26
mars
2024
Saga CASTELBAJAC : la cession de marque patronymique n’excluerait donc pas le « contrôle » de son usage a posteriori ?
Author:
TAoMA
Une nouvelle décision a été rendue le 28 février 2024 par les juges de la Cour de Cassation1.
En question notamment, la recevabilité d’une action en déchéance contre une marque patronymique cédée, initiée par le cédant, qui n’est autre que l’artiste de renom Monsieur Jean Charles de Castelbajac.
Des éléments de contexte s’imposent.
Monsieur Jean Charles de Castelbajac s’est démuni de ses marques patronymiques (et notamment de ses marques françaises JC DE CASTELBAJAC et JEAN-CHARLES DE CASTELBAJAC) à l’occasion d’un acte de cession au profit de la société PMJC en 2012. Cette cession intervenait à la suite d’une offre de reprise de la totalité des actifs corporels et incorporels de la société du cédant, à la barre du tribunal.
En parallèle, un protocole de prestation de services a été conclu entre les protagonistes par lequel Monsieur JC de Castelbajac assurait des missions de directeur artistique au profit de la société PMJC, et dans lequel il était question de la « nécessaire adéquation entre l’image des marques et des articles commercialisés avec l’image » de l’artiste.
Au terme dudit protocole, en décembre 2015, les relations se sont toutefois dégradées.
La société PMJC reprochait à Monsieur de Castelbajac des faits de concurrence déloyale et d’atteinte à ses marques. Pour cause, l’artiste était à l’origine d’une nouvelle société de création, de conseil et de direction artistique, reprenant son nom. Il fera donc l’objet d’action en contrefaçon des marques de la société PMJC, portant (pourtant) son nom.
A titre de riposte, Monsieur de Castelbajac accuse la société PMJC d’imitation de son univers et de ses œuvres et d’adaptation non autorisée de ces dernières. Il tente alors de faire tomber les marques adverses pour déceptivité en raison des usages, selon lui, trompeurs que leur nouveau titulaire en a faits.
En 2016, le conflit judiciaire s’installe.
Le cédant peut il agir contre le cessionnaire des marques portant son nom ?
L’une des questions principales de ce conflit est celle de la recevabilité d’une action en déchéance pour déceptivité contre une marque patronymique, introduite par le cédant éponyme contre le cessionnaire, nouveau titulaire exploitant.
En effet, une telle action a été reconnue recevable, de manière inédite par l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 12 octobre 20222. A cette occasion, les juges avaient également annulé les marques françaises attaquées JC DE CASTELBAJAC et JEAN-CHARLES DE CASTELBAJAC pour déceptivité.
La société PMJC a ensuite introduit un pourvoi en Cassation en soutenant que Jean Charles de Castelbajac n’était pas recevable à agir en ce qu’il ne pouvait engager d’action ayant pour finalité de l’évincer en tant qu’acquéreur des marques.
Jusqu’alors, les défenseurs de ce type d’action invoquait la garantie d’éviction, principe classique du droit des contrats.
Cette garantie d’éviction est l’assurance de l’acquéreur de posséder la marque acquise une fois la cession effective. Ainsi, en application de cette garantie, le cédant de la marque ne peut troubler la jouissance du cessionnaire. Il ne peut notamment agir en justice pour demander l’annulation de la marque qu’il a cédé.
Rappelons ici deux arrêts de référence en matière de marque patronymique au visa desquelles les juridictions françaises statuaient jusqu’alors dans ce type d’affaire.
La Cour de Cassation a rendu le 31 janvier 20063 au sujet des marques Ines de la Fressange, un arrêt sans équivoque : « Mme de La Fressange, cédante, n’était pas recevable en une action tendant à l’éviction de l’acquéreur ». En considérant l’action irrecevable, la Cour de cassation n’avait donc pas eu à statuer sur le caractère déchéable des marques patronymiques en cause.
Faisant suite à une question préjudicielle qui lui était posée, la CJCE a quant à elle considéré, dans un arrêt « Elizabeth Florence Emanuel » en date du 30 mars 20064, :
– d’une part, que la seule présence du nom de famille d’un créateur et premier fabriquant des produits, au sein d’une marque était insuffisante pour caractériser une tromperie, et donc pour justifier la déchéance, même si ladite personne n’avait plus de lien avec la société titulaire de la marque ;
– d’autre part, le fait que la société puisse faire croire que le créateur était toujours actif au sein de la société était certes constitutif d’une manœuvre dolosive, mais pas d’une tromperie de nature à justifier une déchéance.
La Cour de Cassation change de cap.
Aussi, dans sa dernière décision en date du 28 février 2024, la Cour de Cassation crée une rupture avec la position européenne.
La Cour rappelle d’abord que la garantie d’éviction dont bénéficie le cessionnaire empêche tout cédant d’agir contre le premier si cette action a pour finalité de l’évincer de la chose vendue. Elle nuance toutefois son propos en se ralliant à l’interprétation contestée de la Cour d’appel de Paris et retient que « la garantie au profit de cessionnaire cesse lorsque l’éviction est due à sa faute ».
En d’autres termes, l’action en déchéance du cédant reste ouverte en cas de faute du cessionnaire, lorsqu’il est à l’origine même de sa propre éviction.
La Cour rappelle ensuite que le maintien des droits sur une marque suppose que son usage ne soit pas « de nature à tromper effectivement le public ou à créer un risque grave de tromperie », pour conclure que désormais, l’exception à la garantie d’éviction contre une action en déchéance d’une marque patronymique est constituée quand cette action est fondée sur la « survenance de faits fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire ».
L’appréciation de la déchéance pour usage deceptif renvoyée vers les instances européennes
Au sujet même de la constitution de la déchance, la Cour de Cassation va maintenir le suspense en posant la question préjudicielle suivante à la CJUE :
« Les articles 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques et 20, sous b), de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent au prononcé de la déchéance d’une marque constituée du nom de famille d’un créateur en raison de son exploitation postérieure à la cession dans des conditions de nature à faire croire de manière effective au public que ce créateur participe toujours à la création des produits marqués alors que tel n’est plus le cas ? »
En d’autres termes, les juridictions doivent-elles rejeter la déchéance d’une marque patronymique cédée si les conditions de son usage postérieur à la vente sont de nature à faire croire que le cédant créateur éponyme participe toujours à la création des produits marqués, alors qu’il en est étranger ?
Toute l’attention est désormais concentrée vers la réponse qu’apporteront les juges européens à la question préjudicielle formulée pendant dans cette affaire. Il y a fort à espérer que la CJUE apporte quelques éclairages necessaires sur les sujets et questions complexes que pose cette saga qui semble interminable.
Mazélie PILLET
Conseil en Propriété Industrielle
1) Cour de cassation, Chambre commerciale financiere et economique, 28 février 2024, n° 22-23.833
2) Cour d’appel de Paris, 12 octobre 2022, N° 20/11628
3) Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 31 janvier 2006, n° 05-10.116, Publié au bulletin
4) CJCE, n° C-259/04, Arrêt de la Cour, Elizabeth Florence Emanuel contre Continental Shelf 128 Ltd, 30 mars 2006
08
août
2023
Cession de droits de propriété intellectuelle : si c’est gratuit, c’est notarié
Author:
TAoMA
Les droits de propriété intellectuelle peuvent faire l’objet d’une cession par contrat, que ce soit à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Après s’être prononcé en 2022 sur la cession d’une marque à titre gratuit (dont vous pouvez retrouver la news de TAoMA ici) [1], le Tribunal judiciaire de Paris semble confirmer son approche dans une ordonnance de référé rendue le 12 avril 2023 [2], s’agissant cette fois-ci de droits d’auteur.
Guerre et PI
Le demandeur est un ancien militaire de l’armée russe, qui a participé à l’invasion de l’Ukraine. Après avoir été blessé sur le front puis rapatrié en Russie, il a diffusé sur le réseau social VKontakte son témoignage intitulé « ZOV », qui signifie « l’appel ». Ce terme a notamment été peint sur des chars russes lors de l’invasion.
Ayant dû fuir la Russie pour la France, il a décidé de céder à titre gratuit et par acte sous seing privé ses droits d’auteur sur son manifeste à une association, en septembre 2022.
Cette association a elle-même conclu un contrat de cession de droits d’auteur avec la société d’édition Albin Michel, pour la publication de l’œuvre en format imprimé et électronique. Conformément à ce contrat, un livre intitulé « ZOV : L’homme qui a dit non à la guerre » a été publié en novembre 2022 en France.
L’association et la société d’édition ont alors été assignées devant le Tribunal judiciaire de Paris par l’ex militaire. Elles ont ensuite été assignées en référé pour que soit réalisé le placement sous séquestre conservatoire des recettes générées par l’ouvrage, dans l’attente du rendu d’une décision au fond.
Le sort de la cession gracieuse de droits de propriété intellectuelle à nouveau face aux juges
Rappelant les dispositions de l’article 931 du code civil (prévoyant que « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité »), le juge des référés a constaté que le contrat conclu entre l’ex militaire et l’association emporte « explicitement cession « gratuite » de droits d’auteurs », et qu’il est « donc possible que cet acte conclu sous seing privé soit nul ».
Le juge des référés ne peut rendre une décision sur le fond de l’affaire mais uniquement sur des mesures provisoires. Ainsi, il ne fait ici que « supposer » la nullité de l’acte laissant au juge du fond trancher la question.
Le séquestre provisoire des recettes issues du livre a en conséquence été ordonné, dans l’attente d’une décision au fond. Les juges du fond devraient, selon toute vraisemblance, prononcer la nullité de la cession des droits d’auteur à titre gratuit, qui aurait dû être réalisée par acte notarié pour pouvoir être valide.
Il est ainsi rappelé que la propriété intellectuelle, tant s’agissant de cession gracieuse de marque que de droit d’auteur, ne déroge pas aux règles du droit commun de la donation entre vifs.
La cession à titre gratuit de droits de propriété intellectuelle est juridiquement considérée comme une donation et doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Cette solution réitérée semble sceller le sort de cette pratique répandue, notamment pour les cessions de marque.
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch, 8 février 2022, n° 19/14142
[2] Tribunal judiciaire de Paris, 12 avril 2023, n° 23/50949
05
juillet
2021
Tintin et le temple de l’exception de parodie
Author:
teamtaomanews
L’artiste Xavier Marabout a réalisé des œuvres d’art mêlant l’univers du peintre Edward Hopper et celui de l’auteur de bande dessinée Hergé à travers la représentation du personnage de Tintin, placé dans des situations saugrenues. L’artiste a fait le choix de représenter le célèbre reporter accompagné de femmes dans des environnements austères, évoquant la mélancolie habituelle des œuvres de Hopper.
La société Moulinsart, titulaire exclusive des droits patrimoniaux de Hergé (à l’exception de l’édition des albums de bande dessinée) a constaté la vente et la commercialisation des œuvres, sur le site internet de Xavier Marabout, adaptant sans autorisation les personnages des Aventures de Tintin.
Cette dernière considérant ces actes comme contrefaisants a assigné Xavier Marabout en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale et parasitaire devant le Tribunal Judiciaire de Rennes (1).
La question principale abordée dans cette décision est de savoir si Xavier Marabout peut légitimement se prévaloir de l’exception de parodie. Et subsidiairement, s’il y a lieu de considérer que les actes en question sont parasitaires ou déloyaux.
Concernant la question de l’exception de parodie le Tribunal Judiciaire a rappelé le principe selon lequel lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire « 3° sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source ; 4° la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
Xavier Marabout invoque cette exception au monopole du droit d’auteur de la société Moulinsart, sans pour autant contester avoir reproduit et adapté sans autorisation des éléments issus des Aventures de Tintin.
Dans un premier temps, le tribunal s’est livré à une analyse précise de chaque critère de l’exception de parodie :
La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée, ce qui est le cas en l’espèce puisque les personnages de l’œuvre d’origine sont aisément identifiables.
L’œuvre parodique doit se distinguer de l’œuvre originale. En l’espèce, le choix du support – un tableau versus une bande dessinée – permet bien de distinguer l’œuvre parodique de l’œuvre originale.
L’intention humoristique doit être présente et reconnue par le public, l’austérité des œuvres de Hopper est ici plus animée et vient transcender l’impossibilité pour Tintin d’afficher ses sentiments dans des situations burlesques où des femmes aux allures de « bimbos » sont représentées. En outre, le nom des œuvres permet également de démontrer l’approche parodique de l’auteur avec un effet humoristique tel que « Moulinsart au soleil» ou « Lune de miel » faisant écho directement aux œuvres originales de Hergé.
Une absence de risque de confusion : La parodie exige une distanciation comique et un travestissement qui ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux œuvres de l’auteur. Les Aventures de Tintin ont connu une diffusion mondiale considérable par le nombre d’exemplaires vendus, que le public identifie aisément. Les travestissements opérés sont effectués sous forme de tableau permettant de distinguer la représentation classique sous vignette de bande dessinée habituelle de Hergé. Enfin, les inspirations de l’univers de Hopper étant indéniables par les environnements reproduits mais aussi par les titres des œuvres ne peuvent venir caractériser un risque de confusion quelconque.
Dans ces conditions, le Tribunal judiciaire en conclut que les œuvres de Xavier Marabout traduisent une forme d’hommage et accueille l’exception de parodie.
Le tribunal s’est ensuite concentré sur le fait de savoir si la démarche de Xavier Marabout ne s’inscrivait pas dans une démarche purement commerciale et mercantile, s’appropriant ainsi la valeur économique de l’œuvre de Hergé, portant de ce fait atteinte aux droits patrimoniaux de la société Moulinsart.
Faisant une appréciation très concrète des enjeux financiers en comparant les revenus générés par l’œuvre de Hergé et ceux découlant de l’exploitation des tableaux de Xavier Marabout les juges considèrent que les faits allégués de contrefaçon n’engendrent qu’une perte financière minime voire totalement hypothétique pour la société Moulinsart, qui ne peut dès lors s’opposer à la liberté de création.
En conséquence, le Tribunal judiciaire déboute la société Moulinsart de ses demandes au titre du droit d’auteurs en excluant toute faute constitutive de contrefaçon.
Pour ce qui est des demandes en concurrence déloyale ; le tribunal a noté que l’exception de parodie ne peut venir caractériser un comportement fautif parasitaire et que les activités commerciales d’exploitation des produits dérivés de l’œuvre de Tintin par la société Moulinsart ne s’adressent pas à la même clientèle que les œuvres réalisées par Xavier Marabout, et ne peuvent de ce fait constituer une concurrence déloyale.
Ainsi, cette décision parait cohérente et mesurée, notamment au regard des œuvres en question où l’empreinte de l’auteur par l’originalité de ses choix et références permettent de faire prévaloir la liberté d’expression des artistes.
Dorian Souquet
Juriste stagiaire
Anne Laporte
Avocate à la Cour
(1) Tribunal judiciaire de Rennes, 2e chambre civile, 10 Mai 2021, 17/04478 – Société Moulinsart c/ Xavier Marabout
23
mars
2021
Un employeur bien dans ses baskets de créateur
Author:
teamtaomanews
Selon une formule attribuée à Coco Chanel, « la mode se démode ; le style, jamais ». La mode se fait et se défait au gré des créations nouvelles. Les créateurs de ces réalisations ne se contentent pas de transformer des tissus en vêtements mais créent des objets qui ont un sens pour ceux qui les portent. Inspirée et créative, la mode n’est donc pas seulement une activité commerciale, mais une activité artistique à part entière, justifiant que les créateurs puissent être considérés comme des artistes.
Pour autant, la reconnaissance de la qualité d’auteur d’un styliste salarié n’est pas toujours évidente, notamment en cas de création collective. La Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de le rappeler dans un arrêt rendu le 5 mars 2021 opposant la société COMPTOIR DES COTONNIERS à l’un de ses salariés.
Le salarié en cause revendiquait la création, en septembre 2014, d’une paire de baskets vintage dénommée « Slash », de sa semelle léopard et de son sac d’emballage. Les juges de première instance l’ont déclaré irrecevable à agir au titre du droit d’auteur faute pour lui de justifier être à l’origine de la création.
En seconde instance, la Cour rappelle qu’il incombe à celui qui entend se prévaloir du droit d’auteur de rapporter la preuve d’une création déterminée à une date certaine et de caractériser l’originalité de la création – l’existence d’un contrat de travail n’étant pas exclusive de cette protection.
En l’occurrence, si le salarié prétend être, depuis son recrutement, le seul styliste de la société en charge des accessoires, les juges constatent que son contrat de travail le rattache à une équipe créative et à une directrice artistique.
La cour examine avec une grande précision les pièces, et notamment les attestations produites aux débats et en déduit que l’autonomie créatrice du salarié était restreinte et que, bien qu’il ait réalisé seul le croquis de la basket, il a agi « sous la subordination » de la directrice en charge de définir et de mettre en œuvre la ligne stylistique.
La Cour observe ensuite que la basket a été présentée dans la presse comme une création de la directrice de style, sans que le salarié ne s’y oppose et sans que celui-ci ne s’oppose non plus au dépôt par son employeur auprès de l’INPI d’une demande de protection au titre des dessins et modèles.
Toutes ces observations réunies, le salarié est déclaré irrecevable en son action en contrefaçon.
La Cour d’appel, sans pour autant énoncer une solution nouvelle, rappelle donc qu’un salarié qui prend part à un processus collectif de création sous la supervision d’une directrice artistique peut ne pas être en mesure de revendiquer la qualité d’auteur s’il ne justifie pas qu’il disposait de libertés de choix esthétiques et de création ne faisant pas l’objet de restrictions et d’encadrement en raison du contrôle d’un supérieur.
Les juges précisent ainsi les contours de la distinction essentielle qui existe entre le fait de participer à un processus créatif et celui de le maîtriser.
Cette question du cumul des qualités d’auteur et de salarié est source de nombreux contentieux depuis des décennies. La présente décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle qui restreint la possibilité pour des salariés d’obtenir la reconnaissance de leur qualité d’auteur et donc un complément de rémunération au titre de leurs droits patrimoniaux. Par exemple, dans l’arrêt Lavigne c. GIM (Cass. Soc. 19 oct. 2005, n°03-42.108) rendu en 2005 par la chambre sociale de la Cour de cassation, les juges avaient décidé d’appliquer la notion d’œuvre collective aux créations d’entreprise auxquels les salariés avaient participé et considéré que les droits issus de ces créations étaient nés directement sur la tête de l’entreprise – une qualification qui n’a toutefois pas été discutée dans l’arrêt commenté.
La jurisprudence invite donc à demeurer vigilant quant à la détermination au quotidien des droits des collaborateurs qui participent à des créations.
Référence et date : Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 2, 5 mars 2021, n° 19/17254
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
Retrouvez sous ce lien une autre actualité récente relative au droit de la mode et à la qualité d’auteur des salariés.
Alain HAZAN
Avocat à la Cour – Associé
Mathilde GENESTE
Élève-Avocate
28
juin
2019
Parodie : Le Point fait rire la Cour de cassation
Author:
teamtaomanews
Le 19 juin 2014, le journal Le Point publiait un numéro dont la Une représentait, sous l’intitulé « Corporatiste intouchables, tueurs de réforme, lepéno-cégétistes… Les naufrageurs – la France coule, ce n’est pas leur problème », un buste de Marianne à demi submergé.
Il est cependant apparu que le journal n’avait pas recherché l’autorisation de l’auteur de la sculpture apparaissant dans ce photomontage, Alain Gourdon, dit Aslan, avant de procéder à la publication. Le sculpteur étant décédé, son épouse (investie de l’ensemble de ses droits) a assigné le Point en contrefaçon. Après le rejet de sa demande par les juges du fond, c’est la Cour de Cassation qui, par un arrêt du 22 mai 2019, a définitivement mis fin aux prétentions de la demanderesse.
Dans sa décision, la Cour marque son accord avec la qualification de parodie donnée à la Une de l’hebdomadaire par la cour d’appel. En effet, l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle indique que « lorsqu’une œuvre est divulguée, l’auteur ne peut interdire […] 4° la parodie, le pastiche ou la caricature, compte tenu des lois du genre », ces dernières n’étant pas définies légalement.
La Cour de Justice de l’Union Européenne[1] avait déjà apporté un éclairage sur les caractéristiques que devaient présenter une œuvre pour pouvoir être considérée comme une parodie, à savoir :
Évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci ;
Constituer une manifestation d’humour ou une raillerie.
En revanche, elle avait souligné que la notion de « parodie » n’était pas soumise à des conditions selon lesquelles elle devrait présenter un caractère original propre, pouvoir raisonnablement être attribuée à une personne autre que l’auteur de l’œuvre originale, porter sur l’œuvre originale ou mentionner la source de l’œuvre parodiée.
S’agissant d’une notion autonome du droit de l’Union, c’est à la lumière de cette interprétation que la Cour de cassation s’est prononcée, validant la décision de la cour d’appel, qui avait relevé :
L’absence de tout risque de confusion avec l’œuvre originale, du fait des éléments propres ajoutés par le photomontage ;
L’existence d’une « métaphore humoristique du naufrage prétendu de la République » qui résultait dudit montage, peu important le caractère sérieux de l’article qu’il illustrait,
Sans chercher à savoir, en revanche, si la parodie portait sur l’œuvre elle-même, ce critère ayant été écarté par la CJUE.
Date et référence : Cour de cassation, 1ère chambre civile, 22 mai 2019, n°18-12718
Lire la décision complète sur Legifrance
[1] CJUE, 3 septembre 2014, Deckym, C-201/13