…), comme c’est le cas pour cet extrait du film Le Cinquième Élément dans la même vidéo de Norman Thavaud ;
Faire figurer une œuvre protégée au sein d’un ensemble plus vaste, par exemple la Pyramide du Louvre de Ieoh Ming Pei (œuvre architecturale encore protégée) dans une vidéo tournée dans Paris ou un personnage de Walt Disney sur un poster figurant en arrière-plan de la vidéo d’un youtubeur dès lors que ces œuvres ne sont pas l’objet principal du contenu mis en ligne (exception « de panorama » ou « d’inclusion fortuite ») ;
Détourner une œuvre pour s’en moquer, la parodier, ou produire un contenu humoristique (exception de parodie), comme cette vidéo des Guignols de l’info parodiant une chanson de Stromae ;
Et bien sûr, il reste possible d’utiliser librement des œuvres appartenant au domaine public, c’est-à-dire dont l’auteur ou le dernier coauteur survivant est mort depuis au moins 70 années écoulées avant le 1er janvier de l’année en cours (hors cas particuliers).
J’ai entendu dire que l’article 13, c’est le retour de la censure…
Dès lors que les exceptions au droit d’auteur sont préservées, la directive n’aura aucunement pour effet de « censurer » les uploadeurs. En revanche, les mesures de surveillance des œuvres protégées seront peut-être plus efficaces et donneront lieu à davantage de retraits de contenu : mais ces retraits seront justifiés par des infractions au droit d’auteur.
Le droit d’auteur est certes une limite à la liberté d’expression puisqu’il est, par exemple, interdit de mettre en ligne un film n’appartenant pas au domaine public sans l’autorisation des ayants droit. Mais il ne s’agit pas à proprement parler de « censure » car cette limite à la liberté d’expression est inscrite dans la loi et dans les droits fondamentaux et constitutionnels (par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, notamment). Le terme de « censure » impliquant l’idée d’une intervention arbitraire, il est ici incorrect – sauf si les craintes suscitées par « Content ID » se révélaient justifiées, voir dernière question ci-dessous.
Est-ce vrai que les memes seront interdits ?
Les memes sont ces détournements parodiques qui incluent potentiellement des œuvres protégées, comme par exemple ce détournement du personnage OSS117 en référence à une phrase prononcée par l’actuel président de la République :
Une telle image utilise donc un extrait d’une œuvre protégée (OSS117 : Le Caire, nid d’espions) et le détourne par l’ajout d’un texte qui n’en provient pas mais qui suggère un rapprochement. A première vue, cette image enfreint donc le droit moral des ayants droit (absence de mention de l’auteur de l’image, modification non autorisée de l’œuvre) ainsi que leurs droit patrimoniaux (absence d’autorisation de la reproduction de l’œuvre, absence de rémunération).
Pourtant, ce meme n’est pas une contrefaçon car les exceptions au droit d’auteur empêchent les ayants droit du film d’en demander la suppression : l’image est utilisée à des fins parodiques, Emmanuel Macron étant comparé à Hubert Bonisseur de la Bath.
Les memes ne sont donc pas mis en danger par la directive, en droit.
Mais si les exceptions restent en vigueur, qu’est-ce qui va changer ?
Si les exceptions au droit d’auteur ne sont pas supprimées par la directive, cela implique tout d’abord que les plateformes n’auront pas la tâche démesurée de retirer tous les contenus utilisant des œuvres grâce à ces exceptions !
Ce qui va surtout changer, c’est le mode de rémunération des ayants droit qui seraient payés, via les accords de licence ou les accords au cas par cas, à la fois par YouTube et par l’uploadeur alors que, jusqu’à présent, seul ce dernier rémunère les auteurs des œuvres qu’il utilise dans sa contribution, sur les revenus dégagés par la publicité et que lui reverse YouTube. C’est une des raisons pour lesquelles les plateformes s’opposent à l’article 13.
Ensuite, il est vrai que les changements ne seront peut-être pas très visibles pour les uploadeurs ou les utilisateurs. Ainsi, les grandes plateformes ont déjà mis en place, depuis des années, notamment en France, des systèmes leur permettant de filtrer le contenu protégé, ne serait-ce qu’en surveillant par mots-clés le contenu mis en ligne, mais aussi en recourant à des robots ; elles suppriment également du contenu qui leur a été signalé comme contrefaisant par les ayants droit en-dehors de tout accord de licence ; elles ont enfin déjà instauré des procédures de contestation par les uploadeurs des mesures de retrait opérées contre leur contenu.
Par exemple, YouTube (propriété de Google) propose une procédure en ligne de notification d’atteinte aux droits d’auteur, mais aussi une procédure de contestation de la demande de retrait.
De même, YouTube a déjà prévu un formulaire de contestation contre le blocage automatique d’une vidéo par le logiciel « Content ID » et même une possibilité de faire appel contre la confirmation du retrait suite à la contestation (même lien). YouTube a donc anticipé sur l’application de l’article 13.
Enfin, certains utilisateurs avertis contournent les mesures de blocage automatique en empêchant la reconnaissance automatique des données contenues dans les vidéos qu’ils mettent en ligne : la bataille technologique ne concerne certes pas le gros des troupes des utilisateurs mais elle a une nette avance, comme toujours, sur l’évolution juridique.
Comment ce robot de blocage automatique, « Content ID », fonctionne-t-il ?
C’est un robot capable de repérer qu’un YouTubeur essaie de mettre en ligne un film dont les ayants droit ont expressément demandé la protection, ou bien un extrait de ce film. Ainsi, si un utilisateur de YouTube essaie de mettre en ligne sur sa chaîne le dernier film commercialisé par Warner ou par Universal et que ces sociétés ont demandé à bénéficier des services de Content ID, la mise en ligne est automatiquement bloquée. Il aura le même problème s’il a inclus un extrait de ce film dans sa propre vidéo.
Le problème suscité par ce blocage automatique est sa coexistence avec l’exception de courte citation et avec l’exception de parodie. En effet, les ayants droit ont la possibilité d’encadrer par défaut la durée autorisée des extraits. C’est pour cela, justement, que les procédures de contestation ont été prévues. Mais comme ces procédures sont très favorables aux ayants droit, l’uploadeur n’a plus que la seule option de saisir les tribunaux judiciaires pour faire condamner l’atteinte à sa liberté d’expression.
Il bien sûr impossible pour ce robot de répertorier la totalité des œuvres audiovisuelles protégées (films, émissions, clips, etc.) et musicales. Dès lors, le blocage automatique ne pourra concerner qu’une petite partie des œuvres protégées.
La crainte majeure pour les plateformes est que le blocage automatique soit imposé dans le cadre des accords de licence comme une obligation de résultat et non comme une obligation de moyens : dans le premier cas, elles seraient responsables si leurs robots ne détectent pas l’utilisation non autorisée d’une œuvre protégée ; dans le second, elles pourraient se dédouaner si elles démontrent avoir tout fait pour assurer le blocage automatique avec les outils technologiques et les moyens humains qui sont les leurs.
Gaëlle Loinger-Benamran
Associée
Conseil en Propriété Industrielle
et
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la Cour
19
février
2019
HARD BREXIT? Mieux vaut prévenir que guérir
A quelques semaines du 29 mars, aucun accord n’a encore été trouvé entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Un « Hard Brexit » se profile donc et va impacter la protection de vos marques et dessins et modèles sur le territoire du Royaume-Uni.
A compter du 29 mars, les marques de l’Union Européenne et les dessins et modèles communautaires cesseront de produire leurs effets au Royaume-Uni.
Ainsi, si le Royaume-Uni est un marché important pour vous, TAoMA Partners recommande, à titre préventif, de déposer vos marques et dessins et modèles sur ce territoire avant le 29 mars, si tel n’est pas déjà le cas.
N’hésitez pas à prendre contact avec nous afin d’effectuer un audit de votre portefeuille de droits pour mettre en place une stratégie de protection au Royaume-Uni qui soit adaptée à vos besoins.
Les équipes de TAoMA Partners sont mobilisées pour vous accompagner dans ce changement inédit en Union Européenne et sont à votre disposition pour en discuter.
Pour aller plus loin :
Bien que le Gouvernement britannique ait indiqué que les titulaires d’une marque de l’Union Européenne ou d’un dessin et modèle communautaire se verront accorder un nouveau droit équivalent par le biais d’un mécanisme de reconnaissance rapide et peu coûteux, aucune annonce officielle n’a été fait sur la mise en place d’un tel mécanisme.
Il convient aujourd’hui d’anticiper cette sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne au regard des incertitudes planant sur les titulaires de marques européennes et dessins et modèles communautaires.
Une attention particulière doit être apportée aux dessins et modèles puisqu’il est nécessaire qu’ils soient nouveaux pour être déposés. Or, vos dessins et modèles communautaires déposés et/ou enregistrés pourraient constituer des divulgations antérieures détruisant la nouveauté et empêchant un dépôt au Royaume-Uni !
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