23
janvier
2020
Le casse-tête juridique de la protection de la célèbre marque tridimensionnelle « RUBIK’S CUBE » enfin résolu !
Author:
teamtaomanews
La résolution du célèbre casse-tête géométrique à trois dimensions est devenue source de nombreux records dans le monde, dont le temps le plus rapide jamais réalisé est de 3,47 secondes.
L’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), ainsi que les juges de l’Union Européenne, auront mis quant à eux 13 ans pour trouver une solution à ce puzzle peu conventionnel, mais dans un contexte légèrement différent.
I- HISTORIQUE DE L’AFFAIRE « RUBIK’S CUBE »
En 2006, la société allemande Simba Toy a présenté une demande de nullité de la marque tridimensionnelle de l’Union Européenne « Rubik’s Cube » ci-dessous, enregistrée le 6 avril 1999 pour les produits suivants de la classe 28 : « Puzzle en trois dimensions » de la classe 28.
Au soutien de son action, elle invoquait la violation de l’Article 7, paragraphe 1, sous a) à c) et e), du Règlement n°40/94 (devenu Article 7, paragraphe 1, sous a) à c) et e), du Règlement 2017/1001) en vertu duquel ne peut être accepté à l’enregistrement les signes constitués exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique [1].
Aussi bien la Division d’Annulation que la Chambre de Recours de l’EUIPO et le Tribunal de l’Union Européenne (TUE), par décision du 25 novembre 2014 [2], ont rejeté la demande de nullité au motif que la représentation graphique de la marque contestée ne suggérait aucune fonction de rotation. En effet, d’après le TUE, la capacité de rotation du cube ne résulte ni des lignes noires verticales et horizontales, ni de la structure en grille figurant sur chacune des faces de ce cube, mais d’un mécanisme interne qui n’est pas visible sur la marque telle que représentée.
La société allemande exerça alors un recours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), laquelle a rejeté le raisonnement du Tribunal et annulé la décision par arrêt du 10 novembre 2016 [3].
La Cour a considéré que pour examiner la fonctionnalité des caractéristiques essentielles du signe en cause, il convenait de prendre en considération la représentation graphique du signe, comme l’ont justement rappelé l’EUIPO et le TUE, mais également des éléments supplémentaires relatifs à la fonction du produit concret en cause.
La première chambre de recours de l’EUIPO, statuant sur renvoi, a, sans grande surprise, suivi le raisonnement de la CJUE et annulé la marque tridimensionnelle pour les produits de la classe 28 (jeux, jouets…) [4].
Celle-ci a jugé que les caractéristiques essentielles de la marque contestée, à savoir les lignes noires verticales et horizontales, la forme cubique du produit et les différences de couleur sur les six faces du cube, présentaient une fonction technique, bien que celle-ci ne soit pas visible sur le signe tel que représenté.
Il ressort effectivement des éléments de l’espèce qu’un « observateur raisonnablement avisé » sera à même d’identifier la fonction rotative du signe contestée dans la mesure où ce signe représente un puzzle en trois dimensions mondialement connu sous le nom de « Rubik’s Cube » et dont la finalité est de reconstituer un puzzle en faisant pivoter selon un axe, verticalement et horizontalement, des rangées de cubes plus petits de différentes couleurs jusqu’à ce que les neuf carrés de chaque face du cube soient de la même couleur.
Cette analyse est corroborée par une image fournie par la société allemande Simba Toy qui représentait un « Rubik’s Cube » en état d’utilisation, dont les lignes noires verticales et horizontales créent une séparation physique entre les cubes et permettent à un joueur de changer la position de ces cubes par rapport à d’autres.
En ce qui concerne la forme globale du produit, ainsi que les différentes couleurs, la Chambre de Recours a considéré qu’elles participaient également à l’obtention d’un résultat technique.
En conclusion, la marque tridimensionnelle de l’Union Européenne « Rubik’s Cube » a été considérée comme contraire à l’Article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du Règlement n°40/94 et déclarée nulle.
C’était sans compter sur la ténacité de la société Rubik’s Brand Ltd, titulaire de la marque en cause, qui a formé un recours contre cette décision.
II- DÉNOUEMENT DE L’AFFAIRE « RUBIK’S CUBE »
Le TUE a donc, pour la seconde fois, tenté de résoudre le casse-tête « Rubik’s Cube », sauf que, cette fois, la solution paraissait plus évidente.
En effet, par décision du 24 octobre dernier, le TUE a également suivi le raisonnement de la CJUE et confirmé l’annulation de la marque contestée, tout en réformant la décision de la Chambre des Recours sur quelques points techniques.
D’une part, la société Rubik’s Brand Ltd contestait l’une des caractéristiques essentielles de la marque contestée, à savoir la différence de couleurs sur les six faces du cube.
Le Tribunal admet que cet élément ne peut constituer une caractéristique de la marque contestée dès lors qu’en l’absence de description de cette dernière et de revendication de couleurs dans la demande d’enregistrement, il ne saurait être déduit, sur la seule base de la représentation graphique du signe, que chacune des faces du cube comporte une couleur.
Toutefois, il estime que cette erreur d’appréciation de la part de la Chambre de Recours n’a aucune incidence sur la solution finale, à savoir la nullité de la marque contestée.
D’autre part, le Tribunal considère que les lignes noires sont nécessaires à l’obtention du résultat technique dès lors qu’elles représentent une séparation physique entre les cubes individuels, permettant au joueur de faire pivoter chaque rangée de petits cubes indépendamment les unes des autres afin de les regrouper dans la bonne combinaison de couleur. Sans cette séparation physique, « le cube ne serait rien d’autre qu’un bloc solide, ne comportant aucun élément individuel pouvant être déplacé de manière indépendante ».
En ce qui concerne la forme cubique du produit, le Tribunal estime que l’existence de formes géométriques alternatives n’est pas per se concluant, et ce conformément à la jurisprudence antérieure.
Aussi, la forme du produit « Rubik’s Cube » est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique et ne peut, en conséquence, constituer une marque valable en vertu du droit de l’Union Européenne.
Si cette décision semble confirmer la position de la jurisprudence de l’Union Européenne en matière de marque tridimensionnelle, notamment afin d’éviter un contournement du droit des brevets qui permet la protection d’une solution technique, elle a le mérite d’apporter un certain nombre de clarifications eu-égard à l’appréciation de la fonction technique des caractéristiques essentielles de la marque contestée.
En effet, outre la représentation graphique de la marque contestée, il convient également de prendre en compte la forme concrète de la marque et, partant, tout élément utile à l’appréciation, tels que des enquêtes et des expertises, ou encore des données relatives à des droits de propriété intellectuelle conférés antérieurement.
Toutefois, il convient de noter que dans le cadre de la présente affaire, le déposant n’avait fourni aucune description de sa marque lors du dépôt. Aussi, nous pouvons nous demander si une telle appréciation aurait vocation à s’appliquer de manière identique dans l’hypothèse où le titulaire d’une marque tridimensionnelle aurait fourni une description de sa marque.
En outre, le raisonnement du TUE peut apparaitre quelque peu contradictoire sur certains points. D’une part, il prend en compte des éléments extérieurs à la représentation graphique de la marque pour conclure que les lignes verticales et horizontales sont une caractéristique essentielle du signe permettant l’obtention d’un résultat technique. Mais d’autre part, il se contente d’une simple analyse visuelle de la représentation de la marque pour conclure que les couleurs des six faces du cube n’en constituent pas une.
Après plus de dix ans de procédure, la saga « Rubik’s Cube » touche à sa fin. Si le titulaire de la marque contestée perd le bénéfice de la protection de la forme iconique créée par Ernő Rubik (uniquement pour les produits de la classe 28), elle peut toutefois compter sur la protection de son nom, connu à travers le monde.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle Juridique CPI
Lien vers la décision commentée
[1] Article 7 paragraphe 1 sous a) à c) et e), du Règlement 2017/1001 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : a) les signes qui ne sont pas conformes à l’article 4 ; c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci ; e) les signes constitués exclusivement : i) par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ; ii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ; iii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, qui donne une valeur substantielle au produit »
[2] Arrêt du Tribunal de l’Union Européenne du 25 novembre 2014 – T-450/09, Simba Toys / OHMI (lien)
[3] Arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 10 novembre 2016 – C-30/15, Simba Toys / EUIPO (lien)
[4] Décision de la première Chambre de Recours de l’EUIPO du 6 mars 2017 – R 452/2017-1, Simba Toys / Rubik’s Brand Limited
06
août
2019
« SORTEZ COUVERT », la marque qui ne l’est pas assez
Author:
teamtaomanews
Depuis les années 90, le célèbre animateur Christophe Dechavanne clôture l’ensemble de ses émissions par l’annonce, devenue également célèbre, « Sortez couverts » dans un souci de sensibiliser le public à la prévention des maladies sexuellement transmissibles.
Dès 2003, via sa société de production Coyote Conseil, l’animateur a procédé au dépôt de la marque SORTEZ COUVERT (sans S à la fin) en France notamment pour les catégories de produits et services suivantes :
– Imprimés, journaux, livres, manuels…
– Publicité, diffusion d’annonces publicitaires…
– Communications radiophoniques ; diffusion de programmes de télévision et radiophoniques ; émissions radiophoniques et par télévision ; messagerie électronique…
– Organisation de spectacles ; organisation d’expositions à but culturel ou éducatif ; information en matière de divertissement ; organisation et conduite de séminaires et de congrès ; divertissement pour télévision ou radiophonique…
De manière surprenante, la marque ne désigne pas les préservatifs. Pourtant, un accord avec une société du secteur a été trouvé pour la commercialisation de préservatifs sous ce nom. La société Laboratoires Majorelle, spécialisée dans la fabrication de préservatifs, a relevé ce défaut de protection et a déposé la marque française SORTEZ COUVERTS ! en septembre 2018 pour des préservatifs.
Le sang de l’animateur n’a fait qu’un tour et lui est monté à la tête, entrainant le dépôt d’une opposition devant l’INPI par sa société de production contre cette demande de marque à découvert !
L’INPI a rendu sa décision le 4 juin dernier [1] qui trouve son originalité, non dans la comparaison des signes en présence, mais dans la comparaison des produits et services et des tentatives ingénieuses de la société Coyote Conseil pour tenter de l’emporter.
Concernant les signes, l’INPI n’a pu que constater l’imitation de la marque SORTEZ COUVERT par la demande SORTEZ COUVERTS ! L’Office juge que les différences entre les signes ne sont qu’une « simple marque du pluriel et [un] ajout d’un élément de ponctuation » qui « n’ont que peu d’incidence visuelle et aucune incidence phonétique ».
Pour ce qui est de la comparaison des produits et services, l’histoire est toute autre en raison du principe de spécialité selon lequel la marque n’est protégée que pour les produits et services qu’elle désigne. Or, la marque antérieure ne couvrant pas les « préservatifs », son titulaire a joué d’inventivité pour pimenter le jeu.
Afin de tenter de démontrer un lien entre les produits et services désignés par la marque antérieure et les « préservatifs », la société Coyote a limité sa marque en demandant l’ajout à la fin du libellé de la mention « tous ces produits/services destinés à la santé publique et notamment à la prévention des infections sexuellement transmissibles et à l’incitation à l’usage des préservatifs ».
Malheureusement, cette limitation n’a pas été inscrite sur le registre des marques avant le rendu de la décision de l’INPI. Ce dernier a donc écarté ce point au motif que la limitation n’était pas encore opposable aux tiers au jour du rendu de la décision.
La société Coyote a tenté de mettre en avant que les « préservatifs » présentaient un lien étroit avec les « imprimés, journaux… » de sa marque car « ils sont également souvent vendus/distribués associés à des imprimés destinés à sensibiliser le public sur les maladies sexuellement transmissibles ou à donner des conseils d’utilisation. Ils sont également le sujet d’affiches et de campagnes d’affichage ayant le même objectif ». L’INPI n’a pourtant pas été sensible à l’argument et il a estimé qu’un critère aussi général de similarité reviendrait à considérer comme complémentaires un très grand nombre de produits.
Dans le même esprit, l’INPI a rejeté toute similitude entre les « préservatifs » et les autres services désignés par la marque antérieure.
Dans un souci de prévention, la société Coyote a également fait valoir la notoriété de la marque SORTEZ COUVERT dans le domaine de la promotion en faveur de l’emploi du préservatif. A nouveau, l’INPI est resté hermétique et a jugé que même si la notoriété était reconnue, cela ne suffirait pas « à compenser les différences existantes entre les produits et services ».
Enfin, la société Coyote dénonce le caractère frauduleux du dépôt de la demande de marque SORTEZ COUVERTS ! Les tribunaux judiciaires étant seuls juges de cette question, l’INPI écarte également l’argument.
L’opposition est rejetée et la marque contestée acceptée à enregistrement.
Il est important pour les titulaires de marques d’être bien couverts pour leurs produits et services d’intérêt s’ils ne souhaitent pas être contaminés par des concurrents !
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
[1] Lire la décision du 4 juin 2019 ici
25
juillet
2019
Braquage réussi de La Casa de Papel devant l’Inpi !
Author:
teamtaomanews
La série La Casa de Papel de Netflix qui raconte le braquage de la fabrique nationale de la monnaie et du timbre espagnole a connu un succès mondial, à tel point qu’elle est devenue la fiction non anglophone la plus regardée de l’histoire de Netflix.
Toutefois, Netflix n’avait pas encore déposé le nom de la série quand un tiers a déposé la marque française LA CASA DE PAPEL, en classes 16, 18 et 25.
Netflix Studios LLC a immédiatement mis en œuvre un plan d’action : une opposition à l’encontre de la demande de marque LA CASA DE PAPEL en invoquant l’article 6 bis de la Convention de Paris, qui protège les marques notoires non déposées, tel que, selon Netflix, le signe LA CASA DE PAPEL pour les produits et services « enregistrements vidéos, comprenant des oeuvres fictionnelles, téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; des émissions télévisées téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; services de divertissement sous forme de séries télévisées ».
A l’occasion de la sortie de la saison 3 de la série, l’équipe TAoMA News vous parle de la décision d’opposition rendue par l’INPI le 22 janvier dernier.
Dans les cas les plus fréquents, une procédure d’opposition permet au titulaire d’une marque déposée ou enregistrée de s’opposer à l’enregistrement d’une demande de marque qui pourrait lui porter atteinte. Mais une telle procédure peut être également formée sur la base d’autres droits tels qu’une indication géographique protégeant des produits industriels et artisanaux, le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale, une AOC, une AOP ou une indication géographique régie par le code rural et de la pêche et une marque notoire non déposée.
C’est sur ce dernier fondement que Netflix Studios LLC a déposé une opposition à l’encontre de la demande de marque LA CASA DE PAPEL, en s’appuyant sur un solide dossier de presse qualifiant la série de « succès retentissant », « phénomène mondial », « pépite » ou encore série « culte », pour invoquer avec succès l’existence, la notoriété et la titularité de sa marque non déposée LA CASA DE PAPEL.
La partie adverse a tenté de se défendre en se basant sur le nombre « négligeable » de personnes qui ont un abonnement Netflix en France et en indiquant que la série est trop récente pour pouvoir démontrer une notoriété.
Mais l’INPI rejette ces arguments reconnaissant ainsi que Tokyo, Nairobi, Rio et le Professeur ont bel et bien conquis le cœur du public (et de l’INPI?), malgré un récent lancement en France en 2017.
A cette occasion, l’INPI nous fait également part d’une comparaison des produits intéressante.
En effet, sans renier le principe de spécialité, selon lequel une marque n’est protégée que pour les produits et services qu’elle désigne, et bien que la notoriété de la marque LA CASA DE PAPEL n’a été démontrée par Netflix que pour des « enregistrements vidéos, comprenant des œuvres fictionnelles, téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; des émissions télévisées téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; services de divertissement sous forme de séries télévisées », l’INPI reconnait une pratique courante des sociétés de production de divertissement consistant à commercialiser des produits dérivés ou conclure des partenariats officiels pour les produits :
« articles de papeterie ; affiches ; vêtements, chaussures ; fourrures (vêtements) ; chaussures de ski ; sous-vêtements ; photographies ; adhésifs (matières collantes) pour la papeterie ou le ménage ; matériels pour artistes ; pinceaux ; articles de bureaux (à l’exception des meubles) ; matériel d ’instruction ou d ’enseignement (à l ’exception des appareils) ; papier ; carton ; boites en papier ou en carton ; cartes ; livres ; journaux ; calendriers ; instruments d’écriture ; objets d’art gravés ; objets d’art lithographiés ; instruments de dessins ; mouchoirs de poche en papier ; serviettes de toilette en papier ; linge de table en papier ; sacs (enveloppes, pochettes) en papier ou en matière plastique pour l’emballage ; sacs à ordures en papier ou en matières plastiques ; malles et valises ; parapluies et parasols ; fouets ; sellerie ; portefeuilles ; porte-monnaie ; porte-cartes de crédit [portefeuilles) ; coffrets destinés à contenir des articles de toilette dits « vanity cases » ; colliers pour animaux ; habits pour animaux… »
De ce fait, ces produits désignés par la demande de marque contestée peuvent se voir attribuer la même origine que les produits et services de la marque notoire LA CASA DE PAPEL de Netflix.
L’INPI rejette donc partiellement la demande de marque contestée LA CASA DE PAPEL, ne laissant que pour seul butin à la partie adverse les produits suivants: « articles pour reliures ; caractères d’imprimerie ; prospectus ; brochures ; patrons pour la couture ; dessins ; papier hygiénique ; cuir ; peaux d’animaux ; cannes ».
Cette décision favorable dans le cadre d’une opposition sur la base d’une marque notoire non enregistrée est rare et nous montre que ce fondement peut être utilisé, sous réserve de déposer des preuves solides.
Entre-temps, plusieurs marques européennes LA CASA DE PAPEL ont été déposées et enregistrées au nom de Netflix Studios LLC.
Les contrefacteurs n’ont qu’à bien se tenir, Netflix résiste !
18
juillet
2019
« FACK JU GÖHTE »: Mieux vaut une insulte qu’un désordre ?
Author:
teamtaomanews
Le signe « FACK JU GÖHTE », qui est également le titre d’une comédie allemande à succès, peut-il être enregistré à titre de marque de l’Union Européenne ?
En 2015, la société Constantin Film Produktion GmbH a déposé auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), une demande d’enregistrement de la marque verbale « FACK JU GÖHTE », correspondant au titre d’un film, pour divers produits et services de la vie quotidienne. Cette demande de marque a été rejetée au motif que le signe « FACK JU GÖHTE » était contraire à l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 [1], soit contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. L’EUIPO considérait que les termes « FACK JU » étaient prononcés de la même manière que l’expression anglaise « FUCK YOU » et que le signe constituait donc une marque de mauvais goût, offensante et vulgaire par laquelle l’écrivain Johann Wolgang von Goethe était insulté à titre posthume.
En 2017, Constantin Film Produktion GmbH a introduit devant le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) un recours en annulation de la décision de l’EUIPO. Par un arrêt en date du 24 janvier 2018, le TUE rejeta ce recours.
Constantin Film Produktion GmbH saisit alors la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’un pourvoi dirigé contre cette décision en alléguant d’erreurs dans l’interprétation et l’application du Règlement (CE) n°207/2009 sur la marque communautaire, qui exclut de l’enregistrement les marques « contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs », ainsi que d’une violation des principes de l’égalité de traitement, de sécurité juridique et de bonne administration.
Le 2 juillet dernier, l’Avocat général Bobek a présenté ses conclusions et recommande à la CJUE d’annuler l’arrêt du Tribunal, ainsi que la décision de l’EUIPO.
En effet, l’Avocat général observe dans un premier temps que contrairement à l’affirmation du TUE selon laquelle « il est constant qu’il existe, dans le domaine de l’art, de la culture et de la littérature, un souci constant de préserver la liberté d’expression qui n’existe pas dans le domaine des marques », la liberté d’expression a vocation à s’appliquer en droit des marques, même si sa protection n’est pas l’objectif principal poursuivi par le droit des marques.
Il souligne également que les notions « d’ordre public » et « bonnes mœurs » présentent des différences conceptuelles certaines, dont il faut tenir compte dans l’application de l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009. La notion « d’ordre public » correspondrait à une vision normative de valeurs et d’objectifs, définie par les autorités publiques compétentes, à travers des sources officielles du droit et des documents de politique, tandis que les « bonnes mœurs » feraient référence à des valeurs et croyances auxquelles une société adhère à un moment donné, définies et appliquées par le consensus social prévalant dans une société à une moment donné. Ainsi, la principale différence entre ces deux notions réside dans la façon dont elles sont établies et déterminées. Alors que « l’ordre public » peut être déterminé de manière objective, par référence aux lois, aux politiques publiques et aux déclarations officielles, les principes moraux doivent être appréciés au regard d’un contexte social précis, ce qui suppose de prendre en considération la perception de la société à un moment précis.
Par conséquent, le motif absolu de refus d’enregistrement tiré des « bonnes mœurs » doit être apprécié au regard de la perception du public pertinent, en tenant compte des éléments de fait propres à l’espèce.
Or, selon l’Avocat général, l’EUIPO, ainsi que le TUE, n’auraient pas tenu compte de ces principes dans l’appréciation du signe « FACK JU GÖHTE », ignorant le contexte plus large dans lequel la marque avait été déposée, à savoir le succès du film lors de sa sortie, l’absence de controverse à propos de son titre, le fait que son visionnage ait été autorisé à un public jeune et que l’Institut Goethe s’en sert à des fins pédagogiques.
Enfin, l’Avocat général a souligné que l’EUIPO s’était écarté de sa jurisprudence sans explication cohérente. En effet, dans le cadre de l’affaire « Die Wanderhure » (i.e. : La Catin), qui était également le titre d’une œuvre littéraire allemande et de son adaptation cinématographique, la chambre de recours de l’EUIPO avait considéré que le succès du film démontrait que le public n’avait pas été choqué ni par l’œuvre littéraire, ni par le titre. Ainsi, compte tenu des similitudes entre les contextes, l’EUIPO aurait dû fournir une explication plausible à l’adoption de solutions différentes dans ces deux affaires.
La CJUE qui commence à présent à délibérer dans cette affaire, n’est toutefois pas liée par les conclusions de l’Avocat général. Elle pourrait se ranger du côté de Constantin Film Produktion GmbH, et donc de l’Avocat général Bobek, et suivre les traces de son homologue américain, la Cour Suprême des États-Unis qui, pour rappel, a récemment reconnu la validité de la marque « FUCT », sur le fondement de la liberté d’expression (lire notre TAoMA News).
Lire les conclusions de l’Avocat général Bobek sur le site CURIA.
[1] l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) f) les marques qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (…) »
04
juillet
2019
Dépôt de la marque « FUCT » aux États-Unis : Liberté d’expression ou provocation?
Author:
teamtaomanews
Si l’expression anglaise « FUCK » ou équivalent, est aujourd’hui largement répandue, qu’en est-il de sa protection au titre du droit des marques ? Telle était la question débattue devant la Cour Suprême des États-Unis dans le cadre de l’affaire Iancu v. Brunetti.
En 2011, Erik Brunetti, fondateur d’une marque de vêtement d’esprit « street-wear », a présenté une demande enregistrement auprès du Bureau Américain des Brevets et des Marques de commerce (USPTO) sur le signe .
L’examinateur refusa l’enregistrement de cette marque au motif que l’élément verbal « FUCT » était phonétiquement similaire à « FUCKED », terme empreint d’une vulgarité intrinsèque et pouvant être refusé à titre de marque en vertu de l’Article 2(a) du Lanham Act.
Pour rappel, l’Article 2(a) du Lanham Act, adopté en 1946, dispose qu’une marque peut être refusée à l’enregistrement par l’USPTO notamment si elle est considérée comme « immorale, trompeuse ou scandaleuse » :
« No trademark by which the goods of the applicant may be distinguished from the goods of others shall be refused registration on the principal register on account of its nature unless it:
(a) Consists of or comprises immoral, deceptive, or scandalous matter; (…) »
Cette décision de l’USPTO a été confirmée en 2014 par la chambre de recours. Toutefois, bien décidé à obtenir l’enregistrement de sa marque « FUCT » qui, selon lui, faisait référence aux initiales « Friends U Can’t Trust » et revêtait un esprit humoristique, Erik Brunetti forma un appel devant la Cour d’Appel fédérale.
En 2017, la Cour d’Appel fédérale affirma que le terme « FUCT » tombait effectivement sous le coup des marques « immorales, trompeuses ou scandaleuses ». Cependant, elle considéra également que la restriction contre les marques « immorales, trompeuses ou scandaleuses », prévue à l’Article 2(a) du Lanham Act, était inconstitutionnelle car elle violait le Premier amendement de la Constitution des États-Unis relatif, notamment, à la liberté d’expression.
L’USPTO, sous l’impulsion de son directeur Andrei Iancu, déposa alors une requête devant la Cour Suprême des États-Unis, afin de savoir si l’interdiction des marques « immorales » ou « scandaleuses », imposée par l’Article 2(a) du Lanham Act, est conforme au Premier amendement de la Constitution des États-Unis ?
La Cour Suprême des États-Unis, qui avait déjà commencé à démanteler en 2017 [1] l’article 2(a) du Lanham Act en estimant que sa partie interdisant les marques dévalorisantes (« trademarks which may disparage ») étaient inconstitutionnelle, a rendu sa décision le 24 juin 2019, confirmant la décision de la Cour d’Appel.
Selon l’opinion majoritaire de six juges sur neuf de la Cour Suprême, l’USPTO serait contraint de se livrer à une analyse « discriminatoire » pour déterminer si les marques présentées devant lui relève de la catégorie des termes « immoraux » ou « scandaleux » du Lanham Act. En effet, L’Article 2(a) du LanhamAct semble établir une possibilité de limitation de la liberté d’expression fondée sur une opinion ou un point de vue (ou « viewpoint-based restriction on speech »), cette méthode étant interdite . Par conséquent, cet article du Lanham Act doit être déclaré inconstitutionnel au regard du Premier amendement de la Constitution des États-Unis.
Il ressort de cette décision une problématique intéressante en matière de marques contraires à la morale, à l’ordre public : la nécessaire balance des intérêts entre liberté d’expression et protection de la morale.
Si la Cour suprême répond sans ambiguïté à cette problématique en consacrant la conception quasi-absolutiste de la liberté d’expression prévu par le sacro-saint Premier amendement de la Constitution des États-Unis, il en va autrement de l’autre côté de l’Atlantique. En effet, aussi bien le droit français que le droit européen reconnaissent que le refus d’enregistrer des marques contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ne prohibe aucunement l’utilisation du signe qui demeure libre, ni donc la liberté d’expression [2]. En outre, il est constant et unanime en droit français et européen que la liberté d’expression n’est pas un droit absolu et il a pu être accepté qu’elle soit restreinte sur la base de préceptes moraux [3].
De ce fait, l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) ou les tribunaux français, ainsi que l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), se montrent régulièrementassez sévères à l’égard des marques empreintes d’une certaine vulgarité, ou de mépris à l’égard d’une communauté ethnique ou religieuse.
À ce titre, l’INPI a pu refuser à enregistrement la marque verbale « BAD MOTHER FUCKER » [4] comme étant contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, du fait de l’usage d’un slogan constitué de termes injurieux. De même, l’EUIPO a refusé, pour les mêmes raisons, les marques « FUCK&FUN » [5], « JUST FUCKING » [6] et récemment, le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) a confirmé le refus de la marque « FACK JU GÖTHE » [7]. Cette dernière décision est aujourd’hui portée devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).
Les différences de conception entre le droit américain et le droit français et européen dans la manière dont la loi limite la liberté d’expression sont ici parfaitement illustrées. La jurisprudence américaine, par cette décision « FUCT », renforce d’avantage le caractère quasi-intouchable de la liberté d’expression,. À l’inverse, la jurisprudence française et européenne ont tendance à considérer que si, comme tout autre droit fondamental susceptible d’être concerné, la liberté d’expression doit être prise en considération dans le cadre d’une appréciation d’ensemble, sa protection n’est pas l’objectif premier poursuivi par le droit des marques.
La CJUE, dans le cadre du pourvoi formé à l’encontre du jugement rendu par le TUE sur la marque « FACK JU GÖTHE », sera amenée à préciser pour la première fois l’analyse à mettre en œuvre pour conclure éventuellement au rejet d’une demande d’enregistrement d’une marque sur le fondement de l’ordre public et des bonnes mœurs. La liberté d’expression aura-elle droit à une place de choix dans l’analyse de la CJUE ? Suite dans une prochaine TAoMA News…
Baptiste Kuentzmann
Juriste
et
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Lire la décision complète sur le site de la Cour Suprême des États-Unis
Lire l’analyse de la décision sur le blog de la Cour Suprême des États-Unis
[1] Matal v. Tam, Docket n°15-1293, opinion of June 19th, 2017
[2] Tribunal de l’Union Européenne, jugement du 14/11/2013, T-54/13, FICKEN LIQUORS, §44 ; Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 26/02/2016, n°2015/13243
[3] Article 10(2) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
[4] INPI, 03/04/2007, Refus de protection, demande internationale n°904 192 NT
[5] EUIPO, 03/12/2012, Refus de protection, demande n°9220831
[6] EUIPO, 01/07/2019, Refus de protection, demande n°8123961
[7] Tribunal de l’Union Européenne, jugement du 24/01/2018, T69/17, FACK JU GÖTHE
17
juin
2019
17 juin 2019 – Le jour « J » pour le droit des marques au Canada
Le Canada a modifié en profondeur sa législation sur le droit des marques. Cette modification entre en vigueur le 17 juin 2019. Parmi les changements importants, nous noterons l’adhésion au Protocole de Madrid, à l’Arrangement de Nice et au Traité de Singapour. Ces traités entrent également en vigueur à l’égard du Canada le 17 juin 2019.
Les modifications prévues par la nouvelle législation canadienne et l’adhésion à ces conventions internationales ont pour but de moderniser et de simplifier le droit des marques canadien. Nous présentons une liste non exhaustive des changements :
Adoption de la classification de Nice
La classification de Nice prévue dans l’Arrangement de Nice divise en 45 classes les produits et services pouvant être désignés dans le cadre d’un dépôt de marque. Les marques canadiennes devront maintenant être déposées en accord avec la classification. L’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) se basera sur cette dernière dans l’examen des marques, y compris celles déposées avant le 17 juin 2019 mais non encore enregistrées.
Changement dans le mode de calcul des taxes
Cette modification est une conséquence à l’adoption de la classification de Nice dans la mesure où les taxes de dépôt et d’enregistrement vont désormais dépendre du nombre de classes désignées.
La division d’une demande de marque
Cette modification a aussi été permise par l’adoption de la classification de Nice. En effet, le déposant aura la possibilité de diviser une marque en plusieurs marques selon les classes désignées. Cette possibilité permettra par exemple d’accélérer le processus d’enregistrement d’une marque pour une ou plusieurs classes pendant que l’enregistrement de la ou des autres classes resterait bloqué par une procédure d’opposition et/ou une lettre officielle.
La nouvelle durée d’une vie d’une marque canadienne
Toutes les marques enregistrées après le 17 juin 2019 le seront pour une durée de 10 ans au lieu de 15 ans. Pour les marques enregistrées antérieurement au 17 juin 2019, c’est lors du renouvellement que la durée de 10 ans sera appliquée.
Nouveaux types de marque
De nouveaux types de marque sont désormais acceptés au dépôt telles que les marques de couleur, les marques sonores ou les marques olfactives.
L’OPIC se réserve le droit d’examiner le caractère distinctif de ces marques. Ainsi, seules les premières décisions de l’Office nous permettront de savoir dans quelle mesure ces nouveaux types de marque seront acceptés au Canada.
Suppression des bases de dépôt pour les marques canadiennes
Toutes les marques admises à l’enregistrement à partir du 17 juin 2019 le seront sous réserve de la seule condition du paiement de la taxe finale d’enregistrement. Il n’aura plus à indiquer de base de dépôt telle que « l’intention d’usage » de la demande de marque sur le marché canadien, nécessitant ensuite le dépôt de preuves de l’usage effectif.
La possibilité du choix entre un dépôt national et un dépôt international
Le déposant d’une marque aura le choix entre un dépôt national ou la désignation du Canada dans le cadre d’une marque internationale.
Élargissement des possibilités de revendication de priorité
Désormais, un déposant d’une marque canadienne peut revendiquer la priorité de n’importe quelle marque antérieure même si elle n’a pas été déposée dans le pays d’origine du déposant.
14
juin
2019
Sanction de la CNIL : pas d’obligation de mise en demeure préalable confirmée par le Conseil d’Etat
Author:
teamtaomanews
Dans un arrêt du 17 avril 2019, l’autorité administrative suprême a refusé d’infirmer les sanctions prises par la CNIL contre la société OPTICAL CENTER, au motif que ces dernières n’auraient pas été précédées d’une mise en demeure permettant à la société de corriger les problèmes.
En 2017, une enquête de la CNIL initiée suite à plusieurs plaintes concernant OPTICAL CENTER a mis à jour le fait que la simple entrée d’URL dans un navigateur permettait l’accès à de nombreuses factures et bons de commande des clients de la société faute de restriction de l’accès aux données par la connexion à un espace personnel.
La CNIL a pris la décision de sanctionner d’une amende de 250.000 euros cette grave faille de sécurité, qui méconnaissait l’article 34 de la Loi Informatique et Libertés, sans mise en demeure permettant à la société de corriger les errements et alors que cette société avait déjà pris les mesures nécessaires à la correction du problème.
Cette décision a été portée devant le Conseil d’Etat qui, dans son arrêt du 17 avril 2019, a confirmé la décision et rappelé que la mise en demeure n’est pas une étape obligatoire préalable à la sanction et que l’article 45 de la loi du 6 janvier 1978 dispose que « Lorsque le manquement constaté ne peut faire l’objet d’une mise en conformité dans le cadre d’une mise en demeure, la formation restreinte peut prononcer, sans mise en demeure préalable et après une procédure contradictoire, les sanctions prévues ».
Le Conseil en déduit la possibilité pour la CNIL d’outrepasser l’étape de la mise en demeure lorsque cette dernière est clairement inutile ; soit que le manquement incriminé ne puisse être corrigé, soit, comme c’était le cas en l’espèce, qu’il y ait déjà été remédié.
Le Conseil d’État réduit toutefois la sanction d’OPTICAL CENTER, en jugeant que la CNIL, ne tenant pas compte de la promptitude de la société à réagir à ses demandes, a prononcé une sanction disproportionnée ; cette dernière sera donc ramenée à 200.000 euros.
Lire la décision complète
19
mars
2019
Le vrai du faux de l’article 13
Author:
teamtaomanews
Mise à Jour du 27 mars 2019 suite à l’adoption de la Directive par le Parlement européen le 26 mars 2019
La directive « droit d’auteur », proposée par la Commission le 14 septembre 2016, vient d’être votée dans une version modifiée et définitive par le Parlement européen le 26 mars 2019. Nous faisons le point sur ce que dit « l’article 13 », devenu article 17, et sur les peurs qu’il a suscitées.
Comme toute directive, le texte qui vient d’être adopté par le Parlement européen devra être transposé dans le droit national des 28 (ou 27 ?) États Membres et ne sera pas applicable tel quel (contrairement aux règlements, comme le RGPD qui n’a pas eu besoin de transposition). La directive ne fait que fixer des buts à atteindre et laisse aux États Membres les moyens de parvenir à ces buts (par exemple, en imposant l’utilisation de logiciels de filtrage automatique, ou non).
Cette directive, tout au long du processus de négociations qui a duré deux ans et demi, a suscité de multiples inquiétudes et nous avons souhaité faire le point sur ce qu’elle implique, en examinant chacune des craintes et interrogations qui se sont répandues sur la toile, en particulier au sujet du fameux « article 13 » qui est devenu, dans la version finale, l’article 17 mais qui est passé à la postérité sous son numéro 13.
C’est quoi, l’article 13 ?
L’article 13, devenu 17, de la directive prévoit :
La fin du statut protecteur de l’hébergeur de contenu étendu par la jurisprudence européenne des FAI aux plateformes : plus de safe harbor, qui permettait aux hébergeurs de ne pas voir leur responsabilité engagée en cas de prompt retrait du contenu litigieux, mais une responsabilité a priori;
Une rémunération des auteurs encadrée par des contrats de licence facultatifs pour les ayants droit (point 1 de l’article) ;
Quand les ayants droit ne souhaitent pas conclure d’accord global, une obligation de coopération pour les plateformes, qui seraient ainsi obligées de supprimer le contenu litigieux (point 4) ;
Lorsqu’aucune autorisation n’a été accordée par les ayants droit, les hébergeurs sont tenus responsables de la communication du contenu litigieux sauf s’ils démontrent qu’ils ont : tout fait pour obtenir l’autorisation, ont déployé tous les efforts pour assurer l’indisponibilité de l’œuvre spécifique et qu’ils ont agi avec diligence pour supprimer ou interdire l’accès à l’œuvre après avoir reçu notification par les titulaires des droits. Il sera fait application du principe de proportionnalité afin de déterminer si les hébergeurs ont respecté leur obligation de coopération notamment au regard de l’audience, de la taille du service, du type d’œuvres téléchargées par les utilisateurs, des moyens efficaces et de leur coût pour l’hébergeur.
La possibilité pour les utilisateurs dont le contenu a été retiré de contester ce retrait au moyen d’une procédure de recours interne (point 8)
Une obligation de filtrage préalable à laquelle n’échappent que les plateformes âgées de moins de trois ans, réalisant moins de 10 millions d’euros de chiffre d’affaire annuel. Lorsque ces plateformes attirent plus de 5 millions d’utilisateurs, elles devront également démontrer qu’elles ont réalisé les efforts substantiels pour empêcher le téléchargement des œuvres pour lesquelles les auteurs avaient communiqué les éléments pertinents (point 4aa).
Ça va encore compliquer la vie des PME, comme le RGPD ?
Le Parlement européen a allégé la charge prévue initialement par la Commission pour les PME qui n’auront pas à mettre en œuvre de mesure de blocage automatique même en présence d’accords de licence négociés avec les ayants droit (point 7). En revanche, les plus petites plateformes seront obligées d’accepter de signer des accords de licence.
Est-ce que je prendrai des risques en faisant apparaître des marques dans mes vidéos ?
Non, rien ne change en matière de marques. La directive ne concerne que le droit d’auteur. Elle ne change rien au fait qu’il est déjà possible, sans engager sa responsabilité, de faire apparaître, volontairement ou non, un objet portant une marque protégée, dans le contenu mis en ligne. C’est par exemple le cas de cette célèbre marque de vêtements dans une vidéo de Norman Thavaud. L’utilisation qui est faite de la marque n’est pas « dans la vie des affaires » : elle ne constitue donc pas une contrefaçon.
Et les œuvres protégées par le droit d’auteur ? Va-t-il être désormais interdit de les montrer, même dans un coin de l’image ou pendant une fraction de seconde ?
Contrairement au projet rédigé par la Commission, la version modifiée puis votée par le Parlement précise que les exceptions au droit d’auteur empêcheront l’application de l’article 13. Par conséquent, il sera toujours possible, comme c’est le cas aujourd’hui, de :
Reproduire le bref extrait d’une œuvre à titre illustratif d’un propos plus général (citer une phrase d’un roman, montrer l’extrait d’une pièce de théâtre, utiliser quelques secondes d’une chanson…), comme c’est le cas pour cet extrait du film Le Cinquième Élément dans la même vidéo de Norman Thavaud ;
Faire figurer une œuvre protégée au sein d’un ensemble plus vaste, par exemple la Pyramide du Louvre de Ieoh Ming Pei (œuvre architecturale encore protégée) dans une vidéo tournée dans Paris ou un personnage de Walt Disney sur un poster figurant en arrière-plan de la vidéo d’un youtubeur dès lors que ces œuvres ne sont pas l’objet principal du contenu mis en ligne (exception « de panorama » ou « d’inclusion fortuite ») ;
Détourner une œuvre pour s’en moquer, la parodier, ou produire un contenu humoristique (exception de parodie), comme cette vidéo des Guignols de l’info parodiant une chanson de Stromae ;
Et bien sûr, il reste possible d’utiliser librement des œuvres appartenant au domaine public, c’est-à-dire dont l’auteur ou le dernier coauteur survivant est mort depuis au moins 70 années écoulées avant le 1er janvier de l’année en cours (hors cas particuliers).
J’ai entendu dire que l’article 13, c’est le retour de la censure…
Dès lors que les exceptions au droit d’auteur sont préservées, la directive n’aura aucunement pour effet de « censurer » les uploadeurs. En revanche, les mesures de surveillance des œuvres protégées seront peut-être plus efficaces et donneront lieu à davantage de retraits de contenu : mais ces retraits seront justifiés par des infractions au droit d’auteur.
Le droit d’auteur est certes une limite à la liberté d’expression puisqu’il est, par exemple, interdit de mettre en ligne un film n’appartenant pas au domaine public sans l’autorisation des ayants droit. Mais il ne s’agit pas à proprement parler de « censure » car cette limite à la liberté d’expression est inscrite dans la loi et dans les droits fondamentaux et constitutionnels (par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, notamment). Le terme de « censure » impliquant l’idée d’une intervention arbitraire, il est ici incorrect – sauf si les craintes suscitées par « Content ID » se révélaient justifiées, voir dernière question ci-dessous.
Est-ce vrai que les memes seront interdits ?
Les memes sont ces détournements parodiques qui incluent potentiellement des œuvres protégées, comme par exemple ce détournement du personnage OSS117 en référence à une phrase prononcée par l’actuel président de la République :
Une telle image utilise donc un extrait d’une œuvre protégée (OSS117 : Le Caire, nid d’espions) et le détourne par l’ajout d’un texte qui n’en provient pas mais qui suggère un rapprochement. A première vue, cette image enfreint donc le droit moral des ayants droit (absence de mention de l’auteur de l’image, modification non autorisée de l’œuvre) ainsi que leurs droit patrimoniaux (absence d’autorisation de la reproduction de l’œuvre, absence de rémunération).
Pourtant, ce meme n’est pas une contrefaçon car les exceptions au droit d’auteur empêchent les ayants droit du film d’en demander la suppression : l’image est utilisée à des fins parodiques, Emmanuel Macron étant comparé à Hubert Bonisseur de la Bath.
Les memes ne sont donc pas mis en danger par la directive, en droit.
Mais si les exceptions restent en vigueur, qu’est-ce qui va changer ?
Si les exceptions au droit d’auteur ne sont pas supprimées par la directive, cela implique tout d’abord que les plateformes n’auront pas la tâche démesurée de retirer tous les contenus utilisant des œuvres grâce à ces exceptions !
Ce qui va surtout changer, c’est le mode de rémunération des ayants droit qui seraient payés, via les accords de licence ou les accords au cas par cas, à la fois par YouTube et par l’uploadeur alors que, jusqu’à présent, seul ce dernier rémunère les auteurs des œuvres qu’il utilise dans sa contribution, sur les revenus dégagés par la publicité et que lui reverse YouTube. C’est une des raisons pour lesquelles les plateformes s’opposent à l’article 13.
Ensuite, il est vrai que les changements ne seront peut-être pas très visibles pour les uploadeurs ou les utilisateurs. Ainsi, les grandes plateformes ont déjà mis en place, depuis des années, notamment en France, des systèmes leur permettant de filtrer le contenu protégé, ne serait-ce qu’en surveillant par mots-clés le contenu mis en ligne, mais aussi en recourant à des robots ; elles suppriment également du contenu qui leur a été signalé comme contrefaisant par les ayants droit en-dehors de tout accord de licence ; elles ont enfin déjà instauré des procédures de contestation par les uploadeurs des mesures de retrait opérées contre leur contenu.
Par exemple, YouTube (propriété de Google) propose une procédure en ligne de notification d’atteinte aux droits d’auteur, mais aussi une procédure de contestation de la demande de retrait.
De même, YouTube a déjà prévu un formulaire de contestation contre le blocage automatique d’une vidéo par le logiciel « Content ID » et même une possibilité de faire appel contre la confirmation du retrait suite à la contestation (même lien). YouTube a donc anticipé sur l’application de l’article 13.
Enfin, certains utilisateurs avertis contournent les mesures de blocage automatique en empêchant la reconnaissance automatique des données contenues dans les vidéos qu’ils mettent en ligne : la bataille technologique ne concerne certes pas le gros des troupes des utilisateurs mais elle a une nette avance, comme toujours, sur l’évolution juridique.
Comment ce robot de blocage automatique, « Content ID », fonctionne-t-il ?
C’est un robot capable de repérer qu’un YouTubeur essaie de mettre en ligne un film dont les ayants droit ont expressément demandé la protection, ou bien un extrait de ce film. Ainsi, si un utilisateur de YouTube essaie de mettre en ligne sur sa chaîne le dernier film commercialisé par Warner ou par Universal et que ces sociétés ont demandé à bénéficier des services de Content ID, la mise en ligne est automatiquement bloquée. Il aura le même problème s’il a inclus un extrait de ce film dans sa propre vidéo.
Le problème suscité par ce blocage automatique est sa coexistence avec l’exception de courte citation et avec l’exception de parodie. En effet, les ayants droit ont la possibilité d’encadrer par défaut la durée autorisée des extraits. C’est pour cela, justement, que les procédures de contestation ont été prévues. Mais comme ces procédures sont très favorables aux ayants droit, l’uploadeur n’a plus que la seule option de saisir les tribunaux judiciaires pour faire condamner l’atteinte à sa liberté d’expression.
Il bien sûr impossible pour ce robot de répertorier la totalité des œuvres audiovisuelles protégées (films, émissions, clips, etc.) et musicales. Dès lors, le blocage automatique ne pourra concerner qu’une petite partie des œuvres protégées.
La crainte majeure pour les plateformes est que le blocage automatique soit imposé dans le cadre des accords de licence comme une obligation de résultat et non comme une obligation de moyens : dans le premier cas, elles seraient responsables si leurs robots ne détectent pas l’utilisation non autorisée d’une œuvre protégée ; dans le second, elles pourraient se dédouaner si elles démontrent avoir tout fait pour assurer le blocage automatique avec les outils technologiques et les moyens humains qui sont les leurs.
Gaëlle Loinger-Benamran
Associée
Conseil en Propriété Industrielle
et
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la Cour
22
novembre
2018
Pas de droit d’auteur pour la saveur d’un produit alimentaire
Author:
teamtaomanews
Les Juridictions nationales se penchent régulièrement sur la définition des œuvres susceptibles d’être protégées par le droit de la propriété intellectuelle. Après l’odeur d’un parfum, à qui les juges néerlandais semblent accorder une protection par le droit d’auteur, alors que la jurisprudence française y est plutôt opposée, il est ici question du goût d’un produit alimentaire.
La CJUE vient de rendre une décision très claire sur l’absence d’appropriation par le droit d’auteur des saveurs gustatives.
La société néerlandaise Levola s’était fait céder les « droits de propriété intellectuelle » sur un fromage à tartiner à la crème fraîche et aux fines herbes (le « Heksenkaas »).
Ayant découvert qu’un concurrent (la société Smilde) fabriquait pour une chaine de supermarchés un fromage (le « Witte Wievenkaas ») qu’elle jugeait similaire au sien, Levola l’a assignée pour atteinte à ses droits d’auteur sur la « saveur » du Heksenkaas.
Au cours de la procédure judiciaire, la cour d’appel d’Arnhem-Leuvarde a saisi la CJUE d’une question préjudicielle portant, en substance, sur la possibilité pour le goût d’un produit alimentaire de bénéficier de la protection par le droit de la propriété intellectuelle.
La Cour rappelle que les droits exclusifs dont jouissent les auteurs aux termes de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur portent sur des « œuvres » et que ces droits souffrent d’exceptions et de limitations, également prévues par ledit texte.
Elle précise ensuite que, pour qu’un objet puisse revêtir la qualification d’œuvre, il importe que soient réunies deux conditions cumulatives :
1. L’objet concerné doit être original, en ce sens qu’il constitue une création intellectuelle propre à son auteur => ce point n’est pas en débat en l’espèce ;
2. La qualification d’œuvre est réservée aux éléments qui sont l’expression d’une telle création intellectuelle.
En s’appuyant sur divers textes internationaux auxquels l’Union européenne est tenue de se conformer, la juridiction indique que « les œuvres littéraires et artistiques comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression » et que « ce sont les expressions et non les idées, les procédures, les méthodes de fonctionnement ou les concepts mathématiques, en tant que tels, qui peuvent faire l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur ».
Elle en conclut que la notion d’œuvre « implique nécessairement une expression de l’objet de la protection au titre du droit d’auteur qui le rende identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, quand bien même cette expression ne serait pas nécessairement permanente ».
En effet, la Cour rappelle qu’il est essentiel que les autorités chargées de veiller au respect des droits d’auteur, mais également les particuliers (notamment les concurrents de titulaires de droits) soient en mesure de connaître avec clarté et précision les objets ainsi protégés et que tout élément de subjectivité soit écarté dans le processus d’identification de l’objet protégé. Ainsi, ce dernier doit pouvoir faire l’objet d’une expression précise et objective. Cette exigence répond notamment aux questions qui était posée par la juridiction de renvoi, qui se demandait comment faire valoir ses droits devant les juridictions (faudrait-il que le juge déguste un produit pour vérifier s’il peut être protégé ? Que les choix créatifs de l’« auteur » soient décrits ? Comment la similitude avec un autre produit pourrait être établie ? etc.).
Or, la Cour souligne que « la possibilité d’une identification précise et objective fait défaut en ce qui concerne la saveur d’un produit alimentaire [puisqu’elle] repose essentiellement sur des sensations et des expériences gustatives qui sont subjectives et variables [qui] dépendent, notamment, de facteurs liés à la personne qui goûte le produit concerné […] ainsi que de l’environnement ou du contexte dans lequel ce produit est goûté.
En outre, une identification précise et objective de la saveur d’un produit alimentaire, qui permette de la distinguer de la saveur d’autres produits de même nature, n’est pas possible par des moyens techniques en l’état actuel du développement scientifique ».
En conséquence, la CJUE décide que la saveur d’un produit alimentaire ne peut pas être qualifiée d’œuvre et que le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une législation nationale soit interprétée de manière à lui accorder une protection par le droit d’auteur.
Si l’issue de cette affaire n’est pas particulièrement surprenante, l’exigence d’une formalisation étant souvent rappelée, tout du moins par les juridictions françaises, elle permet de rappeler la difficile protection des saveurs, qui peinent également à remplir les critères de validité des marques (cf. CA Paris, 4ème chambre, section B, 03 octobre 2003 : « la marque constituée par le goût suivant : ‘’arôme artificiel de fraise’’ ne remplit en aucun cas les critères de précision et d’objectivité requis [et ne peut pas être enregistrée] »).
Référence et date : Cour de Justice de l’Union Européenne, 13 novembre 2018, dans l’affaire n° C‑310/17
Lire l’arrêt sur Curia
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