28
novembre
2023
Champagne vs. Champaign : pour l’EUIPO, les ingrédients ne sont pas réunis en cuisine pour rejeter la demande de marque !
Le Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne (CIVC) qui représente et défend les droits de l’AOP « Champagne » constate tous les jours des dépôts de marques comportant le mot « Champagne » ou faisant référence à l’univers du Champagne.
C’est sans conteste le cas de la demande de marque de l’Union Européenne « Champaign » déposée en juillet 2022 par la société américaine Monument Grill pour des produits de cuisson, de réfrigération, etc. Cette marque a la même prononciation anglosaxonne que le mot Champagne et se présente de la manière suivante :
Fidèle à son combat, le CIVC a formé opposition contre la demande de marque litigieuse afin de tenter d’empêcher son enregistrement.
Contre toute attente, l’EUIPO, en rupture avec sa propre jurisprudence et celle de la CJUE, a rejeté l’opposition du CIVC dans une décision datée du 10 octobre dernier en considérant que : « Même si les appareils et installations frigorifiques mentionnés peuvent être utilisés pour stocker du vin, les produits litigieux et le vin couvert par l’AOP Champagne sont très éloignés en termes de nature et d’aspect physique, de méthode de fabrication/élaboration et de destination ».
L’Office ajoute que le fait que les deux termes se prononcent de façon similaire « n’est pas suffisant pour que le public puisse établir un lien clair et direct entre la demande de dépôt de marque de l’Union Européenne contestée, pour des réfrigérateurs, et le produit protégé, du vin provenant de la région de Champagne ».
Enfin, l’CJUE considère que le public ne percevra pas une signification particulière dans le terme contesté « Champaign » dans la mesure où celui-ci signifie également en vieil anglais « étendue plate de campagne » ou « étendue de terrain plat », élément qui, selon lui, est de nature à démontrer l’absence de volonté délibérée de la société américaine de parasiter l’AOP Champagne.
Même si l’Office se justifie en précisant que cette décision « n’est pas remise en cause par les nombreuses décisions citées par le CIVC étant donné que les circonstances, les faits et les éléments de preuve à l’égard desquels ces affaires ont été appréciées étaient différents de l’espèce ». On l’aura compris, cette décision vient en rupture de la jurisprudence de la CJUE en la matière.
On peut en effet citer notamment l’affaire du bar à tapas espagnol « Champanillo » (notre news sur cette affaire ici) dans laquelle la CJUE, interrogée par la Cour de Barcelone, affirme que les AOP doivent être protégées à l’encontre d’une évocation se rapportant tant à des produits qu’à des services, en cas d’incorporation partielle de l’appellation protégée, de parenté phonétique et visuelle, de proximité conceptuelle ou de similitude entre les produits couverts par l’AOP et les produits et services couverts par le signe litigieux.
L’arrêt « Champanillo » pose ainsi le principe selon lequel les AOP sont protégées vis-à-vis de signes utilisés pour désigner des produits ou des services non couverts par l’appellation « Champagne » et démontre ainsi la volonté de la CJUE de garantir aux indications géographiques une protection étendue.
La voie que vient d’emprunter l’EUIPO est toute autre. Il convient toutefois de préciser qu’il s’agit là de la position de la Division d’Opposition.
Dans une affaire similaire, l’opposition contre le dépôt d’une marque de l’Union Européenne « Champagnola » par une société tchèque en classes 30 (pains et pâtisseries) et 40 (services de boulangerie et pâtisserie) avait été rejetée par la Division d’Opposition en 2019 au motif que les produits et services désignés par la demande n’étaient pas similaires au vin de Champagne et qu’il n’y avait en l’espèce ni usage commercial ni évocation et dès lors aucun risque de confusion.
Saisie d’un recours contre cette décision par le CIVC, la Chambre de Recours a annulé la décision, le 17 avril 2020, en refusant l’enregistrement de la marque « Champagnola » en classes 30 et 40 en considérant que celle-ci est une évocation certaine du terme Champagne et qu’elle exploite la renommée de l’AOP « Champagne », peu important que les produits et services visés ne soient pas similaires.
L’affaire Champaign est, depuis le 20 octobre, dans les mains de la Chambre de Recours de l’EUIPO qui optera pour la protection des appellations ou pour la poursuite du putsch engagé par la Division d’Opposition à l’égard de la CJUE.
Alors, Champagne ou pas ?
Juliette Biegala
Juriste
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle Associé
21
novembre
2023
Un dépôt décoiffant et controversé : une marque représentant le visage d’une femme pour des services de mannequinat est-elle distinctive ?
Le 26 octobre 2017, la société Roos Abels Holding B.V. a déposé une demande de marque figurative représentant le visage d’une femme pour couvrir les « services de mannequins et de modèles photographiques pour la publicité ou la promotion des ventes » en classe 35 et les « services de modèles et de mannequins à des fins récréatives ou de loisirs » en classe 41.
Nous rappelons qu’aux termes de l’article 7, 1° b) et c) du Règlement sur la marque de l’Union européenne du 20 décembre 1993, sont refusées à l’enregistrement « les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif » et « les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci ».
Un refus de l’EUIPO fondé sur l’absence de caractère distinctif : cette demande de marque ne présente aucune caractéristique particulière
En l’espèce, considérant que le signe était dépourvu de caractère distinctif à l’égard des services couverts, l’EUIPO a entièrement rejeté le 17 avril dernier cette demande de marque.
Cette décision était notamment fondée sur les constations suivantes :
– « L’image en cause ne consiste qu’en une représentation naturelle de la tête/du visage d’une (jeune) femme. Compte tenu de l’attention du public concerné, la marque demandée ne permet pas à ce public de distinguer immédiatement et infailliblement les services démandés d’apparences similaires d’une origine commerciale différente ».
– « Des images ou des photos de personnes apparaissent et sont utilisées dans le cadre de services de toutes sortes, principalement ceux liés à l’habillement et à la mode. Bien que ces images puissent représenter certaines personnes ou individus concrets, elles n’impliquent rien de plus qu’une représentation banale des personnes en général, de sorte que ces images sont comprises comme étant communes aux services en question (…) ».
– « La présente marque figurative ne présente aucune caractéristique particulière susceptible d’influencer la mémoire des consommateurs au point de distinguer les services demandés des autres. La forme de présentation n’est pas substantiellement différente d’autres représentations fidèles de la tête/du visage d’une (jeune) femme (…) ».
En désaccord avec cette appréciation, la société déposante a formé un recours contre cette décision le 16 juin 2023, faisant notamment valoir que :
– « La particularité et l’originalité sont des critères de distinction. Le visage d’un adulte est précisément l’élément du corps humain qui permet de distinguer une personne d’une autre (…). Les chambres de recours ont déjà décidé, à plusieurs reprises, que le public perçoit une image photographique d’une personne comme identifiant l’origine des produits et des services (…) ».
– « Le fait que les images de personnes soient généralement plus utilisées dans la vente ou la fourniture de produits et de services n’enlève rien au caractère distinctif de la présente demande. Tant que l’image faisant l’objet de la marque demandée est en elle-même reconnaissable et unique, elle peut servir de signe d’origine ».
– Outre le fait que le visage humain d’une personne adulte est une marque de distinction, la femme représentée est une personne connue dans le monde du mannequinat (…). Son visage est sa marque et avec son succès, elle a acquis une popularité et une renommée rachetables qui constituent un motif suffisant pour l’enregistrement de son portrait en tant que marque ».
La chambre de recours de l’EUIPO reconnait l’existence d’un caractère distinctif : ce signe est apte à remplir la fonction essentielle d’une marque
À la lumière de ces éléments, la chambre de recours a annulé la décision contestée et autorisé la publication de la demande de marque de l’UE No. 017393125 pour l’ensemble des services couverts, dans une décision rendue le 30 octobre 20231.
En premier lieu, la chambre de recours rappelle qu’il n’est pas nécessairement plus difficile d’établir le caractère distinctif de la marque figurative en cause simplement parce qu’il s’agit d’une représentation naturelle.
Elle considère en effet que « les caractéristiques particulières ou originales ne sont pas des critères du caractère distintif d’une marque, la marque en question doit permettre au public de distinguer les produits et services en cause de ceux d’autres entreprises ou personnes ».
En l’espèce, même s’il s’agit d’une représentation fidèle d’un visage de femme, cette image peut être interprétée comme une marque d’autant qu’elle n’évoque aucunement les services en cause. Ainsi, la chambre de recours considère que le public concerné percevra le signe comme identifiant l’origine des services couverts, à savoir qu’ils proviennent de la personne représentée.
En outre, la chambre de recours conteste le raisonnement de l’examinateur selon lequel, « en ce qui concerne les services demandés dans les classes 35 et 41 de mannequins et de modèles photographiques, l’image ne représenterait que la personne fournissant ces services ». Au contraire, selon elle, cette image permettra de distinguer l’origine commerciale de ces services.
Enfin, la chambre de recours déclare que le fait que la personne soit connue du public concerné n’a pas d’incidence sur son caractère distinctif intrinsèque.
A la lumière de cette décision, la chambre de recours de l’EUIPO considérerait-elle qu’un visage permet aussi facilement qu’un nom patronymique d’identifier des produits et services ?
Le cas échéant, les demandes de marques ne manqueront pas d’affluer chez les avares de célébrité… !
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
(1) Décision de la quatrième chambre de recours du 30 octobre 2023
07
novembre
2023
Bien choisir la catégorie de votre marque : l’erreur peut coûter cher !
Dans cette décision1 rendue par la Cour d’appel de Paris le 9 juin 2023, les juges rappellent l’importance du choix de la catégorie dans laquelle le signe est déposé, étant un choix délimitant l’étendue de la protection !
La Société Handiréseau, spécialisée dans l’accompagnement d’entreprises mettant en place des politiques d’accueil de personnes handicapées, est titulaire de la marque tridimensionnelle No. 3764270. La gérante de la société Handiréseau est elle-même titulaire, de la marque verbale handiréseaux No. 3685730 et de la marque semi-figurative No. 4074584.
La société Handiréseau et sa gérante, après avoir pris connaissance de l’existence d’une association dénommée Handiréseaux 38 a mis en demeure cette dernière de cesser l’utilisation de l’expression « handiréseaux 38 » qui porte atteinte, selon elles, à leurs droits de marque.
A défaut de résolution amiable du litige, la société Handiréseau et sa gérante ont assigné l’association Handiréseaux 38 notamment en contrefaçon de marques devant le tribunal judiciaire de Paris.
En première instance, le tribunal judiciaire de Paris a, entre autres, déclaré nulle pour défaut de clarté la marque tridimensionnelle No. 3764270.
Déboutées de leurs demandes en première instance, la société Handiréseau et sa gérante ont interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de Paris.
La qualification du signe « handiréseau » à un impact sur la portée de la protection
Dans cette décision, la Cour d’appel va s’appuyer sur un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne2, lequel expose d’une part que « L’article 2 de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à l’enregistrement d’un signe en tant que marque du fait de l’existence d’une contradiction dans la demande d’enregistrement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ». Et rappelle, d’autre part, que « la qualification donnée à un signe lors de son enregistrement par le déposant, en tant que « marque de couleur » ou « marque figurative », constitue un élément pertinent parmi d’autres pour déterminer si ce signe est susceptible de constituer une marque ».
En l’espèce, dans le dépôt puis dans l’enregistrement, la marque « handiréseau » est qualifiée de « marque tridimensionnelle » et le signe est décrit comme disposant « d’un logo (rouge et prune) trois ronds réunis entre eux avec un trait et un rond de couleur différente finalisant un carré ».
La catégorie de « marque tridimensionnelle » apparaît donc incohérente avec
le signe tel que déposé qui est un signe semi-figuratif.
En outre, la Cour d’appel déclare que la qualification du signe « handiréseau » enregistré en tant que marque tridimensionnelle a une incidence sur l’étendue et l’objet de la protection, dans la mesure où elle permet de spécifier si la troisième dimension fait partie de l’objet de la demande d’enregistrement.
A la lumière de cette incohérence, la Cour conclut que « la contradiction qui existe entre le signe « Handiréseau » déposé sous la forme d’une marque semi-figurative, et la qualification qui est donnée à ce signe par son déposant de marque tridimensionnelle, rend impossible la détermination exacte de l’objet et de l’étendue de la protection sollicitée au titre du droit des marques ».
Le défaut de clarté de la marque est une cause de nullité
Dans ces conditions, la Cour confirme la décision du tribunal judiciaire de Paris en considérant que le défaut de clarté et de précision suffisait pour justifier la nullité d’une marque.
Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris rappelle la nécessité de définir avec précision et cohérence le type de marque (verbale, semi-figurative, tridimensionnelle, etc.) au moment du dépôt. Une erreur sur la qualification pouvant avoir de lourdes conséquences juridiques.
En conclusion, déposer une marque n’est pas si simple…. !
Juliette Danjean
Stagiaire – Pôle Avocat
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
(1) CA Paris, pôle 5 ch. 2, 9 juin 2023, n° 21/09755
(2) CJUE, 27 mars 2019 C-578/17, Oy Hartwall A
31
octobre
2023
Condamnation exemplaire pour un cas de parasitisme par la Cour d’appel dans le secteur de la parfumerie de luxe
Impossible d’échapper depuis 2009 à la communication publicitaire massive sur tous supports du parfum LA PETITE ROBE NOIRE, parfum créé par la société GUERLAIN en 2009 et de son iconique flacon « Coque d’or » créé par la maison BACCARAT en 1937.
Ayant constaté en 2015 la commercialisation par une société belge sur son site internet et sur d’autres sites de vente en ligne d’une collection de parfums à bas prix dénommée « LA PETITE FLEUR » et ses déclinaisons dont « LA PETITE FLEUR NOIRE », la société GUERLAIN, après avoir vainement tenté une approche amiable, a assigné la société belge devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement du parasitisme.
Le tribunal ayant suivi GUERLAIN sur toutes ses demandes, un appel est interjeté par la société belge. Peine perdue, le jugement est confirmé en tous ses points par la Cour d’appel de Paris qui retient sans ambigüité le parasitisme et confirme les lourdes condamnations prononcées en première instance.
La Cour retient les agissements de parasitisme en raison :
• De l’examen des parfums litigieux qui montre une inspiration à la fois du nom, de l’identité visuelle, de la forme en nœud papillon du flacon de la PETITE ROBE NOIRE de sorte que les éléments de ressemblance pris dans leur globalité traduisent la volonté de la société belge de se placer dans le sillage de GUERLAIN ;
• Du choix du nom de la gamme des parfums litigieux « LA PETITE FLEUR » construit de manière similaire au nom « LA PETITE ROBE NOIRE » ;
• De la reprise d’une silhouette féminine dessinée sans visage et portant une petite robe, choix effectué par GUERLAIN qui rompait avec les codes du secteur. Choix qui ne s’imposait pas en revanche pour la collection des parfums litigieux « LA PETITE FLEUR » qui aurait pu être associée à beaucoup d’autres visuels notamment floraux et donc autres qu’une silhouette féminine ;
• De la reprise de l’univers de Paris et de la Tour Eiffel ainsi que les couleurs rosés/violets présents dans toute la communication autour du parfum GUERLAIN ;
• De la reprise enfin du flacon « Coque d’Or » dans ses caractéristiques essentielles (même démarcation centrale, quatre pans inclinés vers le bas du flacon, chaque côté reprenant un pan plus haut que l’autre et un nœud papillon sur le dessus avec une légère courbe).
La Cour retient que ces similitudes ne sont pas fortuites et caractérisent le caractère intentionnel des captations.
Dès lors, la Cour retient que la société belge a réalisé des économies en profitant des lourds investissements engagés par GUERLAIN tant d’un point de vue créatif que commercial, ce qui a permis à la société belge de limiter ses propres frais de conception et de commercialisation et ainsi de proposer ses produits à des prix bien inférieurs à ceux de la société GUERLAIN ayant de surcroît un effet de dilution de l’image de GUERLAIN.
Concernant la réparation des agissements parasitaires, la Cour confirme les sévères sanctions prononcées par le tribunal en première instance :
• 594.000 euros au titre de la réparation du préjudice matériel correspondant à 1% des dépenses publicitaires engagées par GUERLAIN en France pour le seul parfum « LA PETITE ROBE NOIRE » ;
• 100.000 euros au titre du préjudice moral retenu au titre de la dilution de la notoriété de ses parfums et de l’atteinte à sa réputation et à son image de marque.
La Cour confirme également la publication judiciaire de la décision sur les deux sites de la société belge.
A retenir enfin dans cette affaire, la compétence territoriale du tribunal de commerce de Paris qui avait été contestée par la société belge en raison de sa nationalité.
La Cour d’appel de Paris rappelle en effet que le constat d’huissier du site internet de la société belge, dressé à la demande de la société GUERLAIN, faisait apparaître des produits accessibles en France et pouvant être commandés et livrés en France « de sorte que le fait dommageable et la matérialisation du dommage, à savoir la mise en vente de parfums litigieux, se produit notamment à Paris ».
****
La décision du Tribunal de commerce de Paris, confirmée ici par la Cour d’appel de Paris, rappelle que l’absence de droits privatifs n’empêche pas pour autant les victimes d’obtenir une réparation de leur préjudice.
Toutefois il ne doit pas être négligé de rapporter la preuve des agissements parasitaires. Dans le cas où ceux-ci sont commis par une société étrangère, le constat d’achat internet devra attester sans ambigüité que l’achat et la livraison sont possibles depuis et vers la France afin que les actes puissent être poursuivis sur notre territoire. A ne pas néglier non plus, la preuve du préjudice tant matériel que moral, une attestation du directeur financier et de la responsable marketing de l’entreprise victime étant parfaitement recevable.
Voici donc une fois encore posée le principe selon lequel l’absence de droits de propriété intellectuelle ne confère pas pour autant une liberté d’inspiration sans limite.
Juliette Biegala
Juriste
Malaurie Pantalacci
Conseil en Propriété Industrielle associée
27
octobre
2023
Les mineurs et leur image : une problématique de plus en plus mise en lumière !
Insufflés par Bruno Studer, Eric Poulliat et Aurore Bergé, une proposition de loi avait été déposée à l’Assemblée nationale le 19 janvier 2023 concernant le respect du droit à l’image des mineurs.
1. Pourquoi faire cette loi ?
Venue renforcer la protection de l’image des mineurs dans l’ère numérique en constante évolution, cette nouvelle loi veut modifier les règles du code civil concernant l’autorité parentale, afin d’y intégrer le respect de la vie privée et le droit à l’image. L’idée est d’alerter et de sensibiliser les parents sur leurs obligations.
La technologie moderne et l’ubiquité des réseaux sociaux ont créé de nouveaux défis de matière de protection de la vie privée, en particulier pour les mineurs dont les parents partagent de plus en plus leur image en ligne.
2. Quelles sont les principaux apports de cette loi ?
• Insérer dans la définition de l’autorité parentale la notion de vie privée au titre de l’article 371-1 du code civil ;
• Indiquer que « Les parents protègent en commun le droit à l’image de leur enfant mineur » et que « Les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image, selon son âge et son degré de maturité », comme l’exige la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 ;
• Permettre au juge aux affaires familiales d’interdire à un parent de publier ou diffuser toute image de son enfant sans l’accord de l’autre parent ;
• Créer une délégation partielle forcée de l’autorité parentale en cas de diffusion de l’image de l’enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale ;
• Permettre à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) de saisir la justice pour demander toute mesure de sauvegarde des droits de l’enfant en cas de non-exécution ou d’absence de réponse à une demande d’effacement de données personnelles prévu à l’article 51 de la loi « Informatique et libertés ».
3. Quelles sont les prochaines étapes ?
Le texte a été adopté le mardi 10 octobre 2023 par l’Assemblée nationale, il est dorénavant transmis pour une nouvelle lecture au Sénat !
Restons attentifs !
17
octobre
2023
Entrée en vigueur de la loi sur le cyberscore
La loi n°2022-309 du 3 mars 20221 pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public est entrée en vigueur le 1er octobre 2023.
L’objectif de cette loi est de sensibiliser et d’éduquer les utilisateurs de plateformes en ligne à la cybersécurité.
La période de crise sanitaire liée au covid a accéléré la dématérialisation des données et les interdépendances humaines aux systèmes de communication numérique. Le recours à des plateformes ou à des solutions de messagerie, de visioconférence, s’est décuplé au cours de cette période. Ces services ont notamment été proposés par des acteurs américains, ce qui a posé des questions d’application des règles protectrices du droit de l’Union ou encore de l’hébergement des données.
Leur développement a aussi multiplié les risques et les atteintes liées à la cybersécurité, qui sont de plus en plus élaborées, telles que la captation des données personnelles, de données bancaires, l’usurpation d’identité, l’espionnage, les enregistrements frauduleux de réunions en ligne à l’insu des participants, voire le détournement d’image ou de voix pour l’élaboration de deep fake…
Et ces failles ne sont pas exploitées uniquement envers les particuliers ; les systèmes informatiques des pouvoirs publics, des collectivités territoriales, des hôpitaux, ou encore des entreprises privées sont également largement visés.
La loi s’insère dans le développement d’une stratégie de maîtrise, de protection des données et de préservation de la souveraineté numérique
Pour sensibiliser sur les enjeux de sécurité numérique, la loi a introduit un système de cyberscore en créant l’article L. 111-7-3 dans le Code de la consommation.
Cet article va tout d’abord s’appliquer aux opérateurs de plateformes en lignes tels que désignés à l’article L. 111-7 du même code. Ces opérateurs sont « des personnes physiques ou morales proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers, ou sur la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ».
Sont ensuite concernés les services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation qui sont désignés et définis au point 6° quater de l’article L. 32 du Code des postes et des communications électroniques, comme WhatsApp ou Messenger.
La loi impose à ces acteurs, franchissant un certain seuil dont les modalités de détermination seront fixées par décret, de réaliser un audit auprès de prestataires d’audit de la sécurité des systèmes d’information (PASSI)2 qualifiés par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).
Les critères à prendre en compte lors de la réalisation de l’audit sont quant à eux déterminés par décret conjoint des ministres en charge de la consommation et du numérique, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Le résultat de l’audit prendra la forme d’une certification de sécurité pour les plateformes numériques. Ce label cyberscore, à l’instar du nutriscore présent sur de nombreux emballages de produits alimentaires, vise à informer les internautes utilisateurs de ces sites sur le niveau de sécurisation des données. Il devra être présenté aux utilisateurs des plateformes « de façon lisible, claire et compréhensible et être accompagné d’une présentation ou d’une expression complémentaire, au moyen d’un système d’information coloriel ».
En obligeant la présentation d’une telle information sur les sites, les objectifs de la loi sont clairs : forcer les opérateurs concernés à être transparents sur leur sécurité et à la renforcer, protéger les utilisateurs tout sensibilisant ces derniers à la protection de leurs données, à des fins d’éducation sur la cybersécurité. Cette garantie de cybersécurité vise les données dans leur ensemble, allant au-delà d’un simple chevauchement avec la protection des données personnelles déjà assurée par le Règlement général sur la protection des données (RGPD).
Bénéficier d’un score élevé, obtenu à l’issue d’audits réalisés par des opérateurs externes qualifiés, sera vertueux tant pour l’image de la plateforme que pour la confiance des utilisateurs. Ces audits permettront, de plus, de s’assurer d’un certain contrôle sur les plateformes et autres opérateurs du Cloud, dont un grand nombre est susceptible d’être tiers à l’Union européenne.
Des débuts difficiles pour la loi
Cependant, arborer un tel score ne garantit aucunement l’absence totale de risques. Les attaques contre les sites internet, les entreprises et les particuliers sont nombreuses et les méthodes variées.
Par ailleurs, la loi est certes entrée en vigueur, mais le décret d’application et l’arrêté censés définir respectivement les seuils déterminant les plateformes et services visés, ainsi que les critères à prendre en compte pour l’audit et la délivrance du certificat, n’ont pas été pris au jour de l’entrée en application de la loi, ce qui retarde son application effective.
Ainsi, les opérateurs concernés ne sont pas encore déterminés. En effet, tous les sites ne seront pas concernés, et ce, pour permettre un équilibre entre une réglementation trop prononcée, et le développement des activités et de l’innovation.
La loi ne sera donc pleinement opérationnelle qu’après la publication du décret et de l’arrêté, éléments clés pour définir les acteurs concernés.
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Gaëlle Loinger-Benamran
Conseil en propriété industrielle Associée
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045294275/
[2] https://www.ssi.gouv.fr/entreprise/qualifications/prestataires-de-services-de-confiance-qualifies/prestataires-daudit-de-la-securite-des-systemes-dinformation-passi-qualifies/
26
septembre
2023
Ballade pour Adeline » ou la « Ballade de la vengeance » : quand une musique romantique est détournée
Author:
TAoMA
C’est une victoire pour le cartel mexicain « Narcos » : l’usage d’une musique douce pour mourir est bien autorisée ! (sous conditions)
Un compositeur français avait accordé l’exploitation de sa composition « Ballade pour Adeline » à une société française. Cette dernière a conclu un contrat de sous-édition avec une société américaine, qui a elle-même cédé ses droits, et notamment celui du droit d’adaptation au sein d’une œuvre cinématographique, aux sociétés de production américaines Narcos Mexico.
La série mondialement connue a alors utilisé le morceau afin d’illustrer une scène violente de l’épisode 10 de la saison 2.
Mécontent de voir son œuvre empreinte de douceur et de romantisme, associée à une scène de violence, le compositeur a assigné en justice les sociétés américaines pour atteinte au droit au respect de son œuvre et au droit de paternité sur le fondement de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Dans une décision du 9 juin 2023, le Tribunal judiciaire de Paris rejette la demande fondée sur l’atteinte au respect de l’esprit sur son œuvre, mais confirme l’atteinte au respect de son nom.
L’atteinte au droit au respect de l’œuvre rejetée
La scène litigieuse représentait un meurtre de vengeance perpétré au moyen d’une batte de baseball, où l’on pouvait distinguer une vue du corps ensanglanté de la victime, le tout sur un fond musical de la « Ballade pour Adeline »
Le tribunal indique que l’usage de l’œuvre musicale pour illustrer « la représentation de la violence n’est en soi illicite que si l’esprit de l’œuvre y est incompatible, ce qui ne se présume pas ».
D’ailleurs, le compositeur ne démontre pas que l’usage du morceau est strictement limité au thème de « la tendresse », de « l’amour » ou de « la pureté » puisqu’au contraire, celui-ci a admis d’autres usages antérieurs de sa musique notamment pour illustrer une scène de suicide d’une mère dont son enfant serait témoin.
Le tribunal ajoute que la violence de la scène ne valorise ni n’encourage le crime, la violence ou la drogue mais incite le spectateur à réfléchir sur les conséquences de ce meurtre fait par vengeance.
La musique est utilisée comme un « accompagnement détaché de la scène », elle débute comme une musique d’ambiance devenant de plus en plus forte à l’approche de la scène qui, elle bascule dans l’horreur. Le décalage atténue « l’impact de la scène sur la perception de l’œuvre et l’association qui en résulte entre celle-ci et le sujet ».
En outre, le tribunal rejette la demande fondée sur l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre estimant que le compositeur avait consenti par le contrat d’édition à la reproduction partielle de son œuvre, cette autorisation ne constituait pas une cession de droit moral.
L’atteinte au droit de la paternité retenue
Dans un second temps, le tribunal retient en revanche l’atteinte à la paternité de l’œuvre de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, dans la mesure où le générique de l’épisode de la série ne mentionne ni l’œuvre jouée, ni son auteur, les sociétés américaines se contentant d’alléguer un simple usage dans la série.
Autre point à signaler dans cette décision : afin de déterminer le montant du préjudice, il fallait s’accorder sur le périmètre géographique de l’atteinte, ce qui a posé une difficulté.
En effet, le compositeur alléguait la compétence du juge français pour connaitre des atteintes résultant de la diffusion de l’épisode sur le territoire national et à l’étranger.
Il soutenait que le droit moral est un droit de la personnalité, permettant la réparation de l’ensemble du préjudice subi dans le monde entier, au lieu du domicile du compositeur.
Le tribunal a cependant refusé d’admettre cette position : il retient que l’atteinte au droit moral n’est pas attachée à un droit de la personnalité. Le lieu du dommage est alors celui où il se manifeste concrètement, ce qui limite l’appréciation du préjudice aux actes réalisés sur le territoire national.
Pour les juges, l’absence de « crédit » pour l’usage de son œuvre n’a causé qu’un préjudice moral « caractérisé par le simple désagrément de découvrir qu’une de ses prérogatives n’a pas été respectée par un tiers ».
Au regard de la très grande diffusion de l’œuvre en France mais aussi de la faible gravité du manquement, le préjudice est estimé à 1.000 euros.
Il faut donc retenir que l’usage d’une œuvre musicale pour illustrer une scène violente ne caractérise pas, en soi, une violation du droit moral. Seul un examen préalable de l’esprit de l’œuvre est nécessaire pour la déterminer.
Alain Hazan
Avocat Associé
Emeline Jet
Juriste
21
septembre
2023
Toujours pas de fausse note pour Ed Sheeran, une nouvelle fois reconnu innocent de plagiat devant le tribunal fédéral de Manhattan
Un an après avoir été innocenté de plagiat pour son titre « Shape of You », par la Haute Cour de Justice britannique, Ed Sheeran revient sur les devants de la scène juridique !
Le célèbre musicien britannique était poursuivi par les héritiers de l’auteur-compositeur Ed Townsend, qui a créé ce titre classique de la soul Let’s Get It On en 1973 avec Marvin Gaye.
Selon eux, Thinking out Loud présentait des « similitudes frappantes et des éléments communs manifestes » avec leur titre, notamment sur la mélodie, l’harmonie et le rythme de la chanson et que par conséquent, il violait les droits d’auteur relatifs à la chanson.
Afin de prouver le contraire, Ed Sheeran a chanté, accompagné de sa guitare, les quatre accords clés de son morceau « Thinking out Loud », et assure que son inspiration vient plutôt du musicien irlandais Van Morrison.
Le 4 mai 2023, le tribunal de New York rejoue la même partition que son homologue britannique un an plus tôt, et indique que le tube du musicien avait été créé « de manière indépendante » et n’était pas une copie partielle de Let’s Get It On.
Ed Sheeran avait affirmé plus tôt qu’il quitterait l’industrie s’il perdait l’affaire : « Si cela arrive, j’ai fini, j’arrête ».
Nous voilà rassurez !
Emmeline Jet
Juriste
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
21
septembre
2023
Droit des marques : un duo explosif entre ROSALÍA et ROZALIYA
De LA FAMA, à DESPECHÁ, la chanteuse espagnole Rosalía ne cesse d’enchaîner les tubes. Toutefois, sur le terrain du droit des marques, le succès se fait attendre.
En effet, à l’instar d’autres chanteuses, Rosalía a cherché à protéger son nom de scène, notamment au niveau de l’Union Européenne. Trois marques ROSALÍA ont été déposées dans différentes classes de produits et services, afin de désigner son activité de chanteuse, mais également pour désigner des produits dérivés, comme des cosmétiques, vêtements…
Une de ces marques est contestée par la société bulgare Raphael Europe Ltd, titulaire de la marque ROZALIYA jewerly for enlightenment, protégée en classes 14 et 18. La société Raphael Europe Ltd invoque l’existence d’un risque de confusion et entre les marques ROSALÍA et ROZALIYA jewerly for enlightenment.
Si l’activité principale de la chanteuse espagnole n’est pas impactée (classes 9 et 41), des produits des classes 14 (bijoux) et 18 (sacs) sont contestés, ce qui crée un risque pour la commercialisation de produits dérivés.
Toutefois, la chanteuse espagnole bénéficie dans ce dossier d’une arme défensive redoutable, la marque antérieure invoquée par la société Raphael Europe Ltd est en effet soumise à obligation d’usage. Elle a ainsi attaqué la marque ROZALIYA jewerly for enlightenment en déchéance totale, dans le but d’éliminer cette antériorité.
La Chambre de l’Annulation n’a que partiellement accueilli son action en déchéance, aussi la chanteuse a formé un recours contre cette décision. La procédure est actuellement en cours.
La chanteuse espagnole dispose de plusieurs arguments susceptibles de jouer en sa faveur, comme la renommée de son nom de scène d’un point de vue conceptuel.
TAoMA Partners suit de près cette affaire dont la note finale devrait être jouée dans les mois à venir 🎶.
Nous pourrons ainsi nous replonger dans les problèmes d’homonymies que peuvent rencontrer certaines célébrités qui cherchent à protéger leur nom de scènes à titre de marque, à l’instar de la chanteuse Katy Perry, également présente dans notre focus spécial musique.
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
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