14
novembre
2022
La forme du « Saddle bag » de Dior refusée à l’enregistrement pour absence de caractère distinctif
La protection par le droit des marques peut s’avérer très utile pour les entreprises du secteur de l’industrie du luxe notamment, en complément d’une protection par le droit des dessins et modèles.
En effet, lorsque l’apparence d’un produit présente une certaine particularité, il est possible pour son créateur de déposer une marque dite « bidimensionnelle » ou « tridimensionnelle » selon les cas. Cet outil juridique a l’avantage de conférer un droit de propriété intellectuelle illimité sur cette forme, sous réserve d’une exploitation sérieuse par son titulaire.
Toutefois, afin d’éviter d’octroyer un monopole sur une forme quelconque au détriment des concurrents, l’examen par les Offices d’une telle demande est soumis aux mêmes conditions que pour les autres catégories de marques et fait l’objet d’une appréciation stricte par les examinateurs. En effet, une marque de forme est notamment refusée à l’enregistrement si elle est :
Dépourvue de caractère distinctif 1. Le signe doit permettre d’identifier les produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé et donc de les distinguer des entreprises concurrentes.
Constituée exclusivement par la forme/les caractéristiques du produit 2 :
• imposée par la nature de ce même produit ;
• nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ;
• qui donne une valeur substantielle au produit.
Ces conditions constituent des motifs absolus de refus à l’enregistrement d’une marque. Dans une décision récente 3,, la chambre des recours de l’EUIPO s’est prononcée sur l’absence de distinctivité de la demande de marque 3D du « Saddle Bag » de Dior. Cette décision vient illustrer l’appréciation du caractère distinctif de cette typologie particulière de marque.
La société Christian Dior Couture a déposé une demande de marque 3D portant sur la forme de son célèbre « Saddle bag » – créé en 1999 par John Galliano – le 24 mars 2021, pour désigner des produits en classes 9 et 18. La marque demandée était notamment représentée comme suit au moment du dépôt :
Après avoir essuyé un premier refus partiel devant l’EUIPO le 11 novembre 2021 sur le fondement de l’Article 7 paragraphe 1, point b) du RMUE, la demanderesse a formé un recours en appel contre cette décision.
Une fois saisie, la chambre des recours a alors estimé que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif, dès lors qu’elle est constituée d’une combinaison d’éléments qui sont « typiques » des produits concernés en classe 18, à savoir les « Sacs, sacs à main, pochettes (maroquinerie), trousses de voyage (maroquinerie), trousses de toilette et de maquillage (vides) ». De ce fait elle a considéré que la marque 3D ne pouvait pas diverger, dans son ensemble et de manière significative, de la norme ou des habitudes du secteur de la maroquinerie.
Pour rappel, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, qui est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif.
D’après l’Office, il est notoire que ce secteur soit caractérisé par une multitude et une abondance de formes auxquelles le public est régulièrement exposé. L’examinateur avait notamment considéré que le signe demandé était « la forme d’un sac à main, d’une sacoche, d’une housse, d’un étui, d’une pochette voire d’une trousse qui pourrait être fabriquée en cuir/peau d’animal ».
La forme du « Saddle bag » ne peut donc remplir sa fonction essentielle d’origine, à savoir celle d’identifier l’origine commerciale des produits en cause et notamment les articles de maroquinerie susmentionnés en classe 18, afin de les différencier des entreprises concurrentes.
En revanche, l’Office a annulé le refus pour les produits de la classe 9 (Lunettes de vue, etc) et certains produits de la classe 18 (Cuir et imitation du cuir; peaux d’animaux et fourrures, etc), considérant que ces produits ne prendraient pas la forme de la marque en cause ou une forme similaire.
Ainsi, la chambre des recours de l’EUIPO a confirmé la décision de l’examinateur et a refusé partiellement l’enregistrement de la marque 3D de Dior, portant sur la forme du « Saddle Bag » pour absence de caractère distinctif.
Ce n’est pas la première fois que Dior rencontre des difficultés pour obtenir la protection de la forme de son sac, puisque le 9 mars 2021, l’USPTO (l’Office américain des marques et des brevets) a refusé l’enregistrement de cette demande pour les mêmes motifs.
Ainsi, la protection des marques 3D n’est pas chose aisée pour les déposants et notamment pour les grandes maisons de luxe, afin de ne pas créer un monopole sur une forme et donc un avantage concurrentiel en faveur d’un seul opérateur économique.
Margaux Maarek
Juriste
(1) Article 7, paragraphe 1, point b), du Règlement sur la marque de l’Union européenne : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) (b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif (…) » ;
(2) Article 7, paragraphe 1, point e), du Règlement sur la marque de l’Union européenne : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) (e) les signes constitués exclusivement : (i) par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ; (ii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique; (iii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, qui donne une valeur substantielle au produit ; (…) » ;
(3) EUIPO, Décision de la Deuxième chambre de recours du 7 septembre 2022, affaire R 32/2022-2 ;
11
juillet
2022
Le TUE n’est pas d’humeur festive, Amsterdam Poppers descriptive
Si Amsterdam, capitale des Pays-Bas, est connue pour son patrimoine culturel et artistique, ainsi que ses richesses historiques, elle l’est tout autant pour sa vie nocturne et les plaisirs y associés. Ce fait, qualifié de notoire par le Tribunal de l’Union européenne (TUE) dans sa décision du 6 avril 20221, n’a pas joué en faveur de la société Funline International, déposante de la demande de marque AMSTERDAM POPPERS.
Le 15 décembre 2020, la société de droit américain Funline International a déposé auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) la demande de marque AMSTERDAM POPPERS pour désigner divers produits des classes 3 et 5, y inclus « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
L’EUIPO a, dans le cadre de l’examen de cette marque, émis un refus total de protection de la marque sur la base des deux motifs suivants :
La marque AMSTERDAM POPPERS est contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs dès lors qu’elle fait référence à une drogue récréative ;
La marque AMSTERDAM POPPERS est descriptive des « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante » dès lors qu’elle sert à décrire la provenance des produits en cause, à savoir une substance récréative provenant de la ville d’Amsterdam.
Sur recours de la société Funline International, la Chambre d’appel de l’EUIPO a confirmé partiellement la décision de refus. En effet, si la Chambre d’appel de l’EUIPO déjuge l’examinateur concernant la contrariété à l’ordre public et aux bonnes mœurs au motif que la consommation de poppers n’est pas prohibée dans les États membres, elle maintient la conclusion selon laquelle la marque AMSTERDAM POPPERS est descriptive pour les « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
La demande de marque AMSTERDAM POPPERS a donc été acceptée à l’enregistrement pour l’ensemble des produits qu’elle désigne en classes 3 et 5, exception faite des « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
C’était sans compter la détermination de la société Funline International qui a porté l’affaire devant le TUE afin d’obtenir l’annulation de la décision au motif qu’elle violerait l’Article 7, paragraphe 1, sous c), du Règlement 2017/10012.
En effet, la société Funline International considérait que la marque AMSTERDAM POPPERS ne pouvait être considérée comme descriptive dès lors que la ville d’Amsterdam n’était pas connue pour la production de poppers, de sorte qu’il n’existait aucun lien direct entre le lieu géographique et le produit en cause. Par ailleurs, la société américaine affirmait que la combinaison des termes AMSTERDAM et POPPERS était inhabituelle, conférant à l’ensemble un caractère arbitraire au regard des produits objectés.
Le TUE dans sa décision du 6 avril dernier rejette les arguments ci-dessus et confirme la décision de la Chambre d’appel de l’EUIPO.
En ce sens, le TUE rappelle la jurisprudence classique selon laquelle une marque composée de plusieurs termes descriptifs et/ou de termes géographiques peut faire l’objet d’un enregistrement à titre de marque au sein de l’Union européenne, à la condition toutefois que (i) la combinaison ne soit pas elle-même descriptive et (ii) qu’il n’existe pas de lien direct entre le lieu géographique et le produit désigné.
Or, tel n’est pas le cas en l’espèce puisque, contrairement à ce qu’affirme la société Funline International :
le terme AMSTERDAM sera nécessairement associé à la ville du même nom qui est notoirement connue pour sa tolérance concernant l’usage de drogues ;
le terme POPPERS renvoie directement à la nature des produits en cause, à savoir une substance qui est généralement utilisée dans un cadre festif.
Aussi, il existe un lien direct entre le lieu géographique utilisé et les produits objectés, le public pertinent pouvant raisonnablement penser que les produits en cause proviennent d’Amsterdam, ville réputée pour la consommation de ce type de produits.
Au surplus, le TUE considère de manière assez logique que la construction grammaticale de la marque demandée est banale, à tout le moins pour le public anglophone et francophone. La signification descriptive de la marque est effectivement immédiatement perceptible par ce public et ne nécessite pas particulièrement d’efforts intellectuels.
Il n’y aura donc pas de poppers à Amsterdam, le TUE confirme le rejet de la demande de marque AMSTERDAM POPPERS pour les « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
Cette décision, en phase avec la jurisprudence classique de l’Union européenne, permet de rappeler les critères de protection des marques descriptives, en particulier quand elles sont composées d’une juxtaposition de termes descriptif et/ou d’un terme géographique. La vigilance reste donc de mise !
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
1 Tribunal de l’Union européenne du 6 avril 2022, Funline International c/ Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, Affaire T-680/21 ;
2 « 1. Sont refusés à l’enregistrement: (…) c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci; »
11
juillet
2022
Wonder woman c/ wonder mum : première défaite pour la super-héroïne de la ligue des justiciers
Author:
TAoMA
Dans une décision du 2 mars dernier, la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni a confirmé l’absence de risque de confusion entre la marque WONDER WOMAN, appartenant à la société américaine DC Comics et la demande de marque WONDER MUM déposée par la société Unilever.
Quel est le contexte ?
En 2019, Unilever a déposé une demande de marque WONDER MUM pour des produits cosmétiques. La même année, DC Comics a déposé une opposition à l’encontre de cette demande de marque sur la base de sa marque antérieure WONDER WOMAN. Dans le cadre de cette opposition, plusieurs motifs ont été invoqués, y inclus la réputation acquise par la marque antérieure WONDER WOMAN sur le territoire britannique.
En juin 2021, l’Office des marques local (UKIPO) a rejeté l’ensemble des motifs d’opposition présentés par DC Comics. La société américaine a donc interjeté appel de cette décision devant la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni dans le but d’obtenir le refus de la marque WONDER MUM à l’enregistrement.
Pour quelles raisons la Haute Cour a-t-elle rejeté l’appel formé par DC Comics ?
Dans un premier temps, la Haute Cour a estimé que le faible degré de similitudes conceptuelles entre les marques n’est pas suffisant pour caractériser un risque de confusion dans l’esprit du consommateur. Par ailleurs, cette juridiction a également considéré que les preuves fournies par DC Comics sont insuffisantes pour établir la réputation de la marque WONDER WOMAN auprès du public britannique. En effet, l’ensemble des preuves fournies par DC Comics portaient essentiellement sur de simples déclarations, sans aucune donnée chiffrée permettant précisément d’identifier les recettes liées à la marque WONDER WOMAN au Royaume-Uni. Enfin, la dernière difficulté résidait dans le fait qu’il n’y ait aucune preuve claire permettant de démontrer que les consommateurs britanniques perçoivent WONDER WOMAN comme une marque, et non comme le titre d’une œuvre ou le nom d’une super-héroïne mondialement connue.
Cet épisode de la saga WONDER WOMAN souligne une nouvelle fois l’importance de la spécificité des preuves d’usage. Cette décision rappelle par ailleurs la complexité de la protection des marques portant sur des personnages fictifs. Ces marques doivent être utilisées aux fins d’identifier l’origine commerciale des produits et services couverts. Se fonder simplement sur la popularité de cette super-héroïne en tant qu’œuvre artistique sans preuves concrètes n’apparait pas suffisant.
En conclusion, la bataille continue pour les super-héros !
Juliette Parisot
Stagiaire – Pôle CPI
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
21
janvier
2022
L’AC Milan perd son match (et sa marque) devant le TUE
Author:
teamtaomanews
Les Allemands ont remporté un match judiciaire en droit des marques contre les Italiens (3-0) dans une affaire opposant l’Associazione Calcio Milan SpA (AC Milan), célèbre club de football, à la société de droit allemand InterES Handels- und Dienstleistungs Gesellschaft mbH & Co. KG.
La première mi-temps a débuté le 6 avril 2017 avec une opposition formée devant l’Office européen des marques (EUIPO) par cette société allemande, sur la base de sa marque verbale allemande MILAN, enregistrée notamment en classe 16, à l’encontre d’une demande de marque du club de football Italien.
Ce dernier, par une demande de marque internationale désignant l’Union européenne n°1329545, souhaitait protéger sa marque semi-figurative (ACM 1899 AC MILAN) dans les vingt-sept États de l’Union pour des produits en classe 16 de la Classification de Nice, à savoir : « Papier ; carton ; couvertures de livres ; colle pour la papeterie ou le ménage ; articles de papeterie ; papier à copier [articles de papeterie] ; papier à lettres ; [articles de papeterie] ; marqueurs ; agrafes de bureau ; fournitures pour le dessin ; fournitures pour l’écriture ; fournitures scolaires ; gommes à effacer ; encres ; correcteurs liquides ; gabarits [articles de papeterie] ; crayons ; crayons fusains ; crayons d’ardoise ; mines de crayon ; stylos [articles de bureau] ; plumes d’acier ; porte-crayons ; porte-mines ; porte-plume ; billes pour stylos à bille ; instruments d’écriture ; instruments de dessin ; carnets ; tampons encreurs ; taille-crayons ; tire-lignes ».
La société allemande obtient une première fois gain de cause par une décision rendue le 30 novembre 2018, dans laquelle l’EUIPO a reconnu l’opposition justifiée dans son intégralité.
Mécontent de cette décision, le club de football italien, dans le cadre d’une seconde mi-temps, a formé un recours. Mais la deuxième chambre de recours de l’EUIPO le rejette et confirme la décision de la division d’opposition dans son intégralité.
Le Milan AC tente alors une dernière attaque devant le Tribunal de l’Union européenne (TUE) en contestant l’appréciation des preuves d’usage de la marque antérieure réalisée par la chambre de recours, y compris celle de l’altération du caractère distinctif de la marque antérieure telle qu’enregistrée.
Il ajoute que la chambre de recours n’a pas pris en compte la renommée de la demande de marque contestée aux fins de l’appréciation du risque de confusion, notamment en ce qui concerne les similitudes conceptuelles entre les signes.
Le TUE, par une décision en date du 10 novembre 2021, marque un coup d’arrêt au match et confirme la victoire de la société allemande. En effet, il juge que l’usage sérieux de la marque antérieure, ainsi que le risque de confusion entre les marques en cause, a été dûment démontré et justifié.
Sur l’usage sérieux de la marque antérieure invoquée
D’une part, le TUE confirme que les preuves d’usage produites par la société allemande sont suffisantes pour établir l’usage sérieux de la marque antérieure en Allemagne.
Les pièces fournies par la société allemande (factures, catalogues…), prises dans leur ensemble, permettent de démontrer qu’elle s’est efforcée de maintenir ou acquérir une position commerciale sur le marché en cause, étant précisé, par ailleurs, que le TUE confirme la jurisprudence constante selon laquelle des pièces datées en dehors de la période pertinente peuvent être prises en compte pour apporter la preuve d’une exploitation commerciale réelle et sérieuse de la marque.
D’autre part, le TUE suit le raisonnement de la chambre de recours de l’EUIPO selon lequel l’usage qui est fait de la marque antérieure sur le marché n’altère pas le caractère distinctif de la marque telle qu’enregistrée, à savoir sous une forme verbale.
En effet, l’ajout d’un élément figuratif représentant la tête d’un oiseau, bien que non négligeable, demeure secondaire dans l’impression d’ensemble dès lors que, pour une partie du public pertinent, il vient renforcer la signification du mot « MILAN » et, en tout état de cause, il est constant que les éléments figuratifs ont une importance moindre du point de vue du consommateur.
Sur l’appréciation du risque de confusion
Tout en contestant les ressemblances visuelles et phonétiques entre les marques, l’AC Milan a tenté une attaque assez intéressante sur le terrain de l’appréciation conceptuelle.
En effet, l’AC Milan faisait notamment valoir que le public pertinent associera la marque demandée au célèbre club de football italien, entraînant ainsi des différences conceptuelles entre les signes susceptibles de neutraliser les ressemblances visuelles et phonétiques.
Une telle approche n’est pas nouvelle dans le domaine footballistique puisque, dans le cadre de l’Affaire MESSI, opposant les marques MESSI et MASSI, l’argument avait été retenu par le TUE, dans une décision confirmée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) [1].
Néanmoins, dans le cas présent, le TUE semble poser une limite à cette jurisprudence, confirmée par la suite dans le cadre d’une affaire impliquant la marque patronymique de la célèbre chanteuse MILEY CYRUS [2]. Le TUE répond que « seule la renommée de la marque antérieure, et non celle de la marque demandée, doit être prise en compte pour apprécier si la similitude des produits désignés par deux marques est suffisante pour donner lieu à un risque de confusion ».
Si l’argument semble favorable aux noms patronymiques célèbres, tel ne semble donc pas le cas pour certains organismes, comme ce célèbre club de football.
Le match juridique Italie-Allemagne finit ainsi par trois buts au bénéfice des Allemands et la demande de marque semi-figurative ACM 1899 AC MILAN n° 1329545 est donc rejetée à l’enregistrement pour les produits qu’elle désigne en classe 16.
Leila Zorkot
Stagiaire juriste
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] CJUE, 17 septembre 2020, Affaires jointes C-449/18 P et C-474/18 P
[2] TUE, 16 juin 2021, Affaire T-368/20
Lire la décision sur le site Curia
21
janvier
2022
Droits voisins du droit d’auteur : un cocktail explosif entre M6 et Molotov
Author:
teamtaomanews
Le 2 décembre dernier, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision portant notamment sur les droits voisins du droit d’auteur des sociétés de METROPOLE TELEVISION (Groupe M6) en tant qu’entreprise de communication audiovisuelle. Les débats ont fait rage entre les parties, dignes d’une téléréalité !
Cette affaire oppose le Groupe M6, dont on ne présente plus les chaines (M6, W9, 6Ter, TEVA, PARIS PREMIERE, etc.), à la société MOLOTOV, beaucoup moins connue, qui offre un service de distribution de chaines de télévision par internet.
Précédemment dans M6 vs. MOLOTOV
En juin 2015, MOLOTOV a conclu avec M6 un accord de distribution expérimental des programmes des chaînes du groupe. Cet accord, après prorogation, est arrivé à expiration fin mars 2018 sans que les parties ne trouvent de terrain d’entente pour la suite. Malgré l’arrivée du terme du contrat, MOLOTOV a continué à mettre à disposition les programmes des chaînes du Groupe M6 sur sa plateforme en ligne.
Bien entendu, M6 se devait de réagir et a zappé sur la chaîne judiciaire en saisissant les juges. Évidemment, M6 reproche à Molotov : (i) la contrefaçon de ses droits voisins en tant qu’entreprise de communication audiovisuelle par la reproduction et la mise à disposition sans autorisation des programmes des chaînes du Groupe M6, (ii) la contrefaçon de plusieurs marques dont elle est titulaire permettant d’identifier les chaînes M6, W9 et 6Ter, et (iii) des actes de parasitisme.
Face à une approche plutôt classique de la part du Groupe M6 pour défense de ses droits, MOLOTOV a organisé le grand zapping du droit des média pour sa défense !
Prologue
Tout d’abord, MOLOTOV tente de faire entrer dans le jeu l’Autorité de la concurrence, en vain, et de faire déclarer l’action du Groupe M6 comme mal fondée et présentant un caractère abusif. En effet, selon l’engagement dit « E13 » d’une décision de l’Autorité de la concurrence du 12 août 2019, « chaque Mère proposera à tout distributeur qui en ferait la demande, la distribution de ses Chaînes de la TNT en clair et de leurs Services et Fonctionnalités Associés, à des conditions techniques, commerciales et financières, transparentes, objectives et non discriminatoires ». En d’autres termes, M6, comme TF1 ou encore France Télévision, devraient accorder à n’importe quel distributeur la possibilité de diffuser leurs chaînes selon des conditions « raisonnables ». Selon MOLOTOV, M6 aurait commis une faute précontractuelle dans le cadre des négociations entre les parties en imposant es conditions déraisonnables. M6 aurait ainsi tenté de faire obstacle à l’activité de son concurrent car le groupe, associé à TF1 et France Télévision, prévoyait la création de la plateforme concurrente SALTO.
Le tribunal rejette bien vite cet argument pour une question de programmation : l’action du Groupe M6 contre MOLOTOV a été engagée dès avril 2018 alors que SALTO n’a reçu l’aval de l’Autorité de la concurrence pour son lancement qu’en août 2019.
Épisode 1 : Contrefaçon des droits voisins
Indéniablement, MOLOTOV a continué la diffusion des chaînes du groupe après 1er avril 2018, soit une fois l’expiration de l’accord entre les parties. Dès lors, le tribunal reconnait la matérialité de la contrefaçon des droits voisins d’une entreprise de communication audiovisuelle par la reproduction et la mise à disposition des programmes des chaines du Groupe M6.
MOLOTOV n’a pas même pas cherché à contester les faits mais a tenté de légitimer ces actes de contrefaçon sur de nombreux fondements dont voici un best-of :
M6 tenterait de faire obstacle à la diffusion de ses chaînes en clair à 100% de la population métropolitaine
Les chaînes du groupe M6 sont des chaînes dites « en clair » qui, selon la loi du 30 septembre 1986 sur la communication audiovisuelle, doivent être distribuées à 100% de la population du territoire métropolitain. Selon MOLOTOV, M6 serait contrevenu à cette loi en imposant des conditions abusives dans les négociations ne lui permettant ainsi pas de distribuer les chaînes du groupe. L’impossibilité pour MOLOTOV de distribuer les chaînes et donc de les distribuer via sa plateforme sur internet rend impossible leur distribution à 100% de la population.
A nouveau, cet argument est bien vite écarté par le tribunal qui rappelle notamment que le groupe M6 se charge lui-même de la distribution de ses chaînes gratuitement auprès de 100% de la population.
M6 tenterait d’imposer un prix minimum de revente pour la diffusion de ses chaînes
MOLOTOV invoque la violation de l’article 442-6 du Code de commerce qui interdit d’imposer un prix minimum pour la revente d’un produit ou service. Les conditions générales de distribution des chaines du Groupe M6 contiennent une clause dite de « paywall » obligeant à ce que le distributeur ne diffuse les chaînes du groupe que dans le cadre d’offres payantes. Pour MOLOTOV, ces conditions générales de distribution reviennent pour M6 à imposer un prix minimal que doit payer l’utilisateur de MOLOTOV pour avoir accès au chaînes du Groupe M6.
Le tribunal rejette l’argument au motif que cette obligation ne fait qu’imposer le principe d’un abonnement, mais pas le prix de cet abonnement qui reste à la libre discrétion de MOLOTOV.
M6 imposerait des conditions de distribution discriminatoires
MOLOTOV revient à nouveau sur ce fameux engagement dit « E13 » pour se dédouaner. Si M6 impose une clause de « paywall », interdisant à MOLOTOV d’offrir gratuitement à ses utilisateurs les chaînes gratuites de le TNT du Groupe M6, alors M6 ne propose pas des conditions transparentes, objectives et surtout non discriminatoires.
Manque d’audiences pour ce programme argumentaire de MOLOTOV, les juges n’y sont pas sensibles et rappellent notamment que cette clause de « paywall » n’est pas discriminatoire puisqu’elle est aussi imposée aux autres distributeurs tel qu’Orange ou Free.
Malgré ses différentes tentatives de dédouanement, les dés sont jetés et les juges disqualifient MOLOTOV de la partie. Contrefaçon des droits voisins il y a, point final.
Épisode 2 : Contrefaçon de marques
Conséquence, si la diffusion non autorisée des programmes du Groupe M6 constitue une contrefaçon des droits voisins, alors elle constitue également une contrefaçon des marques du Goupe. MOLOTOV tente de faire valoir qu’elle utilise les marques comme référence nécessaire pour permettre l’identification des chaines. Cependant, le tribunal retient que la reproduction des marques pour désigner la diffusion contrefaisante des programmes est elle aussi contrefaisante.
Épisode 3 : Parasitisme
Sur les demandes en parasitisme du Groupe M6, le tribunal y fait rapidement droit puisque M6 a démontré l’importance de ces investissements pour construire sa grille de programme et promouvoir ses chaînes. MOLOTOV tire profit de manière déloyale et sans bourse déliée des investissements du Groupe M6 pour attirer les utilisateurs sur sa plateforme.
Épisode 4 : Épilogue
Finalement, le tribunal condamne MOLOTOV à indemniser le Groupe M6 à hauteur de 7 millions d’euros pour le préjudice lié à la contrefaçon de droits voisins, 15 000 euros pour le préjudicie liée à la contrefaçon de marque et 100 000 euros à titre de dommages intérêts pour le préjudice résultant des actes des parasitisme. La société Molotov est aussi condamnée à payer 15 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Malgré ces différents épisodes de la bataille juridique, les parties ont décidé de ne pas diffuser en direct la finale puisque, quelques jours après cette décision, c’est à huit clos qu’un accord a été trouvé entre M6 et MOLOTOV pour la diffusion payante des chaînes du Groupe sur la plateforme.
TAoMA n’a pas encore donné son aval pour une saison 2 de cette série d’anthologie mais les scénaristes sont prêts pour une nouvelle saison centrée sur un conflit TF1 vs. MOLOTOV ou MOLOTOV vs. SALTO. To be continued…
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Salomé Hafiani Lamotte
Stagiaire – Pôle Avocats
Tribunal judiciaire de Paris, 3e chambre, 1e section, 2 décembre 2021, RG n°18/04595,Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
27
juillet
2021
Mauvaise foi, donc mauvaise pioche pour MONOPOLY : nullité du dépôt à l’identique pour contourner l’obligation de prouver l’usage
Author:
jeremie
La société Hasbro est titulaire de la marque de l’Union européenne MONOPOLY au titre de laquelle elle a effectué plusieurs dépôts enregistrés en 1998, 2009 et 2010. En avril 2010, Hasbro a opéré une nouvelle demande de marque enregistrée en 2011 en classes 9, 16, 28 et 41 qui couvraient des produits et services en partie identiques à la demande de 2010.
Cette dernière marque a été attaquée en nullité par une société croate sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1 sous b) du règlement n° 207/2009 alors applicable, en vertu duquel la nullité est déclarée lorsque le demandeur était de mauvaise foi au moment du dépôt.
Pour rappel, la cause de nullité basée sur la mauvaise foi s’applique « lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celle relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine » (point 33).
Cette notion de mauvaise foi implique une motivation subjective de la personne présentant une demande d’enregistrement de marque, à savoir une intention malhonnête ou un autre motif dommageable qui suggère un comportement s’écartant des principes éthiques ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.
En résumé, cette intention du demandeur, au moment pertinent pour l’apprécier qui est celui du dépôt, est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce.
Concernant la charge de la preuve, la cour rappelle que « c’est au demandeur en nullité qui entend se fonder sur ce motif de nullité qu’est la mauvaise foi qu’il incombe d’établir les circonstances qui permettent de conclure que la demande d’enregistrement a été déposée de mauvaise foi, la bonne foi du déposant étant présumée jusqu’à preuve du contraire » (point 42). Cependant, lorsque l’EUIPO constate que les circonstances objectives du cas d’espèce invoquées par la demande en nullité sont susceptibles de conduire au renversement de la présomption de bonne foi du déposant, alors il appartient à ce dernier de fournir des explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis par la demande d’enregistrement en question (point 43).
La société requérante considérait que la demande était un dépôt réitéré des marques précédentes dans le but de contourner l’obligation de prouver l’usage réel de ces marques.
En effet, en vertu du droit européen des marques, il n’est pas nécessaire de prouver l’usage ou l’intention d’usage au moment du dépôt. Une fois la marque enregistrée, un délai de grâce de cinq ans est prévu avant que les propriétaires de marques ne soient tenus de prouver l’usage sérieux de leurs marques.
Devant l’EUIPO, Hasbro avait admis que l’un des avantages justifiant le dépôt de la marque contestée reposait sur le fait de ne pas avoir à apporter la preuve de l’usage sérieux de cette marque dans le cadre d’une procédure d’opposition.
De ce fait, la Chambre des Recours de l’EUIPO avait considéré que les éléments de preuve recueillis étaient de nature à démontrer que, pour les produits et les services couverts par la marque contestée qui étaient identiques aux produits et aux services couverts par les marques préalablement enregistrées, la requérante avait été de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.
Cette analyse est confirmée dans son intégralité par le TUE dans sa décision du 21 avril 2021 (TUE, n° T-663/19, Arrêt du Tribunal, Hasbro, Inc. contre Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, 21 avril 2021). Selon le Tribunal de l’Union européenne, le raisonnement suivi par l’EUIPO fait apparaître sans ambiguïté que c’est non pas le fait de réitérer le dépôt d’une marque de l’Union européenne qui a été considéré comme étant révélateur de la mauvaise foi, mais le fait que les éléments de l’espèce démontraient que cette dernière avait pour objectif de contourner une règle fondamentale du droit des marques de l’Union européenne, concernant la preuve de l’usage, pour en tirer profit au détriment de l’équilibre du régime.
Le TUE décide en tout état de cause que la marque contestée doit être annulée pour tous les produits et services identiques à ceux couverts par les marques antérieures.
Cet arrêt permet donc de rassurer les titulaires de marques européennes dans la mesure où il indique clairement que la réitération d’un dépôt de marques n’est pas interdite en soi, mais que la motivation du nouveau dépôt sera examinée à la loupe pour y déceler des preuves de mauvaise foi.
Lire la décision en ligne sur Eur-Lex
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la cour
Dorian SOUQUET
Stagiaire – Pôle CPI
05
juillet
2021
Mauvaise foi lors du dépôt d’un prénom de renommée : les carottes sont cuites pour celui qui cherche à tirer profit d’une star de la cuisine !
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teamtaomanews
Peut-on accaparer la renommée d’une célébrité en déposant une marque reprenant son prénom ?
Si la morale conduit à répondre par la négative, c’est également la position adoptée par le droit, du moins par le Tribunal de l’Union Européenne dans sa décision du 28 avril 2021.
France Agro, une société française spécialisée dans les produits alimentaires, avait déposé le 6 août 2015 la marque « Choumicha Saveurs » en classes 29, 30 et 31 (ce qui englobe les aliments, les épices ou encore, plus surprenant, les fourrages pour animaux).
Or, le choix du prénom « Choumicha » n’est pas anodin. Car s’il n’évoquera rien au consommateur français extérieur au monde de la gastronomie, aux oreilles du consommateur marocain, il raisonnera comme un véritable « Maïté ».
Car Choumicha Chafay, connue sous son seul prénom « Choumicha », est une animatrice vedette et une productrice d’émissions culinaires au Maroc. Sa renommée est toutefois bien plus large et s’étend à l’ensemble du public arabophone, y compris sur le territoire français et belge.
Choumicha, qui utilise déjà son prénom pour exploiter plusieurs marques au Maroc, et qui a par ailleurs cédé ce même prénom pour le dépôt de marques au sein de l’UE, a logiquement présenté le 14 février 2018 une demande de nullité de la marque « Choumicha Saveurs » pour dépôt de mauvaise foi.
Après avoir vu sa demande rejetée dans un premier temps par la division d’annulation de l’EUIPO, Choumicha a finalement obtenu gain de cause devant la chambre de recours. France Agro a alors saisi le Tribunal de l’UE afin d’obtenir l’annulation de cette décision.
Le Tribunal a rejeté ce recours en retenant la mauvaise foi manifeste de France Agro lors du dépôt de la marque « Choumicha Saveurs »(1).
En effet, en choisissant de déposer une marque incluant en tant qu’élément distinctif et dominant un prénom renommé, France Agro a créé une association dans l’esprit du public entre ses produits et la célèbre animatrice. France Agro ne pouvait en effet ignorer, en déposant une marque pour des produits alimentaires, la renommée que Choumicha avait justement acquise dans le domaine culinaire.
L’intention de la société requérante était donc « de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts d’un tiers particulier ».
Le Tribunal a retenu qu’en déposant la marque « Choumicha Saveurs » la société France Agro avait pour objectif de profiter de manière indue de la réputation de la célèbre animatrice tout en l’empêchant de tirer les bénéfices de l’exploitation de son propre prénom sur le territoire de l’Union. Il conclut à l’annulation intégrale de la marque, y compris pour des produits sans lien avec le domaine culinaire, l’intention frauduleuse de la déposante à l’égard d’un tiers particulier venant en vicier l’entier dépôt.
Ce n’est pas la première fois que le Tribunal de l’Union Européenne a l’occasion de se prononcer sur le dépôt d’une marque de mauvaise foi concernant le prénom d’une célébrité : la marque « Neymar » avait déjà été annulée en 2019 sur un fondement similaire.
La juridiction européenne reste ainsi vigilante sur les dérives possibles lors du dépôt de marques, particulièrement lorsqu’il s’agit de s’accaparer la renommée d’un autre.
Anne-Cécile Pasquet
Auditrice de justice
Baptiste Kuentzmann
Juriste
(1) TUE 28/04/2021, affaire T‑311/20
05
juillet
2021
Pour l’office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO), ne s’improvise pas fabriquant de Prosecco qui veut !
Author:
teamtaomanews
Avec ses fines bulles et son prix abordable, le Prosecco a depuis une vingtaine d’années conquit les faveurs des vacanciers estivaux. Ingrédient indispensable au Spritz, cocktail lui-même indispensable à tout apéritif réussi, ce vin blanc pétillant est typique de l’Italie. Plus particulièrement de sa région nord-est, dans laquelle s’élèvent les collines du Prosecco.
Ce détail a son importance puisque le Prosecco, à l’instar de son cousin français le Champagne, est protégé par une AOP : une appellation d’origine protégée. L’AOP permet d’empêcher les tiers de profiter indûment de l’aura du nom d’un produit souvent renommé.
L’AOP Prosecco a été enregistrée dans la catégorie « vin » le 1er août 2009, et c’est pour en assurer la défense que le Consortium pour la protection de l’Appellation d’Origine Contrôlée Prosecco – ou dans la langue de Dante « Consorzio di tutela della Denominazione di Origine Controllata Prosecco » – a formé opposition le 17 juin 2020 contre l’ensemble des produits désignés par la demande de marque déposée le 22 décembre 2019 par la société Hempdrinks GmbH, en classes 32 et 33 pour des boissons non alcooliques et diverses boissons alcooliques.
Cultivé bien loin de collines transalpines, le « Hamp-Secco » est un alcool fabriqué à base de chanvre au Weinviertel, une région viticole autrichienne.
Pour solliciter le rejet de la demande de marque l’opposant se fonde sur l’article 8§6 du Règlement sur la marque de l’Union européenne (RMUE) permettant de s’opposer à une demande de marque sur la base d’une AOP ou indication géographique protégée par le règlement UE n°1308/2013, consacré aux produits viticoles. Selon ce dernier règlement, les indications géographiques et plus particulièrement les AOP sont protégées contre :
– tout usage direct ou indirect du nom protégé pour des produits comparables qui ne respecteraient pas le cahier des charges de l’indication géographique ou dans le cas où cette utilisation exploiterait la renommée de l’AOP ou de l’indication géographique
– toute utilisation abusive, imitation ou évocation, même si la vraie origine des produits est indiquée ou si le nom protégé est traduit ou accompagné d’une expression du type « style », « méthode », « imitation », etc.
– toute autre indication fausse ou trompeuse sur la provenance, l’origine, la nature ou les qualités essentielles du produit, à l’intérieur ou à l’extérieur du packaging, des supports publicitaires, etc.
– toute autre pratique susceptible d’induire en erreur le consommateur sur la véritable origine du produit.
Il s’agit donc d’une protection large et la jurisprudence est en la matière relativement sévère puisqu’il suffit que le signe litigieux provoque chez le consommateur raisonnablement bien informé et observateur une confusion avec l’AOP pour que ces textes trouvent à s’appliquer.
Comme dans le cadre d’une opposition basée sur une marque antérieure, lorsque le droit invoqué est une AOP, l’EUIPO prend en considération les ressemblances phonétiques et visuelles entre les signes ainsi que le degré de similarité entre les produits concernés.
Dans le cas présent, l’EUIPO a jugé que la demande de marque était susceptible de créer dans l’esprit du consommateur une association avec l’AOP Prosecco, aussi bien pour les boissons alcoolisées que non alcoolisées. En effet, l’élément verbal HEMP-SECCO est placé en position prédominante au sein de la marque contestée. Les autres éléments composant la demande sont des éléments figuratifs et décoratifs ou des éléments verbaux de plus petite taille. Il s’agit donc d’éléments secondaires par rapport à la dénomination HEMP-SECCO. Par ailleurs, cette dernière sera utilisée oralement par le public pour se référer aux produits et sera donc l’élément retenu par le consommateur.
L’EUIPO relève que les signes HEMP-SECCO et PROSECCO partagent 5 lettres formant la séquence « secco » mais également la lettre P au sein de leurs préfixes. Enfin, ces éléments verbaux ont la même structure et le même nombre de syllabes. Au regard de ces différents développements, l’EUIPO considère que la marque constitue une évocation de l’AOP Prosecco. La marque est par conséquent rejetée.
Ainsi si les bulles du Prosecco ont vocation à pétiller sur les terrasses du monde entier, le nom du vin lui, ne dépassera pas les frontières de ses collines.
Anne-Cécile Pasquet
Auditrice de justice
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique CPI
05
juillet
2021
Le dernier Gang Bang à Paris
Plus question de Gang Bang à Paris pour l’INPI !
En effet, l’INPI a décidé le 10 novembre 2020 que la marque française déposée le 16 septembre 2011 sous le nom « GANG BANG A PARIS » était contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
Cette décision a pour particularité d’être l’une des toutes premières rendues par l’INPI en matière de nullité de marques depuis l’entrée en vigueur, le 1er avril 2020, de l’ordonnance du 13 novembre 2019.
L’affaire débute le 25 mai 2020, lorsqu’une société dépose une demande d’annulation de la marque « GANG BANG A PARIS ». La marque en question avait été enregistrée en 2012 pour des produits et services des classes 25, 35 et 41. Autrement dit, pour des produits vestimentaires, des services de publicité, de formation ou encore de divertissement. Rien à voir donc avec le registre pornographique.
La demande devant l’INPI s’articule autour de deux motifs :
Le fait que le signe soit contraire à l’ordre public ou que son usage soit légalement interdit
La nature trompeuse du signe vis-à-vis du public en raison de la présence des termes « A PARIS »
Il faut évacuer sur le champ la question du caractère trompeur de la marque, car il ne fait aucun doute que les produits et services proposés n’ont pas vocation à se prétendre d’origine parisienne. L’INPI ne s’y est pas trompé, et déclare que l’expression « A PARIS » au sein de la marque contestée « GANG BANG A PARIS » ne peut être appréhendé par le public « que comme une référence au lieu de réalisation de ce gang bang et non comme une indication quant à la provenance géographique des produits et services couverts par la marque ».
S’agissant en revanche de l’atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs, l’INPI développe son raisonnement en définissant tout d’abord la notion d’ordre public et de bonnes mœurs. Celle-ci s’entend des « valeurs et normes sociales auxquelles la société adhère et qui visent à réguler les comportements susceptibles de contrevenir à l’ensemble des règles imposées tant par la législation que par la morale sociale ». Est comprise dans cette notion le respect des lois pénales réprimant les comportements discriminants, ainsi que les atteintes et offenses portées aux personnes, à leur dignité, honneur et considération.
Or, c’est bien là le cœur du problème ! Car le terme « GANG BANG » désigne une pratique sexuelle utilisée dans le milieu de la pornographie. Le terme nous vient des États Unis, et désignait au départ l’assassinat ou le passage à tabac d’un homme seul par les membres d’un gang adverse. L’image d’agresseurs en surnombre face à une victime isolée a été conservée lors du basculement du terme dans le lexique pornographique. S’il ne s’agit que d’une mise en scène sexuelle entre adultes consentants dans la sphère du X, le terme de « GANG BANG » désigne aussi un viol collectif.
L’INPI voit dans ce terme « une image violente et dégradante », mais cela ne suffit pas à annuler une marque sur le fondement de l’ordre public et des bonnes mœurs, encore faut-il cerner le public pertinent. A savoir, non seulement le public directement visé par les produits et services de la marque, mais également le public indirect, celui qui sera confronté au signe de manière incidente dans sa vie quotidienne, par exemple lors de campagnes publicitaires ou à l’occasion de la présentation de la marque dans des lieux de vente. Le public pertinent est par ailleurs constitué de personnes raisonnables, ayant un seuil moyen de sensibilité : ni jamais choqué, ni choqué pour un rien.
C’est là où le bât blesse, car le public pertinent de « GANG BANG A PARIS » est très large. Il est notamment constitué de mineurs susceptibles de chercher à comprendre le sens du nom de la marque qu’ils auront, par exemple, pu observer sur des vêtements. L’accès du jeune public à la marque est en outre contraire aux dispositions de l’article 227-24 du code pénal consacré à la mise en péril des mineurs.
L’INPI juge ainsi la marque contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs et en prononce la nullité, signant par là même le dernier Gang Bang à Paris.
Un point peut cependant prêter à interrogation. Étant donné que ces nouvelles demandes en nullité sur un motif absolu sont susceptibles d’être formées par toute personne, à tout moment…
Quid d’anciennes marques vestimentaires aux noms provocateurs ?
A l’instar de « la vie la pute », ou encore d’« à poil les salopes ! », marques de vêtements déposées respectivement en 2015 et 2011.
On peut se demander si les nouvelles compétences de l’INPI n’ont pas vocation, pour des marques déposées antérieurement à l’ordonnance de 2019, à créer une insécurité juridique dépendante de l’activisme des demandeurs.
Anne-Cécile Pasquet
Auditrice de justice
Baptiste Kuentzmann
Juriste
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