30
janvier
2024
Prouver ses allégations devant une juridiction par un enregistrement clandestin ? Oui, mais.
Author:
TAoMA
C’est une décision qui a défrayé la chronique : l’Assemblée plénière de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et admet dans un arrêt du 22 décembre 20231, qu’un enregistrement obtenu à l’insu de la personne enregistrée peut constituer une preuve recevable devant la juridiction prud’homale.
Si certains commentaires ont pu laisser penser que cette décision consacrait la recevabilité des enregistrements clandestins, en réalité, ce n’est que sous certaines conditions.
L’employeur enregistre le salarié à son insu et n’a aucune autre preuve de la faute du salarié
Un salarié licencié pour faute grave conteste la mesure devant le Conseil de prud’hommes puis la Cour d’appel d’Orléans. L’employeur produit aux débats des enregistrements de deux entretiens au cours desquels le salarié tient des propos justifiant son licenciement, afin d’établir sa faute. Cependant, ces enregistrements avaient été réalisés à l’insu du salarié.
L’employeur ne peut pas prouver autrement la faute que par ces enregistrements.
Classiquement, la Cour d’appel d’Orléans considère que les enregistrements clandestins, sont irrecevables2. Elle en conclut que la faute n’est pas prouvée et que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur forme alors un pourvoi en cassation et soulève la question de savoir si est recevable une preuve obtenue par l’enregistrement à l’insu du salarié de plusieurs entretiens entre ce dernier et son employeur.
La Cour de cassation décide que même en présence d’enregistrements clandestins la cour d’appel aurait dû procéder au contrôle de proportionnalité, et que pour cette raison elle a violé l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 9 du Code de procédure civile qu’en déclarant irrecevables ces pièces au motif qu’elles constituent des transcriptions d’enregistrements clandestins d’entretiens de sorte qu’elles ont été obtenues par un procédé déloyal,.
La Cour de cassation favorise ici le droit à la preuve, ouvre la voie à déclarer recevable une preuve illicite, mais pose la condition que cette preuve soit indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et que l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence soit strictement proportionnée au but poursuivi3.
Le salarié enregistre l’employeur à son insu mais a d’autres moyens de preuve
Dans un arrêt du 17 janvier 20244 la Cour de cassation nuance sa position.
Un salarié saisit la juridiction prud’homale pour demander la résiliation de son contrat de travail, en invoquant un harcèlement moral son employeur. Pour le démontrer, il produit la retranscription de son entretien avec des membres du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (« CHSCT »), chargés de l’enquête, qu’il avait enregistrés à leur insu.
La Cour de cassation écarte cet élément de preuve en relevant que :
• le constat d’absence de harcèlement moral établi par le CHSCT avait été fait en présence de l’inspecteur du travail et du médecin du travail, lesquels avaient été associés à l’enquête menée par le CHSCT ;
• les autres éléments de preuve produits par le salarié laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Elle en conclut que la production de la retranscription de l’entretien n’était pas indispensable au soutien des demandes du salarié, l’enregistrement est donc écarté.
La Cour de cassation a ouvert la voie à la recevabilité de la preuve par enregistrement clandestin mais pose certaines conditions. Cet assouplissement considérable va sans doute conduire à une multiplication de cette pratique contraire au principe de loyauté de la preuve.
Les prochaines décisions préciseront sans doute davantage comment arbitrer entre le principe de loyauté de la preuve et le droit à la preuve.
Emeline JET
Juriste
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1) Cour de cassation, assemblée plénière, 22 décembre 2023 n°20-20.648
2) CA Orléans, ch. soc., 28 juill. 2020, n° 18/00226
3) Com., 15 mai 2007, pourvoi n°06-10.606
4) Cass. Soc. 17 janvier 2024, n°22-17.474
25
janvier
2024
Athlètes et sponsors : application du régime juridique du mannequinat
Author:
TAoMA
Durant plusieurs années, un litige a opposé la filiale française de l’équipementier sportif UHLSPORT à l’URSSAF.
Comme bon nombre de ses concurrents, UHLSPORT, spécialisé notamment dans la fabrication d’articles de football, a recours à des contrats de parrainage ou de « sponsoring » conclus avec des athlètes afin de promouvoir ses articles.
Aux termes de ces contrats, les athlètes sont rémunérés en contrepartie de l’utilisation des équipements d’UHLSPORT lors des rencontres sportives et du respect d’un certain nombre d’obligations.
A la suite d’un contrôle, l’URSSAF a souhaité réintégrer dans l’assiette des cotisations dues par UHLSPORT le montant des sommes versées aux athlètes sponsorisés, considérant que ces rémunérations correspondaient à des salaires.
Plus précisément, l’URSSAF a estimé que la promotion des produits d’UHLSPORT par l’intermédiaire des contrats de parrainage devait s’interpréter, pour les sportifs concernés, comme une activité de mannequin soumise à la présomption de salariat de l’article L. 7123-3 du code du travail.
En effet, l’article L. 7123-2 du code du travail adopte une définition large du mannequinat :
« Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n’est exercée qu’à titre occasionnel, toute personne qui est chargée :
1° Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ;
2° Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image. »
Sauf à démontrer l’absence de lien de subordination, l’athlète parrainé est présumé exercer une activité de mannequin.
UHLSPORT a contesté cette interprétation de l’URSSAF et a porté l’affaire devant le Tribunal de la sécurité sociale des Bouches du Rhône qui a statué en faveur de l’équipementier1.
Le 13 septembre 2019, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé la décision du Tribunal en reprochant à l’URSSAF de retenir la présomption de salariat sans démontrer l’existence d’un lien de subordination1.
Par un arrêt remarqué, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, considérant que la Cour d’appel avait inversé la charge de la preuve2.
Selon la Cour, la présomption de salariat faisait peser sur l’équipementier la charge de la preuve contraire et, pour ce faire, il appartenait à ce dernier de démontrer l’absence de lien de subordination.
Le 23 mai dernier, la Cour d’appel a, sur renvoi, abondé dans le sens de la Cour de cassation3.
En substance, elle a tout d’abord exposé que, contrairement aux arguments développés par UHLSPORT, rien n’interdisait aux athlètes concernés, déjà liés par des contrats de travail avec leurs clubs, d’exercer une autre activité salariée auprès de l’équipementier.
Par ailleurs, la Cour d’appel a jugé que compte-tenu des obligations pesant sur les athlètes sponsorisés et des sanctions prévues en cas de non-respect (rupture contractuelle, suppression du droit aux indemnités), UHLSPORT ne démontrait pas l’absence de lien de subordination.
En conséquence, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a validé l’interprétation de l’URSSAF en jugeant que les athlètes sponsorisés par UHLSPORT devaient être considérés comme des mannequins salariés de cette dernière, dont la rémunération est soumise à cotisation.
Cette décision n’est pas isolée et peut être rapprochée de l’arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2022, adoptant une solution équivalente à l’égard de l’équipementier sportif « Speedo »4.
A la lecture de ces décisions, il semble que la très grande majorité des partenariats établis entre athlètes et équipementiers, lorsque chacun est domicilié et exerce en France, devrait être interprétée comme une relation de salariat.
Le code du travail va même plus loin, puisqu’il dispose en son article L.7123-4 que la présomption de salariat « n’est pas non plus détruite par la preuve que le mannequin conserve une entière liberté d’action pour l’exécution de son travail de présentation ».
Dès lors, la démonstration par un équipementier de l’absence de tout lien de subordination avec l’athlète sponsorisé parait extrêmement délicate, voire impossible, dès lors que même la liberté totale de l’athlète ne semble pas suffisante.
A la lecture des dernières décisions, nous pourrions avancer l’hypothèse selon laquelle l’absence de lien de subordination pourrait être démontrée lorsqu’en plus d’être libre dans son travail de présentation, le mannequin n’est soumis à aucune autre contrainte, notamment relative à sa propre réputation et au respect de l’image de marque de l’annonceur, ni à aucune sanction en cas de mauvaise exécution de ses prestations.
Toutefois, une telle interprétation devra être confirmée ou infirmée par la jurisprudence.
Le statut de mannequin entraine l’application du droit du travail.
Au-delà de ses conséquences en matière de cotisations et contributions sociales, ce régime juridique entraine l’application du code du travail, incluant les dispositions spéciales relatives au mannequinat.
Parmi les contraintes découlant de ce régime, on peut notamment évoquer l’obligation de recourir à un contrat écrit contenant certaines mentions obligatoires, le risque de requalification de la relation de travail en CDI en cas d’irrégularités contractuelles (absence de contrat, recours à des CDD en dehors des circonstances prévues par la loi) et ses conséquences en cas de rupture sans cause réelle et sérieuse.
En outre, le régime du mannequinat prévoit ses propres spécificités, incluant le monopole des agences de mannequins, activité règlementée nécessitant une licence, pour le placement de ces derniers auprès des « utilisateurs » souhaitant promouvoir leurs produits ou leurs services.
En raison de ce monopole, les mannequins établis en France ne peuvent exercer leur activité que par l’intermédiaire d’agences titulaires de la licence ou directement auprès des utilisateurs, et toujours dans le cadre d’un contrat de travail. Aucun mannequin français ne peut, à l’heure actuelle, exercer son activité en tant que professionnel indépendant.
Ainsi, le parrainage entre un équipementier sportif et un athlète ne saurait être abordé comme un simple partenariat commercial souple et aisément résiliable, mais doit au contraire être envisagé comme une relation contractuelle engageante ayant vocation à s’établir sur le long terme.
Robin Antoniotti
Avocat à la Cour
(1) CA Aix-en-Provence, 13 septembre 2019, n° 18/14352
(2) Cass. 2e civ., 12 mai 2021, n° 19-24.610
(3) CA Aix-en-Provence, 23 mai 2023, n° 21/14908
(4) Cass. 2e civ., 23 juin 2022, n° 21-10.416
25
janvier
2024
Dopage et RGPD : L’avocate générale de la CJUE arbitre en faveur de la divulgation des données à caractère personnel des sportifs
L’avocate générale de la CJUE a estimé qu’une autorité nationale antidopage peut légitimement publier sur Internet les données personnelles d’un athlète professionnel sans contrevenir au RGPD.
L’affaire concerne une coureuse de demi-fond autrichienne reconnue coupable de violations des règles antidopage en Autriche.
La Commission autrichienne de lutte contre le dopage a sanctionné la sportive en annulant tous ses résultats pendant la période incriminée, en révoquant ses droits de participation et primes potentiels, et en la suspendant de toute compétition sportive pendant quatre ans.
L’Agence indépendante de lutte contre le dopage autrichienne a ensuite publié les détails de cette sanction sur son site internet accessible au public, incluant le nom de la sportive, les violations des règles antidopage et la durée de sa suspension.
Lorsque la sportive a contesté cette publication devant la commission d’arbitrage, la question de la compatibilité de cette divulgation avec le respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD) a été soulevée.
La commission d’arbitrage a donc saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle à ce sujet.
Dans ses conclusions, l’avocate générale considère que le RGPD ne s’applique pas, dans la mesure où les règles antidopage relèvent plus de la sphère sociale et éducative du sport que de ses aspects économiques. A l’heure actuelle, il n’existe pas de dispositions européennes spécifiques concernant les politiques antidopage mises en place par les États membres. Ainsi, en l’absence de tout lien, même indirect, entre les politiques de lutte contre le dopage et le droit de l’Union, le RGPD n’est pas applicable à ces activités de traitement de données.
Si, toutefois, le RGPD était considéré comme applicable, l’avocate générale considère que la divulgation publique des sanctions est justifiée par l’objectif de prévention et d’information des acteurs concernés. En outre, elle estime que la publication en ligne constituait le seul moyen efficace pour répondre à l’obligation de divulgation généralisée imposée par la loi autrichienne.
Cette situation met en lumière les dilemmes inhérents à la recherche d’un juste équilibre entre la rigueur propre aux règlementations antidopage et le respect des dispositions relatives aux données à caractère personnel.
La Cour de justice de l’Union européenne doit désormais se prononcer et déterminer comment équilibrer ces enjeux.
Delphine Monfront
Avocate à la Cour
25
janvier
2024
« RACIN PIGEON OLIMPIAD » hors du podium : la médaille d’or revient au Comité Olympique et à sa marque de renommée
Si les emblèmes olympiques font l’objet d’une protection et défense accrue (voir notre article sur les anneaux olympiques), les termes eux-mêmes ne sont pas en reste, comme l’illustre la présente affaire opposant la marque OLYMPIC à la marque RACING PIGEON OLIMPIAD.
Dans cette affaire, une société roumaine avait obtenu l’enregistrement de la marque de l’Union européenne figurative RACING PIGEON OLIMPIAD. Le Comité international olympique a alors déposé une demande en nullité, arguant une atteinte à la renommée de ses marques antérieures, notamment la marque OLYMPIC.
L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), après avoir vérifié la recevabilité des marques invoquées, va se pencher sur les trois éléments clés pour évaluer l’atteinte : la renommée de la marque antérieure, la similitude des signes et le préjudice qui découle de l’usage de la marque contestée.
Sans grande surprise, l’EUIPO conclut à la renommée de la marque OLYMPIC !
La requérante, au moyen de nombreuses preuves a fait valoir que sa marque antérieure OLYMPIC était « l’une des marques plus connues dans le monde du sport et du divertissement » jouissant « d’un prestige exceptionnel et d’une renommée exceptionnelle ».
L’EUIPO considère que les arguments et pièces apportés au débat démontrent la renommée de la marque : selon la Division, la marque OLYMPIC occupe une place majeure au sein de l’Union Européenne depuis une période suffisante et fait l’objet d’une couverture médiatique importante.
Si la similarité entre les signes reste faible, le lien mental persiste, causant un préjudice au Comité international olympique.
La Division d’annulation procède à une évaluation de la similitude entre la marque antérieure OLYMPIC et la marque contestée RACING PIGEON OLIMPIAD.
Elle analyse en détail les éléments verbaux et figuratifs des deux marques. La Division rappelle que l’élément verbal a généralement un impact plus fort sur le consommateur que l’élément figuratif, et insiste sur le fait que le seul terme de la marque antérieure OLYMPIC est similaire à l’élément le plus distinctif et dominant de la marque contestée, OLIMPIAD. Il découle de ces constatations de faibles similitudes d’ensemble entre les marques en cause.
Finalement, la (faible) similitude entre les marques est renforcée par la démonstration d’un lien mental entre les signes, entraînant un risque de préjudice pour le Comité olympique international.
En effet, l’EUIPO explique qu’il existe un risque de transfert d’image associé à la marque du demandeur, vers les produits et services contestés, laissant entrevoir une exploitation indue de la renommée et de l’excellence de la marque antérieure.
Cette affaire met en lumière les défis juridiques entourant les marques liées aux Jeux Olympiques : les jeux ne sont pas toujours Olympistes !
Juliette Danjean
Stagiaire – Pôle CPI
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
25
janvier
2024
Imitation des anneaux olympiques, le cœur de l’EUIPO ne balance pas
Paris se prépare à accueillir les Jeux Olympiques en 2024, l’occasion pour TAoMA Partners de revenir sur la protection et la défense des anneaux olympiques.
I) Les emblèmes olympiques : une protection encadrée…
Conçu par le baron Pierre de Coubertin en 1913, le symbole olympique est composé de cinq anneaux entrelacés de dimensions égales, employés seuls, en une ou cinq couleurs. Lorsque la version en cinq couleurs est utilisée, les couleurs sont, de gauche à droite, le bleu, le jaune, le noir, le vert et le rouge. Le symbole olympique représente l’union des cinq continents et la rencontre des athlètes du monde entier.
La protection des emblèmes olympiques a une longue histoire, marquée notamment par le Traité de Nairobi adopté le 26 septembre 1981. Ce traité, supervisé par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), vise à protéger les anneaux olympiques contre toute utilisation commerciale sans autorisation du Comité international olympique.
Par ailleurs, à l’échelle de l’Union Européenne, l’article 7, paragraphe 1, sous i, du RMUE dispose que : « sont refusé [e]s à l’enregistrement : […] les marques qui comportent des badges, emblèmes ou écussons autres que ceux visés par l’article 6ter de la Convention de Paris et présentant un intérêt public particulier, à moins que leur enregistrement ait été autorisé par l’autorité compétente ». Les emblèmes olympiques font donc l’objet d’une protection particulière sur le territoire de l’Union Européenne puisqu’ils intègrent la catégorie des emblèmes qui présentent « un intérêt public particulier ».
L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), ainsi que les Offices Nationaux, doivent donc exercer un examen minutieux des signes pouvant porter atteinte aux emblèmes olympiques et, le cas échéant, les refuser à l’enregistrement.
Le Comité international olympique, ainsi que les comités nationaux, gardent toutefois la possibilité de s’opposer à l’enregistrement d’une marque qui serait susceptible de reproduire ou d’imiter les emblèmes olympiques, comme les anneaux olympiques.
En effet, le Comité international olympique est titulaire de plusieurs marques enregistrées pour divers produits et services, notamment au niveau de l’Union Européenne, dont la marque No. 002970366. A l’échelle nationale, le comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024 est titulaire des marques propres à l’évènement à venir, dont la marque française No. 4693482.
Si les emblèmes olympiques font l’objet d’une solide protection à l’échelle nationale comme internationale, l’affaire qui suit illustre néanmoins certaines limites notamment au regard des signes en cause.
II) … ou presque
Le 26 octobre 2021, le Comité international olympique a formé une opposition contre une marque semi-figurative européenne déposée par la société chinoise Shanghai Qinke Electronic Commerce Co. Ltd. Il revendiquait l’antériorité de ses trois marques, et la renommée de ces dernières. L’EUIPO, dans cette affaire, devait donc évaluer s’il existait un risque de confusion entre les signes en cause.
La division d’opposition a d’abord précisé que les éléments verbaux de la marque antérieure étaient distinctifs car la combinaison « Link heats by love » peut-être comprise, au moins par la partie anglophone du public, comme « une relation chauffée par l’amour ». Même si tous les mots composant le slogan sont compris par la partie anglophone du public, la combinaison en tant que telle n’a pas de sens clair ou de sens intelligible. Il n’est pas exclu que cette combinaison soit perçue comme une orthographe erronée de « link hearts by love » (lier les cœurs par amour) en raison de l’élément figuratif reproduisant cinq cœurs. En tout état de cause, en l’absence de lien direct avec les produits et services concernés, la combinaison en tant que telle est distinctive.
De plus, la combinaison de cœurs n’a pas de lien direct avec les produits et services pertinents (9, 14, 18, 25, 35) et est donc distinctive.
Sur l’analyse des signes, et plus précisément sur le plan visuel, les marques antérieures, composées de cercles colorés ou noirs, sont distinctes de la marque contestée, qui utilise des formes de cœur en nuances de gris/noir.
La division d’opposition affirme que les signes ne coïncident que dans la mesure où ils représentent tous deux une combinaison de cinq éléments figuratifs placés dans la même position.
Les cœurs du signe contesté seront immédiatement perçus comme des cœurs et non comme des formes arrondies. De plus, les couleurs/nuances des signes sont différentes.
En outre, la marque contestée contient des éléments verbaux supplémentaires qui ne sont pas présents dans les marques antérieures.
Phonétiquement et conceptuellement, les marques sont également jugées différentes. Les marques antérieures seront liées au concept de cinq cercles et le signe contesté renvoie au concept des cinq cœurs. Les consommateurs ne percevront pas l’entrelacement de cinq formes dans l’abstrait comme un concept à part entière.
Aussi, l’EUIPO juge que les signes en cause sont différents et, partant, ne peuvent donner lieu à un risque de confusion.
Par ailleurs, l’EUIPO rejette le fondement de la marque renommée, estimant que les conditions cumulatives pour bénéficier de cette protection ne sont pas remplies, en l’espèce, il n’y avait pas de similarité entre les signes.
En conclusion, cercle ou pas cercle, ne tournons plus en rond : Il s’agit d’un cœur !
Emeline JET
Juriste
Delphine Monfront
Avocate à la Cour
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
16
janvier
2024
elLle hôtels n’est pas ELLE magazine : au Japon, entre dormir et lire, pas besoin de choisir !
Est-il encore nécessaire de présenter le magazine ELLE édité par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ? Avec des éditions dans la plupart des grands pays du monde, le magazine ELLE fait figure de concurrent direct de VOGUE.
Au fil des année la marque a vu son aura s’étendre à d’autres domaines d’activité que les magazines par le biais de produits dérivés, principalement dans la mode, mais également dans les services avec l’ouverture de cafés, restaurants et même d’hôtels (le premier à Paris, Maison ELLE).
C’est dans ce contexte que HACHETTE FILIPACCHI PRESSE s’est opposée devant l’office japonais au dépôt de la marque en mai 20231.
Le dépôt de cette marque fait suite à de premiers échanges entre la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE et le déposant. Ce dernier avait, en effet, procédé au préalable au dépôt de la marque ELLE HOTELS qu’il avait retiré suite à une mise en demeure.
Fondements invoqués par HACHETTE FILIPACCHI PRESSE
Au soutien de son opposition, la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE fait valoir que la marque litigieuse ne peut être enregistrée car elle est identique ou similaire à sa marque antérieure.
Par ailleurs, elle s’appuie sur une autre disposition de la loi japonaise qui prévoit qu’une marque ne peut pas être enregistrée lorsqu’elle est susceptible de créer une confusion avec les produits ou services notoires d’autres entités commerciales.
HACHETTE FILIPACCHI PRESSE explique que la marque ELLE bénéficie d’une réputation remarquable sur le marché et qu’elle est utilisée à travers le monde pour différents produits et services dont des cafés et des hôtels.
De même, notamment en raison des échanges précédents qu’elle a eus avec le déposant, HACHETTE FILIPACCHI PRESSE invoque le fondement du dépôt avec une intention déloyale, c’est-à-dire l’intention de réaliser un profit déloyal, de causer un préjudice au propriétaire de la marque notoire ou toute autre intention déloyale.
Il est évident pour elle qu’il existe une ressemblance importante entre la marque et ses marques antérieures ELLE et que ce nouveau dépôt est fait avec une intention déloyale.
Pour l’office, elLle n’est pas ELLE
L’office japonais reconnais que la marque ELLE jouit d’une certaine renommée pour les magazines mais également pour les articles de mode.
A l’inverse, sur les services d’hôtellerie, l’office note que si un hôtel a été ouvert à Paris, ce n’est pas le cas au Japon. Par ailleurs, il considère que l’opposant ne démontre pas l’ampleur de la publicité ou des revenus découlant des activités d’hôtellerie. Ainsi, il n’est pas démontré que ELLE bénéficie d’une certaine notoriété pour ces services.
Concernant la similarité entre les marques, l’office n’est pas des plus complaisants. L’office reconnait que l’élément elLle est le principal de la demande contestée, HOTEL étant descriptif.
Néanmoins, l’élément elLle doit être analysé dans son ensemble. Il est composé de manière équilibrée entre une attaque « el », une finalité « le » et un élément central « L » dessiné de plusieurs couleurs qui peut aisément être vu comme la lettre européenne « L ».
L’élément elLle n’est pas un mot du dictionnaire et n’a pas de sens spécifique. Rien n’indique qu’il sera vu comme le mot « elle ». L’office considère qu’il est raisonnable de supposer que elLle sera reconnu et compris comme un mot inventé qui n’a pas de signification spécifique.
En conséquence, il n’existe pas de risque de confusion avec les marques antérieures ELLE.
Enfin, concernant un éventuel dépôt avec une intention déloyale, l’office ne fait pas droit aux demandes de HACHETTE FILIPACCHI PRESSE. Les échanges précédant l’affaire, entre les parties, ne sont pas des faits concrets suffisants pour conclure que le déposant a protégé sa marque dans un but illicite.
La marque contestée n’est donc pas utilisée dans le but d’entraver les activités de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ou de caractériser une atteinte à la réputation de ELLE.
Une décision surprenante
Cette décision n’est pas sans étonner ! Il peut, en effet, être entendu que la marque ELLE ne bénéficie pas d’une notoriété particulière pour des hôtels. Nombreux sont ceux qui n’ont pas connaissance de l’hôtel parisien Maison ELLE. Cela est probablement d’autant plus vrai pour le public japonais où, au jour du dépôt de la marque contestée, aucun hôtel ELLE n’était ouvert dans le pays.
La comparaison entre ELLE et elLle peut également s’entendre d’une certaine manière en raison des différences de langue, de prononciation ou encore de perception des marques pour le public japonais.
A l’inverse, il est étonnant que l’office ne retienne pas que ce dépôt de marque soit fait dans une intention déloyale. Le déposant était parfaitement au courant des marques ELLE protégées et utilisées pour des hôtels. Les faits démontraient une volonté du déposant de contourner les marques antérieures ELLE.
Néanmoins, même si l’intention déloyale avait été retenue, la décision finale aurait probablement été identique. Si les marques ne peuvent être confondues par le public japonais, un dépôt déloyal de la marque n’aurait pas d’incidence sur une absence de risque de confusion entre les signes…
Il est donc possible de dormir sur ses deux oreilles à l’hôtel sans crainte d’une mauvaise presse dans le magazine ELLE.
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle – Associé
(1) Opposition No. 2023-900123
09
janvier
2024
LEGO contre LELE BROTHER : la bataille des briques dans le monde des marques !
Par une décision du 26 septembre 20231, l’EUIPO a fait droit à une opposition formée par la société Lego titulaire de la célèbre marque contre la demande d’enregistrement de marque No. 018571181.
La société Lego Juris s’oppose à cette demande en invoquant notamment l’article 8 paragraphe 5 du Règlement sur la marque de l’Union européenne, qui protège les marques de renommée de l’Union européenne tout comme les marques nationales jouissant d’une renommée au sein d’un État membre, et ce même en l’absence d’identité ou de similarité entre les produits et services désignés par les signes. Cette renommée permet au titulaire de la marque antérieure renommée de s’opposer à une demande de marque identique ou similaire dont « l’usage sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porterait préjudice ».
La marque LEGO possède une renommée exceptionnelle au sein de l’Union européenne pour certains des produits désignés
Afin d’étayer sa renommée, la société Lego Juris produit différents éléments de preuves (articles de presse, rapports annuels, chiffres de ventes, décisions administratives ou judiciaires, etc.) auprès de la Division d’opposition de l’EUIPO pour attester de la renommée de sa marque à l’égard des produits suivants « jeux, jouets ; articles de gymnastique et de sport (compris dans la classe 28) ; décorations pour arbres de Noël », sur lesquels se fonde l’opposition.
Pour la Division d’opposition de l’EUIPO, les éléments apportés par la société Lego Juris démontrent que la marque LEGO « a fait l’objet d’un usage intensif et de longue durée et qu’elle est notoirement connue sur le marché pertinent, où elle jouit d’une position consolidée parmi les marques leaders […] » et que les éléments fournis possèdent une valeur probante en plus d’être fiables quant à leur date.
L’ensemble de ces preuves permettent à la Division d’opposition de conclure que la marque Lego « jouit d’une renommée exceptionnelle dans l’Union européenne », mais seulement pour les « Jeux, jouets à savoir jouets de construction », les « jouets de constructions » constituant une sous-catégorie autonome de la catégorie des jeux et jouets. S’agissant toutefois des « articles de gymnastique et de sport (compris dans la classe 28) ; décorations pour arbres de Noël », la Division d’opposition ne reconnait par la renommée de la marque en cause, faute de preuves suffisantes.
Un risque de confusion préjudiciable
Après avoir retenu l’exceptionnelle renommée de la marque antérieure, la Division d’opposition procède à l’analyse des signes en se conformant à la méthode globale d’appréciation du risque de confusion2.
Il est retenu, d’un point de vue visuel, que les signes présentent des ressemblances en raison de leur séquence d’attaque commune « LE- » et de leur reproduction dans des tons gris, encadrés par un carré, avec une stylisation et un agencement semblable des éléments verbaux. Malgré certaines différences entre les deux syllabes finales ou encore la longueur du signe contesté du fait de la présence du mot « BROTHER », la Division d’opposition considère que les signes « présentent un degré de similitude inférieur à la moyenne » sur le plan visuel.
La Division d’opposition retient ensuite que les signes présentent également certaines ressemblances d’un point de vue phonétique. Les éléments verbaux commencent tous deux par la séquence « LE- » en plus de partager les mêmes voyelles « E » et « O ».
Ils diffèrent néanmoins dans la prononciation de leur deuxième syllabe « GO » au sein de la marque antérieure et « LE » dans la demande contestée, et dans la prononciation de l’élément verbal supplémentaire « BROTHER » au sein de la demande contestée.
Ainsi, la Division d’opposition considère que les signes sont « faiblement similaires sur le plan phonétique ».
À cela s’ajoute une différence conceptuelle entre les deux marques, le consommateur moyen de l’Union européenne associant directement le terme « Lego » à la marque de jeu de construction ou à la société. S’agissant de la marque Lele Brother, le premier terme ne possède pas de signification particulière, tandis que le second élément verbal renvoie à la notion de « frère », le tout pouvant être perçu comme pouvant faire référence au « frère d’une personne nommée Lele ».
La Division d’opposition examine ensuite si le public sera en mesure d’établir un lien entre les marques en cause. Ce lien n’étant pas explicitement mentionné par l’article 8 paragraphe 5 du Règlement, il n’en demeure pas moins nécessaire de l’établir pour « déterminer si l’association que le public pourrait établir entre les signes est telle qu’il est vraisemblable que l’usage de la marque demandée tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il lui porte préjudice, après avoir apprécié tous les facteurs pertinents dans le cas d’espèce ».
Tenant compte du degré de similitude, de la renommée de la marque Lego pour certains produits, des similarités entre les produits respectivement désignés, et du fait qu’ils ciblent le même public, la Division d’opposition en conclut que les consommateurs concernés seront susceptibles d’associer la demande de marque contestée à la marque antérieure LEGO, c’est-à-dire d’établir un « a mental link » entre les signes.
Enfin, la Division d’opposition reconnait que la demande de marque Lele Brother risque de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque LEGO puisque « the ‘LEGO’ brand has a particularly high image and is regarded for its commitment to current social-political topics such as sustainability, child education and diversity. These positive qualities could be transferred and attached to the contested sign and this image transfer would make it easier to sell all the contested goods ». En d’autres termes, la société déposante pourrait injustement profiter de cette renommée sans payer de compensation à la société Lego Juris et sans investir pour créer un marché pour ses produits dans l’Union européenne.
Ainsi, se fondant sur l’ensemble des éléments précités, la Division d’opposition reconnait l’opposition formée par la société Legos Juris totalement justifiée et rejette donc la demande de marque contestée pour l’ensemble des produits couverts.
La demande de marque Lele Brother a fini par se prendre un ‘NON’ aussi solide que les briques LEGO. Il semble que dans ce match, LEGO ait construit une victoire indiscutable !
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
Note de référence :
(1) EUIPO, Division d’opposition, 26/09/2023, n° B 3 159 692
(2) CJUE 11/11/1997, n° C-251/95, affaire Sabel / Puma