Nettoyage de printemps : La Cour de cassation fait le ménage dans le parasitisme économique
La Chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment rendu trois arrêts [1], le 26 juin 2024 qui précisent la notion de parasitisme économique.
Contexte et enjeux
La définition classique du parasitisme suppose qu’un opérateur se place dans le sillage d’un autre opérateur pour bénéficier indûment de ses efforts, de son savoir-faire, ou de ses investissements, sans en assumer les coûts ou risques.
Cette pratique porte atteinte au principe de loyauté de la concurrence et engage la responsabilité de son auteur en application de l’article 1240 du Code civil.
Mais il faut mettre en balance ce principe avec celui de la liberté du commerce et de l’industrie.
Cette action en responsabilité se différencie de la contrefaçon qui sanctionne une reproduction, imitation ou utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son propriétaire.
La Cour de cassation précise les conditions pour que le parasitisme économique soit constitué:
- L’opérateur économique s’est placé dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
- Il appartient à celui qui se prétend victime d’actes de parasitisme d’identifier la valeur économique individualisée qu’il invoque.
- Le savoir-faire et les efforts humains et financiers peuvent caractériser une valeur économique individualisée mais celle-ci ne peut se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit
- Les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent n’est pas, en soi, un acte de parasitisme.
Maisons du Monde contre Auchan
Dans cette affaire, les sociétés Auchan ont commercialisé des tasses et des bols comportant des images de type « vintage », commandés auprès d’un fournisseur qui en avait fait concevoir les dessins par un prestataire. Soutenant que ces objets reproduisaient un décor créé par son bureau d’étude de style en 2010 et commercialisé sous forme de tableau sur support toile dénommé « Pub 50’s », Maison du Monde a assigné les sociétés du groupe et leur fournisseur en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme.
La Cour considère préalablement que :
- Le tableau sur toile dénommé « Pub 50’s » commercialisé par la société Maison du Monde, était composé de différents clichés disponibles en droit libre sur internet ;
- La Cour de cassation considère que les décors des tasses et bols commercialisés ne sont pas des copies serviles de ces clichés.
Puis, elle affirme que :
- La toile « Pub 50’s » a été commercialisée sur une période limitée ;
- La toile n’a jamais été mise en avant comme étant emblématique de la collection « vintage » ;
- La société Maison du monde n’était pas la seule à exploiter ;
- La toile n’était pas caractéristique de l’univers des produits de la société Maison du monde ;
- La société a développé d’autres collections.
De plus, la styliste attestait qu’elle avait développé seule un décor constitué « d’images culte » évocatrices du style de vie américain des années cinquante, disponibles sur internet. La société Maison du monde n’avait alors aucun droit de propriété intellectuelle sur ces éléments de décor.
Enfin, le décor du tableau y figurant n’avait pas été décliné sur d’autres produits et qu’il constituait une combinaison banale d’images préexistantes qui n’avait jamais été mise en avant comme emblématique de l’univers de sa marque.
La Cour confirme donc l’absence de parasitisme, estimant que le décor incriminé ne constituait pas une valeur économique individualisée.
Décathlon contre Intersport
Les sociétés Décathlon ont commercialisé un masque intégral au tuba intégré appelé « Easybreath ». La société Intersport a acquis, auprès d’une société de droit allemand, des masques intégraux au tuba intégré référencés « Tecnopro ». Les sociétés Decathlon ont assigné les sociétés Intersport en concurrence déloyale et parasitisme.
A gauche: modèle commercialisé par Decathlon A droite: modèle commercialisé par Intersport
La chambre commerciale a confirmé l’analyse de la Cour d’appel qui avait retenu les critères suivants afin de cette valeur économique individualisée :
- la grande notoriété du masque « Easybreath » de Decathlon ;
- la réalité de son travail de conception et de développement sur trois ans pour un montant global de 350 000 euros ;
- l’absence de produits équivalents au moment de son lancement ;
- le caractère innovant de la démarche de Decathlon, ainsi que ses investissements publicitaires de plus de trois millions d’euros et un chiffre d’affaires de plus de 73 millions d’euros entre mai 2014 et novembre 2018 généré par la vente de ce produit.
Enfin, la Cour a reconnu que la reprise des caractéristiques esthétiques et fonctionnelles du masque était inspirée du produit de Décathlon, sans que les sociétés requérantes ne rapportent de justification de développement propre à leur produit.
Quelles sont les conséquences de ces arrêts ?
Ces arrêts réaffirment des principes bien établis tout en soulignant l’importance pour les entreprises de documenter leurs efforts d’innovation et la nécessité de démontrer une valeur économique individualisée pour caractériser un acte de parasitisme.
Finalement, rester dans le sillage d’un concurrent, c’est comme jouer avec le feu : risqué, mais attention à ne pas se brûler !
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Anne Messas
Avocate associée
Emeline Jet
Avocate à la Cour
[1] Cour de cassation, Chambre commerciale, 26 juin 2024 n°22-17.647 et n°22-21.497 ;
Cour de cassation, Chambre commerciale, 26 juin 2024 n°23-13.535