23
avril
2020
NOUVEAUTÉS DU PAQUET MARQUES : Dépôt, motifs de refus, renouvellement…
La France, par l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 (1) et par le décret n°2019-1316 du 9 décembre 2019 (2), a enfin transposé la Directive européenne dite « Paquet Marques » du 16 décembre 2015 (3). Cette réforme modifie profondément le code de la propriété intellectuelle et touche l’ensemble du droit des marques. Nous vous présentons donc ci-dessous certaines de ces modifications concernant les conditions de dépôt et de renouvellement de la marque :
=> Abandon de la représentation graphique dans le dépôt
Afin de faire entrer le droit des marques dans le XXIème siècle et de tenir compte des nouvelles technologies, la condition de représentation graphique du signe, jusque-là exigée par le code de la propriété intellectuelle (CPI), est aujourd’hui abandonnée au profit d’une nouvelle formulation précisant que le signe « doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire ».
Plus précisément « la marque est représentée dans le registre national des marques sous une forme appropriée au moyen de la technologie communément disponible ».
Cette modification permet de faciliter le dépôt de certaines marques dont la représentation graphique pouvait être compliquée voire impossible. Elle ouvre ainsi la voie à de nouveaux moyens de représentation du signe, tels que des fichiers MP3, des fichiers vidéo, des enregistrements, etc… Ainsi, les marques sonores qui devaient faire l’objet d’une représentation graphique, par exemple par le biais d’une partition qui ne peut être lue que par les mélomanes, peut aujourd’hui être déposée via un fichier MP3. Cette absence d’obligation de représentation graphique permet donc de déposer plus facilement des signes plus atypiques tels que les marques sonores, les marques multimédias ou encore les marques de mouvements…
Toutefois, le signe doit toujours être représenté de façon claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective, ce qui implique que le moyen de représentation soit suffisamment adapté pour pouvoir déterminer clairement l’objet de la protection.
=> Obligation d’un libellé clair et précis
S’il a toujours été nécessaire que la marque désigne un libellé de produits et services clair, la réforme est allée encore plus loin sur ce point pour tenir compte notamment des dernières décisions de la Cour de Justice et plus particulièrement l’arrêt IP TRANSLATOR de 2012 (4).
Elle exige ainsi que le libellé revendiqué dans le dépôt soit rédigé de manière claire et précise et indique que les produits et services « sont désignés avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre à toute personne de déterminer, sur cette seule base, l’étendue de la protection ».
La marque n’est dès lors protégée que pour les produits et services expressément cités dans le dépôt. Il n’est plus possible de se fonder sur les intitulés généraux des classes pour bénéficier d’une protection étendue à tous les produits ou services incluent dans ces classes.
Il est dès lors nécessaire d’être encore plus vigilant dans la rédaction du libellé afin de désigner de manière précise tous les produits et/ou services qui seront exploités à court ou moyen terme sous la marque.
=> Nouveaux motifs de refus d’enregistrement
La réforme a ajouté de nouveaux motifs de refus d’une demande de marque, par l’INPI, à ceux déjà prévus par les textes. Ainsi, ne peuvent être valablement enregistrés :
Des signes exclusivement constitués « par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ». La référence à « une autre caractéristiques du produit » est nouvelle et élargit le motif de refus propre aux marques de forme qui peut désormais s’appliquer plus largement et à toute les marque et notamment à des marques atypiques dont le dépôt est facilité.
Une marque reprenant « des appellations d’origine et des indications géographiques, des mentions traditionnelles pour les vins et des spécialités traditionnelles garanties » protégées par la législation nationale, de l’Union Européenne ou par des accords internationaux.
Une marque consistant en la dénomination d’une variété végétale antérieure.
Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.
=> Modification du système de taxe
Si l’ancien système prévoyait un forfait unique pour le dépôt d’une marque d’une à trois classes, avec une taxe par classe supplémentaire à partir de la troisième classe, la réforme l’a abandonné au profit d’un système d’une taxe par classe.
Le même système a été adopté pour le renouvellement de la marque.
L’objectif premier de cette réforme vise à réduire le nombre de classes dans les dépôts afin notamment de désengorger les registres et que la marque ne désigne que les produits ou services pour lesquels elle sera véritablement utilisée. En effet, en pratique, la plupart des déposant n’ont besoin que d’une ou deux classes de produits et/ou services pour couvrir leur projet. Or, avec une taxe unique pour une à trois classes, ils avaient tendance à vouloir déposer leurs marques de manière plus large en désignant une classe supplémentaire pour laquelle aucun usage ne serait jamais fait.
=> Modification du délai de renouvellement
Auparavant, le renouvellement de la marque pouvait être effectué au plus tôt 6 mois avant la date d’expiration de la marque jusqu’au dernier jour du mois de sa date anniversaire. Un délai de grâce de six mois suivant l’expiration était accordé pour pouvoir procéder au renouvellement, malgré l’expiration de la marque, moyennant le paiement d’une surtaxe.
Désormais, le renouvellement de la marque peut se faire au plus tôt 1 an avant l’expiration de la marque et au plus tard le jour de sa date anniversaire. Le délai de grâce de 6 mois a été maintenu, toujours moyennant le paiement d’une surtaxe.
Toute l’équipe de TAoMA vous accompagne au quotidien dans la gestion de vos actifs de propriété intellectuelle et reste à votre disposition pour tout besoin !
Laura Fretaud
Juriste stagiaire
Muriel Holstein
Responsable du Pôle Administratif
(1) Ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services
(2) Décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019 relatif aux marques de produits ou de services
(3) Pour voir le texte
(4) CJUE, IP TRANSLATOR, 19 juin 2012, C307/1
23
avril
2020
La lutte contre la contrefaçon aux temps du Coronavirus
Author:
teamtaomanews
ou : Comment défendre vos droits de propriété intellectuelle en période de confinement ?
Du fait de la crise sanitaire, les tribunaux sont fermés depuis mi-mars 2020, les actions judiciaires les plus courantes – y compris les actions en contrefaçon – ne peuvent pas être engagées et les actions en cours sont suspendues.
Ainsi, les outils judiciaires dont disposent les titulaires de droits de propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles, brevets, droits d’auteur, etc.) pour lutter contre la contrefaçon sont devenus indisponibles et risquent de l’être encore pendant un certain temps à l’issue du confinement car l’activité des tribunaux ne redémarrera que progressivement.
Parallèlement, nous assistons à une multiplication des arnaques COVID et des contrefaçons en ligne.
Titulaires de droits, ne restez pas inactifs.
Il est possible d’agir sans attendre le déconfinement et la reprise de l’activité judiciaire. Il existe un ensemble d’outils alternatifs permettant de faire respecter vos droits et de tenter d’obtenir rapidement la cessation des actes de contrefaçon.
TAoMA a identifié quatre étapes préalables, allant de l’utile à l’indispensable :
La surveillance en ligne, pour repérer les actes contrefaisants
La surveillance douanière, pour faire surveiller les allées et venues des produits contrefaisants
L’utilisation de la technologie blockchain, pour authentifier les produits et prouver la contrefaçon repérée
Le constat d’huissier sur Internet, pour prouver la contrefaçon repérée
Ainsi que cinq actions disponibles :
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Le signalement d’actes de contrefaçon à l’office européen de la propriété intellectuelle
Le signalement de contenu illicite sur les réseaux sociaux
La lettre de mise en demeure
La notification LCEN
LES ÉTAPES PRÉALABLES
La surveillance en ligne
Un titulaire de droits identifie souvent des actes de contrefaçon en surveillant lui-même l’activité de ses concurrents ou en jetant un œil aux principales plates-formes marchandes, voire en en découvrant de façon inopinée.
Il est toutefois indispensable d’adopter une stratégie systématique de surveillance active afin d’éviter de se retrouver prescrit ou forclos à agir en contrefaçon ou sur un autre fondement.
En ce qui concerne la contrefaçon en ligne, il existe des sociétés spécialisées, comme Safebrands et IP Twin, qui ont rendu certains de leurs services de surveillance provisoirement gratuits.
Ces sociétés proposent notamment les services suivants, pour le monde entier :
Surveillance des nouvelles occurrences de mots-clés dans les liens, pages de sites, metatags, etc.
Surveillance des réseaux sociaux
Surveillance des plates-formes de vente en ligne (Amazon, eBay, Rakuten…)
Surveillance des « adwords »
Surveillance de l’utilisation des logos
Ces sociétés remettent des rapports à intervalles plus ou moins fréquents, comprenant les données brutes collectées. L’analyse du caractère contrefaisant doit être réalisée par un avocat pour être fiable.
TAoMA Partners a également développé ses propres techniques de surveillance et d’identification et les utilise régulièrement au service de ses clients.
La surveillance douanière
La surveillance en ligne peut être utilement doublée par une surveillance « physique » par les douanes. Il est possible de mettre en place une surveillance douanière en en faisant la demande auprès des services des douanes au moyen d’un formulaire identifiant les droits des titulaires, incluant des photographies de produits authentiques et des conseils pour repérer les contrefaçons.
Cette surveillance est toujours disponible en ce moment, les douanes requérant que les demandes de surveillances soient pour l’instant envoyées exclusivement par e-mail.
Sans rentrer dans les détails, la saisie de marchandises contrefaisantes par les douanes donne lieu à une notification au titulaire des droits qui informe les douanes de son souhait, le cas échéant, de faire procéder à une destruction simplifiée des produits ou les informe que les produits ne sont pas contrefaisants.
L’utilisation de la technologie blockchain
Cette technologie réputée infalsifiable, utilisée par la cryptomonnaie Bitcoin, peut être adoptée par les titulaires de droits de propriété intellectuelle pour se protéger contre la contrefaçon.
Cette technologie intéresse tout particulièrement les acteurs du secteur du luxe mais pas exclusivement : elle pourrait s’appliquer aux produits culturels, technologiques ou autres.
Lors de l’achat d’un objet original, un QR code est émis et permet de produire un certificat d’authenticité numérique inscrit dans la blockchain. Il est ainsi possible à tout moment de vérifier si et de prouver que l’objet est authentique. Il peut également contenir l’historique des réparations autorisées et des reventes à d’autres propriétaires de l’objet et de son certificat. Les titulaires des marques peuvent également suivre, de façon anonymisée quant à leurs propriétaires, la vie de l’objet.
La blockchain peut également être utilisée, à la place des enveloppes Soleau, pour prouver une date de création et protéger un actif de propriété intellectuelle non enregistré, comme une œuvre d’art ou une œuvre littéraire, y compris aux différentes étapes de sa création, ce qui intéressera en particulier les producteurs audiovisuels. La date certaine enregistrée par l’inscription dans la blockchain peut en outre être réalisée par huissier, ce qui peut à terme renforcer le caractère probant vis-à-vis de juges pas nécessairement sensibilisés au fonctionnement de la blockchain.
Parmi les autres utilisations possibles, la victime d’actes de contrefaçon peut inscrire dans la blockchain des captures d’écran des actes contrefaisants et le code source des pages concernées. Néanmoins, pour les juges français, à ce stade, le constat d’huissier sur Internet semble le mode de preuve à privilégier.
Le constat d’huissier sur Internet
En matière de contrefaçon, la preuve est libre, ce qui veut dire que les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent, par exemple, tenter de prouver la contrefaçon en produisant des captures d’écran du site contrefaisant.
Rappelons en outre que les tribunaux accordent de plus en plus de valeur aux pages archivées sur le site web.archive.org et que la date figurant sur ces pages archivées est considérée comme plus probante qu’une datation résultant d’un archivage personnel. Voir notre TAoMA news du 8 novembre 2019.
Mais ce type de document est bien sûr moins probant que des preuves établies par constat d’huissier.
Les huissiers de justice peuvent réaliser, depuis leur domicile ou leur étude, des constats sur Internet, en donnant ainsi une date certaine à la présence en ligne d’actes contrefaisants et en adoptant des techniques permettant d’écarter les doutes qui affectent l’enregistrement « artisanal » de pages web qu’effectuerait un titulaire de droit de propriété intellectuelle.
Le rôle de TAoMA est de travailler de concert avec l’huissier, afin que le constat réalisé réunisse l’ensemble des informations nécessaires pour apporter la preuve de la contrefaçon de manière efficace et exploitable.
Ces constats pourront, bien sûr, être utilisés dans un contentieux judiciaire futur ; mais ils sont également utiles pour mettre en œuvre certaines des actions disponibles en-dehors de toute procédure judiciaire.
LES ACTIONS DISPONIBLES
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Les titulaires de marques constatent souvent qu’un tiers a inclus une de leurs marques au sein même d’un nom de domaine, de façon identique ou similaire (par exemple « channel-parfums.com »). Ce type d’atteinte aux droits de marque, appelé « cybersquatting », se multiplie en ce moment.
Plutôt que de requérir d’un juge qu’il ordonner le blocage du site, le titulaire peut choisir de demander la récupération du nom de domaine. Des demandes de récupération peuvent être adressées notamment :
Auprès de l’office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) pour les domaines en .com, .net et .org :
C’est la procédure « UDRP » (Uniform Domain-name Dispute-Resolution Policy)
Et auprès de l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) :
C’est la procédure « Syreli »
En cas de succès, le nom de domaine litigieux pourra être supprimé ou transféré au requérant.
Le centre d’arbitrage de l’OMPI a annoncé être en état de traiter les demandes de récupération, même si l’on peut anticiper des délais accrus, la procédure habituelle prenant trois mois. L’Afnic a également informé qu’elle poursuivait son activité avec un délai de procédure inchangé de deux mois.
L’avantage majeur de ces procédures est que leur coût est très limité et qu’elles se déroulent en ligne. En cette période de confinement, les deux organismes ont en plus décidé d’autoriser l’envoi de notifications par les parties par voie électronique alors que la voie postale est exigée, en temps normal.
Dans certains cas, en fonction des faits, une alternative à ces procédures de récupération peut être trouvée dans la notification LCEN (voir plus bas).
Le signalement à l’EUIPO
L’Office de l’Union européenne pour la Propriété intellectuelle (EUIPO) a mis en place un outil destiné en particulier à signaler la contrefaçon touchant les objets essentiels de lutte contre le coronavirus (masques, médicaments, matériel médical…). Certains de ces produits médicaux reproduisent sans autorisation des marques appartenant à des titulaires n’ayant parfois rien à voir avec le secteur de la santé. Ainsi, un contrefacteur a utilisé une marque de Disney (« Frozen II ») et violé son droit d’auteur en proposant à la vente des masques de protection pour enfants « Reine des Neiges » qui ne respectent évidemment pas les normes de sécurité et mettent en danger les populations, en plus de nuire aux titulaires de droits.
L’outil lancé par l’EUIPO s’appelle IP Enforcement Portal (Portail de mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle). Les titulaires de droits peuvent y échanger des informations sur l’étendue de leurs droits et sur les distributeurs autorisés, téléverser des photographies de produits authentiques et signaler les produits contrefaisants. La plateforme est gratuite et rend possible la mise en relation les titulaires de droits avec les autorités de poursuite dans chacun des pays de l’Union, ce qui permet, par exemple, à un titulaire français de signaler une contrefaçon à un magistrat bulgare ou suédois lorsque la contrefaçon en ligne ne s’adresse qu’aux internautes de ces pays.
Dans ce type de situation comportant un péril sanitaire, il n’est pas douteux que les autorités publiques mettent sans tarder en œuvre des mesures de protection des populations et donc, indirectement, de protection des droits des titulaires.
Mais même en-dehors de ces cas, il reste possible d’agir sans attendre. Deux mesures rapides et efficaces sont disponibles pour les titulaires de droit : la lettre de mise en demeure et la notification LCEN. Ces mesures visent à obtenir rapidement le retrait des pages contenant l’offre à la vente de produits ou de services contrefaisants. Un tel retrait n’empêche aucunement de réclamer des dommages-intérêts par la suite, une fois l’activité judiciaire rétablie.
Le signalement sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux, mais aussi les grandes plates-formes de vente en ligne (Facebook, Amazon, Instagram, Twitter, LinkedIn, YouTube, etc.) prévoient en général leurs propres procédures de signalement de contenus litigieux (contrefaisants, diffamant, ou illégaux d’une manière générale).
Une infraction particulière aux réseaux sociaux est celle du « username squatting » ou des « faux comptes », soit l’utilisation d’une marque comme pseudo, par un tiers (par exemple, l’existence d’une page Facebook au nom d’une marque mais détenue par un fan ou par une personne moins bien intentionnée).
Pour résoudre ce problème, ou tout autre difficulté liée à la présence d’un contenu illicite, le titulaire est invité à fournir des informations dans des formulaires en ligne et de joindre des pièces justificatives qui dépendent à chaque fois du type d’atteinte repérée.
Par exemple, il est possible de signaler une atteinte à un droit de propriété intellectuelle sur YouTube sur cette page, une atteinte à un droit d’auteur sur LinkedIn sur celle-ci ou encore une usurpation d’identité sur Facebook à cette adresse. LinkedIn et Facebook permettent également, ainsi que d’autres réseaux, d’accéder à un formulaire de signalement via des boutons de commandes accompagnant chaque post.
L’avantage considérable de ces procédures internes est qu’elles sont rapides, gratuites et qu’elles peuvent permettre d’obtenir facilement des retraits de contenus au niveau mondial. Mais l’inconvénient est que l’appréciation de la légitimité de la notification est laissée entièrement à l’appréciation des réseaux sociaux, voire de robots aux raisonnements automatisés et parfois peu pertinents, comme par exemple Content ID, un robot qui repère les vidéos contrefaisants sur YouTube et dont le fonctionnement est décrié.
En cas d’échec, il reste toutefois possible d’utiliser les étapes de la lettre de mise en demeure et de la notification LCEN.
La lettre de mise en demeure
Il est d’usage, lorsqu’un titulaire de droits constate qu’un tiers fait usage de sa marque sans autorisation, plagie ses droits d’auteur ou imite le modèle d’un produit qu’il commercialise, d’envoyer avant toute procédure contentieuse une lettre d’avocat ayant pour objet de le mettre en demeure de cesser les actes contrefaisants, de retirer les produits de la vente, de modifier sa marque, etc. Au-delà de la rédaction de la lettre, le regard de l’avocat est essentiel, notamment pour deux raisons : pour évaluer la réalité de la contrefaçon et pour vérifier si la prescription n’est pas acquise (ce qui n’empêcherait pas d’envoyer la lettre mais diminuerait la position de force du titulaire de droits).
La lettre de mise en demeure peut tout à fait être envoyée en période de confinement. Tout d’abord, elle peut toujours être envoyée en recommandé avec accusé de réception dans la mesure où les services postaux fonctionnent toujours. De plus, La Poste propose un service d’envoi de lettres recommandées en ligne qui permet d’éviter à l’expéditeur de se déplacer au bureau de poste pour l’affranchir et l’envoyer. En pratique, l’expéditeur paye en ligne après avoir saisi les informations d’expédition et téléversé le courrier au format PDF. L’inconvénient est donc que le courrier n’est pas remis sous pli fermé à La Poste, mais cette dernière et ses employés sont tenus au secret des correspondances électroniques prévu par la loi. Le recours à un tel service n’est exclu ou fortement déconseillé que si le contenu de la lettre est particulièrement confidentiel ou bien si le courrier lui-même est confidentiel par application de la loi (comme un courrier couvert par le secret médical ou par le secret des avocats – ce qui n’est pas le cas pour une lettre envoyée par un avocat à la partie adverse).
Ensuite, en pratique, la lettre recommandée est doublée d’un envoi en lettre simple et par e-mail quand l’adresse e-mail est connue. Cela permet de s’assurer que le destinataire puisse prendre connaissance rapidement du document sans avoir à aller le retirer à La Poste.
Enfin, cette lettre, qui suffit parfois à obtenir le retrait des contrefaçons ou à voir satisfaites les autres demandes formulées, peut, en cas d’échec, être réutilisée dans le cadre d’une notification LCEN. Cette notification est aussi utile quand l’on ne dispose d’aucune information pour contacter le contrefacteur.
La notification LCEN
La notification LCEN tire son nom de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004. Cette loi prévoit les formes dans lesquelles une personne qui estime que ses droits sont enfreints sur un site Internet peut obtenir la suppression du contenu illicite par l’hébergeur et non seulement par l’auteur du contenu.
Ce contenu peut être de diverses natures plus ou moins graves : divulgation de données personnelles, pédopornographie, apologie de crime contre l’humanité, propos injurieux ou diffamants, photographies volées (revenge porn), contrefaçon (texte, photographie, musique, film, marque, dessins et modèles, etc.). Il doit être manifestement illicite : la contrefaçon doit être flagrante et indiscutable. Ce caractère manifestement illicite est apprécié par l’avocat et l’envoi d’une notification LCEN alors que le caractère illicite est discutable ou improbable peut engager la responsabilité de l’auteur de la notification.
En pratique, le titulaire ou son avocat doit envoyer un premier courrier au contrefacteur (la lettre de mise en demeure peut ainsi être réutilisée, mais un simple e-mail suffit).
Cette notification est un courrier envoyé dans les mêmes conditions qu’une lettre de mise en demeure classique : c’est un courrier en recommandé avec accusé de réception doublé par une lettre simple et, quand c’est possible, par un e-mail.
Si l’étape de la lettre de mise en demeure a échoué, parce qu’il a été impossible de contacter directement l’auteur de la contrefaçon en l’absence d’informations ou parce que l’auteur de la contrefaçon n’a pas donné suite au courrier, il convient alors d’envoyer la notification LCEN à l’hébergeur du site, quand il s’agit d’une personne distincte de celle du contrefacteur. Son contact est censé figurer dans les mentions légales.
En l’absence, fautive, de ces mentions, certains sites permettent de rechercher qui est l’hébergeur d’un site Internet.
Voici quelques exemples pour y voir plus clair :
Le contenu d’une notification LCEN est encadré par la loi. Il conviendra, entre autres, d’y mentionner ou d’y adjoindre les éléments suivants :
Une copie de la pièce d’identité du titulaire des droits (un extrait K-Bis dans le cas d’une personne morale)
Un extrait K-Bis de l’hébergeur
La preuve que l’auteur de la notification (ou le client de l’avocat auteur de la notification) est bien titulaire des droits : par exemple, le certificat d’enregistrement de la marque ou une version numérique du livre dont est tiré un passage reproduit sans autorisation
Le fondement juridique qui permet au titulaire des droits de demander le retrait des pages web contrefaisantes : il s’agira des textes du code de la propriété intellectuelle et/ou de règlements européens conférant des droits aux auteurs et aux déposants de titres de propriété industrielle, ainsi que de l’article 6 de la LCEN
L’identification de la matérialité de la contrefaçon incluant l’adresse URL : le constat d’huissier sur Internet est la preuve la plus recommandée
La copie du courrier envoyé au contrefacteur ou la justification de l’impossibilité de le contacter
Etc.
=> Pourquoi une notification LCEN est-elle souvent efficace ?
Parce que l’absence de réaction rapide de la part de l’hébergeur engage sa responsabilité (y compris pénale, la contrefaçon étant un délit) et que les hébergeurs peuvent donc être assignés en justice ou faire l’objet de plaintes pénales même sans que le titulaire de droits n’ait à se préoccuper du contrefacteur lui-même. La totalité des condamnations pourrait donc être supportée par l’hébergeur.
Cet effet dissuasif est recherché par la loi en raison même du fait qu’il est facile, sur Internet, de dissimuler son identité et d’échapper aux poursuites. La LCEN a donc pour mission essentielle d’éviter qu’Internet soit une zone de non-droit, et ce même en période de confinement.
=> Quid quand le site est situé à l’étranger ?
Tout d’abord, un site « situé » à l’étranger, par exemple un site en .br ou en .cn, peut être soumis à la loi française et donc à la LCEN lorsqu’il s’adresse au public français. Cela peut être le cas, par exemple, s’il offre la livraison vers la France, s’il propose une version française de son interface ou encore si ses prix sont libellés en euros.
Dans ce cas, l’obtention de la suppression des produits ou des offres de services contrefaisants sera bien sûr plus difficile à obtenir mais n’est pas impossible. Ainsi, la notification LCEN adressée à l’hébergeur étranger peut préciser que le juge français pourrait ordonner la coupure de l’accès au site depuis la France, par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès (FAI). Mais bien sûr, cette solution ne peut passer que par une décision de justice définitive et on doit se contenter de souhaiter que cette menace sera dissuasive, au stade de la notification LCEN.
De plus, si une marque est reprise dans un nom de domaine situé à l’étranger, la procédure de récupération UDRP est tout indiquée.
Enfin, une solution de pis-aller consister à effectuer un signalement aux moteurs de recherche référençant la page web contrefaisante. La loi américaine (le « DMCA ») oblige Google à supprimer de ses résultats de recherche des pages violant les règles de protection du copyright. Il est donc possible d’agir même lorsque la loi française n’est pas applicable.
Anne MESSAS
Avocate à la cour, Associée
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
22
avril
2020
Loi PACTE : la procédure d’opposition marque nouvelle génération
Nous l’attendions depuis plusieurs années et la France a enfin transposé la directive européenne 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques via la loi PACTE.
L’une des évolutions majeures du droit français porte sur la réforme de la procédure d’opposition devant l’INPI contre une demande de marque portant atteinte aux droits antérieurs d’un tiers. Cette opposition nouvelle génération ne s’applique que pour les marques françaises, ou internationales désignant la France, déposées à compter du 11 décembre 2019. Pour les marques déposées avant cette date, l’ancienne procédure reste applicable.
Nous vous proposons donc un petit comparatif entre la nouvelle et l’ancienne procédures d’opposition.
Fondements de l’opposition
L’ancienne procédure d’opposition se caractérisait par l’obligation de n’invoquer qu’un droit antérieur par procédure. Ainsi, si un titulaire souhaitait baser son opposition sur deux marques, il n’avait d’autre choix que de déposer deux oppositions.
La nouvelle procédure permet d’invoquer plusieurs droits antérieurs dans une seule et même opposition. De même, les droits antérieurs qui peuvent servir au soutien de la procédure ont été élargis.
Déroulement de la procédure
Si le délai pour former opposition reste de deux mois à compter de la publication de la marque litigieuse, il est désormais possible de déposer une opposition formelle. Le mémoire présentant les arguments au soutien de l’action devra être présenté dans le délai de 1 mois suivant l’expiration du délai d’opposition.
Le principe du contradictoire a également fait l’objet d’un renforcement puisque les parties peuvent échanger plusieurs jeux d’écritures pour faire valoir leurs arguments. En contrepartie, la procédure d’opposition est allongée et peut durer jusqu’à 10 mois avant le rendu de la décision définitive contre 6 mois maximum pour l’ancienne procédure.
Dans le cadre de sa défense, le déposant de la marque contestée peut exiger que l’opposant apporte la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures invoquées qui ont été enregistrées depuis plus de 5 ans. Une telle possibilité était déjà offerte dans l’ancienne procédure d’opposition.
Cependant, l’INPI a aujourd’hui le pouvoir d’exercer un contrôle approfondi des preuves qui seront fournies par l’opposant. Il conviendra donc que ce dernier soit en mesure, avant l’engagement d’une procédure d’opposition sur la base d’une marque enregistrée depuis plus de 5 ans, d’apporter la preuve de l’usage sérieux de la marque pour tous les produits et/ou services invoqués dans le cadre de la procédure.
La procédure d’opposition nouvelle génération est donc un grand pas en avant pour les titulaires de droits antérieurs en leur offrant des fondements d’action plus larges et un principe du contradictoire renforcé. Le revers de la médaille est la nécessité de devoir démontrer l’usage sérieux de ses marques enregistrées depuis plus de 5 ans, à la demande du défendeur, pour tous les produits et/ou services invoqués au soutien de l’opposition.
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique CPI
10
janvier
2020
Nouvelle année, nouveaux pouvoirs du Juge de la mise en état
Author:
teamtaomanews
Le 1er janvier 2020 entrait en vigueur le décret du 11 décembre 2019 portant réforme de la procédure civile.
L’une des propositions des « Chantiers de la Justice[1]» sur l’amélioration et la simplification de la procédure civile avait pour objectif de rationaliser l’instruction de l’affaire en repensant le rôle du Juge de la mise en état.
Traditionnellement, en vertu de l’ancien article 771 du Code de procédure civile , le Juge de la mise en état, était seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure[2], les demandes formées en application de l’article 47[3] et sur les incidents mettant fin à l’instance.
L’examen des fins de non-recevoir[4] relevait quant à lui de la formation de jugement[5].
Cette répartition présentait le désavantage majeur de laisser inutilement se poursuivre des instances dont l’action était susceptible d’être jugée irrecevable.
Depuis le 1er janvier et afin de purger l’affaire de son contentieux accessoire, le nouvel article 789 du Code de procédure civile prévoit que le Juge de la mise en état est compétent pour statuer sur toutes les fins de non-recevoir à l’instar du Conseiller de la mise en état dans le cadre de la procédure d’appel.
Par ailleurs, lorsque l’examen d’une fin de non-recevoir implique que soit évoqué le fond de l’affaire, il est désormais prévu qu’il peut statuer sur la question de fond.
Le cas échéant, le Juge devra, au sein du dispositif de sa décision, faire apparaitre de manière distincte les dispositions relatives au fond et celles relatives à la fin de non-recevoir.
La question de fond alors tranchée sera revêtue de l’autorité de la chose jugée ce qui marque un élargissement des pouvoirs du Juge de la mise en état en lui conférant des prérogatives afférentes au fond du litige.
Lire le décret sur Légifrance
Delphine Liotard
Avocate
[1] Proposition n° 19, Chantiers de la justice sur l’amélioration et simplification de la procédure civile, Ministère de la justice, 2018
[2] Selon l’article 73 du Code de procédure civile : « Constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours ».
[3] L’article 47 du CPC énonce : « Lorsqu’un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige qui relève de la compétence d’une juridiction dans le ressort de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe…».
[4] Selon l’article 122 du Code de procédure civile, « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
[5] Cass 13 nov. 2006, pourvoi n° 06-00.012, Avis n ° 10 ; Cass 2 avr. 2007, pourvoi n° 007-00.06
08
novembre
2019
Force probante d’archive.org : Un pas en avant pour la « machine à revenir en arrière »
Internet Archive est un organisme à but non lucratif américain dédié à l’archivage du web.
Ses archives comprennent 330 milliards d’extraits de pages internet, mises à disposition du public sur le site Wayback Machine, mais également 20 millions de livres, 4,5 millions d’enregistrements audios, 4 millions de vidéos, 3 millions d’images et 200 000 logiciels (source : archive.org), dans son immense bibliothèque numérique.
La Wayback Machine (archive.org) permet de stocker tout ce qui se trouve sur internet. Elle donne la possibilité de remonter jusqu’en 1996 pour retrouver des extraits de sites internet disparus ou dont le contenu aurait (sans surprise) été modifié.
Cette machine à remonter le temps est un véritable atout en propriété intellectuelle lorsqu’il s’agit de fournir des preuves d’usage d’une marque, vérifier les précédentes exploitations d’un nom de domaine, prouver la divulgation d’un modèle ou encore constituer des preuves d’une atteinte à un droit par un tiers.
Les juridictions françaises se sont toujours montrées assez réticentes à accepter des preuves provenant de la Wayback Machine.
Mais une décision rendue par la Cour d’Appel de Paris le 4 octobre dernier [1], faisant suite à une précédente décision du 5 juillet [2], a confirmé une évolution vers la reconnaissance de la valeur probante des extraits de la Wayback Machine.
Dans cet arrêt, le titulaire d’un brevet intitulé « tête fonctionnelle pour placer et supprimer des pneus de véhicule » assigne une société britannique en contrefaçon de son brevet et en concurrence déloyale.
Il fait alors réaliser un constat par un huissier de justice et produit un extrait du site archive.org, contenant la preuve qu’au 11 juin 2013 la partie adverse présentait sur son site un produit mettant en œuvre son brevet.
La Cour d’Appel de Paris mentionne dans son arrêt qu’ « il ne peut être dénié toute force probante [à cet extrait], à défaut de tout élément contraire de nature à jeter un doute sur sa fiabilité ».
La reconnaissance de la force probante des extraits du site Wayback Machine est donc une excellente nouvelle pour les titulaires de droits !
Avec cette décision, la Cour d’Appel de Paris s’aligne donc sur la position de l’EUIPO, l’OMPI (dans le cadre des procédures UDRP), l’OEB et de l’INPI qui a eu plusieurs fois l’occasion de statuer sur l’acceptation des extraits du site Wayback Machine, dans le cadre de demandes de preuves d’usage dans des procédures d’opposition, par la formule suivante « que toutefois, la preuve de l’exploitation de la marque étant libre, il n’y a pas lieu de refuser ces éléments ».
Nous nous réjouissons donc de cette décision, et ce d’autant plus qu’Internet Archive a récemment annoncé l’arrivée de nouvelles fonctionnalités très intéressantes sur la Wayback Machine [3]!
Marion Mercadier
Juriste
[1] CA PARIS, 4 octobre 2019, RG n°17/10064, non publié
[2] CA Paris, 5 juillet 2019, n°17/03974, non publié
[3] “The Wayback Machine: Fighting Digital Extinction in New Ways”, Internet Archive Blog, 18 octobre 2019
06
août
2019
« SORTEZ COUVERT », la marque qui ne l’est pas assez
Author:
teamtaomanews
Depuis les années 90, le célèbre animateur Christophe Dechavanne clôture l’ensemble de ses émissions par l’annonce, devenue également célèbre, « Sortez couverts » dans un souci de sensibiliser le public à la prévention des maladies sexuellement transmissibles.
Dès 2003, via sa société de production Coyote Conseil, l’animateur a procédé au dépôt de la marque SORTEZ COUVERT (sans S à la fin) en France notamment pour les catégories de produits et services suivantes :
– Imprimés, journaux, livres, manuels…
– Publicité, diffusion d’annonces publicitaires…
– Communications radiophoniques ; diffusion de programmes de télévision et radiophoniques ; émissions radiophoniques et par télévision ; messagerie électronique…
– Organisation de spectacles ; organisation d’expositions à but culturel ou éducatif ; information en matière de divertissement ; organisation et conduite de séminaires et de congrès ; divertissement pour télévision ou radiophonique…
De manière surprenante, la marque ne désigne pas les préservatifs. Pourtant, un accord avec une société du secteur a été trouvé pour la commercialisation de préservatifs sous ce nom. La société Laboratoires Majorelle, spécialisée dans la fabrication de préservatifs, a relevé ce défaut de protection et a déposé la marque française SORTEZ COUVERTS ! en septembre 2018 pour des préservatifs.
Le sang de l’animateur n’a fait qu’un tour et lui est monté à la tête, entrainant le dépôt d’une opposition devant l’INPI par sa société de production contre cette demande de marque à découvert !
L’INPI a rendu sa décision le 4 juin dernier [1] qui trouve son originalité, non dans la comparaison des signes en présence, mais dans la comparaison des produits et services et des tentatives ingénieuses de la société Coyote Conseil pour tenter de l’emporter.
Concernant les signes, l’INPI n’a pu que constater l’imitation de la marque SORTEZ COUVERT par la demande SORTEZ COUVERTS ! L’Office juge que les différences entre les signes ne sont qu’une « simple marque du pluriel et [un] ajout d’un élément de ponctuation » qui « n’ont que peu d’incidence visuelle et aucune incidence phonétique ».
Pour ce qui est de la comparaison des produits et services, l’histoire est toute autre en raison du principe de spécialité selon lequel la marque n’est protégée que pour les produits et services qu’elle désigne. Or, la marque antérieure ne couvrant pas les « préservatifs », son titulaire a joué d’inventivité pour pimenter le jeu.
Afin de tenter de démontrer un lien entre les produits et services désignés par la marque antérieure et les « préservatifs », la société Coyote a limité sa marque en demandant l’ajout à la fin du libellé de la mention « tous ces produits/services destinés à la santé publique et notamment à la prévention des infections sexuellement transmissibles et à l’incitation à l’usage des préservatifs ».
Malheureusement, cette limitation n’a pas été inscrite sur le registre des marques avant le rendu de la décision de l’INPI. Ce dernier a donc écarté ce point au motif que la limitation n’était pas encore opposable aux tiers au jour du rendu de la décision.
La société Coyote a tenté de mettre en avant que les « préservatifs » présentaient un lien étroit avec les « imprimés, journaux… » de sa marque car « ils sont également souvent vendus/distribués associés à des imprimés destinés à sensibiliser le public sur les maladies sexuellement transmissibles ou à donner des conseils d’utilisation. Ils sont également le sujet d’affiches et de campagnes d’affichage ayant le même objectif ». L’INPI n’a pourtant pas été sensible à l’argument et il a estimé qu’un critère aussi général de similarité reviendrait à considérer comme complémentaires un très grand nombre de produits.
Dans le même esprit, l’INPI a rejeté toute similitude entre les « préservatifs » et les autres services désignés par la marque antérieure.
Dans un souci de prévention, la société Coyote a également fait valoir la notoriété de la marque SORTEZ COUVERT dans le domaine de la promotion en faveur de l’emploi du préservatif. A nouveau, l’INPI est resté hermétique et a jugé que même si la notoriété était reconnue, cela ne suffirait pas « à compenser les différences existantes entre les produits et services ».
Enfin, la société Coyote dénonce le caractère frauduleux du dépôt de la demande de marque SORTEZ COUVERTS ! Les tribunaux judiciaires étant seuls juges de cette question, l’INPI écarte également l’argument.
L’opposition est rejetée et la marque contestée acceptée à enregistrement.
Il est important pour les titulaires de marques d’être bien couverts pour leurs produits et services d’intérêt s’ils ne souhaitent pas être contaminés par des concurrents !
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
[1] Lire la décision du 4 juin 2019 ici
25
juillet
2019
Braquage réussi de La Casa de Papel devant l’Inpi !
Author:
teamtaomanews
La série La Casa de Papel de Netflix qui raconte le braquage de la fabrique nationale de la monnaie et du timbre espagnole a connu un succès mondial, à tel point qu’elle est devenue la fiction non anglophone la plus regardée de l’histoire de Netflix.
Toutefois, Netflix n’avait pas encore déposé le nom de la série quand un tiers a déposé la marque française LA CASA DE PAPEL, en classes 16, 18 et 25.
Netflix Studios LLC a immédiatement mis en œuvre un plan d’action : une opposition à l’encontre de la demande de marque LA CASA DE PAPEL en invoquant l’article 6 bis de la Convention de Paris, qui protège les marques notoires non déposées, tel que, selon Netflix, le signe LA CASA DE PAPEL pour les produits et services « enregistrements vidéos, comprenant des oeuvres fictionnelles, téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; des émissions télévisées téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; services de divertissement sous forme de séries télévisées ».
A l’occasion de la sortie de la saison 3 de la série, l’équipe TAoMA News vous parle de la décision d’opposition rendue par l’INPI le 22 janvier dernier.
Dans les cas les plus fréquents, une procédure d’opposition permet au titulaire d’une marque déposée ou enregistrée de s’opposer à l’enregistrement d’une demande de marque qui pourrait lui porter atteinte. Mais une telle procédure peut être également formée sur la base d’autres droits tels qu’une indication géographique protégeant des produits industriels et artisanaux, le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale, une AOC, une AOP ou une indication géographique régie par le code rural et de la pêche et une marque notoire non déposée.
C’est sur ce dernier fondement que Netflix Studios LLC a déposé une opposition à l’encontre de la demande de marque LA CASA DE PAPEL, en s’appuyant sur un solide dossier de presse qualifiant la série de « succès retentissant », « phénomène mondial », « pépite » ou encore série « culte », pour invoquer avec succès l’existence, la notoriété et la titularité de sa marque non déposée LA CASA DE PAPEL.
La partie adverse a tenté de se défendre en se basant sur le nombre « négligeable » de personnes qui ont un abonnement Netflix en France et en indiquant que la série est trop récente pour pouvoir démontrer une notoriété.
Mais l’INPI rejette ces arguments reconnaissant ainsi que Tokyo, Nairobi, Rio et le Professeur ont bel et bien conquis le cœur du public (et de l’INPI?), malgré un récent lancement en France en 2017.
A cette occasion, l’INPI nous fait également part d’une comparaison des produits intéressante.
En effet, sans renier le principe de spécialité, selon lequel une marque n’est protégée que pour les produits et services qu’elle désigne, et bien que la notoriété de la marque LA CASA DE PAPEL n’a été démontrée par Netflix que pour des « enregistrements vidéos, comprenant des œuvres fictionnelles, téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; des émissions télévisées téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; services de divertissement sous forme de séries télévisées », l’INPI reconnait une pratique courante des sociétés de production de divertissement consistant à commercialiser des produits dérivés ou conclure des partenariats officiels pour les produits :
« articles de papeterie ; affiches ; vêtements, chaussures ; fourrures (vêtements) ; chaussures de ski ; sous-vêtements ; photographies ; adhésifs (matières collantes) pour la papeterie ou le ménage ; matériels pour artistes ; pinceaux ; articles de bureaux (à l’exception des meubles) ; matériel d ’instruction ou d ’enseignement (à l ’exception des appareils) ; papier ; carton ; boites en papier ou en carton ; cartes ; livres ; journaux ; calendriers ; instruments d’écriture ; objets d’art gravés ; objets d’art lithographiés ; instruments de dessins ; mouchoirs de poche en papier ; serviettes de toilette en papier ; linge de table en papier ; sacs (enveloppes, pochettes) en papier ou en matière plastique pour l’emballage ; sacs à ordures en papier ou en matières plastiques ; malles et valises ; parapluies et parasols ; fouets ; sellerie ; portefeuilles ; porte-monnaie ; porte-cartes de crédit [portefeuilles) ; coffrets destinés à contenir des articles de toilette dits « vanity cases » ; colliers pour animaux ; habits pour animaux… »
De ce fait, ces produits désignés par la demande de marque contestée peuvent se voir attribuer la même origine que les produits et services de la marque notoire LA CASA DE PAPEL de Netflix.
L’INPI rejette donc partiellement la demande de marque contestée LA CASA DE PAPEL, ne laissant que pour seul butin à la partie adverse les produits suivants: « articles pour reliures ; caractères d’imprimerie ; prospectus ; brochures ; patrons pour la couture ; dessins ; papier hygiénique ; cuir ; peaux d’animaux ; cannes ».
Cette décision favorable dans le cadre d’une opposition sur la base d’une marque notoire non enregistrée est rare et nous montre que ce fondement peut être utilisé, sous réserve de déposer des preuves solides.
Entre-temps, plusieurs marques européennes LA CASA DE PAPEL ont été déposées et enregistrées au nom de Netflix Studios LLC.
Les contrefacteurs n’ont qu’à bien se tenir, Netflix résiste !
20
juin
2019
La CNIL confirme son pouvoir de sanction sans mise en demeure : condamnation de SERGIC à 400 000 euros pour violation grave de l’obligation de sécurité
Author:
teamtaomanews
Fin Avril, le Conseil d’État confirmait la capacité de la CNIL à sanctionner les violations des règles de sécurité des données personnelles sans forcément recourir à une préalable mise en demeure destinée à laisser la possibilité au contrevenant de corriger son comportement (note : voir notre news sur l’affaire OPTICAL CENTER).
Dans sa délibération du 28 mai 2019, l’autorité de contrôle confirme sa volonté d’exercer ce pouvoir.
L’entreprise ciblée est la société SERGIC, spécialisée dans le secteur immobilier qui avait fait l’objet d’une plainte par un utilisateur, étonné que la simple modification d’un nombre dans l’adresse URL du site web de la société lui permette d’accéder aux dossiers et pièces justificatives de candidats à la location.
Un contrôle en septembre 2018 met en lumière un manquement flagrant à la sécurité des données sur le plan du volume des données concernées et de la durée de la violation. Il est en effet question du téléchargement de plus de 9000 documents incluant « des copies de cartes d’identité, de cartes Vitale, d’avis d’imposition, d’actes de décès, d’actes de mariage, d’attestations d’affiliation à la sécurité sociale, d’attestations délivrées par la caisse d’allocations familiales, d’attestations de pension d’invalidité, de jugements de divorce, de relevés de compte, de relevés d’identité bancaire et de quittances de loyers ».
En outre malgré un signalement antérieur, le défaut de protection des données a persisté pendant une durée de plus de 6 mois avant que des mesures y mettent un terme.
Enfin la violation est aggravée par le fait que, de l’aveu de la société, les données des candidats à la location ne sont pas effacées une fois leur dossier classé et la candidature acceptée ou refusée.
Dans sa délibération du 28 mai, la CNIL constate donc un manquement à l’article 32(1) du RGPD, concernant les mesures raisonnables de protection des données. Elle insiste sur la durée du manquement, sur le grand nombre et l’aspect sensible et intime des données laissées sans protection.
En outre, la CNIL constate une violation des dispositions de l’article 5-1-e) du règlement relatif à la proportionnalité des délais de conservation des données ; pour l’autorité de contrôle, la société incriminée a aggravé son cas en conservant bien au-delà de la finalité originale les données relatives aux candidats n’ayant pas accédé à la location, qui auraient dû être supprimées dès la clôture de leur dossier.
Au vu de la gravité de ces manquements et du manque de diligence de la société dans leur gestion, la CNIL condamne cette dernière au paiement d’une amende de 400 000 euros, et à la publication de ladite sanction, sans mise en demeure préalable, et donc sans permettre à SERGIC de corriger les errements avant de décider de la sanction.
A ce sujet, la CNIL rappelle dans sa délibération qu’une mise en demeure n’est aucunement rendue obligatoire par les dispositions de la loi informatique et libertés de 1978 qui régit son action. Cette décision est ainsi à placer dans la continuité de l’affaire OPTICAL CENTER.
Le message de la CNIL est clair : pas de rattrapage pour les violations graves, la vigilance des responsables de traitement s’impose au plus fort.
Lire la délibération
17
juin
2019
17 juin 2019 – Le jour « J » pour le droit des marques au Canada
Le Canada a modifié en profondeur sa législation sur le droit des marques. Cette modification entre en vigueur le 17 juin 2019. Parmi les changements importants, nous noterons l’adhésion au Protocole de Madrid, à l’Arrangement de Nice et au Traité de Singapour. Ces traités entrent également en vigueur à l’égard du Canada le 17 juin 2019.
Les modifications prévues par la nouvelle législation canadienne et l’adhésion à ces conventions internationales ont pour but de moderniser et de simplifier le droit des marques canadien. Nous présentons une liste non exhaustive des changements :
Adoption de la classification de Nice
La classification de Nice prévue dans l’Arrangement de Nice divise en 45 classes les produits et services pouvant être désignés dans le cadre d’un dépôt de marque. Les marques canadiennes devront maintenant être déposées en accord avec la classification. L’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) se basera sur cette dernière dans l’examen des marques, y compris celles déposées avant le 17 juin 2019 mais non encore enregistrées.
Changement dans le mode de calcul des taxes
Cette modification est une conséquence à l’adoption de la classification de Nice dans la mesure où les taxes de dépôt et d’enregistrement vont désormais dépendre du nombre de classes désignées.
La division d’une demande de marque
Cette modification a aussi été permise par l’adoption de la classification de Nice. En effet, le déposant aura la possibilité de diviser une marque en plusieurs marques selon les classes désignées. Cette possibilité permettra par exemple d’accélérer le processus d’enregistrement d’une marque pour une ou plusieurs classes pendant que l’enregistrement de la ou des autres classes resterait bloqué par une procédure d’opposition et/ou une lettre officielle.
La nouvelle durée d’une vie d’une marque canadienne
Toutes les marques enregistrées après le 17 juin 2019 le seront pour une durée de 10 ans au lieu de 15 ans. Pour les marques enregistrées antérieurement au 17 juin 2019, c’est lors du renouvellement que la durée de 10 ans sera appliquée.
Nouveaux types de marque
De nouveaux types de marque sont désormais acceptés au dépôt telles que les marques de couleur, les marques sonores ou les marques olfactives.
L’OPIC se réserve le droit d’examiner le caractère distinctif de ces marques. Ainsi, seules les premières décisions de l’Office nous permettront de savoir dans quelle mesure ces nouveaux types de marque seront acceptés au Canada.
Suppression des bases de dépôt pour les marques canadiennes
Toutes les marques admises à l’enregistrement à partir du 17 juin 2019 le seront sous réserve de la seule condition du paiement de la taxe finale d’enregistrement. Il n’aura plus à indiquer de base de dépôt telle que « l’intention d’usage » de la demande de marque sur le marché canadien, nécessitant ensuite le dépôt de preuves de l’usage effectif.
La possibilité du choix entre un dépôt national et un dépôt international
Le déposant d’une marque aura le choix entre un dépôt national ou la désignation du Canada dans le cadre d’une marque internationale.
Élargissement des possibilités de revendication de priorité
Désormais, un déposant d’une marque canadienne peut revendiquer la priorité de n’importe quelle marque antérieure même si elle n’a pas été déposée dans le pays d’origine du déposant.
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