21
décembre
2020
Droits de PI et Brexit : fin de la transition le 31/12 – et après ?
Author:
teamtaomanews
Première publication du 16 avril 2020
Mise à jour du 20 janvier 2021
Le Royaume-Uni a quitté, de manière définitive, l’Union européenne le 31 décembre 2020. Le Brexit a donc des conséquences directes sur vos droits de propriété industrielle européens.
L’équipe News de TAoMA vous propose une mise à jour sur le sujet.
Marques
Tout d’abord, si vos marques de l’Union européenne sont toujours protégées au Royaume-Uni, cette situation prendra fin le 31 décembre 2020 !
Mais pas de panique, nous vous expliquons la situation des marques de l’Union européenne après cette date et selon les différents cas de figure possibles.
1ère situation : les marques de l’Union européenne enregistrées au 1er janvier 2021
Aucun changement à prévoir jusqu’au 31 décembre 2020 pour :
Les marques de l’Union européenne enregistrées ;
Les marques de l’Union européenne actuellement en cours d’enregistrement et les marques déposées d’ici la fin de la transition et qui seront enregistrées au 31 décembre 2020 ;
Les marques de l’Union européenne arrivant à expiration avant le 31 décembre 2020 et dûment renouvelées avant cette date (ou en période de grâce).
Pour l’ensemble de ces marques, l’office britannique créera automatiquement des marques nationales équivalentes sur son registre. Ces équivalences britanniques seront totalement indépendantes de la marque de l’Union européenne initiale, mais conserveront les dates de dépôts et de priorité correspondantes.
La bonne nouvelle est que l’office n’exigera pas le paiement d’une taxe officielle pour la création de ces nouvelles marques nationales équivalentes.
Les titulaires ne seront pas notifiés par l’office britannique et ne recevront pas de nouveau certificat d’enregistrement de leur équivalence mais pourront accéder aux détails de leur nouvelle marque sur le site de l’office britannique en indiquant leur numéro de marque de l’Union européenne, précédé par la référence « UK009 ».
Par ailleurs, ces marques devront être renouvelées à leur échéance auprès de l’office britannique comme toute marque nationale.
Si un titulaire de marque de l’Union européenne ne souhaite pas obtenir d’équivalence, des mesures d’opt-out (renoncement à obtenir une équivalence britannique) seront possibles à compter du 1er janvier 2021 (le formulaire correspondant qui sera disponible sur le site gov.uk ne devrait pas être publié avant cette date).
2ème situation : les marques de l’Union européenne en cours d’enregistrement au 1er janvier 2021
Pour les marques de l’Union européenne déposées mais pas encore enregistrées au 1er janvier 2021, il sera obligatoire de solliciter la création d’un droit équivalent auprès de l’office britannique et de payer les taxes officielles correspondantes. Cette démarche volontaire devra être effectuée avant le 30 septembre 2021, afin de remplacer les droits européens qui ne couvriront plus le Royaume-Uni.
Cette démarche volontaire permettra de demander le maintien des demandes de marques européennes au Royaume-Uni en conservant leur date de dépôt européenne initiale.
3ème situation : les marques de l’Union européenne arrivant à expiration après le 1er janvier 2021
Pour vos marques européennes dont la date de renouvellement est postérieure au 1er janvier 2021, il sera obligatoire d’effectuer, dans le délai imparti, le renouvellement et le paiement de taxes auprès de l’EUIPO ET de l’office britannique, afin de remplacer les droits européens qui ne couvriront plus le Royaume-Uni.
Attention, si vous avez procédé au renouvellement de votre marque européenne, auprès de l’EUIPO, avant le 31 décembre 2020, espérant anticiper le Brexit, il n’en est rien ! En effet, ce renouvellement anticipé ne vous permet pas d’échapper à l’obligation de payer les taxes de renouvellement de la marque britannique équivalente qui sera créée automatiquement le 1er janvier 2021.
4ème situation : les marques internationales désignant l’Union européenne
Des mesures équivalentes sont prévues pour les marques internationales désignant l’Union européenne.
Toutefois, une particularité est à prévoir puisque l’équivalence britannique sera indépendante de la marque internationale.
5ème situation : Quid de l’usage et la renommée des marques de l’Union européenne ?
Enfin, nous clôturons ce paragraphe sur les marques en précisant que l’usage et la renommée des marques au sein de l’Union européenne, même à l’extérieur du Royaume-Uni, au cours des 5 années précédant la fin de la période de transition, soit le 31 décembre 2020, pourront être valablement invoqués au Royaume-Uni.
Dessins et modèles
Ces mêmes mesures sont transposées aux dessins et modèles, y compris les dessins et modèles communautaires non enregistrés pour lesquels un registre spécifique sera créé par l’office britannique. Cette mesure est rassurante pour les titulaires de tels droits puisqu’à la différence d’un dessin ou modèle enregistré classique, un dessin ou modèle communautaire non enregistré permet de conférer une protection (plus limitée) pour une durée de 3 ans non renouvelable, à compter de sa première divulgation au public sur le territoire de l’Union européenne).
Autres conséquences
En revanche, le Brexit pourrait avoir des incidences importantes sur les contrats (accords de coexistence, lettres d’engagement, licences…), les actions judiciaires en cours au Royaume-Uni au 1er janvier 2021 engagées sur la base d’une marque ou d’un dessin et modèle de l’Union européenne, les procédures d’opposition auprès de l’EUIPO sur la base de marques britanniques, ou encore les noms de domaine .eu dont les titulaires sont britanniques, etc.
Nous vous recommandons donc de procéder à des audits de vos portefeuilles, contrats et procédures en cours afin d’anticiper au mieux les conséquences de la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne.
L’ensemble de l’équipe TAoMA est mobilisée sur ces problématiques et reste à votre disposition pour vous accompagner dans cette période de transition.
Stay safe !
Marion Mercadier
Conseil en Propriété Industrielle
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique
02
novembre
2020
Devant la Cour comme sur le terrain, Léo MESSI décroche la victoire
Author:
teamtaomanews
Lionel Messi est considéré comme le meilleur joueur de tous les temps, et c’est peu dire que sa renommée est considérable. La Cour de Justice de l’Union Européenne ne s’y est pas trompée lorsqu’elle a mis fin, le 17 septembre dernier[1], à un litige de près de dix ans, en confirmant l’enregistrement de la marque portant le nom du célèbre joueur, considérant que la notoriété de celui-ci suffisait à écarter le risque de confusion avec la marque antérieure MASSI.
Cette affaire débute en 2011 lorsque le célèbre joueur dépose auprès de l’EUIPO une demande d’enregistrement de la marque complexe suivante en classes 25 et 28 notamment, pour désigner des vêtements et articles de sport :
Le titulaire de deux marques de l’Union Européenne antérieures MASSI désignant des vêtements et articles de sport forme opposition contre la demande d’enregistrement de la marque du joueur invoquant l’existence d’un risque de confusion entre les signes.
Dans un premier temps, la division d’opposition de l’EUIPO, puis la Chambre des recours, font droit à la demande du titulaire des marques MASSI, et refusent l’enregistrement de la demande de la marque du joueur du fait de la similarité des signes et de l’identité des produits visés générant un risque de confusion selon l’Office.
Sur recours de Lionel MESSI, l’affaire est alors portée devant le Tribunal de l’Union Européenne qui, dans un arrêt du 26 avril 2018[2], refuse cette interprétation et autorise Lionel MESSI à enregistrer son nom en tant que marque.
Selon le Tribunal, même si les produits visés sont identiques et les signes MESSI et MASSI sont visuellement et phonétiquement très proches, la réputation du joueur est telle que, sur le plan conceptuel, les marques apparaîtront différentes pour le public pertinent.
En d’autres termes, les consommateurs à qui on présenterait des vêtements de sports de la marque MESSI feraient immédiatement le lien avec le joueur et non avec les marques antérieures MASSI. Le Tribunal écarte alors tout risque de confusion entre les signes.
Le titulaire des marques antérieures et l’EUIPO ne partageant pas cette analyse forment tous deux un pourvoi contre cette décision.
Dans son arrêt du 17 septembre 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne confirme l’interprétation du Tribunal et rejette les deux pourvois.
Au titre de l’article 8 du Règlement sur la Marque de l’Union Européenne, l’EUIPO argue qu’une marque ne peut être refusée à l’enregistrement en cas de similitude avec une marque antérieure même s’il n’existe un risque de confusion que pour une partie du public pertinent. En effet, l’EUIPO considère que le public pertinent est composé de plusieurs parties significatives, l’une faisant le lien entre la marque MESSI et le joueur, et l’autre ne le faisant pas. Ainsi selon l’Office, pour cette partie du public pertinent, la différence conceptuelle n’existerait pas.
La Cour rejette cet argument et valide l’analyse du Tribunal en considérant qu’il a parfaitement jugé que la célébrité du footballeur était telle que « seule une partie négligeable du public pertinent n’associerait pas le terme « messi » au nom du célèbre joueur de football » et qu’en tout état de cause, il n’était même pas plausible de considérer que le consommateur moyen n’associerait pas ce signe au joueur dans le domaine des vêtements et articles de sport, compte tenu de sa notoriété.
La Cour estime donc que le Tribunal a valablement considéré que la perception du signe par l’ensemble du public pertinent était de nature à écarter le risque de confusion et rejette le pourvoi.
Le titulaire des marques antérieure MASSI se fonde lui sur plusieurs moyens pour critiquer la décision du Tribunal de l’Union.
Il soutient notamment que seule la notoriété de la marque antérieure devrait compter dans l’appréciation du risque de confusion, et non la notoriété de la demande de marque postérieure. La Cour rejette cette interprétation et indique que, bien que la notoriété de la marque antérieure soit effectivement un facteur important dans l’analyse de celui-ci, ce risque doit être apprécié globalement en prenant en compte l’ensemble les facteurs pertinents, y compris la notoriété du nom constitutif de la demande d’enregistrement. Cette interprétation n’est pas nouvelle ! En effet, déjà en 2010 dans un arrêt impliquant la mannequin Barbara Becker, la Cour avait considéré que la notoriété de la personne cherchant à faire enregistrer son nom en tant que marque pouvait « de toute évidence » influencer la perception de la marque par le public pertinent[3].
Outre des erreurs de droit écartées par la Cour, le titulaire des marques MASSI reproche également au Tribunal d’avoir fait une mauvaise application de l’arrêt Ruiz-Picasso c/ OHMI[4].
Cette affaire de 2006 opposait les descendants du célèbre peintre, également titulaire de la marque communautaire « PICASSO », à l’Office ayant enregistré la marque « Picaro » notamment pour des véhicules automobiles. La Cour pour rejeter le pourvoi de la famille Picasso avait notamment considéré que la notoriété du peintre, auquel les consommateurs penseraient immédiatement conférait à la marque « PICASSO » « une signification claire et déterminée » dans l’esprit du public permettant d’écarter tout risque de confusion.
Ainsi, le titulaire des marques MASSI soutient que la notoriété prise en compte dans cette affaire portait sur la marque antérieure, et non sur la demande d’enregistrement, et n’était donc pas transposable à l’espèce.
La Cour rejette cette interprétation de l’arrêt Picasso et rappelle que si des différences conceptuelles de nature à écarter un risque de confusion entre deux marques sont constatées, il n’y a pas de condition nécessitant que la marque notoire soit la marque antérieure !
Après près de 10 années de procédure, le footballeur Lionel MESSI dispose enfin d’une marque enregistrée à son nom pour commercialiser des vêtements et accessoires de sport. BUT !
Fiora Feliciaggi
Stagiaire Pôle Avocats
Anne Laporte
Avocat à la cour
[1] CJUE, 17 septembre 2020, EUIPO c/ Messi Cuccittini, C-449/18 P
[2] TUE, 26 avril 2018, Messi Cuccittini c/ EUIPO – J-M.-E.V. e hijos, T-554/14
[3] CJUE, 24 juin 2010, Becker c/ Harman International Industries, C-51/09 P
[4] CJCE, 12 janvier 2006, Ruiz-Picasso e.a. c/ OHMI, C-361/04 P
15
octobre
2020
Pas de rattrapage pour le licencié qui veut renouveler la marque objet de la licence
Author:
teamtaomanews
L’activité du licencié de marque repose par définition sur la marque, c’est dire l’importance pour lui que revêt le renouvellement de la marque, qui, pourtant, n’est souvent vu que comme une formalité rapidement traitée dans les contrats de licence.
Dans l’affaire jugée par le Tribunal de l’Union Européenne (TUE)(1) le 23 septembre 2020, la société licenciée n’a pu obtenir de procéder au renouvellement de la marque à la place du titulaire et a durement payé la négligence de ce dernier en perdant la marque objet de son activité.
Les praticiens connaissent la possibilité de rattraper un non-renouvellement de marque par la restitutio in integrum (restitution intégrale), elle est prévue par l’article 53(2) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne qui prévoit que la demande de renouvellement peut être présentée à l’EUIPO dans les six mois avant la date d’expiration et jusqu’à six mois après cette date moyennant une surtaxe.
En l’espèce, le délai de grâce avait expiré le 22 janvier 2018 sans que le titulaire ne procède au renouvellement de la marque, la société licenciée avait alors déposé une requête fondée sur l’article 104 du règlement(3) qui prévoit la possibilité d’être rétabli dans le droit à demander le renouvellement, malgré l’expiration du délai, lorsque, ayant fait preuve de toute la vigilance nécessaire, le demandeur n’a pas été en mesure de respecter un délai à raison d’un empêchement qui a pour conséquence la perte d’un droit.
La requérante avait souligné que le titulaire avait méconnu son obligation contractuelle de l’informer de son intention de ne pas renouveler l’enregistrement. En conséquence, elle n’avait pas pu elle-même procéder au renouvellement à temps.
L’EUIPO ayant rejeté la demande, la licenciée a formé un recours devant le TUE en invoquant la violation des articles 53 et 104 du règlement ainsi que des principes généraux d’effectivité et de protection par les dispositions du droit de l’UE.
Dans sa décision, le Tribunal rejette les différents moyens soulevés et fait une application stricte de l’article 104. En l’occurrence, le Tribunal estime que le licencié n’était pas en mesure de déposer une telle requête puisqu’il ne pouvait être assimilé au titulaire et n’était pas non plus considéré comme une partie à la procédure de renouvellement comme le prévoient les dispositions applicables.
En l’espèce, le licencié ne disposait pas d’une autorisation du titulaire lui permettant de procéder au renouvellement avant l’expiration du délai. L’autorisation avait ici été donnée le 17 juillet 2018 par le titulaire pour déposer la requête en restitution mais le délai de renouvellement avait expiré depuis plusieurs mois, et par conséquent la procédure de renouvellement avait pris fin.
A contrario, un licencié peut déposer une telle demande tant qu’il a été autorisé à procéder au renouvellement par le titulaire avant l’expiration du délai de renouvellement.
Le recours à l’article 104 du règlement doit ainsi être vu comme une exception et ne peut permettre à un licencié de rattraper les négligences du titulaire ou sa décision de ne pas renouveler la marque serait ce au détriment du licencié.
De même, la restitutio in integrum n’est justifiée que lorsqu’un empêchement a fait obstacle au respect du délai. En l’espèce, la requérante invoquait l’absence d’autorisation du titulaire comme cause de l’inobservation de ce son délai, mais le TUE rejette cette excuse.
Le TUE rejette aussi l’excuse tirée du manquement du titulaire à l’obligation d’information du non-renouvellement. En effet, les relations entre un licencié et le titulaire d’une marque ou le non-respect de leurs obligations respectives relèvent d’un litige contractuel et ne peuvent jouer dans le déroulement des délais et des procédures devant l’EUIPO.
Enfin, le TUE ajoute que la protection conférée par la marque n’a pas vocation à conférer une protection illimitée à son titulaire, bien au contraire, le jeu du droit des marques permet de libérer les signes qui ne sont plus exploités afin favoriser la concurrence.
Le principe même du droit des marques est donc que la protection est conférée tant que la marque est renouvelée et c’est par l’acte de renouvellement que le titulaire confirme sa volonté de protection. A défaut de renouvellement la marque perd toute protection et dans le cas d’espèce, le licencié perd le fondement de son activité.
Nul doute que le licencié exercera un recours contre le titulaire de la marque qui engage ainsi sa responsabilité.
Mais pour éviter ce type de situation, on ne saurait que trop conseiller aux licenciés d’assurer aussi une surveillance des renouvellements de marque et de veiller le cas échéant à se faire autoriser avant l’expiration du délai à procéder au renouvellement.
Laura Frétaud
Stagiaire juriste
Anne Messas
Avocate associée
(1) Tribunal de l’Union Européenne 23 septembre 2020 T-557/19, EU:T:2020:450, Seven SpA / EUIPO
(2) Article 53 du Règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union Européenne
(3) Article 104 du Règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union Européenne
12
octobre
2020
Pas de marque pour Banksy!
Author:
teamtaomanews
« FLOWER THROWER » (Le lanceur de fleur) du célèbre artiste anonyme Banksy est sans doute l’une de ses œuvres les plus connues. Cette œuvre, qui avait été protégée à titre de marque auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) vient d’être déclarée nulle sur le fondement de la mauvaise foi.
En effet, en 2014, la société Pest Control Office Limited, venant aux droits de l’artiste Banksy afin de masquer sa véritable identité, avait procédé au dépôt de la marque figurative du célèbre graffiti « FLOWER THROWER » pour divers produits et services, dont notamment les vêtements, les activités culturelles… :
(Marque de l’Union Européenne No. 12575155)
En 2019, la société britannique Full Color Black Limited, qui est spécialisée dans la fabrication de cartes de vœux et qui souhaitait utiliser l’œuvre pour ses produits, a introduit auprès de l’EUIPO une action en nullité contre cette marque sur le fondement de la mauvaise foi.
Pour rappel, le Règlement sur la marque de l’Union Européenne prévoit que la nullité d’une marque de l’Union européenne peut être déclarée, notamment, « lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque » [1]. Selon la jurisprudence de l’Union Européenne, la mauvaise foi s’applique lorsqu’il « ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union Européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine » [2].
Or, en l’espèce, la société britannique Full Color Black Limited considérait que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été déposée de mauvaise foi dans la mesure où Banksy n’avait aucunement l’intention de l’utiliser en tant qu’indication d’origine des produits et services visés, mais pour contourner son incapacité à se prévaloir d’un autre droit de propriété intellectuelle, le droit d’auteur notamment, en raison de son anonymat.
En réponse, Banksy arguait notamment que le signe litigieux avait fait l’objet d’un commencement d’exploitation pour les produits en cause en 2019, via l’ouverture d’une boutique en ligne, bien que selon ses propres mots, rapportés dans un certain nombre de publications, une telle exploitation avait été réalisée dans le seul but de contourner l’obligation d’usage à laquelle était soumise sa marque de l’Union européenne.
Par décision du 14 septembre 2020, la Division de l’Annulation de l’EUIPO a reconnu que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été effectué de mauvaise foi et l’a, en conséquence, déclarée nulle.
Pour arriver à cette conclusion, l’EUIPO s’est notamment fondée sur deux éléments :
Banksy n’a, lors du dépôt, eu aucunement l’intention d’utiliser la marque en cause pour les produits et services visés. Les seuls usages identifiés ont été réalisés qu’une fois la procédure d’annulation initiée et ce, dans le but de contourner les exigences du droit des marques ;
Banksy, du fait de son anonymat, mais également d’autres circonstances indépendantes au droit des marques, ne peut valablement prétendre à la protection par le droit d’auteur. Le dépôt de la marque en cause a été réalisé avec pour seul objectif de s’approprier des droits sur un signe pour lequel Banksy ne pouvait se prévaloir des droits d’auteur.
Cette décision, tout en reprécisant la notion de « mauvaise foi » en matière de marque, vient donc rappeler qu’il est impératif d’avoir l’intention de faire usage de sa marque pour les produits et services visés et ce, conformément à la fonction d’indication d’origine.
Or, tel n’était pas le cas concernant la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » et, fort probablement, pour les autres marques déposées par la société liées à Banksy reproduisant ses autres œuvres, dont la plus célèbre n’est autre que « GIRL WITH BALLON » (Petite fille au ballon). Cette décision pourrait donc avoir de très lourdes conséquences sur les droits de Banksy sur ses œuvres.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Article 59(1)(b) du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne « 1. La nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée, sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque »
[2] Cour de Justice de l’Union Européenne, affaire C-104/18 P, STYLO & KOTON (fig.), §46
14
avril
2020
Une nouvelle chance pour la marque de l’Union européenne « FACK JU GÖHTE »
Author:
teamtaomanews
Le signe verbal « FACK JU GÖHTE » peut être enregistré à titre de marque de l’Union Européenne selon l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 27 février 2020. Par cet arrêt, la CJUE annule ainsi la décision de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), confirmée par le Tribunal, selon laquelle cette demande de marque était contraire à l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 [1], soit contraire aux bonnes mœurs.
Comme évoqué dans le cadre de notre précédente news concernant les conclusions de l’Avocat général Bobek (lire notre TAoMA News du 18 juillet 2019), la société Constantin Film Produktion GmbH a déposé en 2015 une demande d’enregistrement de la marque verbale « FACK JU GÖHTE » auprès de l’EUIPO. Si ce signe est destiné à désigner divers produits et services de la vie quotidienne, il s’agit également du titre d’une comédie allemande ayant eu un succès retentissant dans les pays germanophones et connu plusieurs suites.
L’EUIPO, approuvé par le TUE, refusa l’enregistrement de ce signe verbal au motif que les premiers termes « FACK JU » étaient phonétiquement identiques à l’insulte anglaise « FUCK YOU » et que le signe pris dans son ensemble constituait donc une expression de mauvais goût, offensante et vulgaire par laquelle l’écrivain Johann Wolfgang Goethe était insulté à titre posthume [2] et ce, nonobstant les arguments du déposant quant au contexte entourant la sortie du film portant le même nom.
Constantin Film Porduktion GmbH saisit alors la CJUE d’un pourvoi dirigé contre cette dernière décision en alléguant, notamment, des erreurs dans l’interprétation et l’application de l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009, qui exclut de l’enregistrement les marques « contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ».
Suivant le raisonnement de l’Avocat Général Bobek, la Cour annule par son arrêt du 27 février 2020 la décision du Tribunal et de l’EUIPO.
Selon la Cour, l’EUIPO et le TUE ont méconnu les standards que commande l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 et au regard desquels il est nécessaire de mettre en œuvre une analyse de l’ensemble des éléments propres à l’espèce afin de déterminer précisément la manière dont le public pertinent percevrait le signe en cause.
En effet, l’EUIPO, ainsi que le TUE, se sont fondés uniquement sur une appréciation abstraite de cette marque et de l’expression anglaise à laquelle la première partie de celle-ci est assimilée. Or, la Cour considère qu’ils auraient dû examiner avec plus d’attention le contexte social et les éléments factuels invoqués par le déposant et expliquer de manière plus concluante les raisons pour lesquelles ces éléments avaient été écartés de son analyse.
Parmi ces éléments factuels figuraient des indices plus que probants et notamment le grand succès cinématographique de la comédie portant le même nom et la circonstance que ce titre n’ait pas suscité de controverses auprès du public germanophone. De plus, le jeune public avait été autorisé à visualiser ce film lors de sa sortie et en était la cible première. Enfin l’Institut Goethe, qui est une référence dans la promotion de la langue allemande au niveau national et mondial, s’en est servi à des fins pédagogiques.
En outre, la Cour souligne le fait que la perception de l’expression anglaise « FUCK YOU » par le public germanophone n’est pas nécessairement la même que sa perception par le public anglophone. S’il est vrai que cette expression est notoirement connue auprès du public non-anglophone, son contenu sémantique peut être légèrement différent, voir amoindri dans une langue étrangère. Cela est d’autant plus vrai que dans le cas présent, la première partie de la demande de marque en cause ne consiste non pas en cette expression anglaise en tant que telle, mais dans sa retranscription phonétique en langue allemande, accompagnée de l’élément « Göhte ».
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la Cour estime que l’EUIPO, ainsi que le Tribunal, se sont livrés à une interprétation et application erronées de l’Article 7, paragraphe 1, sous f), du Règlement n°207/2009, et annule, en conséquence, les décisions correspondantes.
Enfin, comme nous l’avions indiqué dans notre précédente TAoMA News, Constantin Film Produktion GmbH invoquait également la liberté d’expression en tant qu’élément à prendre en considération dans l’appréciation de l’Article 7, paragraphe 1, sous f), du Règlement n°207/2009. Si la Cour se montre moins affirmative que son homologue américain (la Cour Suprême des États-Unis a récemment jugé la loi américaine relative aux marques immorales, trompeuses ou scandaleuses comme contraire à la liberté d’expression garantie par la Constitution américaine, voir notre TAoMA News du 4 juillet 2019), elle concède, pour la première fois à notre connaissance, que la liberté d’expression doit être prise en compte lors de l’application de cette disposition du droit des marques afin de garantir le respect des libertés et des droits fondamentaux, conformément notamment à l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [3].
Le devenir de la demande de marque « FACK JU GÖHTE » est désormais entre les mains de l’EUIPO qui devra, pour la seconde fois, procéder à son examen. Forte d’enseignements, la décision de la Cour devrait sans doute influencer cette dernière et entraîner son enregistrement à titre de marque.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
Lire la décision complète sur le site CURIA.
[1] Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) f) les marques qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (…) » texte applicable au cas d’espèce aujourd’hui remplacé par le Règlement n° 2017/1001 ;
[2] Tribunal de l’Union Européenne du 24 janvier 2018, Constantin Film Produktion/EUIPO (Fack Ju Göthe), T-69/17 ; Décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) du 1er décembre 2016 (Fack Ju Göhte), R 2205/2015-5.
[3] Article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne: « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. »
23
janvier
2020
Le casse-tête juridique de la protection de la célèbre marque tridimensionnelle « RUBIK’S CUBE » enfin résolu !
Author:
teamtaomanews
La résolution du célèbre casse-tête géométrique à trois dimensions est devenue source de nombreux records dans le monde, dont le temps le plus rapide jamais réalisé est de 3,47 secondes.
L’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), ainsi que les juges de l’Union Européenne, auront mis quant à eux 13 ans pour trouver une solution à ce puzzle peu conventionnel, mais dans un contexte légèrement différent.
I- HISTORIQUE DE L’AFFAIRE « RUBIK’S CUBE »
En 2006, la société allemande Simba Toy a présenté une demande de nullité de la marque tridimensionnelle de l’Union Européenne « Rubik’s Cube » ci-dessous, enregistrée le 6 avril 1999 pour les produits suivants de la classe 28 : « Puzzle en trois dimensions » de la classe 28.
Au soutien de son action, elle invoquait la violation de l’Article 7, paragraphe 1, sous a) à c) et e), du Règlement n°40/94 (devenu Article 7, paragraphe 1, sous a) à c) et e), du Règlement 2017/1001) en vertu duquel ne peut être accepté à l’enregistrement les signes constitués exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique [1].
Aussi bien la Division d’Annulation que la Chambre de Recours de l’EUIPO et le Tribunal de l’Union Européenne (TUE), par décision du 25 novembre 2014 [2], ont rejeté la demande de nullité au motif que la représentation graphique de la marque contestée ne suggérait aucune fonction de rotation. En effet, d’après le TUE, la capacité de rotation du cube ne résulte ni des lignes noires verticales et horizontales, ni de la structure en grille figurant sur chacune des faces de ce cube, mais d’un mécanisme interne qui n’est pas visible sur la marque telle que représentée.
La société allemande exerça alors un recours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), laquelle a rejeté le raisonnement du Tribunal et annulé la décision par arrêt du 10 novembre 2016 [3].
La Cour a considéré que pour examiner la fonctionnalité des caractéristiques essentielles du signe en cause, il convenait de prendre en considération la représentation graphique du signe, comme l’ont justement rappelé l’EUIPO et le TUE, mais également des éléments supplémentaires relatifs à la fonction du produit concret en cause.
La première chambre de recours de l’EUIPO, statuant sur renvoi, a, sans grande surprise, suivi le raisonnement de la CJUE et annulé la marque tridimensionnelle pour les produits de la classe 28 (jeux, jouets…) [4].
Celle-ci a jugé que les caractéristiques essentielles de la marque contestée, à savoir les lignes noires verticales et horizontales, la forme cubique du produit et les différences de couleur sur les six faces du cube, présentaient une fonction technique, bien que celle-ci ne soit pas visible sur le signe tel que représenté.
Il ressort effectivement des éléments de l’espèce qu’un « observateur raisonnablement avisé » sera à même d’identifier la fonction rotative du signe contestée dans la mesure où ce signe représente un puzzle en trois dimensions mondialement connu sous le nom de « Rubik’s Cube » et dont la finalité est de reconstituer un puzzle en faisant pivoter selon un axe, verticalement et horizontalement, des rangées de cubes plus petits de différentes couleurs jusqu’à ce que les neuf carrés de chaque face du cube soient de la même couleur.
Cette analyse est corroborée par une image fournie par la société allemande Simba Toy qui représentait un « Rubik’s Cube » en état d’utilisation, dont les lignes noires verticales et horizontales créent une séparation physique entre les cubes et permettent à un joueur de changer la position de ces cubes par rapport à d’autres.
En ce qui concerne la forme globale du produit, ainsi que les différentes couleurs, la Chambre de Recours a considéré qu’elles participaient également à l’obtention d’un résultat technique.
En conclusion, la marque tridimensionnelle de l’Union Européenne « Rubik’s Cube » a été considérée comme contraire à l’Article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du Règlement n°40/94 et déclarée nulle.
C’était sans compter sur la ténacité de la société Rubik’s Brand Ltd, titulaire de la marque en cause, qui a formé un recours contre cette décision.
II- DÉNOUEMENT DE L’AFFAIRE « RUBIK’S CUBE »
Le TUE a donc, pour la seconde fois, tenté de résoudre le casse-tête « Rubik’s Cube », sauf que, cette fois, la solution paraissait plus évidente.
En effet, par décision du 24 octobre dernier, le TUE a également suivi le raisonnement de la CJUE et confirmé l’annulation de la marque contestée, tout en réformant la décision de la Chambre des Recours sur quelques points techniques.
D’une part, la société Rubik’s Brand Ltd contestait l’une des caractéristiques essentielles de la marque contestée, à savoir la différence de couleurs sur les six faces du cube.
Le Tribunal admet que cet élément ne peut constituer une caractéristique de la marque contestée dès lors qu’en l’absence de description de cette dernière et de revendication de couleurs dans la demande d’enregistrement, il ne saurait être déduit, sur la seule base de la représentation graphique du signe, que chacune des faces du cube comporte une couleur.
Toutefois, il estime que cette erreur d’appréciation de la part de la Chambre de Recours n’a aucune incidence sur la solution finale, à savoir la nullité de la marque contestée.
D’autre part, le Tribunal considère que les lignes noires sont nécessaires à l’obtention du résultat technique dès lors qu’elles représentent une séparation physique entre les cubes individuels, permettant au joueur de faire pivoter chaque rangée de petits cubes indépendamment les unes des autres afin de les regrouper dans la bonne combinaison de couleur. Sans cette séparation physique, « le cube ne serait rien d’autre qu’un bloc solide, ne comportant aucun élément individuel pouvant être déplacé de manière indépendante ».
En ce qui concerne la forme cubique du produit, le Tribunal estime que l’existence de formes géométriques alternatives n’est pas per se concluant, et ce conformément à la jurisprudence antérieure.
Aussi, la forme du produit « Rubik’s Cube » est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique et ne peut, en conséquence, constituer une marque valable en vertu du droit de l’Union Européenne.
Si cette décision semble confirmer la position de la jurisprudence de l’Union Européenne en matière de marque tridimensionnelle, notamment afin d’éviter un contournement du droit des brevets qui permet la protection d’une solution technique, elle a le mérite d’apporter un certain nombre de clarifications eu-égard à l’appréciation de la fonction technique des caractéristiques essentielles de la marque contestée.
En effet, outre la représentation graphique de la marque contestée, il convient également de prendre en compte la forme concrète de la marque et, partant, tout élément utile à l’appréciation, tels que des enquêtes et des expertises, ou encore des données relatives à des droits de propriété intellectuelle conférés antérieurement.
Toutefois, il convient de noter que dans le cadre de la présente affaire, le déposant n’avait fourni aucune description de sa marque lors du dépôt. Aussi, nous pouvons nous demander si une telle appréciation aurait vocation à s’appliquer de manière identique dans l’hypothèse où le titulaire d’une marque tridimensionnelle aurait fourni une description de sa marque.
En outre, le raisonnement du TUE peut apparaitre quelque peu contradictoire sur certains points. D’une part, il prend en compte des éléments extérieurs à la représentation graphique de la marque pour conclure que les lignes verticales et horizontales sont une caractéristique essentielle du signe permettant l’obtention d’un résultat technique. Mais d’autre part, il se contente d’une simple analyse visuelle de la représentation de la marque pour conclure que les couleurs des six faces du cube n’en constituent pas une.
Après plus de dix ans de procédure, la saga « Rubik’s Cube » touche à sa fin. Si le titulaire de la marque contestée perd le bénéfice de la protection de la forme iconique créée par Ernő Rubik (uniquement pour les produits de la classe 28), elle peut toutefois compter sur la protection de son nom, connu à travers le monde.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle Juridique CPI
Lien vers la décision commentée
[1] Article 7 paragraphe 1 sous a) à c) et e), du Règlement 2017/1001 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : a) les signes qui ne sont pas conformes à l’article 4 ; c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci ; e) les signes constitués exclusivement : i) par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ; ii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ; iii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, qui donne une valeur substantielle au produit »
[2] Arrêt du Tribunal de l’Union Européenne du 25 novembre 2014 – T-450/09, Simba Toys / OHMI (lien)
[3] Arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 10 novembre 2016 – C-30/15, Simba Toys / EUIPO (lien)
[4] Décision de la première Chambre de Recours de l’EUIPO du 6 mars 2017 – R 452/2017-1, Simba Toys / Rubik’s Brand Limited
08
novembre
2019
Force probante d’archive.org : Un pas en avant pour la « machine à revenir en arrière »
Internet Archive est un organisme à but non lucratif américain dédié à l’archivage du web.
Ses archives comprennent 330 milliards d’extraits de pages internet, mises à disposition du public sur le site Wayback Machine, mais également 20 millions de livres, 4,5 millions d’enregistrements audios, 4 millions de vidéos, 3 millions d’images et 200 000 logiciels (source : archive.org), dans son immense bibliothèque numérique.
La Wayback Machine (archive.org) permet de stocker tout ce qui se trouve sur internet. Elle donne la possibilité de remonter jusqu’en 1996 pour retrouver des extraits de sites internet disparus ou dont le contenu aurait (sans surprise) été modifié.
Cette machine à remonter le temps est un véritable atout en propriété intellectuelle lorsqu’il s’agit de fournir des preuves d’usage d’une marque, vérifier les précédentes exploitations d’un nom de domaine, prouver la divulgation d’un modèle ou encore constituer des preuves d’une atteinte à un droit par un tiers.
Les juridictions françaises se sont toujours montrées assez réticentes à accepter des preuves provenant de la Wayback Machine.
Mais une décision rendue par la Cour d’Appel de Paris le 4 octobre dernier [1], faisant suite à une précédente décision du 5 juillet [2], a confirmé une évolution vers la reconnaissance de la valeur probante des extraits de la Wayback Machine.
Dans cet arrêt, le titulaire d’un brevet intitulé « tête fonctionnelle pour placer et supprimer des pneus de véhicule » assigne une société britannique en contrefaçon de son brevet et en concurrence déloyale.
Il fait alors réaliser un constat par un huissier de justice et produit un extrait du site archive.org, contenant la preuve qu’au 11 juin 2013 la partie adverse présentait sur son site un produit mettant en œuvre son brevet.
La Cour d’Appel de Paris mentionne dans son arrêt qu’ « il ne peut être dénié toute force probante [à cet extrait], à défaut de tout élément contraire de nature à jeter un doute sur sa fiabilité ».
La reconnaissance de la force probante des extraits du site Wayback Machine est donc une excellente nouvelle pour les titulaires de droits !
Avec cette décision, la Cour d’Appel de Paris s’aligne donc sur la position de l’EUIPO, l’OMPI (dans le cadre des procédures UDRP), l’OEB et de l’INPI qui a eu plusieurs fois l’occasion de statuer sur l’acceptation des extraits du site Wayback Machine, dans le cadre de demandes de preuves d’usage dans des procédures d’opposition, par la formule suivante « que toutefois, la preuve de l’exploitation de la marque étant libre, il n’y a pas lieu de refuser ces éléments ».
Nous nous réjouissons donc de cette décision, et ce d’autant plus qu’Internet Archive a récemment annoncé l’arrivée de nouvelles fonctionnalités très intéressantes sur la Wayback Machine [3]!
Marion Mercadier
Juriste
[1] CA PARIS, 4 octobre 2019, RG n°17/10064, non publié
[2] CA Paris, 5 juillet 2019, n°17/03974, non publié
[3] “The Wayback Machine: Fighting Digital Extinction in New Ways”, Internet Archive Blog, 18 octobre 2019
04
novembre
2019
Marques et mauvaise foi : quand le Tribunal file un mauvais coton…
Author:
teamtaomanews
Une requérante titulaire de marques antérieures semi-figuratives KOTON, ayant effet sur le territoire de l’Union européenne, a formé opposition auprès de l’EUIPO contre l’enregistrement d’une demande de marque STYLO & KOTON déposée en classes 25, 35 et 39. Comme pour les marques antérieures, le terme KOTON comportait une fleur de coton dont les deux voyelles étaient stylisées.
Cette opposition n’a abouti qu’en classes 25 et 35 de sorte que la marque STYLO & KOTON a été enregistrée pour les services de la classe 39.
La requérante a alors déposé une demande en nullité de la même marque, non seulement pour les services de la classe 39, mais également pour des produits et des services des classes 25 et 35, sur le fondement du dépôt de mauvaise foi, au visa de l’article 52(1)(b) du Règlement n°207/2009, applicable en raison de la date de dépôt.
La division d’annulation puis la chambre de recours de l’EUIPO ayant rejeté la demande en nullité, la requérante saisit le Tribunal de l’Union européenne (« TUE »), lequel refuse également de considérer que le dépôt a été fait de mauvaise foi.
Le règlement (UE) n°2017/1001 du 14 juin 2017 (« RMUE »), qui a remplacé le règlement (CE) n°207/2009 du 26 février 2009, ne propose pas de définition de la mauvaise foi, se bornant à affecter de nullité le dépôt opéré par un demandeur « de mauvaise foi » (RMUE, art. 59(1)(b)).
La Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») s’est essayée à la définir, en particulier dans l’arrêt du 11 juin 2009 Chocoladefabriken Lindt & Spüngli (CJCE, 11 juin 2009, C-529/07, pt. 53) précisant que la mauvaise foi du déposant doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et existant au moment du dépôt et notamment :
le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit ou service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ;
l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ;
le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé.
La Cour vient ici préciser qu’il ne ressort pas de l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, que l’existence de la mauvaise foi peut uniquement être constatée dans l’hypothèse, qui était celle sur laquelle la Cour était alors interrogée, où il y a utilisation sur le marché intérieur d’un signe identique ou similaire pour des produits identiques ou similaires prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, lequel n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres à prendre en considération (pts. 51-55).
En suivant cette approche, le TUE s’est abstenu de prendre en considération, dans son appréciation globale, l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes telles qu’elles se présentaient lors du dépôt de la demande, alors que ce moment était déterminant. Il aurait ainsi fallu tenir compte du fait que l’intervenant avait demandé l’enregistrement d’un signe comportant le mot stylisé « KOTON » en tant que marque de l’Union européenne non seulement pour les services de la classe 39, mais également pour des produits et des services des classes 25 et 35 qui correspondaient à ceux pour lesquels la requérante avait fait enregistrer des marques comportant ce mot stylisé (pts. 59-60).
Par ailleurs, le TUE n’a abordé qu’à titre surabondant le fait qu’il y avait eu des relations commerciales entre l’intervenant et la requérante et que celles-ci avaient été rompues par la requérante ; il s’est, en outre, abstenu d’examiner si la demande d’une marque contenant le mot stylisé « KOTON » pour des produits et des services des classes 25, 35 et 39 présentait une logique commerciale au regard des activités de l’intervenant (pt. 62).
La Cour ayant décidé d’annuler l’arrêt du TUE et la décision de la chambre de recours, il appartient à l’instance compétente de l’EUIPO de prendre une nouvelle décision en se fondant sur une appréciation globale qui tienne compte de la demande d’enregistrement de la marque contestée telle que déposée pour des produits et des services relevant non seulement de la classe 39, mais également des classes 25 et 35.
Alexis Valot
Juriste
Anne Messas
Avocate à la cour, associée
Lien vers la décision
11
septembre
2019
« LED ZEPPELIN », le célèbre groupe britannique fait son entrée au panthéon des marques
Le célèbre groupe de rock Britannique chantait pour la première fois en 1971 son fameux titre « Stairway to Heaven ». Ce n’est pas sans une certaine ironie de l’histoire que le Groupe, plus de quarante ans après, atteint ce fameux paradis, mais dans un contexte légèrement différent.
En 2016, la marque « ZEPPELIN GUITARS » fut déposée auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) pour désigner les produits suivants :
Classe 9: « Appareils des technologies de l’information ; Micros pour instruments de musique électriques (pick-up) ; Mixeurs audio avec amplificateur intégré ; Pédales wah-wah pour guitares ; Pièces et accessoires de tous les produits précités, compris dans cette classe » ;
Classe 15: « Instruments de musique ; Accessoires pour instruments de musique ; Pièces et accessoires de tous les produits précités, compris dans cette classe ».
La société Superhype Tapes Limited, Label discographique du groupe Britannique, forma alors opposition à l’encontre de cette demande de marque sur la base de ses marques de l’Union Européenne « LED ZEPPELIN », ainsi que la marque non déposée du même nom, dont la protection est revendiquée au Royaume-Uni et en Ireland.
L’opposant invoquait notamment l’article 8(5) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne (UE) 2017/1001 [1], soit la renommée de ses marques antérieures.
Pour rappel, la marque renommée, telle que prévue par le Règlement, s’entend d’une marque dont le champ de protection s’étend au-delà du principe de spécialité, selon lequel une marque n’est protégée que pour des produits et services identiques ou similaires.
Bien que souvent invoqué par les titulaires de marques, ce fondement n’est que très rarement reconnu par l’EUIPO au regard des conditions rigoureuses qui sont imposées. En effet, il est nécessaire que les signes en cause soient identiques ou similaires, que la marque antérieure jouisse d’une renommée sur le territoire concerné pour les produits et services pour lesquels l’opposition a été formée et qu’il existe un risque de préjudice.
En l’espèce, la Division d’Opposition de l’EUIPO a considéré que les marques antérieures « LED ZEPPELIN » bénéficiaient d’une renommée sur le territoire de l’Union Européenne. Pour ce faire, elle se fonde sur divers éléments, dont l’un n’a pas manqué de marquer les esprits, à savoir un hommage qu’avait rendu l’ancien Président américain Barack Obama au groupe en 2012 et selon lequel Led Zeppelin « still rock! ».
En outre, la décision confirme que les signes en cause présentent des ressemblances visuelles, phonétiques et intellectuelles importantes et que les produits visés sont similaires et fortement liés.
Il ressort de ces éléments que la marque contestée « ZEPPELIN GUITARS » sera nécessairement associée aux marques antérieures « LED ZEPPELIN », c’est-à-dire que le public pertinent, lorsqu’il sera confronté à la marque contestée « ZEPPLIN GUITARS », établira un lien entre les signes en cause.
En effet, l’EUIPO juge qu’en raison de l’utilisation du signe « ZEPPELIN GUITARS », les produits contestés attireront beaucoup plus l’attention du public concerné que si ces mêmes produits étaient commercialisés sous une marque (inconnue) différente.
La demande de marque opposée est donc susceptible de tirer indûment profit de la renommée des marques antérieures et partant, créer un préjudice au détriment du groupe de rock britannique.
Par conséquent, l’opposition est reconnue comme fondée et la demande de marque « ZEPPELIN GUITARS » est rejetée dans son intégralité.
Près de quarante ans après sa séparation, le Groupe Led Zeppelin reste l’un des plus grands groupes de rock au monde et cette décision rendue en matière de droit des marques ne fait que le confirmer !
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Article 8(5) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne (UE) 2017/1001 : « Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure enregistrée au sens du paragraphe 2, la marque demandée est refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque cette marque antérieure est une marque de l’Union Européenne qui jouit d’une renommée dans l’Union ou une marque nationale qui jouit d’une renommée dans l’État concerné, et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice ».
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